É D I T O R I A L

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É
D I T O R I A L
© Le Courrier de l’algologie (4) n°2, avril/mai/juin 2005
L’analgésie obstétricale : l’âge de raison ou…
le temps de la rencontre entre le respect du désir
des patients et la médecine invasive et factuelle
● Dan Benhamou
Q
ue de progrès en trente années, depuis que la
péridurale obstétricale a pénétré largement dans
les salles d’accouchement ! Ces progrès ont
avant tout été techniques, ainsi que le décrit Ruth Landau dans
ce numéro (voir pages 7-8), avec l’évolution progressive des
produits utilisés, de leurs concentrations respectives, et l’apparition de diverses modalités d’administration. Ils ont été stimulés par au moins deux forces très différentes mais concourant
au développement croissant de l’emploi de l’analgésie péridurale.
• D’un côté, la puissance analgésique extraordinaire de la péridurale a été rapidement reconnue par les patientes ellesmêmes, et ce fait a été largement relayé par la presse féminine
grand public des années 1980. Conséquence de l’intérêt pour
ces techniques efficaces, le corps médical s’est vu progressivement contraint de s’adapter et de proposer largement cette
modalité d’analgésie dans toutes les maternités des pays développés. En France, le gouvernement a, en 1992, supprimé le
terme “de confort” qualifiant jusque-là la péridurale obstétricale dans les textes réglementaires, reconnaissant que son utilité dépassait largement ce simple objectif. Ainsi, alors qu’une
femme sur cent bénéficiait d’une péridurale obstétricale en
1980, ce taux a dépassé les 50 % à la fin de la dernière décennie, c’est-à-dire en moins de vingt ans.
• Une autre force motrice a probablement été la volonté des
anesthésistes de rétablir la vérité et de répondre aux allégations
négatives sur les effets de la technique (“la péridurale augmente le taux de césariennes…”, “la péridurale augmente le
taux de lombalgies en post-partum…”, etc.). Pour ce faire, de
nombreux travaux, souvent d’excellente qualité méthodologique (seul moyen de contrecarrer une rumeur), ont fait progresser la technique pour la porter vers une méthode très efficace et peu invasive. La PCEA (Patient Controlled Epidural
Analgesia) est un excellent exemple de technique médicale
puissante mais permettant de répondre aux besoins individuels
et de réduire les effets indésirables. Il est ainsi aujourd’hui
possible de vivre sans retentissement physiologique néfaste la
douleur intense des contractions, tout en profitant de ce
*Chef du département d’anesthésie et de réanimation, CHU de Bicêtre, AP-HP,
78, rue du Général-Leclerc, 94270 Le Kremlin-Bicêtre.
La Lettre du Gynécologue - n° 304 - septembre 2005
moment de bonheur absolu, par exemple en maintenant la
déambulation, et donc la liberté de mouvement.
• Aujourd’hui, la technique d’analgésie locorégionale pour
l’accouchement confine à la perfection et est reconnue comme
telle par tous les professionnels, anesthésistes, bien sûr, mais
aussi sages-femmes et obstétriciens. Il suffit pour s’en
convaincre de lire les textes associés à cet éditorial. La péridurale n’ayant plus besoin de reconnaissance et ayant atteint son
but (voire dépassé, lorsque l’on se souvient que le taux de péridurales atteint presque 100 % dans certaines maternités), la
confrontation de points de vue opposés a maintenant disparu.
La moindre invasivité (bloc moteur réduit et déambulation
possible, absence d’augmentation du taux de césariennes) est
la règle. D’autres objectifs peuvent donc être définis, et les
équipes pluridisciplinaires de la naissance sont aujourd’hui à la
recherche d’un nouvel équilibre. Celui-ci prend en considération les besoins des parturientes, bien relayés par le corps des
sages-femmes. Il ne faut pas revenir en arrière en ce qui
concerne l’utilisation de la technique, mais une analgésie puissante doit être intégrée dans l’organisation d’un accouchement
moderne. Citons ici les premières études (méthodologiquement
bien faites, et donc utiles à la compréhension des phénomènes)
qui évaluent l’emploi combiné de l’analgésie péridurale et de
positions obstétricales, ces dernières étant considérées par les
sages-femmes comme utiles, car elles réduisent la douleur et la
durée du travail.
• Écoutons plus les parturientes, faisons preuve d’empathie, et
organisons nos salles d’accouchement afin que la technicité
soit la garante de la sécurité, mais aussi afin que la femme qui
enfante soit au centre de l’organisation et des décisions. Le
développement des maisons de naissance à proximité immédiate de plateaux techniques répond à cet objectif. Si la douleur devient intense et conduit à recourir à une analgésie puissante, ou si une complication survient, une médecine
“invasive” peut être mise en œuvre, sans pour autant s’imposer
en toutes circonstances. Nous avons atteint l’âge de raison,
sorte d’alchimie complexe entre les progrès d’une médecine
invasive et factuelle, l’information et le respect des désirs de la
patiente, la communication positive entre professionnels, tous
facteurs permettant d’aboutir à un résultat humain optimal. ■
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