Transcription Pierre VERLUISE – séquence a « Or, la France, toujours, rêve de la puissance », écrit Olivier Kempf dans sa « Géopolitique de la France ». La France a dans son ADN la quête de puissance. Cela date au moins de Louis XIV. Voilà une réflexion qui va nous servir de boussole pour comprendre les tensions françaises dans l’Europe stratégique. La France est un des six pays fondateurs de l’Europe communautaire. Il s’agit du territoire le plus étendu et de l’un des plus peuplé de cet ensemble. Sortie du commandement militaire intégré de l’OTAN en 1966, Paris dispose de l’entière maîtrise de sa dissuasion nucléaire et peut compter sur une industrie d’armement à la pointe. La France dispose – avec le Royaume-Uni – d’une des deux armées les plus performantes de l’Union européenne. Même si la France connait des difficultés économiques et sociales, elle reste un poids lourd de l’UE. La voix de Paris compte à Bruxelles, même si elle pèse davantage lorsqu’elle fonctionne en synergie avec Berlin. Ne parle-t-on pas d’un « moteur franco-allemand » ? Et pourtant, les Français sont mal à l’aise dans l’Union européenne à 28. Leur participation aux élections pour le Parlement européen reste modeste. Et en 2014, leur choix se porte volontiers sur des partis eurosceptiques, voire europhobes. Les sources de ces difficultés sont multiples, et personne ne prétend les traiter toutes. Il s’agit ici, simplement de traiter de la dimension stratégique. Pourquoi la Guerre froide, puis les élargissements de l’OTAN post-guerre froide ont-ils, d’une certaine manière, joué contre le développement de la politique de défense commune à laquelle aspire la France ? Pour le dire autrement, quelles sont les origines des tensions françaises au sein de l’Europe stratégique ? Pour répondre, il nous faudra, dans un premier temps, présenter les calculs français à l’égard de l’Europe communautaire. Puis dans un second temps, considérer la façon dont les autres pays membres ont pesé sur la décision, particulièrement au lendemain de la Guerre froide. Alors qu’elle était en train de perdre pied dans son empire colonial, la France s’implique dans la construction européenne à travers la Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier (1951) puis la Communauté Economique Européenne (1957). Pour le dire comme dans une salle de boxe française, Paris effectue un « changement de pied », basculant sa quête de puissance de l’empire colonial sur la construction européenne. Parce qu’il s’agit toujours, quand on parle de la France, d’une quête de grandeur, d’une recherche de puissance. Compte tenu des tragédies du XXème siècle, de larges pans des élites françaises adhèrent à ce calcul, à droite comme à gauche. Il s’agit de faire de l’Europe un multiplicateur de la puissance de la France. Le pari pourrait se formuler ainsi : « puisque par mes seules forces, je ne peux plus atteindre mes objectifs de puissance », la France va mutualiser ses moyens avec ceux de ses partenaires, et les mettre au service de ses objectifs. La France ne rêve pas de la « paix perpétuelle » du philosophe Emmanuel Kant. La France a donc d’emblée une relation ambigüe avec l’Europe communautaire, vue comme un outil de puissance lui permettant de compenser ses échecs douloureux et son déclassement relatif. Le Général de Gaulle, revenu au pouvoir après l’entrée effective dans la CEE, fait également le pari de contrôler l’Europe communautaire, au profit de la France. Le Général de Gaulle y ajoute même deux objectifs : faire de la construction européenne non seulement un multiplicateur de la puissance de la France, mais un moyen de ligoter l’Allemagne fédérale, et de contester les velléités hégémoniques des États-Unis. Ces deux dimensions stratégiques sont sous-jacentes dans le traité de l’Elysée en 1963. L’Allemagne, à l’époque, rappelons-le, est divisée – RFA et RDA - et chargée de la honte du nazisme. Quant à l’Angleterre, le Général la boute par deux fois hors de la CEE, parce qu’il voit dans Londres un « cheval de Troie » des EtatsUnis. Il s’agit pour lui de construire l’Europe des États et de maintenir l’intergouvernementalité. Un terme qui signifie un système de compromis, qui laisse en dernier ressort un droit de veto à chaque État, ce qui porte le risque de l’Europe du plus petit commun dénominateur.