V i e p r o f e... La maladie de Creutzfeldt-Jakob (MCJ) peut-elle être transmise

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Vie professionnelle
La maladie de Creutzfeldt-Jakob
(MCJ) peut-elle être transmise
par les actes d’endoscopie ?
“Le pire n’est jamais sûr !”
T. Vallot
L
e directeur général de la Santé avait chargé en janvier
1999 le Comité technique des infections nosocomiales
(CTIN) de procéder à une analyse de risque de transmission de MCJ par des instruments médicamentaux ou chirurgicaux contaminés, et plus particulièrement lorsque l’acte
chirurgical invasif ou endoscopique est antérieur à l’apparition des signes cliniques de la maladie. Par ailleurs, il
suggérait de proposer une procédure à suivre pour
compléter les recommandations de la circulaire n°101
du 11 décembre 1995 relative aux précautions à observer
en milieu chirurgical et anatomopathologique face au
risque de transmission de la MCJ.
Fin septembre 1999, le CTIN remettait aux pouvoirs publics
son rapport scientifique et faisait quelques propositions
dont la mise en œuvre dépend de la décision des autorités
sanitaires. Dans cette première partie, nous ferons état des
conclusions sur l’épidémiologie et l’infectiosité des
“prions” et l’impact des traitements actuels des endoscopes
sur le risque. Dans la deuxième partie, nous rapporterons
les recommandations du comité français et celles des autorités sanitaires britanniques qui se concentrent actuellement sur cette même question.
Act. Méd. Int. - Gastroentérologie (14), n° 2, février 2000
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Épidémiologie et infectiosité
des prions
L’évaluation du risque de contamination
par des dispositifs médicaux souillés par
les agents des encéphalopathies spongiformes subaiguës transmissibles (ESST)
est complexe, car on ne connaît pas la
nature exacte de l’agent infectieux qui
résiste aux procédés habituels de stérilisation. Les agents responsables sont assimilés à une isoforme pathologique d’une
protéine normale du système nerveux central qu’est la protéine P. ou PrPsc. L’incidence de la MCJ est de l’ordre d’un cas
par million d’habitants et par an ; elle
touche en général les gens âgés de plus de
50 ans. Jusqu’à présent, la transmission
nosocomiale et iatrogène de la MCJ n’a
été démontrée que dans de rares circonstances particulières, le plus souvent par
administration d’hormones hypophysaires
extractives (hormones de croissance ou
gonadotrophines), greffe de dure-mère ou
utilisation d’instruments neurochirurgicaux contaminés. Plus de 80 % des MCJ
sont dites sporadiques, mais il est possible
que les formes nosocomiales ne soient pas
toutes identifiées si l’on considère les
résultats d’un travail qui suggérait l’existence d’une relation entre le nombre d’interventions chirurgicales subies par un
patient et le risque de développer une
MCJ.
Si l’on prend une approche théorique, il
est actuellement difficile d’évaluer l’infectiosité des prions chez l’homme. La
classification de l’OMS de 1992 sur les
niveaux d’infectiosité des tissus a été établie à partir d’une étude sur les titres d’infectiosité de différents tissus et liquides
biologiques du mouton au cours de tremblante clinique. Chez l’homme, on ne
connaît pas l’infectiosité (si elle existe)
présente dans les tissus périphériques intéressés par les actes d’endoscopie. On n’a
pas de connaissances sur le statut infec-
tieux des fibres du système nerveux sympathique des patients atteints de MCJ.
On ne peut exclure, chez les patients
atteints de MCJ à un stade terminal, qu’il
existe des sites extraneuronaux infectieux à un titre très faible. Les experts
estiment que l’infectiosité présente dans
le tissu périphérique concerné par l’endoscopie serait mille fois inférieure à
celle du tissu cérébral, soit environ une
unité infectieuse souris par 25 mg de
tissu.
La dose infectante chez l’homme n’est pas
connue, mais il a été établi expérimentalement qu’une unité infectieuse est insuffisante pour transmettre la maladie par une
injection périphérique. L’extrapolation à
une autre espèce doit être prudente, car
l’efficacité de la transmission de l’animal
de laboratoire varie en fonction de l’inoculum (espèce, souche, tissu), de l’éventuel traitement du produit infecté, de la
voie d’inoculation, de la dose et de la susceptibilité de l’hôte.
Cette approche théorique tend à montrer
que le risque de transmission nosocomiale par endoscopie est “faible”, selon
l’expression même des experts. Actuellement, aucun cas de transmission iatrogène
de la MCJ par des actes endoscopiques
n’a été rapporté. Pour les experts, cette
constation doit être nuancée par le fait que
le temps d’incubation de la maladie transmise par voie périphérique dépasse la
décade et que la puissance des enquêtes
épidémiologiques dans ce contexte est
minime.
Les experts concluent : “Le risque de
contamination iatrogénique par endoscopie est certainement très faible mais ne
peut certainement pas être écarté tant que
nous n’aurons pas une connaissance du
statut infectieux des tissus périphériques.
Il est donc prudent de recommander que
les endoscopes, plus particulèrement ceux
destinés à l’exploration du tube digestif,
subissent une décontamination adaptée
avant d’être réutilisés chez un autre
patient, en particulier lorsqu’il y a prélèvement biopsique.”
Pour ce qui concerne la nouvelle forme
de la MCJ liée à l’encéphalopathie spongiforme bovine (ESB), la détection de la
PrPsc dans les amygdales et l’appendice
suggère sa présence dans l’ensemble des
tissus lymphoïdes. Par conséquent, le
risque est de tout autre nature. Les conclusions d’une réunion interministérielle en
mars 1999 ont été de prendre en compte
une évolution défavorable de la situation
épidémiologique en France de la nvMCJ. Cependant, l’incidence actuelle de
la nv-MCJ en France ne justifie pas une
mise en œuvre immédiate de mesures spécifiques. Le groupe de travail estime que,
dans ce cas, tout acte endoscopique
devient à risque et que, dans l’attente d’une
méthode de décontamination validée, le
matériel utilisé chez un patient atteint ou
suspect de nv-MCJ devra être détruit.
Quel est l’impact
des traitements actuels
des endoscopes sur le risque
infectieux ?
Les experts soulignent, comme le faisait
déjà la circulaire de 1995, la grande
importance du nettoyage mécanique qui
précède l’étape de désinfection. Habituellement, les données de la littérature indiquent que la réduction du titre d’une
souillure (particule inerte, cellule, protéine, ADN, microbe…) soumise à un traitement mécanique varie de 3 log à 5 log.
Sachant que la charge infectieuse théorique contenue dans le tissu périphérique
est faible, on conçoit que le nettoyage
mécanique ait un effet bénéfique important sur le risque lié au prion. Il ne saurait
cependant se substituer à la stérilisation
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ou, selon le cas, à la désinfection.
L’inactivation des particules infectieuses
dans les maladies à prion est très mal
connue. L’efficacité d’une procédure ne
peut être prouvée qu’en exposant une préparation au traitement inactivant, puis en
l’inoculant à un animal de laboratoire.
Toute la question est de déterminer la
durée d’incubation qui permet de valider
l’absence de pouvoir infectieux résiduel.
Néanmoins, on admet aujourd’hui qu’il
existe trois méthodes d’inactivation (voir
circulaire DGS n°100-11, décembre
1995) :
– inactivation thermique (chaleur humide
18 mn à 134 °C) ;
– hydroxyde de sodium (1 N pendant
1 heure) ;
– hypochlorite de sodium (6D chlorométrique pendant 1 heure).
Toutefois, un certain nombre de traitements sont considérés non seulement
comme inefficaces mais comme pouvant
protéger le prion contre l’action stérilisant
de l’autoclave. C’est le cas du formaldéhyde ou de l’alcool. Le principe actif des
solutions de désinfection utilisées pour les
endoscopes étant généralement le glutaraldéhyde, on peut craindre que ce traitement ne soit de nature à stabiliser les protéines et à fixer l’infectiosité prion à la
surface des endoscopes. Cependant, le formaldéhyde et le glutaraldéhyde n’ont pas
tout à fait la même réactivité chimique
mais entraînent la réticulation des protéines.
Dans la littérature, il a été clairement montré que le formaldéhyde protège les prions
de l’action stérilisante de l’autoclave ou de
l’eau de Javel. L’action du glutaraldéhyde
sur le prion n’a été étudiée, de façon très
succinte, qu’une seule fois. Une réduction
du titre infectieux a été observée. Cependant, le fait de savoir si le pouvoir infectieux était résistant à l’action ultérieure
d’un traitement efficace, tel que l’eau de
Javel ou l’autoclave, n’a jamais été testé.
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Dans ce contexte, certains experts, estiment que tout traitement (formaldéhyde,
glutaraldéhyde), qui aurait comme propriété de réticuler les protéines entre elles
et donc d’avoir une action stabilisante sur
la protéine prion, donc de rendre le nettoyage moins efficace, ne doit pas être utilisé. D’autres (heureusement…) estiment
que l’on ne peut pas préjuger de l’action
du glutaraldéhyde sur les prions, compte
tenu des différences de réactivité chimique
sur les protéines entre formaldéhyde et
glutaraldéhyde.
Conclusion
Le risque de transmission de la MCJ et de
la nv-MCJ par les actes d’endoscopie ne
peut être écarté : les traitements actuels
de désinfection des endoscopes sont non
seulement inefficaces mais fixent l’infectiosité prion à la surface des endoscopes.
Pour faire vos calculs de probabilité de contracter une MCJ
par endoscopie digestive, voici quelques données en résumé :
– L’incidence annuelle de la MCJ est
de 1/10 6 ; on estime que la durée
d’incubation est comprise entre 10 et
35 ans ; il y a donc, dans la population française, entre 600 et 2 100 personnes en incubation.
– La contagiosité des malades en
incubation n’est pas connue. Il y a
deux millions d’endoscopies digestives réalisées par an, soit en
moyenne 1 habitant sur 50.
– Le risque d’endoscoper un patient
avec une maladie de MCJ en incubation serait compris entre 12/2 000 000
et 42/2 000 000.
– Le risque de contamination du matériel, ou des pinces à biopsie n’est pas
connu. On estime qu’il faut 25 mg de
tissu périphérique pour obtenir une
unité infectieuse ; cette dose est ellemême insuffisante pour transmettre
la maladie par voie périphérique
dans certaines conditions expérimentales.
– En cas de contamination du matériel,
le lavage mécanique permet de faire
baisser le nombre de particules de 3 à
5 log, soit d’ un facteur compris entre
1 000 à 100 000.
– Le risque résiduel de contamination
par une pince passée à l’autoclave dans
les conditions de traitement recommandées est considéré comme nul.
– Le risque de transmettre le prion par
une simple endoscopie après nettoyage mécanique n’est pas connu ; le
risque de développer la maladie après
contact avec le prion n’est pas connu.
BREVES
Arrêt du Conseil d’État du 5 janvier 2000
Par deux importants arrêts du 5 janvier 2000 intéressant l’un l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris, l’autre les Hospices
civils de Lyon, le Conseil d’État modifie sa jurisprudence sur le consentement éclairé : “Lorsque l’acte médical envisagé,
même accompli conformément aux règles de l’art, comporte des risques connus de décès ou d’invalidité, le patient doit en être
informé dans des conditions qui permettent de recueillir son consentement éclairé. Si cette information n’est pas requise en
cas d’urgence, d’impossibilité, de refus du patient d’être informé, la seule circonstance que les risques ne se réalisent qu’exceptionnellement ne dispense pas les praticiens de leur obligation.”
Cette jurisprudence nouvelle est très proche de celle adoptée par la Cour de cassation et devient une règle de principe. Une
règle que personne ne peut ignorer, mais qui, dans sa mise en œuvre, soulève de nombreuses questions sur lesquelles nous
aurons l’occasion de revenir.
Gilles Devers
Médica Press International SA, 62-64, rue Jean-Jaurès, 92800 Puteaux
Président-directeur général : C. Damour-Terrasson
Tous droits réservés - © octobre 1987 – Dépôt légal 1er trimestre 2000
Imprimé en France - Point 44 - 93100 Montreuil - Commission paritaire n°6955 - ISSN : 0989-263 X
Act. Méd. Int. - Gastroentérologie (14), n° 2, février 2000
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