France - Anciens Combattants Canada

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Série du Souvenir
La Bataille De l’Atlantique
Anciens Combattants Canada
Rédaction : Patricia Giesler
Photographies : Gracieuseté de Bibliothèque et Archives
Canada (BAC) et du Musée canadien de la guerre (MCG).
Illustration de la page couverture : Peinture de
Leonard Brooks. Convoi sur l’Atlantique, gracieuseté
du Musée canadien de la guerre.
© Sa Majesté la Reine du chef du Canada, représentée
par la ministre des Anciens combattants, 2005.
No de cat. V32-71/2005
ISBN 0-662-69037-0
La Bataille De l’Atlantique
Des générations de Canadiens et de Canadiennes ont défendu l’honneur de leur
pays et du reste du monde en temps de guerre, en temps de paix, et lors de conflits
militaires. Grâce au courage et aux sacrifices de ces hommes et de ces femmes, nous
pouvons vivre en liberté et en paix tout en nous portant à la défense de ces valeurs
dans le monde. Le programme Le Canada se souvient vise à mieux faire
comprendre les efforts de ces Canadiens et Canadiennes, à honorer les sacrifices et
les réalisations de ceux et celles qui ont servi leur pays et à rendre hommage à ceux
et celles qui ont appuyé le Canada sur le front intérieur.
Le programme incite les Canadiens et les Canadiennes à participer à la
commémoration grâce, entre autres, à des cérémonies et à des activités nationales
et internationales, dont la Semaine des anciens combattants; à des activités
d’apprentissage et à du matériel pédagogique destinés aux jeunes, notamment des
activités en ligne; à l’entretien des monuments commémoratifs et des cimetières
de guerre du gouvernement du Canada établis ici et à l’étranger, dont 13
monuments commémoratifs de la Première Guerre mondiale érigés sur les
champs de bataille en France et en Belgique; à la prestation de services funéraires
et d’inhumation.
La participation du Canada à la Première et la Seconde Guerres mondiales et à la
guerre de Corée, ainsi que sa contribution lors d’opérations militaires et d’opérations
de maintien de la paix ont toujours été nourries par son engagement à protéger les
droits des autres et à promouvoir la paix et la liberté. De nombreux Canadiens et
Canadiennes ont donné leur vie pour ces croyances, et bien d’autres ont consacré
leur vie à la poursuite de ces objectifs. Notre empressement à vouloir protéger les
droits de la personne, la liberté et la justice nous caractérise aux yeux des autres pays
du monde.
Anciens Combattants Canada invite les Canadiens et les Canadiennes à en
apprendre davantage sur les réalisations et les sacrifices consentis par ceux et celles
qui ont servi notre pays et à aider à préserver leur héritage en transmettant le
flambeau du souvenir aux futures générations de Canadiens.
... Vous jeunes désabusés, à vous de porter l’oriflamme et de garder au fond
de l’âme le goût de vivre en liberté. Acceptez le défi, sinon les coquelicots
se faneront au champ d’honneur.
- Extrait du poème « Au Champ d’honneur » de John McCrae
Pour obtenir la liste des publications disponibles, visitez notre site Web à l’adresse :
www.vac-acc.gc.ca ou téléphonez au numéro sans frais 1-877-604-8469.
Introduction
« Quelle vie misérable et désespérante... L’Atlantique est tellement
houleux qu’il est presque impossible que nous continuions de subir ces
interminables coups de butoir et que nous en sortions indemnes. Il faut
travailler sans relâche pour rester dans un convoi...Devant cette vision
cauchemardesque, l’équipage est envahi par une véritable stupeur... Et
pourtant, nous poursuivons notre mission. »
Frank Currie faisait partie de la Marine royale du Canada (MRC). Il
écrivit ces mots dans son journal personnel tandis qu’il se trouvait à
bord d’une corvette au cours de la bataille de l’Atlantique en 1941,
une bataille dont on dit qu’elle fut la plus longue de la Seconde
Guerre mondiale. Au cours des jours les plus sombres de la Seconde
Guerre mondiale, des centaines de Canadiens et de Canadiennes qui
ont servi dans la MRC,
la marine marchande
canadienne et le Corps
d’aviation royal
canadien (CARC)
durent composer
avec des conditions
périlleuses que nombre
d’entre nous ne
pouvons qu’imaginer.
Le récit qui suit
témoigne de l’incroyable
bravoure et du sacrifice
que nous avons non
seulement le devoir de
ne jamais oublier, mais
aussi de rappeler aux
LE NCSM BRANTFORD COUVERT DE GLACE,
générations futures.
FÉVRIER 1944. (BIBLIOTHÈQUE ET ARCHIVES
CANADA (BAC) PA136146)
La bataille de l’Atlantique
3
CONVOI DANS LE BASSIN BEDFORD, À HALIFAX, EN NOUVELLE-ÉCOSSE, AVRIL 1942.
(BAC PA112993)
La Bataille De l’Atlantique
Dès le début des hostilités de la Seconde Guerre mondiale en
1939, la route de ravitaillement sur l’Atlantique, allant de
l’Amérique du Nord au Royaume-Uni, est menacée.
Éventuellement maîtres de toute la côte européenne, de la pointe
nord de la Norvège aux Pyrénées, les Allemands tentent de couper
les lignes vitales de ravitaillement de la Grande-Bretagne à partir
de tous les ports et de tous les aérodromes de l’ouest de l’Europe.
Pendant six longues années, la Marine royale canadienne
(MRC), la marine marchande canadienne (MMC) et le Corps
d’aviation royal canadien (CARC) seront les participants
principaux de ce qu’on appellera la bataille de l’Atlantique.
Les voies maritimes de l’Atlantique Nord deviennent un
sinistre champ de bataille. La navigation dans l’Atlantique
Nord est extrêmement dangereuse et les membres de la Marine
et de la marine marchande meurent non seulement à la suite
des attaques de l’ennemi, mais aussi de l’exposition aux
intempéries et des accidents qu’entraînent le brouillard et les
4
La bataille de l’Atlantique
tempêtes d’hiver. La protection n’est pas non plus suffisante
pour empêcher de lourdes pertes. On manque de navires de
guerre et d’avions de patrouille maritime; la formation et les
techniques modernes font défaut.
MARINS RESCAPÉS D’UN NAVIRE MARCHAND TORPILLÉ LE LONG DU NCSM RED DEER;
AU LARGE DE HALIFAX, 1942. (BAC C54474)
En 1939, le Canada ne possède que quelques dizaines de navires
marchands immatriculés au Canada dont six destroyers, cinq
petits dragueurs de mines, deux navires d’entraînement et une
seule escadrille d’hydravions militaires modernes à coque. Nul
n’aurait pu prédire que cette minuscule force navale canadienne
allait jouer un rôle déterminant dans la bataille de l’Atlantique, et
que la marine marchande canadienne acheminerait du
ravitaillement partout dans le monde.
Pour assurer le ravitaillement stratégique, il faut pouvoir traverser
l’Atlantique et c’est en maintenant ouverte cette ligne vitale de
communication que les aviateurs et les marins canadiens jouent un
rôle de plus en plus essentiel. Il faut en outre organiser et contrôler
le mouvement des navires pour assurer le transport des troupes et
des grandes quantités de marchandises qui sont nécessaires. En août
1939, les navires marchands immatriculés au Canada et les navires
La bataille de l’Atlantique
5
se trouvant dans les ports canadiens passent sous le contrôle de la
MRC, qui détermine alors les routes et les départs. On considère
que le meilleur moyen de régler les mouvements et de protéger les
navires par mer et par air, c’est de constituer des convois.
DOMMAGES CAUSÉS À LA COQUE DU FORT CAMSUN (À BÂBORD, EN BAS) PAR
L’EXPLOSION D’UNE TORPILLE. (BAC PA190186)
Le 16 septembre 1939, le premier convoi quitte Halifax à
destination du Royaume-Uni sous l’étroite surveillance des
croiseurs de Sa Majesté Berwick et York ainsi que des destroyers
canadiens Saint-Laurent et Saguenay. Bientôt, deux convois par
semaine partent de Halifax. À la fin de 1939, 410 navires dans
quatorze convois HX ont traversé l’Atlantique. Jusqu’à la fin de
la guerre, la principale responsabilité de la MRC est d’assurer
les services d’escorte. C’est un travail difficile et dangereux, et
les Canadiens connaissent les pires avatars de la guerre en mer.
Les Premières Batailles
En avril 1940, la guerre en Europe prend une tournure
inquiétante lorsque, sans avertissement, les troupes
allemandes s’emparent du Danemark et envahissent la
Norvège. En seulement quelques semaines, les Allemands
conquièrent le Danemark et la Norvège, et isolent la Suède.
6
La bataille de l’Atlantique
Le 10 mai, l’Allemagne lance une guerre éclair (blitzkrieg)
contre la Hollande, le Luxembourg, la Belgique et la France.
Les troupes allemandes harcellent les troupes alliées sur tous
les fronts et ces dernières doivent retraiter vers la Manche, à
Dunkerque; il ne leur reste plus que la mer pour espérer fuir.
Le 22 juin 1940, la France capitule, et la Grande-Bretagne et
ses dominions restent seuls devant le redoutable ennemi.
Bien que la Grande-Bretagne soit sorti victorieux de la bataille
d’Angleterre et parvienne à conjurer l’invasion planifiée par Hitler,
elle demeure assiégée. Londres, plusieurs villes britanniques, et les
ports de la Manche sont bombardés sans merci, les sous-marins
ennemis sortent en masse des nouvelles bases navales de France et
s’en prennent presque à l’envi aux convois et aux navires faisant
route en solitaire. Les submersibles allemands se jettent sur les
navires isolés ou attardés et procèdent seuls à des attaques féroces
contre les convois. Ces jeunes as, l’élite de la nation allemande, se
livrent une âpre concurrence au record de tonnes coulées.
Les commandants de la marine allemande appellent plus tard
cette période de juillet à septembre 1940 « un bon moment ».
LA CORVETTE NCSM KAMSACK DANS L’ATLANTIQUE NORD, DÉCEMBRE 1943.
(BAC PA116963)
La bataille de l’Atlantique
7
En septembre 1940, pour la première fois, les sous-marins
allemands commencent à employer la méthode appelée « meute ».
La nuit, les groupes de sous-marins — comprenant souvent
jusqu’à six submersibles et parfois plus — fondent sur les
convois en provenance de l’Amérique du Nord et en direction
de l’Angleterre. La tactique a des résultats dévastateurs. Parfois,
jusqu’à 20 p. 100 du convoi de cargos chargés à ras bord coulent.
Entre-temps, la Luftwaffe poursuit son blitz sur Londres nuit
après nuit pour en anéantir l’immense port. La navigation est
interdite dans la Manche à partir d’octobre, et tous les convois de
l’Atlantique sont détournés par l’Irlande du Nord à destination
de Liverpool et de la Clyde en Écosse. Cette route est également
sérieusement menacée et quatre destroyers de la MRC — en
poste dans les eaux britanniques après l’invasion de la France —
s’efforcent de repousser les attaques des sous-marins tout en
secourant les survivants des navires marchands torpillés.
Les pertes en navires sont atterrantes et, tandis que les
chantiers navals britanniques mettent toute leur énergie à
répondre aux besoins de nouveaux navires, la Grande-Bretagne
ne peut construire de navires marchands au rythme nécessaire
pour combler le vide engendré par les pertes. C’est à ce
moment qu’elle se tourne vers les États-Unis et le Canada.
Devant ce besoin devenu criant, le Canada lance un
gigantesque programme de construction navale. Mais avant
que ces bateaux ne puissent enfin toucher l’eau, la guerre dans
l’Atlantique prend une tournure encore plus inquiétante.
La guerre s’intensifie – 1941
À l’approche du printemps de 1941, l’ennemi intensifie ses
attaques. Au cours du seul mois de juin, plus de 454 000
tonnes sont perdues à cause des sous-marins.
8
La bataille de l’Atlantique
DES MEMBRES DE L’ÉQUIPAGE D’UN DESTROYER PRÉPARENT DES LIGNES EN MER,
NOVEMBRE 1942. (BAC PA140087)
Bien que la Royal Navy ait pu éventuellement affirmer sa
supériorité sur la flotte allemande de surface, la menace des
sous-marins allemands s’accroît. Ces derniers concentrent leurs
attaques sur les points faibles des défenses navales des Alliés.
Des navires sont perdus parce que leurs escortes ont atteint les
limites de leur endurance et ont dû faire demi-tour.
Pour contrer cette menace, on construit de nouveaux types
de navires et les scientifiques travaillent désespérément pour
concevoir de nouvelles façons de repérer et de détruire les
U-boots. La flotte canadienne est augmentée de plusieurs
nouveaux types de navires, dont la corvette est le plus célèbre.
Conçue sur le modèle d’une baleinière, elle mesure 63 mètres,
déplace un poids de 935 tonnes et peut atteindre une vitesse
maximal de 16 nœuds. Les corvettes pouvaient être produites
rapidement et à bon marché, et pouvaient déjouer les sousmarins. Cependant, elles sont loin d’être des paradis flottants.
Elles sont conçues pour les patrouilles côtières et dépêchées au
service transatlantique seulement parce qu’il n’y a rien d’autre.
Lorsque les vagues les frappent, l’eau salée s’infiltre par les
La bataille de l’Atlantique
9
joints, les écoutilles et les ventilateurs. Les 60 membres
d’équipage qui y sont entassés doivent vivre dans des
conditions peu enviables. Néanmoins, ces petits navires
s’avérèrent précieux dans la guerre contre les sous-marins. Des
123 corvettes qui ont servi dans la MRC, dix furent coulées
par suite d’opérations de l’ennemi.
Les sous-marins ennemis commençant à se risquer plus loin à
l’ouest, les Britanniques répondent en établissant de nouvelles bases
pour les navires et les avions en Islande et à Terre-Neuve. Les bases
de Terre-Neuve allaient relever du Canada. Le 31 mai 1941, le
commodore Leonard Murray, MRC, est nommé commandant de
la force d’escorte de Terre-Neuve relevant du commandant en chef
britannique des approches de l’Ouest. Quelques jours plus tard, les
premières corvettes canadiennes rejoignent son commandement.
En juin, les destroyers canadiens des eaux britanniques reviennent
servir avec la force d’escorte de Terre-Neuve qui, en juillet, compte
12 groupes de navires canadiens et britanniques et escortent des
convois jusqu’au 35e de longitude ouest.
Quant au Corps d’aviation royal du Canada (CARC), il assure
des patrouilles au-dessus des eaux et des côtes de Terre-Neuve
depuis 1939 et la première escadrille de patrouille maritime
est stationnée à Gander depuis 1940. Avec l’appui d’autres
UN HYDRAVION À COQUE ESCORTE UN CONVOI, AVRIL 1941.
10
La bataille de l’Atlantique
escadrilles, le CARC fournit maintenant le soutien aérien de
la force d’escorte de Terre-Neuve, en plus d’être une partie
intégrante du commadement aérien de l’Est de l’ARC. Dans
l’est de l’Atlantique, les convois sont gardés par le
Commandement côtier de la Royal Air Force (RAF) qui
comprend des escadrilles du CARC. Les appareils n’ont toutefois
pas un rayon d’action suffisant pour couvrir la partie centrale de
l’Atlantique, un secteur qui prend le nom de zone noire à cause
des lourdes pertes souvent infligées par les sous-marins.
La campagne se déplace dans les eaux nord-américaines
Malgré leur neutralité officielle, les États-Unis s’engagent de
plus en plus dans la guerre en mer. En septembre 1941, les
forces navales canadiennes sont placées sous la supervision
américaine. Au lieu de relever du commandant en chef
britannique, en Angleterre, elles relèvent maintenant d’un
commandant américain beaucoup plus près de la situation
dans le secteur occidental de l’Atlantique. Cependant, lorsque
les États-Unis entrent officiellement en guerre en décembre
1941, après l’attaque japonaise contre Pearl Harbor, bon
nombre des navires américains sont retirés de l’Atlantique
MANUTENTION DE TORPILLES À L’ARSENAL DE LA MARINE À HALIFAX.
(BAC PA104147)
La bataille de l’Atlantique
11
Nord pour répondre aux engagements des États-Unis ailleurs.
Ceci affaiblit malheureusement les défenses contre les
sous-marins dans l’Atlantique.
Tandis que les intempéries de l’hiver s’abattent sur les convois,
les pertes dues à d’autres causes que l’acharnement ennemi
s’élèvent constamment en nombre.
En janvier 1942, la bataille de l’Atlantique se déplace vers les
12
La bataille de l’Atlantique
LES SURVIVANTS D’UN NAVIRE MARCHAND TORPILLÉ À BORD DU NCSM ARVIDA,
ST. JOHN’S (T.-N.), SEPTEMBRE 1942. (BAC PA136285)
côtes canadienne et américaine, où l’amiral Karl Dönitz, chef
de la force sous-marine allemande, présume que les navires ne
sont pas bien protégés. Cependant, forte de ses deux années
d’expérience dans l’organisation des convois, la Marine
canadienne entreprend d’envoyer des navires aux groupes de
défense. Souvent, la protection n’est assurée que par un seul
yacht armé. Mais cela fonctionne. Les sous-marins déplacent
bientôt leur principale offensive vers la côte américaine et les
Antilles où les navires naviguent encore seuls.
Une seconde fois, les commandants des sous-marins allemands
s’en donnent « à cœur joie » pendant que leurs engins déciment
les bâtiments sur la côte américaine. Nuit après nuit, les
submersibles font surface et s’acharnent sans merci sur les navires
marchands qui, en grand nombre, exposent leur silhouette sur le
fond éclairé de la côte. De janvier à juillet 1942, près de 400
bateaux vont rejoindre le fond contre sept submersibles allemands
seulement. Au cours du printemps de 1942, la marine américaine
met peu à peu sur pied un système de convois, mais elle dépend
La bataille de l’Atlantique
13
de l’aide canadienne.
Les escortes
canadiennes,
soutenues par des
navires de la Royal
Navy, accompagnent
la plupart des navires
transatlantiques à
partir du nord de
New York. C’est la
traversée du triangle,
et les groupes
d’escorte canadiens
font la navette entre
New York ou
GRENADE SOUS-MARINE LANCÉE DANS LES AIRS PAR LA
Boston, Halifax et
CORVETTE PICTOU PENDANT UNE ATTAQUE DE SOUSl’est de Terre-Neuve,
MARINS, MARS 1942. (BAC PA-116838)
là où les groupes
d’escorte médio-océaniques canadiens et britanniques prennent la
relève jusqu’aux îles britanniques. D’autres navires de guerre
canadiens aident les Britanniques et les Américains à protéger la
navigation essentielle des pétroliers en provenance des Antilles.
Bien qu’au cours de la première moitié de 1942, la MRC et le
CARC parviennent à limiter les pertes au large de la NouvelleÉcosse et de Terre-Neuve, le golfe du Saint-Laurent demeure
des plus vulnérables. Étant donné la navigation intense sur
l’océan, il reste très peu d’avions et presque aucun navire de
guerre pour défendre les eaux intérieures. La nuit du 11 au
12 mai, deux avions cargo, le SS Nicoya et le SS Leto sont
torpillés au large de la Gaspésie. Soudainement, les Canadiens
constatent que la guerre est à leur porte, en vue de la rive.
14
La bataille de l’Atlantique
Encore une fois, la Marine organise des convois et les forces
aériennes assurent une protection aérienne autant que faire se
peut. Malgré les efforts déployés, les sous-marins continuent
à causer des pertes. Le resserrement des voies navigables, les
nombreuses cachettes en eaux profondes et la cécité virtuelle du
matériel de détection sous-marine dans les eaux complexes du
golfe et du fleuve semblent annihiler l’efficacité des méthodes
de défense éprouvées. Au début d’octobre, sept sous-marins ont
coulé deux escortes navales et 19 navires marchands dans le
La bataille de l’Atlantique
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UN CONSOLIDATED LIBERATOR VLR ESCORTE UN CONVOI SUR L’ATLANTIQUE.
(BAC PA107907)
golfe et le fleuve. Et puis, le 14 octobre, le traversier Caribou,
qui des années durant a transporté des passagers entre Sydney
et Port-Aux-Basques, est aussi envoyé par le fond à peine à
64 kilomètres de son port d’arrivée à Terre-Neuve.
Des 237 passagers, 136 hommes, femmes et enfants périssent.
Le désastre semble appuyer la sage décision prise par la Marine
quelques semaines plus tôt, soit la fermeture du Golfe à la
navigation outre-mer. Cette décision résulte en partie de la
demande de la Grande-Bretagne qui veut que d’autres escortes
canadiennes soient envoyées de manière à soutenir l’invasion
alliée dans le nord de l’Afrique. Mais la présence navale dans le
Golfe a été réduite à cause des problèmes rencontrés dans la
défense contre les U-boot. Paradoxalement, les registres
allemands — alors disponibles — montrent qu’en octobre, les
opérations des Forces aériennes et de la Marine canadiennes
ont eu un effet dissuasif sur les sous-marins. Le torpillage du
Caribou s’est avéré un coup de chance tragique pour un sousmarin qui avait presque abandonné sa chasse dans le golfe.
16
La bataille de l’Atlantique
LE SOUS-MARIN ALLEMAND U-190 EST ESCORTÉ DE BULLS BAY À ST. JOHN’S (T.-N.),
LE 3 JUIN 1945. PHOTO: HAROLD ARTHUR IRISH. (BAC PA140825)
La période la plus sombre
En même temps qu’elle assume les nouvelles responsabilités sur la
côte nord-américaine et dans la Méditerranée, la MRC demeure
aussi très présente dans l’escorte des convois entre Terre-Neuve et
l’Irlande du Nord. Dans ce rôle, elle a souvent la responsabilité
des convois les plus lents, donc les plus susceptibles de subir les
attaques des sous-marins. Au cours de l’été et de l’automne de
1942, l’amiral Dönitz réduit les attaques dans les eaux canadiennes
et américaines en raison de l’amélioration des défenses, il concentre
par contre un grand nombre de sous-marins dans l’Atlantique.
En dépit des raids de bombardement sur les centres de construction
et les bases en Allemagne, les forces sous-marines augmentent.
À l’automne de 1942, l’amiral Dönitz, qui dispose de près de
300 sous-marins, soit plus de dix fois l’effectif du début de la
guerre, peut en aligner au moins vingt contre chaque convoi.
Au départ, les groupes canadiens tiennent bon, mais avec le plus
grand nombre de sous-marins dans les meutes et les tempêtes
d’hiver qui balaient l’Atlantique, plusieurs convois escortés par
la MRC subissent de lourdes pertes. La Marine canadienne avait
connu une croissance rapide. Vers la fin de 1942, elle compte
16 000 membres, à bord de 188 bâtiments, un nombre encore
La bataille de l’Atlantique
17
CHARGES DE FOND LARGUÉES DU NCSM SAGUENAY. (BAC PA116840)
insuffisant pour les lourdes missions qui lui sont confiées. Les
problèmes affligent les groupes canadiens, qui ne peuvent être
renforcés ni équipés adéquatement au moyen d’armes modernes
ou des nouveaux programmes de formation. Le commandement
de l’Est du Corps d’aviation royal canadien fait ce qu’il peut
pour soulager les convois et pousse ses appareils à leurs limites.
Les aviateurs canadiens obtiennent des résultats remarquables à
plus d’une reprise, détruisant ou endommageant des sousmarins allemands à 500 milles ou plus dans l’Atlantique. Ils ne
disposent cependant pas des derniers appareils à très long rayon
d’action qui leur permettraient d’atteindre la terrible zone noire,
où les sous-marins peuvent opérer presque impunément.
La bataille de l’Atlantique culmine en mars 1943. Ce mois-là,
les sous-marins coulent 108 bateaux alliés — 569 000 tonnes
de fret essentiel. Ces chiffres sont inférieurs à ceux de
novembre 1942, mais ce qui choque tant, c’est que 85 des
navires perdus appartiennent à des convois ou naviguent en
rangs dispersés et qu’ils sombrent dans l’Atlantique Nord.
La seule lueur d’espoir tient au succès des escortes aériennes
et navales, qui revendiquent la perte de 16 submersibles
allemands.
18
La bataille de l’Atlantique
Le vent tourne
Les succès des sous-marins allemands mettent en danger les
plans de guerre des puissances occidentales. La fiabilité des
livraisons de troupes et de matériel est essentielle pour la
constitution de forces capables de libérer l’Europe. Il faut
donc un effort général des Alliés, en particulier de la part des
Britanniques, contre les sous-marins. En mai 1943, la défense
serrée dont jouissent les convois force Dönitz à modifier sa
stratégie sous-marine dans l’Atlantique Nord.
Pourtant, la menace des submersibles n’est pas disparue pour autant.
L’amiral Dönitz dispose toujours de plus de 200 sous-marins et
l’Allemagne, grâce à son industrie et à sa science, remplace
rapidement le matériel perdu et fabrique aussi du matériel amélioré.
La Marine royale canadienne poursuit sa croissance, mais dispose
maintenant de meilleur équipement et de meilleurs bâtiments.
Ainsi, de grandes frégates de construction canadienne sont prévues
expressément pour l’escorte transatlantique, ce qui n’était pas le cas
des corvettes plus petites. Le commandement de l’Est du CARC
reçoit aussi de meilleurs appareils après juin 1943, notamment des
bombardiers Consolidated Liberator à très long rayon d’action qui
permettent les patrouilles dans l’Atlantique et la couverture de la
zone noire. De plus, trois escadrons de bombardiers anti-sousmarins du CARC sont constitués au sein du Commandement
côtier de la RAF pour effectuer des patrouilles à partir de la
LA FRÉGATE NCSM SWANSEA, JANVIER 1944. (BAC PA107941)
La bataille de l’Atlantique
19
Grande-Bretagne. En
outre, un grand nombre
d’aviateurs du CARC
servent au sein
d’escadrons anti-sousmarins britanniques. Le
CARC, à l’instar de la
MRC, compte donc une
présence importante sur
l’ensemble de
l’Atlantique. De plus,
certains développements
PEINTURE DE JACK NICHOLS. LES RESCAPÉS.
technologiques ont un
(MUSÉE CANADIEN DE LA GUERRE (MCG) 10259)
effet positif pour les
Alliés. Grâce à de nouvelles armes, de nouveaux radars et un
décodage plus efficace, ils réussissent à contrer les U-boots.
Les deux éléments canadiens assument une part de plus en plus
grande de la défense des convois dans l’Atlantique Nord, ce qui
permet d’affecter des navires et appareils britanniques pour préparer
l’invasion de la France par les Alliés. Au cours des derniers mois
avant le débarquement en Normandie, la MRC assume la
responsabilité pour l’ensemble des opérations d’escorte dans
l’Atlantique Nord. De même, la flotte et les escadrilles aériens de
lutte anti-sous-marine du Canada ont maintenant une taille
importante et opèrent avec compétence; ils jouent un rôle de
premier plan dans la protection de la flotte d’invasion alliée qui
traverse la Manche. Les unités aériennes et navales canadiennes ont
été parmi les meilleures des forces alliées pour découvrir et détruire
les sous-marins allemands pendant et après l’invasion.
Pourtant, la flotte des sous-marins allemands continue de lancer
des attaques. La nouvelle technique du schnorkel, par exemple,
20
La bataille de l’Atlantique
LA TOUCHE FINALE À LA COQUE 130 DU WINDERMERE PARK ET À LA COQUE 131 DU
MOUNT BRUCE PARK. (BAC PA187474)
permet aux sous-marins d’opérer sous l’eau sans interruption et de
s’approcher davantage des entrées des ports au Canada et en
Grande-Bretagne. Même si les sous-marins ne parviennent pas à
reprendre l’initiative, ils n’en connaissent pas moins de grands
succès jusqu’aux tout derniers jours de la guerre. Un sous-marin
furtif équipé d’un schnorkel a coulé le dragueur de mines
NCSM Esquimalt juste à la sortie du port de Halifax le
16 avril 1945.
Les réalisations
Le Canada a joué un rôle déterminant dans la bataille de
l’Atlantique. Au début de la guerre, il disposait d’une petite base de
navires, d’avions et de personnel et d’une infrastructure minimale.
Il devint pourtant l’une des plus importantes puissances alliées
dans la bataille de l’Atlantique. En 1942, le Canada assurait une
partie importante de la défense des eaux nord-américaines et il est
devenu le principal partenaire de la Grande-Bretagne dans la
défense des convois transocéaniques. En 1944, les forces
canadiennes avaient développé la résistance et la capacité
nécessaires pour fournir une contribution significative aux
Britanniques et aux Américains sur d’autres théâtres de guerre.
La bataille de l’Atlantique
21
Les anciens combattants de la marine marchande soutinrent une
grande partie de l’attaque au cours de la bataille de l’Atlantique.
Nombre de marins qui servaient à bord des navires marchands
avaient survécu aux mines et aux attaques des sous-marins
pendant la Première Guerre mondiale, et choisirent de naviguer
encore quelque deux décennies plus tard. Ils naviguaient parfois
sur de vieux rafiots rouillés, mais le plus souvent sur des
pétroliers extrêmement inflammables ou sur des cargos remplis
de munitions. Bien que les dangers semblaient augmenter à
chaque voyage, les hommes qui avaient subi des attaques ou
dont les navires avaient été coulés continuaient de naviguer.
Plus de 25 000 voyages furent effectués entre les ports nordaméricains et britanniques sous escorte des forces canadiennes.
Ce fut sans conteste l’une des plus importantes réalisations
de la bataille de l’Atlantique. Ces navires ont acheminé
approximativement 165 millions de tonnes de fret au
Royaume-Uni, et ont contribué à la libération de l’Europe.
De leur côté, les navires de guerre et les avions canadiens
ont détruit quelque 50 sous-marins allemands ou aidé à
leur destruction.
La Marine royale du Canada, qui n’avait que 13 vaisseaux et 3 500
membres d’équipage au début de la guerre, devint, pour une brève
période au moins, la troisième plus grande puissance maritime au
PEINTURE DE HAROLD BEAMENT. VOILÀ, IL DISPARAÎT. (MCG 10067)
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La bataille de l’Atlantique
monde. À la fin de la guerre, elle comptait 373 navires de combat
et plus de 110 000 membres, tous des volontaires, y compris 6 500
femmes qui firent partie du Service féminin de la Marine royale du
Canada. Les principales forces canadiennes pour la lutte anti-sousmarine de l’époque comprenaient 261 escortes marines (Bangors,
corvettes, frégates et destroyers escortes). Des centaines d’autres
petits bateaux (remorqueurs, pétroliers-caboteurs, et autres
embarcations) assurèrent la protection des eaux canadiennes, le
service à la flotte et le fonctionnement des bases.
En outre, presque tous les navires de la MRC furent construits au
Canada, une réalisation d’une importance cruciale pour la cause
alliée. Au cours des années noires de 1941 et 1942, lorsque la
production canadienne prit son essor, les Alliés les plus importants
n’avaient aucun autre moyen de trouver des escortes.
À la fin de janvier 1944, le commandement aérien du secteur
Est du CARC comptait un personnel de 21 233 membres,
dont 1 735 membres de la division féminine et plus de
1 200 membres qui faisaient partie d’équipages aériens. Les
autres occupaient des postes de gestion des bases, des
communications, des systèmes de navigation et d’autres services
nécessaires pour assurer l’envoi d’appareils multimoteurs dans le
vaste secteur du nord-ouest de l’Atlantique. Au même moment,
près de 2 000 membres d’équipage aérien du CARC servirent
au sein d’escadrilles canadiennes et britanniques du
Commandement côtier de la Royal Air Force.
La mission principale des forces canadiennes de l’Atlantique fut
toujours d’assurer la protection des navires. L’issue de la guerre
dépendait du succès des convois de l’Atlantique — à savoir que
les navires marchands parviennent à se rendre au Royaume-Uni.
La bataille de l’Atlantique
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En 1939, le Canada ne possédait que 38 navires marchands
océaniques ayant un port en lourd d’un peu plus de 6 000 tonnes
pour un total de 290 000 tonnes, et des équipages comprenant
en moyenne 1 450 marins. Après le déclenchement de la guerre,
la capture de navires ennemis et de navires occupés par d’autres
pays s’ajouta au tableau. Il y avait également une importante
flotte canadienne des Grands Lacs. Dans les moments les plus
désespérés de la guerre, ils devinrent eux aussi des navires
océaniques. Au cours des six années qui suivirent, on vit
apparaître la quatrième plus importante marine marchande au
monde en temps de guerre, et presque tous les navires furent
construits sur des chantiers navals canadiens.
Le nombre de navires qui sortent des chantiers navals du Canada
pendant la guerre est phénoménal. En fait, un fonctionnaire du
ministère britannique des Transports de guerre qualifie la production
de « remarquable », d’ « étonnante » et de « magnifique ». Dès les
premiers bateaux livrés en décembre 1941 jusqu’après la fin de la
guerre en 1945, le Canada construit 354 cargos jaugeant 10 000
tonnes, 43 jaugeant 4 700 tonnes et 6 jaugeant 3 600 tonnes de
port en lourd. En même temps, ils fournissent un nombre
impressionnant de navires de guerre : 281 escorteurs (destroyers,
corvettes, frégates), 206 dragueurs de mines, 254 remorqueurs et
3 302 péniches de débarquement.
Le remarquable résultat obtenu par les chantiers navals alliés
explique en grande partie pourquoi le vent a tourné pendant la
bataille de l’Atlantique. Au milieu de 1943, il est évident que,
quel que soit le nombre de navires marchands que les sousmarins peuvent expédier par le fond, le torpillage ne peut plus
être supérieur au rythme de production de bâtiments.
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La bataille de l’Atlantique
Le coût de la guerre
Le coût de cette participation accrue fut très élevé. Environ
2 000 membres de la Marine royale du Canada périrent sur divers
théâtres, la majorité au cours de la bataille de l’Atlantique;
752 membres du CARC périrent dans le cadre d’opérations
maritimes par suite d’opérations de l’ennemi ou d’accidents de vol
attribuables à un environnement impitoyable. Le Livre du Souvenir
de la marine marchande rappelle les noms de presque
1 600 Canadiens et Terre-Neuviens, ou des hommes qui ont servi
sur les navires immatriculés au Canada ou à Terre-Neuve.
On peut aussi y lire les noms de huit femmes. De nombreux autres
Canadiens inconnus ont sacrifié leur vie sur les navires
marchands alliés.
Les personnes qui ont pris part à la bataille de l’Atlantique ont
consenti d’importants sacrifices pour rétablir la paix et pour
rendre aux Européens leur liberté. Ces braves combattants sont
au nombre de ce million et plus d’hommes et de femmes qui ont
servi dans les Forces armées canadiennes au cours de la Seconde
Guerre mondiale. Plus de 42 000 Canadiens ont donné leur
vie dans cette guerre. Le Canada a une dette de reconnaissance
envers tous ces braves combattants canadiens, y compris ceux qui
ont participé à la bataille de l’Atlantique. L’héritage de paix et de
liberté qu’ils nous ont laissé est inestimable.
La bataille de l’Atlantique fut un combat essentiel qui fut gagné,
juste à temps, avec l’aide massive du Canada — de sa marine, de
ses aviateurs, de sa marine marchande et de sa population de civils.
La Croix de Victoria, la décoration pour bravoure la plus
prestigieuse de l’Empire britannique, a été décernée à titre
posthume à un membre du CARC pour son leadership et son
courage pendant la bataille de l’Atlantique. Le capitaine
La bataille de l’Atlantique
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d’aviation David Hornell,
de Mimico, Ontario,
pilotait un avion amphibie
de type Canso et aperçut
un sous-marin au nord des
îles Shetlands en juin 1944.
Bien que son appareil ait été
atteint par le tir anti-aérien,
qu’il ait été la proie des
flammes et aux prises avec
de violentes vibrations,
Hornell réussit à détruire le
sous-marin et à poser son appareil sur l’eau où celui-ci coula
rapidement. N’ayant qu’un petit canot pneumatique pour les huit
membres de l’équipage, Hornell cèda sa place dans le canot à un
membre d’équipage blessé. Deux Canadiens périrent de froid et les
autres furent secourus 21 heures après l’écrasement. Hornell,
aveugle et exténué, mourut peu après le sauvetage.
Monument commémoratif de Halifax
Ce monument commémoratif érigé dans le parc de Point Pleasant,
à Halifax, dans la capitale de la Nouvelle-Écosse, est l’un des rares
hommages concrets aux Canadiens et aux Canadiennes disparus
en mer. Le monument est formé d’une grande Croix du Sacrifice
en granit, de douze mètres de haut, qui peut être vue de tous les
navires qui approchent de Halifax. La croix est montée sur une
grande plate-forme de granit portant des panneaux de bronze sur
lesquels sont gravés les noms de 3 257 Canadiens et Canadiennes
qui furent inhumés en mer. Voici ce que dit l’inscription :
1914 - 1918 1939 - 1945
À la mémoire des hommes et des femmes de la marine de
guerre, de l’armée et de la marine marchande du Canada
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La bataille de l’Atlantique
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