Le roman connaît un développement considérable de l’entre deux-guerres. Le genre
romanesque s’ouvre à la poésie, au reportage, à l’essai, à la reconstruction historique, à la
méditation politique ou philosophique. Il comporte des œuvres aussi différentes quant au
volume et aux thèmes que le bref Diable au corps de Radiguet ou le vaste cycle des Hommes
de bonne volonté de Jules Romains.
La psychologie romanesque s’écarte des conceptions classiques qui amenaient à
retrouver, derrière la diversité des réactions, l’unité ou la cohérence d’un personnage. La
lecture de Dostoïevski a conduit bien des romanciers à rendre compte des complexité de la
conscience, de l’ambivalence des sentiments et des zones d’ombre que peut comporter l’âme
humaine. La connaissance des travaux de Freud invite aussi les écrivains à mettre à jour les
manifestations de l’inconscient : la psychanalyse a eu, sur le plan de la conception des
personnages et de l’écriture romanesque(comme ailleurs sur le plan poétique), une influence
diffuse mais considérable.
C’est à dire que les romanciers ne renoncent pas, pendant cette période de l’entre
deux-guerres, à la psychologie. Ils cherchent de nouvelles voies : attention au détail saugrenu
ou incongru comme chez Duhamel, investigations dans les zones troubles de la conscience
comme chez Mauriac ou chez Malraux, analyse de situations jusqu’ici inexplorées comme
chez Colette. Mais le grand novateur en la matière est Marcel Proust qui, par la mise au point
de nouveaux outils stylistiques et par l’attention portée aux phénomènes liés au temps et à la
durée, renouvelle complètement l’analyse psychologique du personnage romanesque.
DE NOUVELLES TECHNIQUES NARRATIVES
Des techniques narratives jusque-là encore marginales ou peu exploitées vont connaître une
grande expansion et de nouvelles utilisations : monologue intérieur, récit à « point de vue »,
récit indirect.
Plusieurs influences peuvent être discernées ici. La lecture de romans policiers, dont le
succès est considérable depuis le début du siècle, a habitué le public à suivre une intrigue
morcelée qu’il faut en partie reconstituer ; on trouve donc, dans ce type de narration, une
esquisse de « récit indirect » (où l’on reconstruit l’histoire en confrontant propos de
personnages, lettres, fragments de journal intime, etc.). Les traductions de romans anglo-
saxons ont permis au lecteur d’apprécier le procédé du monologue intérieur et on montré ce
que pouvait apporter au récit l’utilisation des techniques du point de vue, soit que le narrateur
se place dans la conscience d’un personnage et adopte son regard partiel sur les choses, soit
qu’il se limite à l’observation d’un comportement ; l’influence du cinéma s’exerça dans le
même sens.
Le narrateur renonce ainsi à l’omniscience systématique et le roman requiert du lecteur
une interprétation des fait, donc une lecture active.
On assiste aussi à cette époque à une diversification des formes du récit à l’intérieur
d’une même œuvre : lettres, petites annonces, articles de journaux, dialogues, propos du
narrateur se suivent éventuellement sans être reliés entre eux. Cette pratique était déjà celle de
Roger Martin du Gard dans Jean Barois ; Montherlant, Malraux, Jules Romains, entre autres,
y ont également recours. Le texte romanesque acquiert par là un caractère de saisie sur le vif
et de réalisme brut.
Plusieurs de ces techniques sont à l’œuvre dans Les Faux-Monnayeurs de Gide,
roman qui apparaît comme particulièrement représentatif à cet égard. Mais il n’est guère de
romancier à l’époque, tout « traditionnel » qu’il ait pu paraître , qui n’en ait usé et tiré parti.
LE RAYONNEMENT DE LA POESIE