que les motifs mêmes du carrefour et du passage soient abondamment exploités par la mise en
oeuvre littéraire dibienne.
Par ailleurs ce réseau dessine une trajectoire qui épouse une configuration où l' on peut
découper (pour la commodité de la présentation) des "époques" dominées chacune par un
code particulier d'écriture. Ainsi la première période allant jusqu'à Un Eté africain (1959) s'
inscrit dans une option réaliste. La deuxième, qui comprend essentiellement Qui se souvient
de la mer (1962), Cours sur la rive sauvage (1964) et le recueil de nouvelles Le Talisman
(1966), exploite les ressources du fantastique et découvre spontanément des procédés (une
démarche imaginative) de science-fiction. Puis, elle laisse place, dans un troisième temps, à
un néo-réalisme qui dans La Danse du Roi (1968), Dieu en Barbarie (1970) et Le Maître de
chasse (1973) met en place un double circuit du sens : l' un, manifeste, qui retrouve un
réalisme teinté de symbolisme, l' autre, sous-jacent, qui suggère une interprétation ésotérique
du monde. Enfin, depuis Habel (1977), Dib déplace la scène romanesque hors d'Algérie: à
Paris d'abord, puis dans les neiges et les mers des pays nordiques (Les Terrasses
d'Orsol,1985; Le Sommeil d'Eve, 1989; Les Neiges de marbre, 1990) où il tresse mythes et
écritures divers en une synthèse d'une extrême élégance et où il continue à traquer, selon un
parcours orphéen, derrière l' apparence trompeuse des choses, leur sens profond, postulant une
sorte d'intropathie entre les êtres et le monde.
Les recueils poétiques, eux, évoluent vers un hermétisme grandissant qui, d'Ombre Gardienne
(1961) - ouvertement branché sur la revendication identitaire et fortement marqué par des
accents éluardiens - à Ô Vive (1988), en passant par Formulaires (1970), Omneros (1975) et
Feu beau feu (1979), explore les coins les plus reculés du sens à travers une alchimie du verbe
fondée sur les correspondances entre lexique, rythmique et sonorités porteuses d'une secrète
harmonie entre le monde et la poésie. A mesure, le verbe se fait plus incisif, la syntaxe plus
dépouillée, le sens plus insaisissable et plus complexe, les résonances plus riches. Enfin, l'
érotisme de plus en plus prégnant, semble envahir progressivement tous les thèmes et
englober le dire poétique dans un corps à corps du poète avec l' écriture.
Dans cet itinéraire les nouvelles apparaissent, elles, soit comme des moments de pause où s'
amorce un nouveau départ, soit comme un instant idéal, hors du temps, aboutissement d'une
longue recherche. Cette profuse richesse de l' oeuvre se trouve ponctuée, par d'autres genres
qui y trouvent leur place à la manière de points d'orgue. Ici un conte (Baba Fekrane, 1959;
Histoire du chat qui boude, 1974), là un scénario de film (Les Fiancés du printemps, 1963).
Et, surplombant le tout, une pièce de théâtre d'une extraordinaire force : Mille hourras pour
une gueuse (publiée en 1980, jouée en Avignon en 1977).
Cette oeuvre si vaste et si diverse reste, pour notre bonheur, ouverte puisque l' auteur continue
à produire avec une exemplaire régularité. Un nouveau roman: Le Désert sans détour, vient
d'être offert au public pour les vacances de l' été 1992, le transportant dans un huis clos où les
grandes figures des mythologies gréco-latine et égyptienne tournent autour du destin de deux
personnages, l' un coupable d'avoir provoqué un gand massacre et l' autre complice. Crime
sans repères ni d'espace ni de temps, dans un désert intégral, sans âme qui vive aussi loin que
porte la vue; un désert présent essentiellement par la profuse lumière qu'il dispense et par le
vent qu'il engendre et où le tyran, après avoir fait le vide autour de lui, se retrouve
tragiquement seul. Car, est-il dit dans le texte, "Le désert offre la particularité que, dans
quelque direction que vous alliez, et aussi loin que vous alliez, vous restez sur place, restez au
milieu du désert."(pp. 59-60), et, par conséquent, face à vous-même. L' Autre étant
radicalement exclu, les deux compères qui, en définitive ne font qu'un, sont livrés à un milieu