industriAll 27/2013 Pour une gouvernance économique démocratique et socialement responsable, liste de contrôle pour les syndicats1 (Document adopté par la 3ème réunion du Comité exécutif d’industriAll Europe Luxembourg, les 26 et 27 novembre 2013) Pour industriAll Europe, le soutien continu du processus d’intégration européenne repose sur le fait que l’Union européenne est plus qu’un simple projet de marché unique et de zone de libre-échange. IndustriAll Europe va se battre pour une Europe qui incarne à nouveau le progrès démocratique, économique et social. Au sein de l’UE, les États membres doivent veiller à se développer ensemble, non à rivaliser les uns avec les autres. Les conséquences dramatiques, pour toutes les nations, des approches suivies par la Troïka et la plupart des gouvernements en Europe sont incompatibles avec les besoins des personnes et mènent à une détérioration des conditions de vie et de travail des travailleurs dans nos industries. Les syndicats réclament une gouvernance économique démocratique et socialement responsable au sein de l’UE, qui vise à améliorer les conditions de vie et de travail de tous, à commencer par les travailleurs faiblement rémunérés, que ce soit au Luxembourg ou en Bulgarie, en Allemagne ou en Grèce. En conséquence, le principal but de la gouvernance économique européenne doit être d’exercer des pressions constantes pour une hausse des revenus et l'amélioration des conditions de travail et d'emploi, sans interférer dans les régimes nationaux de sécurité sociale, de fixation des salaires et de négociation collective, mais au contraire en les soutenant. Par contre, l’approche actuelle en matière de gouvernance économique vise uniquement à renforcer la compétitivité (ne pas tenir compte de la correction)internationale et à corriger les déséquilibres économiques en étant moins exigeant concernant les normes sociales et les conditions de vie et de travail, particulièrement dans les pays dits « moins performants ». Les syndicats et les négociations collectives sont la cible d’attaques soutenues, comme s’ils étaient responsables de la crise et du dysfonctionnement de l’Union économique et monétaire. Une telle politique est intolérable et insoutenable. C’est une atteinte aux droits des travailleurs et des syndicats qui risque d’entraîner les travailleurs et leurs familles dans la spirale du dumping social et de la pauvreté. Les parlements se retrouvent même privés de leur droit de représentation car il en résulte un transfert de pouvoirs vers la Commission 1 Basé sur la résolution d’UNI Europa adoptée à la réunion du Comité exécutif à Bruxelles, les 29 & 30 mai 2013 International Trade Union House (ITUH) - Boulevard du Roi Albert II 5 (bte 10) - B-1210 Brussels Tel: +32 (0)2/226 00 50 [email protected] www.industriall-europe.eu 1 européenne, les gouvernements nationaux et la Banque centrale européenne, sans un mécanisme de contrôle et d’équilibrage. En outre, cette politique contrevient manifestement aux dispositions énoncées dans le traité sur l’Union européenne (Titre I – Généralités), puisque ce dernier stipule clairement que le principal but de l’UE et, donc, de la gouvernance économique européenne, est d’améliorer les conditions de vie et de travail en favorisant le plein emploi et le progrès social. IndustriAll Europe appelle les institutions européennes et les États membres de l’UE à réviser de toute urgence le cadre actuel de gouvernance économique : Un changement des priorités clés est nécessaire afin d’arriver à rééquilibrer la dimension économique et sociale de l’UE. La concurrence sur les coûts doit être abandonnée et l’accent mis sur la qualité, la recherche et le développement, la formation et l’éducation et sur la productivité plus élevée d’une main d’œuvre hautement qualifiée. L’adhésion à ce principe doit être considérée comme une condition préalable à une croissance durable et garantit la création d’emplois sûrs ainsi que des investissements dans une main-d’œuvre qualifiée. En particulier, industriAll Europe insiste sur son opposition aux propositions actuellement avancées d’arrangements contractuels contraignants entre la Commission européenne et les États membres. De tels accords sont non seulement de nature antidémocratique, mais ils constituent également un moyen d’asseoir une politique d’austérité inefficace. Les institutions européennes et les gouvernements de l’UE doivent mettre un terme à la dérive d’une gouvernance économique antidémocratique et socialement irresponsable ! Les décideurs doivent trouver des solutions novatrices qui permettent de surmonter l’échec du paradigme néolibéral. Pour une gouvernance économique démocratique et socialement responsable Nous contestons vigoureusement une approche de la gouvernance économique européenne qui complète des politiques néolibérales par des mesures « placebo » hypocrites concernant les questions sociales et les conditions de travail. L’objectif de la gouvernance économique doit être la croissance durable et le plein emploi avec des emplois de qualité, des rémunérations, des conditions de travail et de vie décentes pour tous. Les mesures d’austérité vont à l’encontre de cet engagement en faveur du progrès social, d’où la nécessité d’y mettre fin. Pour industriAll Europe et ses affiliés, qui représentent 7 millions de travailleurs, les douze points suivants donnent les bases d’un cadre de gouvernance économique démocratique et socialement responsable qui permette d’atteindre l’objectif fondamental de l’UE en matière de progrès social et économique. Une politique économique au service de la société 1. Corriger les déséquilibres de manière socialement durable La gouvernance économique doit permettre de corriger, réduire et prévenir les déséquilibres économiques entre les États membres et dans le monde. Les pays affichant un déficit commercial et les pays excédentaires doivent apporter une contribution International Trade Union House (ITUH) - Boulevard du Roi Albert II 5 (bte 10) - B-1210 Brussels Tel: +32 (0)2/226 00 50 [email protected] www.industriall-europe.eu 2 équitable, les seconds en particulier, en stimulant la consommation privée et publique ainsi que les importations. Au lieu de mesures d’austérité unilatérales et excessives, nous devons donner un élan à la croissance et à l’emploi en Europe. Nous avons besoin d’une politique industrielle qui encourage une économie sociale et durable axée sur l’environnement, crée une industrie compétitive dans les pays en crise, renforce la demande intérieure dans les pays européens et accélère les investissements publics. 2. Stimuler la demande intérieure Il faut encourager une demande intérieure forte dans toute l’Europe. C’est la condition requise pour assurer une économie durable, répondre aux besoins futurs des travailleurs et maintenir le modèle social européen. 3. Encourager l’investissement Nous avons besoin d’un nouveau climat d’investissement en Europe. Les investisseurs publics doivent retrouver confiance en l’économie européenne et l’industrie européenne doit réinvestir. Les investissements publics sont un domaine clé nécessitant d’être relancé. Il faut un programme complet et dynamique de relance et d’investissement axé sur la croissance, l’emploi et les emplois décents, d’une valeur pouvant atteindre jusqu’à 2 % du PIB de l’UE. II devrait bénéficier en priorité aux groupes les plus touchés par la crise, le chômage et les mauvaises conditions de travail - les jeunes, les femmes, les personnes handicapées et les immigrants - et également porter sur un mélange de mesures institutionnelles, des investissements publics directs (dans le transport, l’éducation, la recherche et le développement, etc.) et des mesures visant à renforcer la base industrielle et la consommation. Le « plan de la CES pour l’investissement, la croissance durable et des emplois de qualité » 2 constitue un précieux modèle pour un tel projet. 4. Assainir et consolider les finances publiques La situation fiscale et budgétaire des pays doit être consolidée. Pour ce faire, il importe de veiller à ce que les recettes publiques soient suffisantes, particulièrement en élargissant l’assiette fiscale pour couvrir tous les revenus et actifs possibles de manière équitable. 5. Mettre fin à la concurrence fiscale Il est nécessaire d’avoir un cadre juridique permettant, en particulier par des pratiques transfrontalières de planification fiscale agressive, de mettre fin à une concurrence fiscale excessive et de lutter contre la fraude et l'évasion fiscales, incluant l’imposition sur le capital, les transactions financières et l’abolition des paradis fiscaux. Il faut harmoniser l’assiette fiscale et les taux minimums d’imposition pour les sociétés. Responsabilité sociale 6. Protéger les droits sociaux Les droits sociaux fondamentaux des travailleurs et des syndicats ne doivent pas être légalement subordonnés aux libertés du marché intérieur, au droit de la concurrence ni 2 Adopté lors de la réunion du Comité exécutif de la CES, le 7 novembre 2013 International Trade Union House (ITUH) - Boulevard du Roi Albert II 5 (bte 10) - B-1210 Brussels Tel: +32 (0)2/226 00 50 [email protected] www.industriall-europe.eu 3 aux mesures d’austérité – ni par la loi ni au nom de la conditionnalité de l’aide financière de l’UE. La diversité des régimes nationaux de relations industrielles doit être respectée. 7. Mettre fin aux attaques à l’encontre des travailleurs et des syndicats Le droit européen doit prévoir des garanties ayant force exécutoire permettant d’éliminer les politiques et initiatives européennes à l’encontre des États membres – y compris les Recommandations par pays – qui : favorisent une concurrence à la baisse sur les salaires, les conditions de travail, les dépenses sociales, les normes de sécurité sociale, la fiscalité et l’environnement; portent atteinte aux droits des travailleurs et des syndicats; empiètent sur l’autonomie des partenaires sociaux et interfèrent dans les négociations collectives. Cela vaut également pour les arrangements extralégaux comme la « Troïka » composée de l’UE, de la BCE et du FMI, les interventions politiques des institutions européennes ou les « arrangements contractuels » proposés. 8. Établir un cadre juridique exécutoire pour la protection des droits des partenaires sociaux L’UE, et la Commission en particulier, doit avoir l’obligation légale de promouvoir et de protéger activement les emplois et des conditions de travail décents, les droits des travailleurs et des syndicats, ainsi que les négociations collectives et le dialogue social à tous les niveaux. L’égalité de traitement doit être la règle pour tous les travailleurs. 9. Lutter contre le dumping social Il faut mettre un terme au dumping social transfrontalier au moyen d’un cadre juridique européen qui soit exécutoire, qui s’applique en particulier aux entreprises utilisant les libertés du marché intérieur pour exploiter les travailleurs et pénaliser des les employeurs qui ne respectent pas les lois. 10. Définir des indicateurs sociaux Le processus de gouvernance économique doit inclure la définition et le respect d’indicateurs sociaux structurels, ainsi qu’une évaluation comparative des politiques actives du marché du travail. La prise de décisions socialement responsables suppose que l’évaluation des politiques se fasse en fonction non plus seulement d’indicateurs économiques mais également d’indicateurs sociaux ayant le même poids. Responsabilisation démocratique 11. Intégrer le dialogue social dans la gouvernance économique IndustriAll Europe rejette toute ingérence dans l’autonomie des partenaires sociaux pour ce qui est des négociations collectives et de la fixation des salaires ainsi que toute ingérence dans les systèmes de négociations collectives. Les syndicats doivent contribuer à la gouvernance économique à tous les niveaux d’une façon obligatoire et globale. Cela concerne en particulier les processus décisionnels relatifs à la conception du cadre de la gouvernance économique européenne et au contenu des Recommandations par pays. Cela suppose les obligations explicites suivantes : International Trade Union House (ITUH) - Boulevard du Roi Albert II 5 (bte 10) - B-1210 Brussels Tel: +32 (0)2/226 00 50 [email protected] www.industriall-europe.eu 4 que les gouvernements nationaux et les partenaires sociaux rendent compte de l’évolution de la situation sociale, du dialogue social et des relations industrielles, ainsi que des infractions aux normes du travail ; que les Recommandations par pays soient négociées avec les partenaires sociaux au niveau national, lorsqu’ils le souhaitent. Jusqu’à présent, ces Recommandations par pays étaient également utilisées comme instrument pour intervenir dans les systèmes de négociations collectives et pour couper les normes sociales. IndustriAll Europe participera à un dialogue social dans le cadre de la gouvernance économique à la seule condition que les Recommandations par pays ne servent pas d’instruments pour couper les salaires, les conditions de travail et les normes sociales. Agir uniquement au sein du cadre institutionnel de la gouvernance économique limite l’action syndicale. Les syndicats doivent en plus agir politiquement pour défendre les droits des travailleurs. 12. Réaffirmer les droits des parlements La gouvernance économique européenne a des répercussions profondes sur les politiques des États membres de l'UE, et en fait sur la vie des citoyens et des travailleurs. Le processus décisionnel doit être démocratique. Cela suppose la pleine participation du Parlement européen et des parlements nationaux, en particulier lorsque les recommandations et les actions de l’UE à l’intention des États membres sont assorties de sanctions. Un processus décisionnel réservé à la Commission et aux gouvernements nationaux manque de légitimité démocratique; c’est particulièrement vrai du concept actuellement à l’étude des « accords contractuels » entre la Commission et un État membre. Le remaniement du cadre de gouvernance économique doit être complété par l’adoption d’une politique européenne proactive de lutte contre la crise actuelle et par la modification du traité de l’UE en vue d’y mettre la dimension sociale sur un pied d’égalité avec la dimension économique. Le « contrat social pour l’Europe » adopté par la CES fournit l’assise générale sur laquelle fonder une Europe véritablement sociale. International Trade Union House (ITUH) - Boulevard du Roi Albert II 5 (bte 10) - B-1210 Brussels Tel: +32 (0)2/226 00 50 [email protected] www.industriall-europe.eu 5 Gouvernance économique européenne et Négociations collectives & Politique sociale Organiser l’implication des syndicats au niveau national et européen Le nouveau cadre de gouvernance économique européenne, et notamment l’introduction du Semestre européen, impacte durement l’autonomie des partenaires sociaux dans le processus de négociations mais aussi l’intégrité et la structure de base des systèmes de négociations collectives au niveau national et sectoriel. Les appels à décentraliser et/ou flexibiliser le processus de négociations voire même à mettre en œuvre des mesures régressives résultent régulièrement du processus du Semestre. Le document d’industriAll Europe « Pour une gouvernance économique démocratique et socialement responsable » préconise une implication forte des partenaires sociaux à toutes les étapes et à tous les niveaux du processus du Semestre pour assurer que les résultats de la gouvernance économique européenne soient socialement équilibrés. Toutefois, étant donné l’absence de cadre européen cohérent pour l’implication des partenaires sociaux, les syndicats doivent faire entendre leurs revendications en utilisant divers canaux – souvent même informels – qui diffèrent d’un Etat membre à l’autre. Dans sa déclaration du 31 janvier 2013, le Comité « Politique de négociations collectives et politique sociale » a déjà affirmé très clairement qu’il n’accepterait aucune ingérence de l’UE dans les régimes et résultats nationaux de négociations collectives. Lors de ses dernières réunions, le Comité a également largement discuté des effets des politiques du Semestre et des Recommandations par pays. La CES, pour sa part, a commencé une cartographie du processus de Recommandations par pays et de la manière d’impliquer les confédérations nationales, les syndicats et les fédérations syndicales européennes (FSE) dans une stratégie de coordination commune. Elle a développé une boîte à outils spécifique dans ce but (voir annexe). IndustriAll Europe a expérimenté cette boîte à outils en juin dernier lorsque les Recommandations par pays ont été publiées. Le double flux d’informations (de la CES aux confédérations nationales et de la CES aux syndicats nationaux via les FSE) a été évalué très positivement. Mais nous avons également besoin d’un retour du niveau national quant aux Recommandations par pays. International Trade Union House (ITUH) - Boulevard du Roi Albert II 5 (bte 10) - B-1210 Brussels Tel: +32 (0)2/226 00 50 [email protected] www.industriall-europe.eu 6 En conséquent, nous proposons : 1. Que le Comité « Politique de négociations collectives et politique sociale » continue de suivre le processus du Semestre européen et les Recommandations par pays et que les organisations affiliées nous fassent part de leurs commentaires sur ce qu’il s’est passé spécifiquement dans leurs pays. 2. Qu’industriAll Europe coordonne les résultats de ce processus avec les autres FSE et la CES et que nous poursuivions le débat sur une stratégie syndicale commune pour influencer le processus du Semestre. 3. Que nous utilisions les boîtes à outils de la CES en annexe (particulièrement les boîtes à outils 1, 2 et 3) comme base et modèle applicable pour coordonner notre stratégie syndicale. Clé: AGS: Annual Growth Survey (Examen annuel de la croissance annuelle - il présente les priorités de la Commission pour le Semestre AMR: Alert Mechanism Report (Rapport sur le mécanisme d’alerte - il identifie les pays avec des déséquilibres macroéconomiques qui sont alors analysés et étroitement surveillés) International Trade Union House (ITUH) - Boulevard du Roi Albert II 5 (bte 10) - B-1210 Brussels Tel: +32 (0)2/226 00 50 [email protected] www.industriall-europe.eu 7 CSR: Country Specific Recommendations (Recommandations par pays - elles traduisent en politique nationale les priorités au niveau de l’UE) NRP: National Reform Programme (Programme national de réforme – il présente les mesures de politique économique prévues par les Etats membres) International Trade Union House (ITUH) - Boulevard du Roi Albert II 5 (bte 10) - B-1210 Brussels Tel: +32 (0)2/226 00 50 [email protected] www.industriall-europe.eu 8