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Médecine
& enfance
Mastoïdite aiguë
S. Ayari, service d’ORL, chirurgie cervicofaciale pédiatrique et d’audiophonologie, hôpital Femme-Mère-Enfant, hospices civils de Lyon
La mastoïdite aiguë (MA) est une complication sévère de l’otite moyenne aiguë.
Les germes pathogènes les plus fréquemment rencontrés sont les Streptococcus
pneumoniae, Streptococcus pyogenes et Staphylococcus aureus. Ces dernières
années, la généralisation de la vaccination antipneumococcique semble réduire
l’incidence des MA. Le diagnostic de MA est un diagnostic clinique.
Des complications extracrâniennes et intracrâniennes peuvent se produire,
parmi lesquelles l’abcès sous-périosté, qui est la plus fréquente. La tomodensitométrie de l’os temporal avec injection de produit de contraste reste importante
pour rechercher ces complications, surtout dans leur localisation intracrânienne.
Auparavant, la mastoïdectomie était considérée comme le traitement de
référence des MA, mais des données récentes suggèrent qu’une approche
conservatrice incluant un traitement antibiotique par voie intraveineuse, une
myringotomie et, si besoin, la ponction ou le drainage d’un abcès sous-périosté
peut être considérée. Le pronostic est généralement favorable.
armi les complications sévères
de l’otite moyenne aiguë (OMA),
la mastoïdite aiguë (MA) représente la complication la plus fréquente [1, 2] . Dans une étude regroupant
66 publications internationales, 0,24 %
des OMA se compliquent de MA [3]. Son
incidence varie de 3,5 à 4,2/100 000
habitants/an dans les pays où l’antibiothérapie est peu prescrite et de 1,2 à
2/100 000 habitants/an dans les pays
où les antibiotiques sont plus largement
prescrits [4]. La MA peut survenir à tout
âge, mais préférentiellement chez l’enfant de moins de deux ans, qui peut représenter dans certaines séries plus de
50 % des patients [5, 6]. Elle peut être
inaugurale, en l’absence de signes préalables d’OMA, ou survenir au cours de
l’évolution d’une OMA [1, 7, 8].
P
DÉFINITION
La MA est une infection suppurée des
cellules mastoïdiennes. Il s’agit d’une
complication de l’OMA favorisée par la
continuité de la muqueuse entre cavités
mastoïdiennes et caisse du tympan. Elle
demeure une complication rare, sa forme subaiguë étant plus fréquente.
bération de cytokines favorisant la décalcification et la résorption osseuse [9].
Des diffusions de l’infection par voie hématogène sont possibles.
PATHOGÉNIE
MICROBIOLOGIE
Il s’agit le plus souvent d’une propagation de l’infection à partir du mucopérioste de l’oreille moyenne vers le mucopérioste mastoïdien, avec accumulation de sécrétions dans la mastoïde et li-
L’agent pathogène le plus souvent identifié est le streptocoque, notamment le
Streptococcus pneumoniae (tableau) [5].
Néanmoins, l’introduction des vaccinations antipneumococciques (Prevenar 7®
Résultats bactériologiques [5]
Germes
Pourcentage
n (série de 188 patients)
첸 Streptococcus pneumoniae . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 51 . . . . . . . . . . . . . . . . 87 . . . . . . . . . . . . . . . . . .
첸 Streptococcus pyogenes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11,5 . . . . . . . . . . . . . . . 20 . . . . . . . . . . . . . . . . . .
첸 Anaérobies (Fusobacterium necrophorum) . . . . . . . 6,5 (5,8) . . . . . . . . . . . 11 (10) . . . . . . . . . . . . . .
첸 Bactéries à Gram–. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4 . . . . . . . . . . . . . . . . 7 . . . . . . . . . . . . . . . . . .
첸 Staphylococcus aureus . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3,5 . . . . . . . . . . . . . . . 6 . . . . . . . . . . . . . . . . . .
첸 Corynebacteria . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2,5 . . . . . . . . . . . . . . . 4 . . . . . . . . . . . . . . . . . .
첸 Turicella otitidis. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2,5 . . . . . . . . . . . . . . . 4 . . . . . . . . . . . . . . . . . .
첸 Streptocoque alpha hémolytique . . . . . . . . . . . . . . . 1,2 . . . . . . . . . . . . . . . 2 . . . . . . . . . . . . . . . . . .
첸 Streptococcus mitis . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 0,6 . . . . . . . . . . . . . . . 1 . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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puis Prevenar 13®) semble réduire le
taux d’infections invasives à pneumocoques, y compris otologiques, avec cependant la possibilité d’émergence de
souches non comprises dans le vaccin [9].
L’agent pathogène diffère aussi selon
que la MA se complique en exo- ou en
endocrânien, avec une plus grande fréquence du streptocoque dans les cas
d’abcès sous-périosté et une prédominance des infections polymicrobiennes
dans les complications endocrâniennes.
Enfin, une fréquence accrue de la résistance aux antibiotiques des bactéries pathogènes offre une explication supplémentaire aux changements observés
dans la fréquence de la MA [10].
Figure 1
Œdème rétro-auriculaire
Figure 2
Abcès endocrânien
DIAGNOSTIC
Les signes les plus fréquemment observés sont l’apparition, dans un contexte
infectieux, d’un aspect décollé du pavillon de l’oreille (90,8 %), d’érythème
rétro-auriculaire (88,9 %), mais également d’œdème et d’empâtement du
sillon rétro-auriculaire [10] . Dans les
formes franchement collectées, une
fluctuation peut être retrouvée dans la
région rétro-auriculaire (figure 1). Le délai moyen entre l’apparition des symptômes et le diagnostic de MA est de
3,47 jours [11]. L’examen otoscopique
montre un tympan infiltré et enflammé
avec, dans les formes les plus typiques,
un aspect postérieur en pis de vache.
En fonction de la localisation de l’extériorisation, l’œdème peut intéresser la
région temporozygomatique, latéropharyngée ou la pointe de la mastoïde,
avec dans cette dernière localisation,
l’apparition d’un torticolis (mastoïdite
de Bezold). Devant une telle présentation clinique, le diagnostic est posé.
L’examen doit être complété par un
examen neurologique à la recherche de
complications, en particulier méningées, par un bilan biologique (numération formule sanguine, protéine C réactive, hémoculture en cas de fièvre supérieure à 38,5 °C) et par la réalisation
d’une tomodensitométrie cérébrale et
du rocher avec injection de produit de
contraste. Cette tomodensitométrie est
Figure 3
Ponction d’un abcès rétro-auriculaire
indispensable pour rechercher des
complications endocrâniennes éventuellement associées à la MA. Elle permet dans le même temps de distinguer
les formes collectées avec présence
d’un abcès sous-périosté des formes
non collectées. Le diagnostic de l’abcès
sous-périosté peut être évident cliniquement ou fait à l’échographie.
Figure 4
Mastoïdectomie
tiges, les lésions ossiculaires, la paralysie faciale et la pétrosite. Les complications extratemporales sont divisées en
extracrâniennes (abcès rétro-auriculaire, abcès zygomatique et abcès de la
pointe de la mastoïde) et intracrâniennes (méningite, thrombose du sinus latéral, abcès endocrânien (figure 2)
et hydrocéphalie otique, retrouvés dans
2 à 10 % des cas [6, 10]).
COMPLICATIONS
TRAITEMENT
Les complications de la MA sont intrapétreuses et extratemporales. Les complications intrapétreuses regroupent la
perforation tympanique spontanée, la
labyrinthite, responsable d’une surdité
neurosensorielle secondaire et de verdécembre 2016
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Le traitement est médicochirurgical.
Une paracentèse avec prélèvement
bactériologique est réalisée, facilitée
par l’inhalation de gaz hilarant (protoxyde d’azote et oxygène). Si ce geste
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Figure 5
Arbre décisionnel devant une mastoïdite aiguë
non
Otorrhée
oui
Paracentèse
+ prélèvement bactériologique
Prélèvement bactériologique
Gouttes auriculaires
Céfotaxime + métronidazole
Scanner
Abcès sous-périosté
< 2 cm de grand axe
Ponction sous AL
Abcès sous-périosté
> 2 cm de grand axe
Ponction sous AG
Abcès sous-périosté
+ complications
neurologiques
moins étendue (figure 4). Le taux de traitement radical est très variable d’une
série à une autre, allant de 16 à 88 %
des cas, en fonction de la sévérité du tableau clinique et des habitudes de
chaque équipe [12]. Classiquement, ces
traitements radicaux sont proposés
dans les formes avec abcès volumineux
sous-périosté et/ou complication, en
particulier neurologique. L’attitude de
notre équipe est expliquée dans la figure 5. Habituellement, le traitement antibiotique par voie parentérale est poursuivi jusqu’à quarante-huit heures
d’apyrexie et relayé par un traitement
per os de type amoxicilline-acide clavulanique, modifié en fonction des résultats des prélèvements bactériologiques
et de l’antibiogramme.
CONCLUSION
Evolution favorable :
relais des antibiotiques per
os après 48 h d’apyrexie
adapté sur antibiogramme
Evolution défavorable
Drainage de l’abcès
et antromastoïdectomie
AL : anesthésie locale, AG : anesthésie générale
est réalisé sous anesthésie générale, un
aérateur transtympanique (ATT) peut
être proposé, favorisant le drainage de
l’oreille moyenne.
Le traitement médical repose sur l’antibiothérapie à large spectre par voie
parentérale, associant une céphalosporine de troisième génération et du
métronidazole, auxquels on peut ajouter, en fonction de la sévérité du tableau clinique, de la fosfomycine ou
un aminoside.
Le traitement chirurgical varie entre
traitement conservateur et traitement
radical. Le traitement conservateur
consiste à réaliser une paracentèse avec
prélèvement bactériologique, éventuellement associé à une pose d’ATT et, en
cas de présence d’abcès, à une ponction
de la tuméfaction rétro-auriculaire (figure 3), voire à une incision ou à un drainage de l’abcès [5]. A l’opposé, un traitement radical peut être proposé, correspondant à une mastoïdectomie plus ou
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Le diagnostic de la MA reste un diagnostic clinique. Un examen clinique
complet et une tomodensitométrie cérébrale et des rochers restent fondamentaux pour rechercher d’éventuelles
complications associées, en particulier
neurologiques. La prise en charge
consiste actuellement en une approche
conservatrice incluant un traitement
antibiotique par voie intraveineuse,
une myringotomie et, si besoin, la
ponction ou le drainage d’un abcès
sous-périosté. Un traitement plus radical à type de mastoïdectomie sera
considéré en cas d’échec. Le pronostic
첸
est généralement favorable.
S. Ayari déclare ne pas avoir de liens d’intérêts.
gement », Int. J. Pediatr. Otorhinolaryngol., 2009 ; 73 : 1520-4.
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