Capacité de décision - The Royal College of Physicians and

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1.3 Capacité de décision
Louis C. Charland, PhD et Mark Lachmann, MD, M. HSc., CCD
Objectifs d'apprentissage
1. Préciser l'importance de la capacité de décision dans le processus de consentement éclairé.
2. Discuter des problèmes liés à la capacité de décision et aux toxicomanies.
Cas
M. N., âgé de 46 ans, est admis au service d'urgence par ambulance après s'être effondré dans la rue, en plein
après-midi. à son arrivée, M. N. est dans un état d'intoxication dû à la consommation d'alcool et d'analgésiques
opiacés obtenus illégalement (en l'occurrence du Percocet). Pendant qu'on le dirige vers la salle de triage, M. N.
ressent un serrement dans la poitrine. En plus d'être sous l'effet de substances intoxicantes, il semble également
ressentir une vive douleur. Après les examens, l'anamnèse et les analyses de laboratoire de routine, on
diagnostique un infarctus aigu du myocarde et une grave dépendance aux opiacés.
Il semble que M. N. ait développé une dépendance aux opiacés sur ordonnance à la suite d'une blessure au dos
subie au travail, dont il ne s'est jamais totalement remis, et il vit aujourd'hui de l'aide sociale. Ne pouvant plus se
faire prescrire des opiacés, M. N. se procure des opiacés auprès de vendeurs de drogues illicites. Il dit consommer
des opiacés depuis deux ans.
Bien que les propos incohérents et l'empâtement de la parole ne laissent aucun doute sur l'état d'intoxication de M.
N., on considère que ce dernier est suffisamment apte pour prendre des décisions – en d'autres mots qu'il est «
mentalement capable » de consentir au traitement proposé par le médecin traitant. Le médecin demande et
obtient le consentement verbal du patient, pour le traitement de son infarctus du myocarde; une
intraveinothérapie est instaurée et un sédatif non opiacé lui est administré. Après avoir été informé, en réponse à
une question, que le traitement approprié nécessitera une hospitalisation de plusieurs jours, le patient est
transféré dans une salle et il s'endort rapidement.
Six heures plus tard, M. N. se réveille soudainement et se plaint de nausées, de malaises généralisés et de
douleurs musculaires. Ces malaises évoluent rapidement et on observe une intensification marquée de ses
symptômes de détresse. Le médecin de garde est appelé à son chevet. Après avoir consulté le dossier de M. N., le
résident de garde inscrit au dossier « sevrage aux opiacés ». Des sédatifs non opiacés sont administrés au patient,
mais les symptômes de détresse persistent. Plusieurs heures se sont écoulées et le patient est maintenant en
détresse aiguë. Il implore le personnel de l'hôpital de lui prescrire des opiacés – peu importe lequel.
Un des médecins membres de l'équipe de soins estime qu'il serait préférable de prescrire à ce patient des opiacés
– pour prévenir les symptômes de sevrage et éviter une aggravation de son infarctus du myocarde. Un autre
membre de l'équipe propose un traitement à la méthadone. L'équipe discute du fait que le patient a déjà une
dépendance aux « médicaments sur ordonnance » et décide de lui prescrire des doses régulières de morphine par
voie orale, pour traiter le sevrage et la dépendance du patient durant son hospitalisation pour le traitement de son
problème cardiaque. La méthadone n'est pas offerte au patient.
La morphine par voie orale permet de stabiliser l'état du patient, mais ce dernier continue de demander plus de
narcotiques. Le patient n'est plus en sevrage et il accepte le plan de traitement pour sa crise cardiaque. Il accepte
d'être hospitalisé pour y recevoir les soins cardiaques requis et il reconnaît que la morphine l'aide, tout en
demandant plus de narcotiques. Il admet franchement avoir une dépendance au Percocet et dit ne pas vouloir en
cesser l'utilisation. Il comprend qu'il a subi une crise cardiaque, que son état de santé est instable et qu'il présente
un risque élevé d'autres complications cardiaques. Une autre nuit s'écoule. à l'aube de la troisième journée, M. N.
décide de quitter l'hôpital durant le changement de quart du personnel infirmier, après s'être lui-même débranché
du moniteur cardiaque et avoir retiré son cathéter intraveineux. En sortant, il lance au passage des jurons au
personnel, qui remarque que le patient a enfilé tous ses vêtements et qu'il se dirige d'un pas résolu vers la sortie.
Le patient a attendu de recevoir sa dose matinale de morphine avant de quitter l'hôpital. Durant la tournée des
patients, l'équipe de cardiologie ne trouve qu'un lit vide et un personnel infirmier en colère.
De retour à l'étage, l'équipe se réunit pour discuter de l'incident. Après examen du traitement reçu par le patient,
l'équipe note que le patient pourrait ne pas survivre très longtemps après avoir quitté l'hôpital si tôt après son
infarctus du myocarde. Et s'il survit, il faut s'attendre à ce que sa fonction cardiaque soit bien pire que s'il avait
reçu le traitement complet. Selon un membre de l'équipe, le patient aurait dû être hospitalisé contre son gré, car il
était de toute évidence mentalement instable et qu'il se trouvait dans un état où il pouvait se faire du tort à luimême. Certains craignent même des poursuites de la part du patient pour ces motifs. L'avocat de l'hôpital consulté
le lendemain est cependant d'avis qu'une telle poursuite aurait peu de chance de réussir, car l'équipe a suivi la
norme de diligence. On considère que le patient était suffisamment compétent pour refuser le traitement.
Questions
1. Le consentement a-t-il été obtenu selon les règles?
2. Était-il justifié de refuser d’offrir de la méthadone pour traiter les symptômes de sevrage – durant
l’hospitalisation du patient?
3. Le patient avait-il la capacité de décision nécessaire pour donner un consentement éclairé et refuser le
traitement?
Discussion
Q1. Le consentement a-t-il été obtenu selon les règles?
Au Canada, les lois précises qui régissent le consentement éclairé relèvent de la compétence des provinces. Pour
être réputé valide, le consentement doit normalement être donné librement par un patient adéquatement informé
et apte. Cette dernière exigence relative à l'aptitude à consentir fait référence à la capacité de prendre des
décisions. Dans le domaine clinique, le concept juridique de la capacité de décision est souvent désigné « aptitude
mentale », mais ces expressions sont souvent utilisées de façon interchangeable. En vertu de la loi, on présume
généralement que les personnes sont capables de prendre leurs propres décisions concernant leur traitement, à
moins de motifs qui permettent d'en juger autrement.
Il existe aujourd'hui des méthodes cliniques sanctionnées par la loi, pour évaluer la capacité de décision. Le
jugement clinique non officiel et l'examen type de l'état mental ne sont plus considérés comme des normes
adéquates, en particulier lorsque la présomption de capacité est mise en doute. Le médecin qui propose un
traitement particulier doit faire une évaluation explicite de la capacité du patient de comprendre les faits liés au
traitement proposé, et de sa capacité d'évaluer comment cette décision le touchera précisément. Un des outils
cliniques qui permet actuellement d'évaluer la capacité de décision est le questionnaire MacCAT-T, mis au point par
Tom Grisso, Paul Appelbaum et leurs collègues1.
Il est important de reconnaître que la capacité de décision dans ce contexte ne fait pas référence à une notion
générale et qu'elle n'est pas non plus généralisable. Il s'agit plutôt d'un attribut qui caractérise une décision
présumée particulière, prise par une personne dans des circonstances et à un moment donné. Il s'ensuit que la
capacité à un moment précis et dans des conditions précises ne permet pas de présumer de la capacité ultérieure,
dans d'autres conditions.
Comme le patient dans notre exemple était sous l'effet de substances psychoactives au moment où le
consentement a été demandé, on peut douter de la validité de ce consentement, car il est généralement admis que
l'état d'intoxication causé par la consommation de ce type de substances peut altérer la capacité2. Il est aussi
généralement admis que, dans le cas d'une dépendance aux opiacés, la capacité fluctue à mesure que la personne
dépendante passe par les différents stades de la dépendance, depuis l'état de besoin à celui de sevrage, et vice
versa?3. Par conséquent, la dépendance aux opiacés peut altérer la capacité, selon le moment où le consentement
est demandé et les conditions dans lesquelles le consentement est obtenu.
Dans cette étude de cas, il est fort probable que la capacité de M. N. était altérée au moment d'obtenir son
consentement. On peut donc mettre en doute la validité de ce consentement. De plus, dans les cas de dépendance
grave, on peut s'attendre à ce que la capacité varie, ce qui signifie que le consentement obtenu à un stade donné
du cycle d'accoutumance pourrait être annulé par la même personne, à un stade ultérieur.
Il est également crucial de se rappeler que les décisions concernant le traitement de ce patient s'inscrivent dans
deux volets différents, mais liés. Premièrement, le patient a été victime d'un infarctus du myocarde, un état qui
menace son pronostic vital, qui présente une histoire naturelle et dont la cause sous-jacente (thrombus,
rétrécissement des artères irriguant le cœur) peut être traitée par différents moyens (agents thrombolytiques,
anticoagulants, angiographie ou mise en place d'endoprothèse ou pontage). Deuxièmement, le patient présente
une narcodépendance et le sevrage de cet état peut aggraver son état cardiaque. La toxicomanie est une maladie
qui exige un traitement efficace concomitant, à la fois pour traiter la toxicomanie et pour éviter qu'elle n'aggrave le
problème cardiaque du patient.
Le consentement au traitement n'est pas un processus isolé. Déterminer qu'un patient est « incapable » de
comprendre ou d'évaluer le traitement proposé ne met pas fin au processus de prestation des soins. Si le patient
est dans un état qui présente un danger immédiat pour sa vie, le médecin traitant est légalement et moralement
tenu de lui dispenser des soins d'urgence. Au Canada, si un patient est jugé inapte (par le médecin traitant), le
médecin a l'obligation de faire des efforts raisonnables pour trouver un mandataire apte à prendre des décisions au
nom de ce patient. à cet égard, les lois provinciales définissent généralement une hiérarchie des décideurs qui
permet à des personnes ayant des liens de parenté précis avec le patient – par exemple, un conjoint ou une
conjointe, des frères et sœurs, des parents, des enfants ou un représentant légal désigné – de prendre des
décisions au nom d'un patient jugé inapte.
Dans le cas présent, le patient serait aussi admissible à la détention en vertu des lois sur la santé mentale en
vigueur dans toutes les provinces du Canada, du fait qu'il est atteint d'une maladie mentale et que son
comportement présente un risque imminent pour lui. Il convient cependant de préciser que cette mesure
n'équivaut pas à une évaluation de sa capacité.
Dans certaines provinces, notamment en Ontario, il existe un processus d'appel officiel facilement accessible, en
vertu duquel un patient jugé inapte par son médecin traitant reçoit le jour même la visite d'un conseiller en
matière de droits. Le patient peut décider d'en appeler de la décision du médecin, et son appel est entendu par une
commission du consentement et de la capacité dans les sept jours qui suivent4.
Q2. Était-il justifié de refuser d'offrir de la méthadone pour traiter les symptômes de sevrage – durant
l'hospitalisation du patient?
Durant son hospitalisation, le patient a besoin d'un traitement pour sa toxicomanie. La toxicomanie constitue en
effet une maladie concomitante qui nécessite un traitement, au même titre qu'un traitement serait nécessaire si la
personne était atteinte d'une pneumonie. Différentes solutions cliniques s'offrent pour traiter ce problème –
notamment la prise de méthadone ou d'un autre opiacé, comme la morphine par voie orale.
Il est toutefois important de reconnaître que le traitement d'une toxicomanie est un processus qui dure toute la vie
et que le patient ne s'est pas présenté à l'hôpital pour obtenir de l'aide pour ce problème. Il est possible que le
patient ne veuille pas cesser de prendre des narcotiques. La méthadone peut lui être proposée, mais on considère
généralement que cette substance donne les meilleurs résultats lorsqu'elle est administrée dans le cadre d'un
programme de traitement supervisé offert à un patient qui désire obtenir de l'aide.
Le point éthique à retenir ici, c'est que le patient ne devrait pas se sentir (et de fait, être) contraint d'accepter le
traitement de sa toxicomanie pour obtenir un traitement de son problème cardiaque.
Enfin, les patients ont le droit de prendre des décisions qui, de l'avis de l'équipe de soins, pourraient ne pas être
dans leur meilleur intérêt.
Q3. Le patient avait-il la capacité de décision nécessaire pour donner un consentement éclairé et
refuser le traitement?
À son arrivée, le patient n'était pas apte. M. N. était incapable de comprendre ou d'évaluer son problème cardiaque
ou sa toxicomanie, car ses facultés étaient clairement affaiblies par l'alcool et les narcotiques. De fait, il était peutêtre aussi en delirium tremens, un état qui présente un taux de mortalité de 20 % s'il n'est pas traité et qui aurait
accru le risque de mortalité de ce patient, victime d'une crise cardiaque5. L'incapacité du patient ne signifie pas
qu'il ne peut avoir accès à des soins médicaux. Il existe dans chaque province une structure juridique qui prévoit la
prestation des soins d'urgence et l'accès à un mandataire pour la prise de décisions pour autrui.
M. N. est devenu apte après avoir été hospitalisé et après avoir reçu de la morphine par voie orale. Durant cette
période, il a été capable de parler de ses problèmes médicaux, de reconnaître son problème cardiaque et
d'apprécier la gravité de son état. Il était également capable de parler de sa dépendance, déclarant même qu'il ne
souhaitait pas modifier pour l'instant sa consommation de Percocet.
Là encore entrent en jeu les deux volets – distincts, mais liés – du traitement : le traitement de l'infarctus et le
traitement de la toxicomanie. La crise cardiaque constitue une menace immédiate à la vie du patient, dont l'état ne
fera que s'aggraver si sa toxicomanie n'est pas prise en charge.
Le traitement d'une toxicomanie n'est efficace que si le patient accepte d'y collaborer et il ne peut se faire dans le
cadre d'une hospitalisation de courte durée pour soins actifs. Il est néanmoins possible de traiter le patient, tout en
respectant son autonomie de faire de « mauvais » choix. Le traitement respectueux d'une toxicomanie s'inscrit
dans un modèle basé sur les différentes étapes du changement (précontemplation, contemplation, préparation et
action)6.
Si le patient était apte et qu'il a par la suite refusé le traitement, son refus serait réputé valide. L'évaluation de la
capacité ne dépend pas de la décision proprement dite. Cela signifie que, si le patient était apte grâce à une prise
en charge adéquate de son problème cardiaque et de sa dépendance aux opiacés, et qu'il décidait de ne pas cesser
de consommer des narcotiques après son congé de l'hôpital, l'équipe médicale ne serait pas obligée de lui fournir
des narcotiques en consultation externe; elle serait en revanche tenue de soutenir le patient et de le diriger vers
un service externe de traitement des toxicomanies, auquel le patient pourrait ou non faire appel. Dans le cas
présent, le patient a tout simplement quitté l'hôpital sans discuter de ses plans avec l'équipe médicale. Il semble
toutefois avoir agi d'une manière résolue et structurée, planifiant son départ en fonction des quarts de travail du
personnel infirmier, à un moment où son départ serait le moins remarqué. Il peut être présumé que le patient était
apte, car la veille il avait démontré qu'il comprenait les particularités de son cas et que son départ de l'hôpital –
bien que malavisé – a été réfléchi. Il n'a présenté aucun signe ou symptôme de delirium. On peut présumer de la
capacité, sauf en présence de solides données attestant du contraire.
Enfin, il est aussi essentiel de prendre note des sentiments du personnel infirmier et de l'équipe de cardiologie. Il
est important que l'équipe de soins reconnaisse qu'il est tout simplement difficile de traiter certains patients et que
tous les membres de l'équipe peuvent être touchés par le refus d'un patient de recevoir les soins qui lui sont
proposés avec les meilleures intentions. Ces réflexions et des discussions ouvertes sur la question peuvent être
essentielles pour éviter les opinions négatives permanentes en matière de soins, à l'endroit de futurs patients qui
présenteraient un tableau clinique similaire. De tels postulats négatifs pourraient en effet nuire à une évaluation
honnête de facteurs médicaux déterminants, comme la capacité de décision.
Références
1. Grisso T, Applebaum PS, Hill-Fotouhi C. The MacCAT-T : a clinical tool to assess patients’ capacities to make
treatment decisions. Psychiatric Service 1997; 48 : 1415–1419.
2. Gorelick DA, Pickens RW, Bonkovsky FO. Clinical research in substance abuse: human subject issues. In:
Ethics in psychiatric research: a resource manual for human subjects protection. Pincus HA, Lieberman JA,
Ferris S, editors. Washington: American Psychiatric Association; 1999. p. 177–94.
3. National Bioethics Advisory Commission. Research involving persons with mental disorders that may affect
decisionmaking capacity. Vol. 1: Report and recommendations of the National Bioethics Advisory
Commission. Rockville: National Institutes of Health; 1998.
4. Province of Ontario. Health Care Consent Act, 1996.
5. Sadock BJ, Sadock VA. Synopsis of psychiatry. 9th ed. Philadelphia: Lippincott Williams and Wilkins; 2003.
6. Prochaska JO, Diclemente CC, Norcross JC. In search of how people change. American Journal of Psychology
1992; 47: 1102–4.
Ressources
Craven J. Handbook of recovery — for clients of methadone maintenance treatment, their families, friends and
caregivers. SupportNet — Resources for Your Recovery; 2006. Available from: www.SupportNet.ca
Leshner A. Addiction is a brain disease, and it matters. Science 1997; 278(5335): 45–7.
Leshner A. Science-based views of drug addiction and its treatment. Journal of the American Medical
Association 1999; 282(14): 1314–6.
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