Arch Mal Coeur Vaiss Prat 2015;2015:18–22 Dossier / Fiche technique Prévention des chutes en réadaptation Preventing falls in rehabilitation facilities R. Brion a,b S. Mercier a a b R. Brion Centre Bayard, 69100 Villeurbanne, France Dieulefit Santé, 26220 Dieulefit, France Disponible en ligne sur ScienceDirect le 21 octobre 2015 RÉSUMÉ La prévention des chutes est une préoccupation majeure des établissements de soins de suite et de réadaptation. La première mesure est l'évaluation a priori du risque de chaque patient et la mise en place de mesures préventives individuelles. Une analyse globale des chutes au niveau de l'établissement doit également être conduite grâce à un registre colligeant la totalité des chutes et de leurs circonstances de survenue. L'ensemble des données analysées permet de mettre en évidence l'éventualité de risques insuffisamment gérés ou spécifiques à l'établissement et donc de guider des mesures de prévention plus globales. L'efficacité de ces mesures doit être évaluée. © 2015 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. SUMMARY Falls prevention is a major concern for rehabilitation institutions. The first action is the preliminary assessment of the risk of each patient and the setting up of individual preventive measures. A comprehensive analysis of the falls at the establishment level must also be conducted through a register compiling all of the falls and their circumstances. Analyzed data set allows to highlight the possibility of poorly managed or specific risks and thus to guide more comprehensive preventive actions. The effectiveness of these actions should be evaluated. © 2015 Elsevier Masson SAS. All rights reserved. près un épisode pathologique aigu et notamment après une intervention chirurgicale, le risque de chute est accru chez les patients, surtout les plus âgés. C'est une notion que les personnels des centres de soins de suite et de réadaptation (SSR) connaissent bien pour y être confrontés et pour laquelle ils ont une vigilance toute particulière (Annexe 1). En raison de la durée d'hospitalisation plus longue qu'en établissement médico-chirurgical et de leur spécificité en rééducation, les établissements SSR sont bien adaptés pour l'évaluation et la prévention des risques de chute. Une approche individualisée permet d'identifier les risques de chute des patients et de prendre dans l'établissement les mesures réduisant ce risque. Au-delà, une rééducation adaptée à la prévention des chutes favorise un retour à domicile mieux sécurisé. A LA PRISE EN CHARGE INDIVIDUELLE Comment dépister les patients à risque de chute ? Le patient type à risque de chute est âgé de plus de 80 ans. Il a déjà chuté (une chute dans la dernière année est un des meilleurs facteurs prédictifs). Sa mobilité est habituellement réduite et il vit un changement d'environnement récent (l'hospitalisation et la mutation dans un service SSR entrent bien dans ce cadre). Certaines pathologies spécifiques augmentent, parfois considérablement, ce risque. Ce sont essentiellement les pathologies suivantes : neurologique : maladie de Parkinson, démences, dépression ; Auteur correspondant : R. Brion, Centre de réadaptation CapioBayard, 44, avenue Condorcet, 69100 Villeurbanne, France. Adresse e-mail : [email protected] http://dx.doi.org/10.1016/j.amcp.2015.09.013 © 2015 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. 18 Prévention des chutes en réadaptation troubles cognitifs : diminution du MMS (Mini-Mental Score) ; troubles sensoriels : vision diminuée, sensibilité profonde altérée ; incontinence, notamment urinaire par impériosité ; hypotension orthostatique ; troubles locomoteurs et neuromusculaires : diminution de la force (membres inférieurs, préhension), troubles de la marche et/ou de l'équilibre postural ou dynamique, nécessité d'auxiliaires pour le déplacement (canne, déambulateur. . .) ; polymédication (4 médicaments et plus), psychotropes, traitement hypotenseurs. . . ; comportementales : alcool, sédentarité, malnutrition, témérité. . . Quatre tests simples permettent d'évaluer assez précisément le patient potentiellement « chuteur » : le test de mobilité : demander au patient de se lever d'un siège classique, de marcher sur 3 mètres, de se retourner et de revenir s'asseoir sans l'aide d'une canne : on note un déficit de mobilité à partir d'une durée du test de 20 secondes et un risque important à partir de 29 secondes ; le test unipodal : le maintien en équilibre sur une jambe ne peut être tenu plus de 5 secondes ; la poussée sternale : un déséquilibre (à contrôler !) après une poussée modérée prédit un risque de chute accru ; le test de parole pendant la marche : les personnes fragiles s'arrêtent de marcher quand elles sont sollicitées sur un autre domaine d'attention. On conçoit que ce handicap puisse favoriser un moment d'inattention et une chute. Des tests spécifiques plus précis explorant l'équilibre statique et dynamique avec des scores sont disponibles comme le test de Tinetti (adapté par les Enseignants de gériatrie français) Un environnement mal adapté est bien souvent le facteur qui va déclencher la chute : les locaux : les chutes peuvent être favorisées par un éclairage insuffisant ou une recherche d'interrupteur peu accessible, des escaliers mal conçus, l'absence de rampes, des sols glissants, des tapis. . . et tout ce qui peut faire obstacle ; le matériel : des chaussures inappropriées, des auxiliaires de marche mal adaptés, du matériel de rééducation mal sécurisé. . . peuvent être à l'origine de chutes. Mesures permettant de limiter le nombre de chutes Le « toilettage » de l'ordonnance doit être une attitude systématique avec une attention particulière portée sur le nombre de médicaments prescrits, sur l'utilisation des psychotropes ainsi que des traitements hypotenseurs. L'adaptation du milieu de vie est une étape très importante : en SSR, l'adaptation de la chambre, des zones de transit et des lieux de rééducation sont une nécessité à partager avec tous les professionnels et parfois avec les conseils des ergothérapeutes. Avant la sortie du centre, un aménagement de l'habitat avec visite d'un ergothérapeute à domicile sera parfois nécessaire chez un sujet à risque non maîtrisé. Un programme de rééducation spécifique doit être envisagé chez les patients à risque. Il comprend plusieurs volets : aspects éducatifs sur les erreurs à ne pas commettre en cours d'hospitalisation. Un excellent film éducatif réalisé par les hôpitaux de Genève est disponible sur http://www. dailymotion.com/video/xmhzde ; Dossier / Fiche technique rééducation par l'activité physique : elle a pour objectif de répondre aux 4 besoins spécifiques suivants : endurance, force, équilibre, vertige, le programme comprend donc des exercices de renforcement musculaire, de conservation ou amélioration des amplitudes articulaires, de rééducation à la marche et d'entraînement à l'équilibre. Ces programmes comprennent également des exercices de relèvement du sol. Le taï chi, art martial chinois, a une efficacité démontrée notamment sur la fonction équilibre, l'impact de ces programmes joue également sur la reprise d'une confiance souvent perdue à la suite d'une chute précédente. Le « syndrome post-chute » avec la peur de tomber à nouveau contribue à entretenir la sédentarité qui est en soi un facteur de risque de nouvelle chute. Des mesures diverses peuvent être envisagées en fonction des problématiques posées : la correction des déficits visuels lorsqu'elle est possible ; le port de chaussures adaptées (chaussures plates confortables à semelles plutôt épaisses et dures que souples et minces, prenant bien le pied) en évitant les pieds nus, chaussons ouverts, claquettes. . . ; la lutte contre l'ostéoporose (apport de vitamine D dans une population souvent carencée) afin de lutter contre les conséquences fracturaires des chutes. Après avoir identifié les patients à risque accru de chute, il convient de prendre les mesures nécessaires afin d'adapter leur traitement, leur environnement, et pour certains envisager une rééducation spécifique. Malheureusement, souvent, cela ne suffit pas et un certain nombre de chutes se produit immanquablement dans tous les établissements. C'est pour cela qu'il faut aller plus loin dans la démarche qui doit dépasser le stade de la prise en charge individuelle pour être accompagnée d'une démarche épidémiologique au niveau de l'établissement. LA RÉFLEXION GLOBALE Chaque établissement a ses particularités liées à l'âge et à la sociologie de la patientèle admise, aux locaux et au mode de fonctionnement. L'analyse globale des chutes survenues dans l'établissement doit permettre de préciser s'il existe des risques classiques insuffisamment pris en charge par l'établissement ou des risques particuliers et d'apporter dans ce cas des modifications structurelles et/ou organisationnelles. Cette réflexion est conduite en cinq étapes. étape 1 : comptabilisation exhaustive du nombre de chutes survenant dans l'établissement (sans sous-estimation) ; étape 2 : analyse de chaque cas (questionnaire en Annexe 1 utilisé au centre Bayard) ; étape 3 : analyse globale multidisciplinaire des chutes survenues dans l'établissement avec recherche de facteurs favorisants. Les discussions doivent porter sur : le profil des patients chuteurs, les facteurs environnementaux, les conséquences des chutes, les interventions envisagées ; L'étude doit notamment permettre d'attirer l'attention sur des évènements répétitifs (par exemple : chutes dans un escalier insuffisamment éclairé. . ., assistance insuffisante des patients invalides à certaines heures de la journée. . ., couloir encombré. . ., déambulateur mal adapté ou mal utilisé. . ., oubli de blocage d'un fauteuil roulant, etc.). 19 R. Brion, S. Mercier Dossier / Fiche technique étape 4 : les constations de l'étape 3 doivent déboucher sur l'élaboration et la mise en application de mesures correctives ciblées (pour suivre les exemples précédents : éclairage modifié sur une zone à risque, meilleure répartition des personnels sur certaines heures, ne pas laisser du matériel stocké sur des zones de déplacement, insister sur l'apprentissage de l'utilisation des déambulateurs, former les personnels sur le bon usage des fauteuils roulants, etc.) ; étape 5 : c'est le temps de l'évaluation : quel impact ont eu les mesures préconisées sur le nombre de chutes et leur gravité ? Il a été montré que les interventions multifactorielles avaient une efficacité. La revue Cochrane rapporte que chez les personnes âgées vivant à domicile non sélectionnées (chuteurs et non-chuteurs regroupés), ces programmes réduisent le nombre de chuteurs (RR = 0,73). Dans une population sélectionnée comme étant à risque de chute, l'intervention multifactorielle est également efficace avec une réduction significative de 14 à 31% selon les études. D'autres métaanalyses vont dans le même sens. 20 Chaque établissement doit évaluer l'évolution de son taux de chutes et par la même l'efficacité de sa politique de prévention. Déclaration de liens d'intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d'intérêts. En pratique Évaluation et prise en charge des personnes âgées faisant des chutes répétées – Société française de bonnes pratiques professionnelles (SFGG), avril 2009. Prévention des chutes accidentelles chez la personne âgée – Société française de documentation et de recherche en médecine générale, novembre 2005. Prévention des chutes en réadaptation ANNEXE 1. Dossier / Fiche technique CONSTAT DE CHUTE UTILISÉ AU CENTRE BAYARD DE VILLEURBANNE 21 Dossier / Fiche technique 22 R. Brion, S. Mercier