C L I N I Q U E I C A A C 2 0 0 1 Quoi de neuf sur les endocardites ? INFECTIONS SUR SONDES DE PACEMAKER La prise en charge des suspicions d’infections de sondes de pacemaker (PM) ne fait actuellement pas l’objet d’un consensus. Faut-il considérer que toute bactériémie répétée chez un patient porteur d’un PM impose le retrait de celui-ci ? Quelle est la valeur de l’échographie transœsophagienne (ETO) dans ce contexte ? C. Camus (Rennes, abstract L 1340) a présenté une étude prospective de 88 patients consécutifs suivis au CHU de Rennes entre 1991 et 2001, et chez qui une infection de sonde de PM était suspectée sur l’existence d’au moins deux hémocultures prélevées sur 24 heures positives au même germe, et/ou de signes cliniques d’infection liée au boîtier, et/ou de la présence détectée par ETO de végétations 5 mm sur une des sondes. Les infections sur sondes de PM étaient classées en certaines ou probables selon les critères de Dukes modifiés (Klug D et al. Circulation 1997 ; 95 : 2098-107). La stratégie de retrait était basée sur l’existence de signes cliniques d’infection liée au boîtier, ou la présence détectée par ETO de végétations 5 mm. Des 88 patients étudiés pendant les dix dernières années, 69 ont nécessité une ablation du PM selon la stratégie proposée : 50 ayant une endocardite sur PM certaine avant l’ablation selon les critères de Dukes modifiés, 15 ayant une infection confirmée après l’ablation du PM et la mise en culture du matériel et 4 ayant une endocardite sur PM “possible”. Des 19 patients pour lesquels il n’y avait pas de nécessité de retirer le PM selon la stratégie proposée (pas d’infection clinique liée au boîtier et pas de végétations observées par ETO sur les sondes), 2 ont été exclus de l’analyse en raison d’un non-respect de la stratégie proposée (ablation du PM malgré l’absence d’indication). L’analyse de ces infections montre la prépondérance de staphylocoques à coagulase négative (45 %), l’absence de porte d’entrée dans deux tiers des cas et la rareté de l’atteinte valvulaire, puisqu’elle n’a été observée que dans 18 % des cas. L’évolution a été émaillée de deux décès directement attribués à l’infection des sondes de PM et de deux rechutes de l’infection (une endocardite et une infection sur prothèse de hanche). Aucune complication de l’infection (et notamment aucune rechute) n’a été signalée chez les 17 patients pour lesquels le PM avait été maintenu en place selon la stratégie proposée. Le suivi à long terme a montré une courbe de survie dont la décroissance était progressive, correspondant aux courbes de KaplanMeier classiques chez des sujets relativement âgés (âge moyen : 69 ans), avec des facteurs de comorbidité souvent multiples, notamment cardiovasculaires. Les causes de décès étaient sans rapport avec l’infection pour les trois quarts des patients (tableau VIII). 62 Tableau VIII. Infections des sondes de pacemaker (PM) : cause(s) du décès chez 23 patients. Cause Nombre de patients (%) Infection du PM (Candida glabrata, Enterococcus faecalis, ETO +, ablation) Cardiovasculaire – insuffisance cardiaque – embolie pulmonaire – bloc auriculo-ventriculaire – accident vasculaire cérébral Hémolyse et insuffisance rénale aiguë Cancer (+ pneumopathie d’inhalation) Autres 2 (9) 14 (61) 9 2 1 1 1 3 (13) 4 (17) ETO : échographie transœsophagienne. En analyse univariée, le seul facteur prédictif de décès est l’âge (p = 0,02). En analyse multivariée, on trouve, comme facteurs prédictifs de décès, l’âge avec un odds-ratio (OR) de 1,06 par année supplémentaire et un intervalle de confiance (IC95) entre 1,01 et 1,11, l’infection à staphylocoque coagulase négative avec un OR de 0,35 (IC95 : 0,13-0,92) et l’existence d’une végétation sur la valve tricuspide, avec un OR à 5,2 (IC95 : 1,46-18,52). Il s’agit là d’un travail prospectif dont l’intérêt est de proposer une stratégie de prise en charge des bactériémies chez les patients porteurs de PM, situation qui devient de plus en plus fréquente et pour laquelle il n’existe actuellement aucune recommandation consensuelle. La stratégie proposée (maintien des sondes en place si, et seulement si, il n’existe pas de signes cliniques d’infection liée au boîtier et pas de végétations observées par ETO sur les sondes) est validée par l’absence de rechute de l’infection chez les 17 patients n’ayant pas eu d’ablation du PM avec un recul médian de 24 mois vis-à-vis de l’épisode infectieux. Parmi les facteurs prédictifs de décès retrouvés de manière significative en analyse multivariée dans cette étude, le mauvais pronostic associé à la présence de végétations sur la valve tricuspide n’avait pas été décrit jusqu’ici. La poursuite de cette étude permettra probablement d’affiner ces premiers résultats. LES ENDOCARDITES EN FRANCE EN 1999 De plus en plus, les experts soulignent les différences spatiales et temporelles parfois troublantes en ce qui concerne l’épidémiologie des endocardites. B. Hoen et al. (Besançon, abstract L 1347) ont présenté une étude transversale effectuée dans plusieurs départements de l’Est et du Centre de la France, sur une population de 16 millions d’habitants (26 % de la population française), avec notification de tous les patients ayant été hospitalisés en 1999 pour une endocardite certaine selon les critères de Dukes. La Lettre de l’Infectiologue - Tome XVII - n° 3 - mars 2002 I C A A C C 2 0 0 1 Des 925 notifications reçues, 390 endocardites (277 hommes, 113 femmes) répondant à l’ensemble des critères d’inclusion ont été retenues. L’incidence annuelle moyenne était donc de 30 cas/million d’habitants pour l’ensemble de la population, mais elle variait substantiellement selon l’âge ou le sexe : 17 cas/an/million d’habitants chez la femme, 44 cas/an/million d’habitants chez l’homme et 145 cas/an/million d’habitants chez l’homme dans la tranche d’âge 70-80 ans. En ce qui concerne la classique cardiopathie sous-jacente (tableau IX), elle n’a pas été retrouvée dans presque la moitié des cas (47 %), ce qui est bien supérieur aux chiffres habituels. L’endocardite était aortique dans 39 % des cas, mitrale dans 29 % des cas, aortique et mitrale dans 14 % des cas et tricuspidienne dans 9 % des cas. Le micro-organisme en cause était un streptocoque dans 58 % des cas (dont 25 % du groupe D), un staphylocoque dans 29 % des cas (dont 23 % de Staphylococcus aureus). Le micro-organisme n’a pas été identifié dans 5 % des cas. Le tableau comparatif des caractéristiques des trois principaux groupes de micro-organismes impliqués fait apparaître des différences parfois inattendues (tableau X). Par exemple, les endocardites à S. aureus ont moins souvent nécessité le recours à la chirurgie cardiaque (32 % contre 54 % des Streptococcus bovis et 60 % des streptocoques oraux ; p = 0,0007), ce qui n’est pas très classique. Tableau IX. Endocardites en France en 1999. Étude épidémiologique : cardiopathies sous-jacentes. Cardiopathie sous-jacente docardites à S. bovis et à S. aureus, et un recours plus fréquent à la chirurgie lors de l’hospitalisation initiale, associé à une mortalité plus faible qu’en 1991. Ce travail confirme la nécessité de réaliser régulièrement des études épidémiologiques des endocardites sur le terrain. L’apparente variabilité de l’épidémiologie des endocardites selon le lieu ou le moment où on les observe ne permet pas d’extrapoler de manière fiable aux endocardites survenant dans d’autres contextes. LE PROJET ICE (INTERNATIONAL COLLABORATION ON ENDOCARDITIS) Une collaboration internationale active entre quelques grandes équipes expérimentées dans la prise en charge des endocardites est à l’origine du projet ICE. La phase I, rétrospective, dite Data Merger (fusion des données), a colligé plus de 3 000 endocardites à partir des bases de données de sept centres (dans cinq pays) en utilisant des définitions communes et un traitement informatique commun des dossiers. De ces données ont été issues plusieurs publications ou présentations dans des congrès, notamment en ce qui concerne l’épidémiologie des endocardites, variable en fonction de la structure initiale de prise en charge (tertiaire versus primaire), du pays ou de l’année d’étude. Nombre de patients (%) Valvulopathie sur valve native – Cœur gauche – Cœur droit – Cœur gauche + droit Valve prothétique Cardiopathie congénitale “Souffle cardiaque” Pas de cardiopathie sous-jacente connue La deuxième phase du projet ICE est prospective. Elle a débuté en juin 2000, dans 15 pays (29 sites au total dont trois en France) et a déjà inclus 550 cas d’endocardite certaine. Les images échographiques et les prélèvements à visée microbiologique sont centralisés au Duke Clinical Research Institute. 119 (31) 112 6 1 63 (16) 4 (1) 19 (5) 185 (47) Si on compare les résultats de cette étude à celle qui avait été réalisée huit ans plus tôt selon les mêmes principes et dans la même zone géographique (Delahaye F et al. Eur Heart J 1995 ; 16 : 394-401), on trouve, en 1999, comme principales différences, la plus grande fréquence des endocardites sans cardiopathie sous-jacente identifiée, la plus grande proportion d’enParamètre L I N I Q U E Streptococcus bovis (n = 90) Âge moyen (années) Sexe masculin (%) Antécédent d’endocardite (%) Cardiopathie sous-jacente (%) Valve prothétique (%) Embolie (%) Accident vasculaire cérébral (%) Traitement chirurgical (%) Mortalité (%) Les principaux objectifs de cette base de données prospectives sont : de mieux définir les populations concernées (en étudiant notamment les variations régionales) ; d’étudier les facteurs prédictifs des complications ; de permettre l’élaboration d’études prospectives de grande envergure, dans le but notamment d’évaluer des stratégies thérapeutiques (durée du traitement antibiotique, indications du traitement chirurgical…). Il s’agit là d’un projet ambitieux, qui trouve sa justification dans les difficultés importantes rencontrées dans le domaine des Streptocoques oraux (n = 68) Staphylococcus aureus (n = 90) 59 76 7 66 18 25 18 60 9 52 63 10 33 13 52 19 32 26 63 82 4 30 7 27 18 54 10 La Lettre de l’Infectiologue - Tome XVII - n° 3 - mars 2002 p 0,0001 0,01 0,30 0,0001 0,13 0,0002 0,97 0,0007 0,004 Tableau X. Endocardites en France en 1999. Étude épidémiologique : comparaison des trois principaux groupes de pathogènes. 63 C L I N I Q U E I C A A C endocardites pour disposer de recommandations thérapeutiques basées sur des évidences. En effet, la grande hétérogénéité de cette entité, sa relative rareté et sa variabilité dans le temps et dans l’espace font que de nombreuses inconnues persistent en ce qui concerne les recommandations thérapeutiques. BACTÉRIÉMIES À STAPHYLOCOCCUS AUREUS ET ENDOCARDITES Lors d’une bactériémie à S. aureus, il n’est pas toujours simple de s’assurer de l’absence d’endocardite sous-jacente, ce qui a pourtant des implications importantes en termes de durée de traitement et de surveillance de ces patients. F.Y. Chang (Pittsburgh, États-Unis, abstract L 1341) a présenté une étude prospective multicentrique portant sur 505 patients consécutifs hospitalisés et ayant présenté au moins une hémoculture positive à S. aureus. Les patients étaient suivis au moins 6 mois après la bactériémie (3 ans en cas d’endocardite). La définition des bactériémies persistantes était la présence “d’hémocultures positives au-delà de 72 heures de traitement antibiotique adapté” ; celle des endocardites se faisait selon les critères de Dukes. Au total, une endocardite a été observée chez 64 patients (13 %), ce diagnostic étant beaucoup plus fréquemment découvert dans le cadre de bactériémies communautaires que nosocomiales (21 % versus 5 %). Les facteurs significativement associés à la présence d’une endocardite étaient la race (“non blanche”), l’utilisation de drogues par voie intraveineuse, le caractère communautaire de la bactériémie, la durée de la fièvre, le caractère persistant de la bactériémie (tableau XI) et l’existence d’une cardiopathie sous-jacente (tableau XII). Le fait que la Facteur Endocardites (n = 64) Race (non blanche) Usager de drogues par voie intraveineuse (UDIV) Acquisition communautaire Durée de la fièvre en jours (médiane) Bactériémie persistante 49 27 67 5,3 (5) 27 Facteur Cardiopathie – sur valve native – sur prothèse – coronaropathie – antécédent d’endocardite Facteur Transplantation d’organe Bactériémie persistante S. aureus résistant à la méticilline (SARM) Bloc auriculo-ventriculaire 64 Oui Non Oui Non Oui Non Oui Non 2 0 0 1 porte d’entrée de la bactériémie reste indéterminée était significativement associé à l’existence d’une endocardite (50 % versus 27 % ; p = 0,001). À l’inverse, une porte d’entrée d’origine veineuse était significativement associée à l’absence d’endocardite (29 % versus 11 % ; p = 0,004). La comparaison des endocardites à S. aureus résistants à la méticilline (SARM) aux endocardites à S. aureus sensibles à la méticilline (SASM) montre dans le groupe SARM une plus grande fréquence d’insuffisance rénale (63 % versus 26 % ; p = 0,009) et de bactériémie persistante sous traitement (65 % versus 9 % ; p = 0,0001). Comme on pouvait s’y attendre, la mortalité est également plus élevée dans le groupe endocardite à SARM (50 % à 2 mois versus 23 % dans le groupe endocardite à SAMS). Les principaux autres facteurs associés à la mortalité précoce étaient l’existence d’un bloc auriculo-ventriculaire et la persistance d’une bactériémie à J3 après la mise en route du traitement antibiotique (tableau XIII). En conclusion, il s’agit d’une étude prospective à grande échelle, qui permet de mieux préciser la population des patients chez qui le diagnostic d’endocardite doit être plus fortement suspecté au cours d’un épisode de bactériémie à S. aureus : la race (“non blanche”), l’utilisation de drogues par voie intraveineuse, le caractère communautaire de la bactériémie, la durée de la fièvre, le caractère persistant de la bactériémie, l’existence d’une cardiopathie sous-jacente, l’absence de porte d’entrée évidente cliniquement. De plus, la valeur des hémocultures prélevées à 72 heures de la mise en route du traitement mérite d’être soulignée ; cette donnée est prédictive à la fois de l’existence d’une endocardite sous-jacente devant un tableau de bactériémie à S. aureus et de mortalité en cas d’endocardite. P.T. Pourcentage de patients Absence d’endocardite (n = 441) 35 7 37 3,9 (2) 9 p 0,027 0,0001 0,0001 0,017 0,0001 Endocardites (n = 64) Pourcentage de patients Absence d’endocardite (n = 441) 58 36 12 39 13 36 8 1 27 1 p 0,001 0,0001 0,0001 0,05 0,0001 Mortalité (%) p 100 28 59 21 50 23 100 29 0,03 0,004 Tableau XI. Étude prospective de 550 bactériémies à S. aureus : analyse des facteurs prédictifs de l’existence d’une endocardite sous-jacente (1). Tableau XII. Étude prospective de 550 bactériémies à S. aureus : analyse des facteurs prédictifs de l’existence de cardiopathies sousjacentes. Tableau XIII. Facteurs associés à la mortalité à 30 jours chez 64 patients avec endocardite à S. aureus. 0,03 0,002 La Lettre de l’Infectiologue - Tome XVII - n° 3 - mars 2002