MISE AU POINT Urgences ORL infectieuses pédiatriques Urgences ORL infectieuses pédiatriques Pediatric ENT emergencies V. Couloigner*, R. Marianowski** L es urgences infectieuses en ORL pédiatrique sont fréquentes et leur prise en charge repose sur un diagnostic rapide et précis. À chaque situation clinique correspond une prise en charge thérapeutique qui doit être réévaluée régulièrement pour être adaptée à l’évolution clinique de l’enfant. Sinusites Les sinusites qui requièrent un diagnostic et un traitement en urgence sont les ethmoïdites et les sinusites frontales. * Service d’ORL pédiatrique, hôpital Necker-Enfants Malades, AP-HP, Paris. ** Service d’ORL et de chirurgie ­cervico-faciale, CHU Morvan, Brest. Ethmoïdites Le tableau clinique associe de la fièvre, une rhinorrhée et un œdème de la paupière supérieure débutant à Tableau I. Urgences infectieuses ORL chez l’enfant : hospitalisation ou pas ? Ambulatoire Hospitalisation Réanimation Ethmoïdite Sinusite frontale Adénite non suppurée Abcès rétropharyngé Abcès rétrostylien Laryngite sous-glottique Trachéite bactérienne Mastoïdite aiguë Paralysie faciale + OMA Labyrinthite Méningite Abcès intracérébral Thrombose du sinus sigmoïde 22 | La Lettre d’ORL et de chirurgie cervico-faciale • n° 331 - octobre-novembre-décembre 2012 l’angle interne de l’œil. Les germes responsables sont le plus souvent le staphylocoque doré, le pneumocoque et les autres streptocoques (1). En cas d’extension vers la base du crâne, il existe un risque de suppuration intracrânienne et de méningite. Les complications les plus fréquentes sont cependant les infections orbitaires : cellulite préseptale (en avant du septum orbitaire), dont la principale manifestation clinique est l’œdème palpébral, et l’atteinte rétroseptale avec le plus souvent un abcès souspériosté qui se manifeste par une exophtalmie, et, à des degrés divers, une paralysie oculomotrice, une mydriase aréactive (III intrinsèque), une anesthésie cornéenne et une baisse d’acuité visuelle. Les examens complémentaires comportent un bilan biologique (NFS, CRP, hémocultures si la fièvre est élevée), et surtout un scanner avec injection d’un produit de contraste qui explore les cavités éthmoïdales, la cavité orbitaire (précisant l’existence d’une exophtalmie) mais aussi l’endocrâne en analysant l’état des espaces sous-duraux, du sinus caverneux et du parenchyme cérébral (tableau I). Les principaux diagnostics différentiels sont représentés par les piqûres d’insecte (mais il n’y a pas de fièvre), les conjonctivites (mais les signes sont habituellement bilatéraux), la dacryocystite aiguë (infection du sac lacrymal consécutive à une obstruction des voies lacrymales et se manifestant par une tuméfaction inflammatoire de l’angle interne de la paupière inférieure), la dacryadénite (inflammation de 1 ou des 2 glandes lacrymales), les corps étrangers conjonctivaux et les cellulites de la face. Les formes débutantes peuvent être traitées en ambulatoire (tableau II) par l’association amoxicilline + acide clavulanique, avec une surveillance clinique rapprochée. Dans tous les autres cas, l’antibiothérapie doit se faire par voie i.v. en hospitalisation : ceftriaxone (100 mg/ kg/j) + clindamycine (40 mg/kg/j) ou métronidazole (50 mg/­kg/j). Les abcès orbitaires sous-périostés Résumé Mots-clés Les urgences infectieuses d’ORL pédiatrique sont fréquentes et variées. Elles peuvent mettre en jeu, parfois à très court terme, le pronostic vital de l’enfant ; dans d’autres cas, elles sont responsables de séquelles fonctionnelles et esthétiques. Le diagnostic est très souvent clinique. Les investigations paracliniques se résument à 1 ou 2 examens. L’important est d’établir très tôt une approche thérapeutique adéquate et de proposer rapidement une hospitalisation ou une prise en charge ambulatoire. Une information claire et précise des parents facilitera la prise en charge. Tableau II. Examens complémentaires dans les urgences infectieuses ORL chez l’enfant. NFS CRP Ponction/pus Hémoculture Scanner Ethmoïdite + +/- + + Sinusite frontale + +/- + + Adénite non suppurée + 0 0 +/- Abcès rétropharyngé + + + + Abcès rétrostylien + + + + Laryngite sous-glottique 0 0 0 0 Trachéite bactérienne + + + 0 Mastoïdite aiguë + +/- 0 + Paralysie faciale + OMA 0 + 0 + Labyrinthite + +/- 0 0 Méningite + + + + Abcès intracérébral + + + + Thrombose du sinus sigmoïde + +/- + + OMA : otite moyenne aiguë ; + : à réaliser impérativement ; +/- : à réaliser dans certains cas ; 0 : inutile. doivent être drainés, par voie externe ou endonasale, s’ils font plus de 5 mm d’épaisseur sur le scanner. La confirmation diagnostique est assurée par le scanner avec injection. Sinusites frontales Adénites rétrostyliennes Les complications à type de collections intra­ crâniennes sont fréquentes dans les sinusites frontales, ce qui justifie un scanner systématique. Attention, le drainage des sinusites frontales chez l’enfant par voie externe doit être mené avec prudence, compte tenu de la petite taille du sinus frontal. La Pott’s puffy tumor (décrite par Sir Percivall Pott en 1768) est une sinusite frontale avec une ostéomyélite aiguë se manifestant par une collection sous-cutanée frontale et un empyème épidural (2, 3). Ces infections se manifestent par un torticolis et peuvent avoir des complications neurologiques (paralysie des nerfs mixtes, syndrome de Claude Bernard-Horner) et vasculaires (thrombophlébite de la veine jugulaire interne, pseudo-anévrysme mycotique, occlusion de la carotide interne). Le traitement est médicamenteux et repose sur une antibiothérapie i.v. : céphalosporine de troisième génération (C3G) + métronidazole, ou clindamycine avec ou sans aminosides, en hospitalisation. Suppurations cervicales et pharyngées Adénites rétropharyngées Elles peuvent compliquer une rhinopharyngite, le plus souvent avant l’âge de 7 ans. Les bactéries impliquées proviennent de la flore commensale buccopharyngée : anaérobies stricts souvent associés à des anaérobies facultatifs (Staphylococcus aureus, Streptococcus pyogenes, Haemophilus influenzae, Haemophilus parainfluenzae, Klebsiella pneumoniae). Ethmoïdite Cellulite Abcès Adénite Torticolis Mastoïdite Labyrinthite Summary The infectious emergencies of pediatric ENT are frequent and varied. They may involve the prognosis for survival of the child; in other cases, they are responsible secondarily for functional and aesthetic sequellae. The diagnosis is very often clinical. The paraclinical investigations involve only 1 or 2 examinations. What matters is to establish an adequate therapeutic approach and to propose quickly a hospitalization or an ambulatory care. A clear and precise information of the parents will facilitate the care. Keywords Ethmoiditis Cellulitis Abscess Adenitis Torticollis Mastoiditis Labyrinthitis Les abcès rétropharyngés se manifestent par une raideur de la nuque, une hypersialorrhée et parfois une dyspnée. Un risque de rupture de l’abcès dans le pharynx existe, pouvant entraîner une pneumopathie par inhalation du pus. Le traitement se fait en hospitalisation, par antibiothérapie i.v. (CG3 + métronidazole ou clindamycine avec ou sans aminosides). Le drainage chirurgical est réalisé dans 2/3 des cas, d’emblée dans La Lettre d’ORL et de chirurgie cervico-faciale • n° 331 - octobre-novembre-décembre 2012 | 23 MISE AU POINT Urgences ORL infectieuses pédiatriques les formes très étendues (diamètre supérieur à 2 cm) ou compliquées, ou après l’échec d’un traitement antibiotique i.v. maintenu pendant 48 à 72 heures. Adénites cervicales non suppurées Certaines adénites non suppurées de localisation cervicale postérieure entraînent des torticolis fébriles. La NFS et la CRP sont en faveur d’une infection virale et le scanner cervical montre plusieurs petites adénopathies situées à proximité des muscles cervicaux postérieurs. Le traitement de ces adénites non collectées avec torticolis fébriles ne relève pas d’une antibiothérapie, mais seulement d’antalgiques avec ou sans corticoïdes pendant quelques jours selon l’évolution ; si le torticolis dure plus de 1 semaine, il faut demander un avis orthopédique (subluxation atloïdo-axoïdienne). Laryngites aiguës Laryngites sous-glottiques En l’absence de détresse respiratoire, la prise en charge est ambulatoire avec un aérosol d’adrénaline à 0,1 % non diluée (5 mg = 5 ml) à passer en un quart d’heure, et une corticothérapie p.o. (bétaméthasone 15 à 20 gouttes/kg). Le retour à domicile est autorisé au bout de 3 heures, avec une corticothérapie orale durant 3 jours. Si la situation ne s’améliore pas avec ce traitement initial, ou s’il y a d’emblée des signes de gravité (sueurs, agitation, troubles de la conscience, cyanose, passage d’une bradypnée avec tirage à une polypnée superficielle, pauses respiratoires), l’enfant doit être hospitalisé en urgence, pour une surveillance clinique, une oxygénothérapie nasale à la demande, l’administration i.v. de corticoïdes, et des aérosols d’adrénaline (5 mg = 5 ml à passer en 15 minutes), que l’on peut répéter jusqu’à 6 fois par jour en attendant l’efficacité des corticoïdes. En cas d’échec de cette prise en charge, l’enfant doit être intubé et hospitalisé en réanimation pédiatrique. Trachéite bactérienne Il s’agit d’une laryngo-trachéite bactérienne par S. aureus, H. influenzae ou S. pneumoniae. La température est très élevée, avec une dyspnée obstructive majeure, sans signes d’obstruction pharyngée. 24 | La Lettre d’ORL et de chirurgie cervico-faciale • n° 331 - octobre-novembre-décembre 2012 Le diagnostic est fait à l’endoscopie, qui constate un œdème sous-glottique avec des ulcérations et des sécrétions trachéales abondantes avec de fausses-membranes. Le traitement repose sur une hospitalisation en réanimation, pour intubation et antibiothérapie i.v. à large spectre. Complications de l’otite moyenne aiguë Mastoïdite aiguë Les signes cliniques associent, par ordre de fréquence décroissante : otalgie, anomalies tympaniques (88 %), fièvre (83 %), œdème rétroauriculaire (76 %). Devant un tableau d’otite moyenne aiguë avec persistance de l’otalgie et de l’otorrhée après 2 semaines de traitement antibiotique, il faut suspecter une mastoïdite décapitée (4-6). Radiologiquement, la mastoïdite aiguë n’est pas définie par la présence de liquide dans la mastoïde, mais par une lyse osseuse avec un aspect coalescent de la cavité mastoïde. Le scanner doit être réalisé avec injection, en coupes osseuses et parenchymateuses, avec recherche de complication intracrânienne. Les germes en cause, S. pneumoniae, S. pyogenes, S. aureus, peuvent être retrouvés sur paracentèse et ponction d’un abcès sous-périosté. Le traitement repose sur la paracentèse et une antibiothérapie i.v. adaptée. La mastoïdectomie n’est pas systématique (7-11), mais elle doit être envisagée en cas d’échec du traitement médicamenteux ou de complications (empyème épidural, etc.). Paralysie faciale L’incidence de cette complication des otites moyennes aiguës (OMA) est rare, estimée à 0,005 %. Malgré la présentation clinique, le pronostic reste excellent. Le traitement est médicamenteux et repose sur la corticothérapie associée à l’antibiothérapie (12, 13). Pour certains, la mastoïdectomie peut être proposée en cas d’échec du traitement médical, mais ce n’est jamais une indication à une décompression du nerf facial (14). Labyrinthite Une labyrinthite bactérienne peut survenir soit par le passage de toxines bactériennes ou de médiateurs MISE AU POINT de l’inflammation (labyrinthite séreuse), soit par l’invasion bactérienne directe (labyrinthite suppurée). Il s’agit toujours d’une atteinte unilatérale. La labyrinthite séreuse se manifeste par une surdité de perception légère à moyenne sur les fréquences aiguës ou par une surdité mixte avec un épanchement rétrotympanique. Les symptômes vestibulaires sont très rares. Le traitement repose sur l’antibiothérapie i.v. (14). La labyrinthite suppurée se manifeste par une surdité associée à des vertiges, des vomissements et une ataxie. Il est recommandé d’effectuer une mastoïdectomie pour un drainage rapide de l’infection et d’adapter l’antibiothérapie aux prélèvements bactériologiques. La surdité de perception est habituellement irréversible. L’évolution de la labyrinthite suppurée se fait vers l’ossification. On proposera des IRM répétées pour surveiller l’apparition d’un feutrage labyrinthique (sur le scanner, le diagnostic est trop tardif). C’est une indication à une implantation cochléaire en cas de surdité controlatérale. Syndrome de Gradenigo Il s’agit d’une atteinte purulente de l’apex pétreux. Le tableau clinique associe une OMA, une paralysie du nerf oculomoteur externe et des douleurs dans le territoire du trijumeau. Le scanner permet d’affirmer le diagnostic. Le traitement repose sur une antibiothérapie parentérale (15). Mastoïdite de Bezold Elle est due à une érosion de la corticale mastoïdienne le long de la crête digastrique, avec une extension de l’infection vers les muscles digastrique et sterno-cléido-mastoïdien. Le risque est l’atteinte vasculaire et médiastinale potentielle (16). Complications intracrâniennes La plus fréquente des complications intracrâniennes est la méningite. Le tableau clinique est bien connu : céphalées, fièvre, nausées, vomissements, photophobie, irritabilité, raideur de la nuque. Une ponction lombaire doit être faite pour confirmer le diagnostic et permettre l’identification du germe. Le traitement repose sur l’antibiothérapie i.v. Les corticoïdes diminuent les séquelles. Il est important de réaliser des audiogrammes à distance (risque de surdité secondaire) et de vérifier par une IRM l’absence de labyrinthite ossifiante et de malformation d’oreille interne à risque de méningite (17, 18). Les abcès cérébraux, heureusement exceptionnels, se manifestent par des céphalées, une fièvre élevée et des signes neurologiques. Le diagnostic se fait sur le scanner (plus accessible en urgence que l’IRM). Ils sont souvent plurimicrobiens (anaérobies, Proteus, S. aureus). Le traitement repose sur l’antibiothérapie i.v. et sur une mastoïdectomie initiale ou à distance. L’intervention neurochirurgicale est ou non réalisée selon évolution de l’abcès (19, 20). Les empyèmes épiduraux, souvent situés à proximité du sinus latéral, peuvent être confondus en imagerie avec une thrombo­phlébite de ce sinus. Ils sont drainés par voie de mastoïdectomie. Thrombose des sinus veineux La thrombose du sinus latéral et du sinus sigmoïde est une complication très fréquente des mastoïdites, mais le plus souvent asymptomatique. Toutefois, le risque est l’extension progressive vers la veine jugulaire interne et vers les autres sinus veineux encéphaliques, avec parfois des emboles septiques à distance. Le diagnostic se fait sur le scanner avec injection ou sur l’angio-IRM. Le traitement comporte une paracentèse, une antibiothérapie i.v., une mastoïdectomie et une anticoagulation systématique par héparine de bas poids moléculaire (HBPM) à doses efficaces. L’évacuation de la thrombose est contestée. Les anticoagulants sont proposés dans les formes dépassant le sinus latéral, pour prévenir les emboles septiques et l’extension du thrombus. L’administration d’HBPM sera plus ou moins prolongée, en fonction de la reperméabilisation vasculaire surveillée radiologiquement (21). ■ Références bibliographiques La Lettre d’ORL et de chirurgie cervico-faciale • n° 331 - octobre-novembre-décembre 2012 | 25 MISE AU POINT Urgences ORL infectieuses pédiatriques Références bibliographiques 1. François M, Mariani-Kurkdjian P, Dupont E, Bingen E. Ethmoïdite aiguë de l’enfant : une série de 125 cas. Arch Pediatr 2006;13:6-10. 2. Raja V, Low C, Sastry A, Moriarty B. Pott’s puffy tumor following an insect bite. J Postgrad Med 2007;53:114-6. 3. Nisa L, Landis BN, Giger R. Orbital involvement in Pott’s puffy tumor: a systematic review of published cases. Am J Rhinol Allergy 2012;26:e63-70. 4. Recommandations HAS 2011. 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Débats d’experts… Reportages en régions… Comptes-rendus de congrès… Émissions présentées par le Dr Alain Ducardonnet Dr Marie-Alliette Dommergues Suivez mois après mois l’actualité de la vaccinologie Pr François Denis Nouveau Edimark.tv vous propose un autre regard sur votre spécialité Soyez toujours plus nombreux à consulter et à télécharger nos émissions sur www.edimark.tv www.edimark.tv** *Inscription immédiate et gratuite réservée aux professionnels de santé Dr Hervé Haas Sous l’égide de et des Lettres du Gynécologue, du Pneumologue, de l’Hépato-gastroentérologue, d’Oto-rhino-laryngologie et de chirurgie cervico-faciale et Directeur des publications : Claudie Damour-Terrasson 26 | La Lettre d’ORL et de chirurgie cervico-faciale • n° 331 - octobre-novembre-décembre 2012 Inscription immédiate et gratuite réservée aux professionnels de santé Objectif vaccinologie