Itinéraire d’une pathologie La maladie cœliaque : une maladie “caméléon“ à large spectre clinique Khadija MOUSSAYER* Résumé La maladie cœliaque (MC), définie comme une intolérance permanente au gluten, est une maladie auto-immune où le système immunitaire attaque, chez des individus génétiquement prédisposés, les villosités intestinales. L’atrophie de la paroi intestinale en résultant est à l’origine d’une malabsorption des nutriments et de multiples autres complications. Des manifestations cliniques protéiformes (Figure 1) Le rôle pathogénique du gluten n’a été découvert que dans les années 1950 et la MC a été longtemps considérée comme une maladie du nourrisson et de l’enfant avec seulement des manifestations typiques, survenant quelques mois après la diversification alimentaire, sous forme de diarrhée, d’un ventre ballonné et d’un ralentissement de la croissance [1]. Avec le développement des moyens diagnostiques, cette forme classique n’est devenue que le sommet de l’iceberg des présentations que peut prendre la maladie [2]. Actuellement, la MC est principalement diagnostiquée chez l’adulte [3]. Au-delà d’un pic de fréquence lors des 10 premières années de vie, la majorité des cas s’observe en effet entre 40 et 60 ans. On peut même la relever chez des personnes âgées de plus de 65 ans. En outre, les symptômes digestifs sont devenus minoritaires aux dépens de formes extradigestives se manifestant par * Cabinet de médecine interne, Casablanca @ : [email protected] 86 Revue de Médecine Générale et de Famille / N°2 • Juin 2017 une anémie à répétition, une ostéoporose précoce, des crampes musculaires, des ecchymoses et des aphtes buccaux. On peut aussi observer des troubles de règles, une aménorrhée, des fausses couches à répétition ou encore une stérilité. Une fatigue chronique, des migraines ou encore des troubles de concentration ou de mémoire sont fréquents. La dermatite herpétiforme, considérée comme l’expression cutanée de la MC, est retrouvée chez un quart des patients. Le tableau clinique est généralement dominé, chez l’enfant, par des symptômes relativement peu spécifiques comme une anémie ferriprive ou des symptômes abdominaux non caractéristiques tels une constipation. Chez l’adulte, la MC se manifeste généralement sous forme oligosymptomatique ou même sous des formes silencieuses [4]. La majorité des malades présentent aussi un poids normal, un surpoids ou même une obésité morbide dans 20 % des cas. De ce fait, la MC est bien souvent diagnostiquée au stade de complications. On estime d’ailleurs que le délai de sa mise en évidence est de plus de 10 ans et que pour chaque cas détecté, en particulier chez l’adulte, 3 à 7 autres cas resteraient ignorés [5]. respiratoires et/ou digestifs. L’allergie ne détruit pas, par contre, la paroi de l’intestin grêle. Il existe aussi, à côté de l’intolérance au gluten, un phénomène qui fait débat dans le milieu scientifique et qu’on appelle l’hypersensibilité au gluten. Des personnes présentent des symptômes de la MC sans que ne soient constatés d’anticorps et de lésions caractéristiques de la maladie. Un diagnostic reposant encore sur l’histologie Figure 1 : Manifestations clinique et histologique de la maladie coeliaque 1: Manifestation typique de la maladie coeiliaque (MC) chez un enfant présentant un ventre balloné; 2: manifestation extradigestives de la maladie coeiliaque : a- anémie falciforme, bostéoporose, c- dermatite herpétiforme; 3 : Muqueuse gastrique On notera que la MC ne doit pas être confondue avec l’allergie au gluten assez rare. La réaction allergique intervient immédiatement après l’ingestion du gluten provoquant des œdèmes, des problèmes Des tests sérologiques performants sont aujourd’hui utilisés pour la détection de la MC. La recherche des anticorps anti-transglutaminases s’est imposée car, outre sa fiabilité, c’est la méthode la plus simple sur le plan technique et la plus économique. En cas de sérologie positive (ou de forte suspicion clinique de MC malgré des résultats sérologiques négatifs), une gastro-duodénoscopie avec biopsie duodénale en profondeur est généralement indispensable pour confirmer le diagnostic. Cette confirmation histologique initiale est nécessaire avant de proposer un régime sans gluten contraignant. Les anomalies caractéristiques incluent une prolifération des lymphocytes intra-épithéliaux, une prolifération des lymphocytes et des plasmocytes dans la lamina propria, un raccourcissement des villosités, une hyperplasie des cryptes et des entérocytes anormaux. Ces anomalies restent généralement limitées à la muqueuse du duodénum et du jéjunum proximal. Néanmoins, des atteintes atypiques ou focales se rencontrent également. Problématiques spécifiques du diagnostic En pratique quotidienne, la maladie pose souvent problème [6], les signes de la maladie se confondant avec les symptômes d’autres pathologies (Tableau I). Revue de Médecine Générale et de Famille / N°2 • Juin 2017 87 Itinéraire d’une pathologie Tableau I : Pathologies dont les symptômes se confondent avec ceux de la MC Anémie ferriprive - Une anémie ferriprive doit faire penser à une MC - 4 à 6 % de toutes les anémies ferriprives sont dues à la MC - Il faut rechercher aussi la source d’une éventuelle hémorragie digestive en relation avec d’autres pathologies (ex : cancer colorectal ou gastrique) - Si aucune perte de sang extra-intestinale n’est perceptible, il faut demander un examen gastroscopique et coloscopique Syndrome du côlon irritable (SCI), dyspepsie fonctionnelle (DF) Il est impossible de déterminer sur la seule base clinique si les symptômes sont imputables à une MC ou à des syndromes fonctionnels comme le SCI ou la DF [7]. - 4 % des patients diagnostiqués initialement SCI souffrent d’une MC (sérologie et biopsie positives) - 4 % de cas souffrant de DF ont une sérologie positive, mais seuls 1 % ont une biopsie positive Elévation des enzymes hépatiques Dans 1/3 des cas, la MC s’accompagne d’une élévation des transaminases, qui se normalisent sous traitement, sauf dans les rares cas où une hépatite auto-immune ou une hépatopathie indépendante coexiste Chez 4 % des patients avec une élévation des transaminases initialement inexpliquée, on retrouve une MC Ostéoporose Chez environ 3 % des patients atteints d’ostéoporose, une MC est identifiée comme origine. En l’absence de facteurs de risque classiques d’ostéoporose, un dépistage de la MC est justifié Un régime sans gluten améliore la densité osseuse mais une normalisation n’est guère possible (excepté chez les enfants). Un risque légèrement accru de fractures persiste chez les patients MC Une pathologie fréquente au Maroc Au Maroc, 1 % de la population en serait atteint, avec certainement des pourcentages beaucoup plus élevés dans le sud marocain. En effet, une étude ponctuelle menée sur des enfants sahraouis en 1999, avait révélé une prévalence de 5,6 %, soit le plus haut taux connu au monde [9]. Plusieurs facteurs pouvaient expliquer cette forte prévalence : une fréquence élevée dans la population Sahraouie des gènes HLA DQ2 et/ou DQ8, une forte consanguinité, l’introduction tardive historiquement mais rapide du blé lors de la première année d’enfance et la diminution de l’allaitement maternel. Les difficultés rencontrées à l’époque par ces populations fragilisées par une épidémie d’entéropathies, notamment, ont aussi certainement amplifié le nombre de cas observés. Il n’en reste pas moins que ce taux observé alors démontre une forte susceptibilité à contracter la maladie. Les maladies associées et le dépistage systématique Il n’est pas rare que la MC soit associée à d’autres maladies auto-immunes (Tableau II). Tableau II : Maladies associées à la MC Une maladie à forte prédisposition génétique La MC est une maladie à forte prédisposition génétique [8], en relation avec notre carte d’identité biologique : le système human leukocyte antigen (HLA), un ensemble de molécules situées à la surface des cellules pour permettre au système immunitaire de les reconnaitre. La présence de gènes HLA DQ2 ou DQ8 chez presque tous les cœliaques est un élément nécessaire mais non suffisant pour développer la maladie, puisque qu’on les retrouve en moyenne dans 35 % de la population alors que la maladie n’en touche que 1 %. 88 Revue de Médecine Générale et de Famille / N°2 • Juin 2017 Diabète de type 1 Environ 5 à 10 % des diabétiques souffrent de MC (prédisposition génétique commune entre les deux maladies : loci des gènes HLA DR3, HLA DQ2, …) Associations déterminées génétiquement dans le cadre du syndrome polyglandulaire auto-immun Maladie d’Addison, thyroïdite de Hashimoto, hypoparathyroïdie Autres Gastrite auto-immune (anémie de Biermer), hépatite auto-immune, trisomie 21 Le dépistage sérologique de la MC doit donc être pratiqué dans le cadre du diabète de type 1 ou lorsque plusieurs maladies auto-immunes coexistent ainsi que plus généralement pour les apparentés au premier degré de personnes atteintes de maladie cœliaque et les trisomiques 21 qui sont aussi à risque de développer la maladie [10]. Le traitement de la MC : un régime sans gluten à vie Pour le moment, le seul traitement consiste à suivre un régime alimentaire sans gluten et protéines apparentées qui sont présents dans la majorité des céréales (blé, orge et seigle). On notera, par contre, que l’avoine, après avoir été considérée comme toxique, est maintenant regardée comme très faiblement toxique ou même comestible chez les malades. D’autres voies sont également explorées dans la prise en charge de la MC : recherches de polymères synthétiques séquestrant le gluten dans le système digestif ou de modulateurs de la perméabilité cellulaire intestinale, vaccinothérapie, développement de nouvelles espèces de céréales moins immunotoxiques… La découverte et le développement d’enzymes capables de digérer et détoxifier le gluten dans le système digestif est aussi une de ces pistes prometteuses. Sous régime sans gluten, les anticorps anti-transglutaminase se normalisent en l’espace de 3–6 mois. Dans les cas sévères, il est judicieux de réaliser un contrôle endoscopique-biopsique après 4–6 mois. Conclusion Bien observé, le régime permet une disparition des symptômes et de la survenue de complications comme l’ostéoporose, certaines maladies autoimmunes ou cancers. Les contraintes qu’il impose peuvent cependant conduire certains patients, en particulier les adolescents ou les jeunes adultes, à commettre des écarts plus ou moins importants. Les médecins qui assurent la prise en charge doivent en être conscients, de façon à assurer, dans un dialogue franc et ne cherchant pas à culpabiliser systématiquement, un suivi rapproché comprenant, si nécessaire, des contrôles biologiques répétés et une biopsie intestinale Points essentiels La forme classique de la MC en tant que maladie du nourrisson et de l’enfant ne représente qu’une partie mineure de tous ses aspects. Chez l’adulte, les symptômes digestifs caractéristiques, tels que la diarrhée chronique et l’amaigrissement, sont absents dans plus de 50 % des cas. Les manifestations cliniques sont très diverses et souvent ambiguës, allant des conséquences d’une malabsorption sélective (par exemple anémie ferriprive) à des symptômes non spécifiques, comme la fatigue chronique ou les symptômes abdominaux rappelant le côlon irritable. La MC est souvent associée à des maladies auto-immunes, notamment le diabète de type 1. Le seul traitement reste le régime sans gluten à vie (élimination du blé, de l’orge, du seigle et de l’épeautre). Références 1- Fasano A. Clinical Presentation of celiac disease in the pediatric population. Gastroenterology. 2005;128:S68-S73. 2- Mouterde O et al. Le nouveau visage de la maladie cœliaque. Arch Pediatr. 2008;15:501-3. 3- Rampertab SD et al. Trends in the presentation of celiac disease. Am J Med, 2006;119:355.e9-14. 4- Di Sabatino A. Corazza GR. Coeliac disease. Lancet. 2009;373:1480–93. 5- Rewers M. Epidemiology of celiac disease: what are the prevalence, incidence, and progression of celiac disease. Gastroenterology. 2005;128:S47-S51. 6- Leffler D. Celiac disease diagnosis and management. JAMA. 2011;306:1582–92. 7- Ford AC et al. Yield of diagnostic tests for celiac disease in individuals with symp-toms suggestive of irritable bowel syndrome. Arch Intern Med. 2009;169:651–8. 8- Green PH, Cellier C. Celiac Disease. N Engl J Med. 2007;357:1731-43. 9- Catassi C et al. Why is coeliac disease endemic in the people of the Sahara? Lancet. 1999, 354:647–8. 10- Husby S et al. Guidelines for the Diagnosis of Coeliac Disease, for the ESPGHAN Working Group on Coeliac Disease Diagnosis, on behalf of the ESPGHAN Gastroenterology Committee European Society for Pediatric Gastroenterology, Hepatology, and Nutrition. JPGN. 2012;54:136-60. Revue de Médecine Générale et de Famille / N°2 • Juin 2017 89