J De la nécessité d’un choix professionnel

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Infirmière de cancérologie
De la nécessité d’un choix professionnel
En cancérologie, les soins évoluent au gré des essais
thérapeutiques, et la prise en charge du patient rime
avec technicité, information, éducation et relation
d’aide. Aussi importantes que puissent être la charge
de travail et la charge affective, de nombreux soignants choisissent d’exercer dans ce seul domaine.
J
«
e suis infirmière pour soigner,
pas pour voir les gens mourir ».
Cette phrase, Pascale Dielenseger
la prononce fin 1987, quelques
mois après l’obtention de son DE.
Elle effectue un remplacement de
congé maternité en médecine
oncologique à l’Institut GustaveRoussy-La Grange et découvre la
cancérologie. Confrontée à la
maladie, elle doit également faire
face à la mort de nombreux
patients. « Tu n’as peut-être pas
aidé à guérir, mais tu as sans doute
aidé à mieux mourir », répond à
la jeune soignante une des infirmières du service.
Onze ans plus tard, Pascale
Dielenseger est faisant fonction
de cadre infirmier en médecine oncologique à l’Institut
Gustave-Roussy, et vice-présidente de l’Association française
des infirmières de cancérologie.
Toujours dans le même établissement. « Parce que les soignantes qui m’encadraient lors de ce
premier emploi m’ont fait découvrir la prise en charge infirmière
des patients cancéreux : au-delà
des traitements, qui étaient ou
n’étaient pas efficaces, nous mettions en place des actions d’information, d’éducation, de prise en
charge psychologique et de relation d’aide. Je découvrais également des outils infirmiers intéressants, qui permettaient cette prise
en charge ». En cela, Pascale fait
référence au dossier individualisé de prise en charge multidisciplinaire.
Dès 1990, Pascale Dielenseger
obtient la possibilité de travailler plus spécifiquement sur
les essais thérapeutiques de
phase I. Ce choix professionnel
n’est pas anodin. « Pour moi, cela
représente l’espoir d’arriver un
jour à juguler cette maladie, d’avoir
un jour à notre disposition différents produits qui joueront sur les
différents cancers » indique-telle. Les patients inclus dans ces
essais de phase I étant hors
des ressources thérapeutiques
connues, « ils ont une approche
différente des soins, note Pascale
Dielenseger. Il s’agit pour eux du
traitement de la dernière chance et
ils comprennent parfaitement que
nul ne puisse leur garantir les
effets bénéfiques du traitement en
essai ». L’infirmière apprécie le
rythme de travail imposé par
les essais. Car, entre les soins
directs (injections, nombreux
prélèvements nécessaires à l’étude pharmacocinétique, information, explications…) et les soins
indirects (préparation des produits, relations avec les différents professionnels de santé
intervenant auprès du patient
dans l’essai…), chaque infirmière
consacre chaque jour entre 4 et
5 heures à un patient. La reconnaissance d’une certaine spécificité du travail infirmier est également source de richesse. « Des
observations infirmières telles que
la description initiale de certains
effets secondaires sont attentivement prises en compte lors de
staffs. En cela, notre profession fait
aussi beaucoup évoluer les essais
thérapeutiques », estime Pascale
Dielenseger.
Dans le service, la vie est cadencée par les soins, mais aussi par
les patients, au rythme de leur
guérison, rechute ou décès. De
fait, comment une infirmière
arrive-t-elle à travailler plus de
onze ans en cancérologie et à se
protéger des souffrances des
autres ? « Dire que, pour se protéger, il faut mettre une barrière
dans notre relation aux patients est
facile à dire. Les patients nous font
violence là-dessus, confie Pascale
Dielenseger. Et je pense que les
soignants font, eux aussi, violence
à cette barrière. » Car, si les
hospitalisations ne sont pas longues, elles sont répétées. Petit à
petit, nous apprenons à nous
connaître et à avoir des liens
relationnels parfois très forts. « Il
y a des soirs où, lorsque l’on rentre chez soi, on se sent mal. Il est
nécessaire de pouvoir à la fois en
parler entre collègues et s’appuyer
sur son propre entourage privé. Car
travailler en oncologie nous oblige à
réfléchir sur notre propre vie, sur la
maladie, et sur notre propre mort
ou la mort de nos proches »,
conclut-elle.
Isabelle Forestier
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