de santé publique

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Cours 10 Epistémologie 2008-2009
De l’éducation pour la santé du citoyen à l’éducation
du malade.
Guillaume Lachenal
Introduction :
Question de l’éducation des populations et des patients dans le cadre de
la santé publique et du soin médical.
« Education » : terme qui vient du latin conducere : signifie conduire,
terme d’introduction.
Ici : définie comme les moyens et les messages qui peuvent conduire à
changer des comportements et adopter des comportements conformes
aux impératifs de la santé publique ou de la thérapeutique.
Question très actuelle et fait appel à toute une série de notions étant
relativement consensuelles.
1) Notions consensuelles.
1ere dimension : éducation comme outil de prévention, le noyau d’une
bonne action de santé publique, mieux vaut prévenir que guérir,
l’importance de la prévention est une notion partagée par tous. On
cherche à éviter la survenue de la maladie ou de l’accident en incitant par
l’éducation, à réduire les comportements à risque ou, selon les
épidémiologistes, à réduire leur exposition à des facteurs de risque.
Observance : correspondance entre le comportement d’une personne et
les recommandations des professionnels de santé à propos d’un
traitement préventif, curatif (prise de médicament, changement dans les
habitudes de vie, présence à des visites de suivi).
Adhérer aux posologies et aux recommandations des médecins quant à la
prise des médicaments, essais cliniques : se soumettre aux protocoles de
recherche jusqu’au bout des essais.
Grandeur mesurable pour évaluer la qualité d’un patient, d’un essai
clinique, mais cette observance est très imparfaite : cette imperfection
explique les causes d’échec de certaines thérapeutiques et l’imprécision
d’un essai clinique.
Une des missions : travailler pour que cette observance soit meilleure :
informations, éducation, impliquer les patients, leur communauté et leur
famille dans la définition des recommandations.
Référence : la figure du « patient idéal » existe : c’est celui qui serait
autonome, acteur de son parcours de soins, capable de comprendre les
savoirs médicaux, et respecter les consignes qu’on lui donne, cela est
conforme aux consignes (« compliance » en anglais = conformité), ce
patient est actif face à ces consignes (« adhérence » en anglais), il approuve
ces consignes.
Plan : trouver des techniques, des recettes, modification de relations
entre patients et médecins pour se rapprocher de cette figure de patient
idéal.
2) Objectif : conduire une réflexion historique et épistémologique
Pour montrer que ces définitions ne vont pas de soi, changent au cours de
l’histoire et n’ont cessé de poser des problèmes.
Et dire que ces opinions répandues n’ont pas tjrs été ainsi et ont une part de
non-dit, qu’il faut étudier grâce à l’histoire : ces discours omniprésents sur
l’observance masquent d’autres enjeux de santé publique et d’autres
façons possibles pour les médecins et les institutions médicales d’agir pour
la santé publique.
Etudier comment depuis la fin du 19ème siècle, l’éducation des patients a
évolué sur le plan des pratiques et théories.
Quelles visions du patient supposent les différentes formes d’éducation
pour la santé qui ont été expérimentées, quels sont les statuts que les
patients donnent aux savoirs médicaux, à qui cette éducation s’adresse-telle (patients isolés, ou membres d’une collectivité avec droits et devoirs),
quelles sont les valeurs morales et les projets politiques.
I. Paradigme de la citoyenneté sanitaire (fin 19ème s.-1970)
Cette notion dit que le respect d’une consigne de prévention est avant
tout un devoir vis-à-vis de la société : l’individu doit se protéger de la
contamination pour lui même et pour le bien être de l’ensemble de la
société, et éviter de contaminer les autres.
L’éducation est pensée d’une manière particulière, c’est une notion
d’instruction, une suite d’instructions techniques ou morales, et le sujet, ne
fait que recevoir l’info, est passif et doit appliquer cette information et ces
normes, et face à cela on a un médecin omniscient qui s’appuie sur des
savoirs biomédicaux, incontestables, et ici : déduction directes de savoirs
biomédicaux ; au besoin, la contrainte et la sanction peuvent être utilisées.
Cette vision est un paradigme pour les épistémologues.
Paradigme : mot savant pour dire vision du monde ou système de
représentation, elle désigne un ensemble de représentations de médecins,
de devoirs pour un patient, ces représentations fonctionnent ensemble).
Ex : théorie darwinienne de l’évolution, est un paradigme pour la biologie.
L’évolution en histoire des sciences est discontinue.
1) Rappel : contrainte et coercition dans l’histoire de la prévention des
malades.
S’inscrit dans un héritage plus ancien : de l’usage de la contrainte dans
l’histoire de la santé publique et de la prévention.
Gestion par les états de la santé publique (biopolitique, liée depuis
l’origine à des mesures de coercition, de contrainte).
Ex : de l’éloignement forcé de lépreux, mise en quarantaine de bateaux
au port en temps d’épidémie, l’assainissement urbain par la destruction de
quartiers entiers, insalubres, comme à Paris sous le 2nd empire lors des
grands travaux d’Haussmann, objectif de lutte contre les épidémies.
Ex : épidémie de peste en Afrique du sud en 1890 : prisonniers encadrés
par des militaires, qui désinfestent cette prison de pestiférés.
Pt commun : ils n’ont pas attendu la découverte des microbes pour
s’exercer, l’hygiénisme, visant à développer l’hygiène dans la société a pu
se faire en s’appuyant sur d’autres théories (contagion, superstition aussi :
exclusion de lépreux car considérés comme impurs).
Prévention identifiée à une idée de police médicale : histoire de la
typhoïde, ex de cet usage de la coercition.
2) Pastorisme, paternalisme médical et devoirs du malade-citoyen
Education sanitaire hérite de cet eugénisme autoritaire et cela va la
transformer et la rendre à la fois plus efficace et plus complète.
Elle peut être décrite à travers trois piliers : pastorisme, paternalisme
médical, devoirs du malade et du citoyen.
a) 1er pilier : le pastorisme
Notion de microbes a considérablement renforcé l’idée que l’état
intervient pour la prévention des malades, cette notion a permis de cibler
les mesures d’hygiène : matériel éducatif, ex prévenir la transmission de la
tuberculose, qui se transmet par voie aérienne, crachats contiennent les
bacilles de Koch, agent infectieux.
Définit une action éducative ciblée sur l’interdiction des crachats dans les
rues plutôt qu’isoler les malades et les envoyer à la campagne. Cible la
prévention et l’éducation de façon rationnelle.
Possibilité de la contrainte reste figurée avec les gendarmes au second
plan qui punissent celui qui enfreint les consignes.
Découverte des vaccins, généralisation de la technique, elle s’agrège aux
traditions de l’hygiénisme autoritaire, elle devient obligatoire en France
dès 1902 : ex contre la variole.
b) 2ème pilier : rôle du médecin et savoirs médicaux
Paternalisme médical et « catéchisme sanitaire » : l’éducation pour
l’hygiène, dans ce contexte, s’inscrit dans un projet plus vaste, de
redressement moral des individus et de transformation sociale : c’est la
propagande médicale, son but n’est pas que la lutte contre les maladies,
mais aussi l’idée qu’il faut réformer la société et les individus sur le plan
moral surtout. A l’époque : prophylaxie (médicale, sociale, morale,
civique).
Inventé par des acteurs privés venant du monde des associations
caritatives d’origine religieuse ou privée (philanthropie) : ex : fondation Bill
Gates pour aider l’humanité actuellement : à l’époque fondation
Rockefeller qui organise des compagnes d’éducation sanitaire pour lutter
contre les maladies et des tares morales des populations.
Donc un catéchisme sanitaire (acteurs issus du monde religieux, avec une
analogie entre le projet des missionnaires : convertir les populations au
christianisme, et le projet de ces médecins : convertir les populations à
l’hygiène).
La médecine préventive est aussi porteuse d’un projet de société.
Méthodes dans cette éducation sanitaire : affichage, campagnes
itinérantes, causeries à la radio (problème sanitaire particulier), cinéma.
Mais cela s’organise, il y a des institutions qui s’en chargent au sein des
états, cette éducation devient une discipline avec colloques, spécialistes,
formations.
Alors cette éducation est portée par des individus (professeurs de
médecine) : ex, Albert Calmette, élève de pasteur, met en place une
campagne pour acheter le timbre antituberculeux, pour financer la lutte
contre la tuberculose. Ce sont des entrepreneurs de causes, qui font d’une
cause leur entreprise personnelle, une lutte personnalisée, cause par
cause, et s’intéressent à une seule maladie à la fois, on pense avant tout
en terme social (maladies = fléaux sociaux).
Ils pensent cette éducation comme une instruction, où on transmet des
connaissances à des gens ignorants et passifs dans la relation : au besoin on
peut être pédagogique (doux), comme sévère (peur, stigmatisation).
D’où le paternalisme médical (ex aux EU : années 50).
c) 3ème pilier: le changement de comportement est un devoir de citoyen
envers sa communauté.
C’est l’intérêt du groupe de la société, de la nation qui justifie qu’on utilise
la contrainte pour ceux qui n’écoutent pas les consignes : entorse à la
liberté individuelle.
Intérêt se définissant en terme sanitaire, pour la santé de la population :
après 1945 : en terme économique, en Europe et surtout en France, est mis
en place le système de sécurité sociale, les citoyens sont liés les uns aux
autres par l’assurance sociale. La maladie d’un citoyen coûte à la
collectivité.
2ex : (poly texte n°5 : prophylaxie de la maladie du sommeil en Afrique).
Texte écrit par des médecins dans un journal, distribué à la population, au
Cameroun: ils veulent les convaincre de les voir quand ils font des
campagnes contre cette maladie, ils veulent que les populations se
soumettent à des injections pour leur prévenir de la maladie du sommeil.
L’éducation sanitaire se pense comme une transmission d’une
information technique : ici cela consiste à décrire en termes
pédagogiques, des sujets ignorants sur la maladie du sommeil, et donc
leur expliquer cette maladie.
Mais aussi suggérer que celui qui refusera de s’y soumettre est un criminel,
mauvais frère, mauvais camerounais. Paternalisme médical ET colonial.
On ne veut pas que quelqu’un refuse l’injection et devienne ainsi un
« réservoir de virus ».
Ex des MST dans l’armée américaine pendant la 2nde guerre mondiale :
enjeu masculin à l’époque (syphilis) : investissement dans les soldats. Ne
pas voir les prostituées autour de ces camps militaires.
VD : venereal disease (équivalent anglais de MST) : « don’t tell my folks »,
ce qui signifie « ne le dites pas à mes amis » : un appel à la honte évoquée
par les MST, et à la peur de la maladie.
« Rester droit et sobre », demandent les médecins aux soldats, MST est un
ennemi : on le doit à soi même, aux femmes de nos vies, et à nos
camarades ainsi qu’à notre pays.
3) L’idéal d’éradication et les programmes « verticaux » de santé publique :
l’exemple de la variole (1975).
But ultime et supérieur de ces campagnes, n’est pas seulement de
contrôler les maladies ou de réformer la société sur le plan morale, mais
aussi d’éradiquer les maladies, éliminer grâce aux changements de
comportement des individus et aux techniques comme les vaccins, tous
les agents infectieux en circulation.
Idéal d’éradication très présent jusqu’aux années 1970 pour les
spécialistes de santé publique.
Ex le plus célèbre d’éradication, le plus grand accomplissement de la
santé publique au 20ème siècle (1979) : la variole.
Naît après 45 : ambiance à l’optimisme : nouvelles techniques
antibiotiques, entraînant les baisses de la mortalité par maladies
infectieuses, création d’une nouvelle institution des Nations Unies (OMS :
1948) : qui se centre autour de l’idée d’éradication (paludisme puis
variole).
Variole : due à des éruptions cutanées destructrices, provoquant la mort,
la défiguration, et qui a disparu d’Europe et des EU après 1945.
Vaccination vénérienne pratiquée. Après 1945 maladie encore présente
dans les pays tropicaux : car vaccins facilement inactivés par la chaleur et
l’humidité, et les états coloniaux n’ont pas investi suffisamment de
ressources pour appliquer cette vaccination.
Dans cette atmosphère d’optimisme de l’après 1945 : espoir
d’amélioration dans les pays tropicaux pour des raisons techniques
(vaccins résistants à la chaleur, système de gel, du froid, nouveaux
dispositifs d’injection rapides), ex de la Jeep, permettent aux services de
santé d’aller dans les régions inaccessibles en absence de route.
1966 : OMS se lance à l’éradication de variole (10-15 millions de cas), dans
les pays du Tiers monde.
Par rivalités de guerre froide (EU, URSS) : surenchère des deux Grands
pour participer à ce programme d’éradication, et ce programme
fonctionne. 1972 : éradication de l’Afrique du Sud, en 1973 : reste encore
l’Inde et la Somalie.
Octobre 1977 : l’OMS recense le dernier cas de variole en Somalie.
Déclaration solennelle d’éradication de la variole en 1979.
Cette intervention mêle une méthode vaccinale a une méthode
pasteurienne, injonctions à la citoyenneté sanitaire, car elle a aussi reposé
sur l’éducation des populations, et une organisation très centralisée :
confirme le succès de la santé publique définie comme un devoir de
l’individu de se soumettre à la science et à l’état pour le bien être de la
collectivité. Ex : dans un hangar en Afrique.
Idée d’un programme « vertical » de santé publique (image de
l’organisation), mode d’actions définis au sommet (à Genève, siège de
l’OMS), principes d’actions transmis aux Etats concernés, qui eux-mêmes
les transmettent aux responsables des programmes d’éradication, qui
eux-mêmes les transmettent à la mission « intérieure », puis aux
infirmiers allant soigner sur le terrain.
Populations qui n’ont pas été consultés au préalable pour ces opérations,
et dont certaines voient pour la première fois un médecin. Chaine d’action
et d’exécution du programme.
Sert de modèle (grand succès), mais qui est mitigé, sur le plan pratique, les
campagnes de vaccination ont nécessité un traitement des populations
en masse, un traitement brutal et mécanique des populations. Cadences
très élevés (recours à l’encadrement policier).
Techniques d’injecteurs (à haute pression) augmentent les cadences de
vaccination pour soigner le plus de monde possible : peu de problèmes,
mais parfois avec effets secondaires graves, d’où les résistances en Inde et
en Afrique : image conflictuelle sur le plan d’éradication de la variole.
Résistances ayant lieu dans les années 1970 à la fin du programme au
moment où l’OMS a changé sa stratégie : au lieu d’une vaccination en
masse (puisque la variole n’existait plus que dans certaines régions),
vaccination massive autour des zones où il y avait des cas (techniques de
vaccination cible),
Il y a eu là les plus gros problèmes : équipes parfois forcées de mener des
véritables opérations militaires (encercler un village la nuit et vacciner de
force une population). Ex : vaccination obligatoire en Côte d’Ivoire. La
confiance dans une technique justifie le recours à la force.
Cette notion de citoyenneté sanitaire n’a pas seulement été imposée
autoritairement aux populations mais elle a pu fonctionner malgré les
résistances, notamment dans les pays du tiers-monde venant d’accéder à
l’indépendance.
L’idée d’un devoir de l’individu vis-à-vis de sa nation, était acceptée voire
désirée par la population. Les nouveaux états (nationalistes) voulaient se
moderniser et devenir des populations saines. (ex : Nigéria, contre la
variole et la rougeole aux années 60).
II. De la propagation sanitaire à l’éducation pour la santé : les réformes
dans les années 1970.
Remise en cause ayant lieu dans un contexte changeant : l’éradication de
la variole annonce la fin des maladies infectieuses, poids pour la santé
publique de pathologies comme le cancer, non infectieuses mais des
menaces sur la santé publique. Prise de conscience par les corps
professionnels de la santé publique des limites des présupposés de cette
éducation.
1) Impasse de la moralisation.
La plupart de ces campagnes donnent lieu à des malentendus, des
déviances, des éclats de rire, une incompréhension, une incrédulité, à
ces petites leçons.
Ex : Sketch de Bourvil sur la lutte antialcooliques (campagnes ayant un
potentiel comique et d’autant plus que le chargé de la campagne a rajouté
une leçon à ces cibles), ces campagnes sont largement inefficaces, tant
elles sont sûres d’elles mêmes et un peu professorales.
Maladies multifactorielles (ex : cancer du poumon, provoqué par le tabac,
non infectieuses) mais un lien (cause-maladie) non immédiat : l’idée d’un
devoir du citoyen de s’abstenir de fumer est compliquée à tenir dans ces
cas (mise en danger concerne l’individu lui-même).
Critique pragmatique : si elles ne marchent pas, ce n’est pas parce que les
patients sont inaptes, ignorants, bornés, mais c’est parce que ces
techniques sont mal adaptées.
Critique plus diffuse dans la société, de l’esprit 68 : mai 1968, en France, et
au même moment dans le reste du monde on remet en cause
collectivement l’idée d’une morale bourgeoise à respecter, de l’idée du
paternalisme médical présenté ici comme ridicule et oppressive (pratiques
libertaires). Remise en cause d’un pouvoir médical qui devrait dicter une
norme.
2) Les nouvelles techniques d’éducation : publicité, psychologie et
subjectivation.
Années 1970 : texte n°7 : Remise en cause par les professionnels de
l’éducation sanitaire de la façon dont celle-ci est pratiquée.
Cas de la France : organisation de l’éducation sanitaire, par une institution
qui dépendait du ministère de la santé publique : Comité Français de
l’Education Sanitaire.
Changement d’équipe, en lieu et place des « vieux » professeurs de
médecine « omniscients », il y a recrutement de nouvelles professions
n’ayant pas participé jusque là à l’éducation sanitaire (publicitaires,
professionnels du marketing, sociologues, psychologues) revendiquant une
approche scientifique de la prévention, approche qui s’évalue.
La campagne ne marche pas seulement parce qu’elle dit des choses justes,
mais technique qui va marcher car on a montré qu’elle marche (panels sur
lesquels on teste des compagnes).
Révolution : Prévention change de main et de nom : « éducation
sanitaire » disparaît en France devient obsolète, on parle d’« éducation
pour la santé » (on marque une rupture avec le passé).
Définit un nouveau paradigme, à partir des années 1970 : celui du
« gouvernement de soi ».
Cette idée : se base sur des études psychosociologiques qui s’intéressent à
la manière dont les individus aiment pendre trop de risque pour la santé :
pour les sociologues : consommation excessives d’alcool a lieu souvent
dans une dynamique de groupe (incitation), lors d’une tournée par
exemple.
Les spécialistes suggèrent de changer de comportement, non pas pour
montrer qu’on est un bon citoyen et qu’on respecte les consignes qu’on
nous donne, mais plutôt pour se libérer de la pression du groupe. Etre
libre en refusant certains comportements à risques et ne plus respecter les
consignes.
De la discipline, on passe à une capacité des individus à se gouverner euxmêmes et à se libérer de l’emprise du groupe. De respect de normes ou
respect collectif, on passe a l’affirmation de soi : c’est au contraire, une
figure positive du rebelle = celui qui arrête de fumer qui refuse de prendre
de l’alcool. Donc un renversement complet.
Selon M. Foucault : ce nouveau modèle marque un tournant dans la façon
dont la politique est pensée, pas seulement un assujettissement, mais
repose sur la subjectivation : la constitution d’individus s’affirmant en tant
qu’individus s’appropriant des normes comme étant les leurs.
Ex concret : lutte anti alcoolique repensée dès 70 : tourner le dos au ton
professoral et culpabilisant des années 60 : recours à l’humour, les
individus sont alors porteurs de savoir, ils ont des connaissances sur des
produits. Mise en place de dictons populaires sur la consommation
d’alcool en 1984 : « 1 verre ça va, 3 verres, bonjour les dégâts », consigne
donnée par un perroquet.
Années 50 – 60 : stigmatisation et responsabilité par rapport à sa famille :
« bois moins, pense à tes enfants ».
3) Nouvelle définition de la santé : conférence d’Alma Ata (1978) et
approches horizontales
Moment clé à l’échelle internationale : conférence dans une ville du
Kazakhstan (Alma Ata), où se réunissent une série de délégués du monde
entier et de l’OMS.
Débats portent sur l’insatisfaction 18 ans après le tournant des
indépendances : des pays pauvres quant aux systèmes de soins,
infrastructures rudimentaires : l’action de santé publique guidée par l’OMS
ou les Etats du Nord restent limitées à des grandes actions de masse
comme l’éradication de la variole.
Critique par les porte-paroles, des programmes verticaux, mettant en
opposition des populations et les institutions médicales, cette opposition
tournant aux conflits ouverts n’est pas bonne pour la santé publique.
Expériences de santé publique dans le monde dans les pays du bloc de
l’Ouest : Cuba, Tanzanie, Chine populaire issue de la révolution
culturelle : dès 1966, elle met en place un système des médecins aux pieds
nus, base l’action de santé publique non pas sur des masses, mais sur une
action quotidienne, réseaux de dispensaires implantés dans chaque
village, et les professionnels de santé basent leurs actions sur une action
symbiotique avec les populations, et les communautés au sein desquels ils
travaillent.
C’est un succès, espérance de vie passe de 47 en 1960, à 67 en 1980 : cette
conférence sert de référence, la mortalité infantile rejoint les standards
occidentaux à cette époque.
Critique des programmes verticaux autoritaires provoquant des conflits,
coûteux et technocratiques, sélectifs. Ex : éradication de la variole ne
s’intéresse qu’à une seule maladie, fondée sur une définition de la santé
restrictive (= absence de maladie).
Appelle de déplacer l’effort des gouvernements et des organisations
internationales vers les soins de santé primaire : soins essentiels, comme
ceux de la mère et de l’enfant, garantissant une égalité entre les individus
et les pays.
Elle demande que la définition de ce qui doit être prioritaire dans cette
action implique les communautés elles mêmes et pas des décideurs haut
placés dans les organisations internationales (approches communautaire et
horizontale de la santé publique) : professionnels de santé sont des
interlocuteurs au même niveau que les populations.
Correspondance entre ce qui se passe dans le domaine précis des actions
sanitaires et ce qui se passe à Ata dans le domaine de la santé publique.
Refus d’une modèle hiérarchique et d’une toute puissance des savoirs
médicaux.
Optimisme règne dans les années 1970 : surtout une annonce faite à
plusieurs reprises, en 1975, annonce de l’objectif de l’OMS : la santé pour
tous en l’an 2000.
Démesurément optimiste, mais ce qu’il y a d’ironique, c’est que cette
annonce se fait au moment où se fait connaître le principal facteur d’échec
de cette annonce, à savoir l’épidémie du VIH-Sida, principale épidémie
régnant dans le Sud.
III. L’éducation du patient et les redéfinitions contemporaines de la
relation soignant soigné (années 1980-1990)
1) Le VIH-Sida et la réinvention de la prévention : réduction des risques et
patients-experts.
VIH-Sida : épidémie qui prolonge les changements amorcés dans les
années 70, et confirme les changements du regard du corps médical sur
les patients.
Figure du patient doué de compétences, et expert de sa propre santé, et
qui fait partie d’un environnement social, économique et politique, marqué
par l’inégalité, et qui doit être pris en compte dans la santé publique.
Sida apparait dès 1981, premiers cas diagnostiqués aux EU : maladie très
grave, et se répandant rapidement, on découvre en 1983 qu’elle est
provoquée par un virus, confirme qu’on s’est trompé en annonçant la fin
des maladies infectieuses (21ème siècle marqué davantage).
Réactivation (due à la peur de la maladie) d’un retour à des réponses
verticales à la maladie (ex : lutte contre le SIDA en 1980), et par une
stigmatisation, un fait de la presse, et des spécialistes de la maladie ellemême.
Ex : façon dont la maladie est définie par la notion de groupes à risques
(4H) : Homosexuels, Haïtiens, Hémophiles, Héroïnomanes : groupes
désignés ET stigmatisés. Un exemple populaire : cancer lié.
Parfois une criminalisation, expulsion, interdiction de l’entrée des malades
du SIDA vers 1980.
Situation vraie vers 1980 mais change grâce aux malades et aux
associations de malades.
Définition autour de comportements à risque : pas l’identité homosexuelle
pathologique en tant que tel, mais certaines pratiques d’exposition aux
risques de contamination. Pratiques comprises et changées pour être
moins contaminantes dans des stratégies de transmissions sexuelle
(stratégies de save-sexe, promotion de pratiques non contaminantes : ex
usage du préservatif).
Notion de réduction des risques : petite révolution dans le domaine de la
prévention. Notion encore plus nette dans le cas de la transmission du VIH
lors de l’usage d’une seringue contaminée.
Conditions initiales des pouvoirs publics et médicaux dans l’apparition du
SIDA chez les consommateurs de drogues injectables : réactions de
stigmatisation, de criminalisation avec l’idée que le toxicomane,
délinquant, est en plus un danger pour l’ensemble de la société (au début
de l’épidémie : résurgence de ces vieilles notions de « réservoirs à virus »,
de criminalité associée à la maladie).
Situation change dès le début des années 90 au moment où on importe
des méthodes des pays plus libéraux que la France, en ce qui concerne
l’injection de drogues : comme la Hollande, et les pays pragmatiques sur la
consommation de drogues comme la Suisse.
Programmes de mise à disposition de seringues, de matériel d’injection
et de lieu pour utiliser les drogues, et de médicaments de substitutions
comme le Suditex ou la Métadol.
Utilisées en Hollande et en Suisse en 1990, apportées en France en 1994 :
idée que donner des seringues stériles et/ou médicaments de
substitution permet la diminution de contaminations par le VIH, et
risques liés à l’inégalité, car cet usage sort de la clandestinité. Cela permet
aussi une autre relation avec les soignants (moins marquée par la suspicion
mutuelle)
Au final, cette approche facilite l’accès aux soins des usagers de drogues
et facilite la prévention, donc un changement radical du comportement
des médecins face à la toxicomanie : c’est l’idée de sortir de la promotion
de l’abstinence et du sevrage, pour s’en tenir à une information face aux
risques et une mise à disposition de moyens pour réduire les risques.
Donc un renoncement de la guérison de la part des médecins pour limiter
les dommages liés à l’usage de drogues, renoncement qui
paradoxalement facilite la guérison car il va faciliter la relation entre le
médecin et l’usager de drogues.
Approche de cette nouvelle efficacité en termes de réduction des risques
mise en place en 1994 : décès par surdose d’héroïne (de 500 à 10 par an)
Nouveaux cas de Sida chez les usagers de drogues (divisé par 10 après
cette mise à disposition) : avec de nouvelles méthodes d’éducation à
travers des usagers de drogues ayant des savoirs quant à leurs produits
(donc une coproduction des consignes de prévention).
Ex de prévention à destination des usagers de drogue, et coproduit par les
usagers eux-mêmes, vise à donner des solutions de diminution de risques.
2) Le problème de l’observance (synonyme : compliance) et l’apport des
approches communautaires : l’exemple des traitements antirétroviraux
dans les pays du Sud
Cette notion intervient sur l’accès des pays du Sud (Afrique surtout) au
traitement VIH. Traitement tardif : alors qu’en Europe, cela a commencé à
partir de milieu des années 90, en Afrique, c’est vers 2000-2002 ; retard
considérable.
Car les médicaments étaient chers jusqu’en 2000, pour les gouvernements
africains.
De plus : les experts en santé publique, n’ont pas soutenu pour la plupart,
d’un accès au traitement en Afrique avant 2000, donc très réservés.
Raisonnement : mieux valait faire de la prévention et de l’éducation que
donner des traitements car moins cher et on n’était pas sûr que les africains
soient capables de prendre des médicaments 3 fois par jour (plusieurs
comprimés), politique délibérée, justifiée par l’idée d’une mauvaise
observance en Afrique. Idée reprise par un membre d’un congrès
Américain.
Hypothèse culturelle, idée que du fait de la croyance surnaturelle
incompatible avec la vision médicale de la maladie, ils ne peuvent pas
respecter les recommandations pour la prise de traitement.
Hypothèse socio économique : expérience d’un médecin célèbre,
professeur au Collège de France, l’américain Paul Farmer : se réduit aux
difficultés économiques des patients pour être en mesure de prendre
régulièrement un traitement.
Expérience grandeur nature pour tester cette hypothèse socioéconomique : il s’est installé dans une région rurale en Haïti où il a traité
dans un centre de santé plus de 2000 personnes infectées par le VIH. Idée
de viser une approche communautaire basée sur un nouvel acteur de
santé (accompagnateur de santé), choisi par le malade lui-même, salarié
par le projet de Paul Farmer pour suivre le malade dans sa démarche de
soins, et une relation personnelle avec le malade. Augmentations de
salaires des infirmiers pour ne pas qu’ils restent à Paris, ni ne partent aux
Etats Unis.
Propose de payer le taxi aux malades devant prendre leur traitement :
mais n’a pas tenté de faire de grands programmes d’éducation avec
affiches, mais approche socio-économiques. Résultats, taux
d’observances meilleurs. Il a montré la faisabilité de la mise sous
traitement dans un contexte de pauvreté.
Ce principe est retenu jusqu’aujourd’hui avec des groupes de pairs
accompagnés par leurs proches.
Proposer des traitements à une population, renforce la possibilité de faire
une prévention, et traitement et prévention ne s’opposent pas comme on
le pensait dans les années 90.
Médecins confrontés a un dilemme dans les années 90 : séropositivité
difficile à annoncer surtout si pas de traitement à annoncer, alors méfiance
et incrédulité des nations. Donc traitement change la vie des patients : le
statut de la maladie change.
Texte 6 du poly. Notion d’observance induit en erreur les gens
s’intéressant à la santé publique, car elle réduit la question d’une bonne
prise de médicaments à la simple exécution de consignes entravées par des
obstacles culturels (consignes doivent être observées, sinon, il n’a pas été
assez éduqué).
Il montre qu’une mauvaise observance est due, non pas à une mauvaise
culture ou à un déficit d’informations, mais à une situation sociale et
politique : et en agissant la dessus, on peut changer les choses en santé
publique : le refus de l’observance comme précepte pertinent, car vision
partielle de la relation entre médecin et patients.
3) Les maladies chroniques et l’éducation du malade.
SIDA maladie chronique, s’étale sur une durée longue, contact entre le
malade et le corps médical est répété sur des années. Change la façon de
penser de l’éducation des patients. Modèle d’une action ponctuelle n’est
pas suffisant, texte d’Anne Marie Moulin.
Ex du diabète insulinodépendant, nécessite chez un patient une
surveillance du taux de glucose dans le sang et des injections fréquentes
d’insuline. Avec une surveillance plus générale de son état de santé.
Patient doit acquérir des compétences, et peut redéfinir son identité
autour de la maladie, car maladie chronique fait partie de l’identité du
malade (côté positif comme négatif).On retrouve un phénomène de
subjectivation.
On comprend comment le transfert de connaissances n’est pas à sens
unique, mais le retour des patients vers les médecins est extrêmement
important dans le suivi de la maladie. Le patient peut détecter des
problèmes, beaucoup mieux qu’un clinicien grâce à ses sensations et à la
connaissance de son corps, c’est une sentinelle de sa propre santé ou un
partenaire de l’expert de santé (ex myopathie, mucoviscidose).
C’est l’idée d’un patient expert, il peut participer à l’élaboration des
recherches scientifiques et à l’identification des priorités de recherche. Le
rôle des associations des malades du Sida dans l’élaboration des
recherches et dans la conduite des essais cliniques a été très important.
On est très loin de l’image du sujet de l’éducation sanitaire du début du
siècle d’un patient ignorant et passif. Ici un patient actif, doué de
connaissances et pouvant participer à l’élaboration des savoirs médicaux.
Conclusion :
Il ne faut pas considérer la maladie uniquement sur le plan de son histoire
naturelle, mais c’est le produit et le révélateur de facteurs sociaux,
économiques et politiques.
Une des grandes failles de la médecine scientifique, est d’avoir tendance à
rendre obscurs ces déterminants sociaux des maladies, en se focalisant
sur la recherche des causes moléculaires de la maladie : on a tendance à
oublier que ces maladies étaient le produit des déterminants sociaux
Penser une prévention et une compagne d’éducation, ne nécessite pas
seulement d’avoir du bon médicament et une bonne technique
d’éducation : mais aussi une prise en compte globale du patient dans son
environnement, voire une action politique sur cet environnement. Ex :
texte n°2 : déclaration d’Ottawa par l’OMS.
Série de réserves, pas qu’un fil de progrès (limite du paradigme du
gouvernement de soi) : l’idée d’une responsabilisation du patient, ne suffit
pas car pour être responsable de soi il faut littéralement en avoir les
moyens (financiers, dus à son éducation scolaire).
Pour être le bon patient d’aujourd’hui, il y a toute une série de conditions
sociales, il ne faut pas oublier qu’elle va souvent avec un retrait relatif des
pouvoirs publics de santé publique, cette responsabilité du patient
s’accommodant d’une politique de réductions de coûts.
Ce recours à la contrainte, à la pédagogie de la peur ou de la
stigmatisation, n’a pas été abandonné en santé publique, technique de la
contrainte par la loi (ex : interdiction de fumer).
Paradigme
Objectifs
Epoque
Appellation Institutionnelle
Citoyenneté Sanitaire
Prévention (surtout dans le cas des maladies
infectieuses); adoption d'une mode de vie
« sain » et « conforme »
Fin 19e – 1970
Techniques Pédagogiques
Education sanitaire; propagande sanitaire
Transmission d’information
Devoirs de l’individu vis à vis de la société
Peur, stigmatisation, instruction
Statut du Patient
Ignorant, limité par sa « culture »
Statut des Savoirs
Biomédicaux
Modèle d’action de santé
publique
Omnipotents
Principales limites
Inefficacité de moralisation
Entorses aux droits individuels
Principe
Programmes verticaux d’éradication
(exemple de la variole)
Gouvernement de soi
Prévention
Observances des thérapeutiques
Réduction des dommages
Depuis 1970
Education pour la santé ; santé
communautaire ; éducation du patient
Appropriation des normes par l’individu
Appel à l’affirmation de soi et à la liberté
individuelle
Doué de compétences, contraint par son
environnement socio-économique
Coproduits avec les usagers
Programmes horizontaux ou
« communautaires » (exemple distribution
d’antirétroviraux contre le VIH en Afrique)
L’autonomie des patients peut être un
prétexte à la réduction des efforts de santé
publique ; la notion d’observance néglige le
contexte social
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