Mise au point Les signatures moléculaires dans le ­cancer du sein : le point de vue du pathologiste Molecular signatures of breast cancer: the pathologist’s point of view »»Les signatures moléculaires : – apportent un complément d’information aux données classiques clinicopathologiques ; – sont utiles pour les cancers du sein RH+, HER2− ; – devraient permettre une désescalade thérapeutique. Mots-clés : Cancer du sein – Signature moléculaire – Classification intrinsèque – Facteur pronostique – Facteur prédictif. L’ * Centre Jean-Perrin, Clermont-Ferrand. 32 Summary Résumé F. Penault-Llorca* articulation des traitements et de la prise en charge précoces des cancers du sein est fondée sur des paramètres pronostiques (évaluant l’agressivité potentielle de la maladie) et prédictifs (orientant vers certains traitements). Ces paramètres universels et établis sont, d’une part, des caractéristiques personnelles des patientes – comme l’âge et des données cliniques concernant la diffusion de la tumeur –, et, d’autre part, des caractères biologiques de la tumeur. Ces derniers paramètres reposent sur l’examen microscopique de la tumeur réalisé par le pathologiste (ou anapathologiste ou anatomocytopathologiste). Il s’agit principalement de la taille de la tumeur, de l’atteinte des ganglions de drainage, et des caractéristiques microscopiques de la tumeur comme son type histopathologique, son grade et la présence ou non de cibles thérapeutiques tels les récepteurs hormonaux et de HER2 (1). La cancérologie en général, et plus particulièrement le cancer du sein, connaissent depuis quelques années une révolution avec l’avènement des signatures moléculaires. Une signature moléculaire est un test biologique réalisé sur la tumeur (2). Il porte sur l’expression de plusieurs gènes impliqués dans la caractérisation, la progression et l’agressivité de la maladie. Cet outil parfois sophistiqué vient en complément des outils clinicopathologiques Molecular signatures: – provide additional informations to conventional clinicopathological parameters; – are useful only for HR+, HER2− breast cancers; – should allow therapeutic desescalation. Keywords: Breast cancer – Molecular signature – Intrinsic classification – Prognostic factor – Predictive factor. classiques couramment utilisés en routine. La signature intrinsèque apporte, via une nouvelle taxonomie des tumeurs mammaires, un regard neuf sur les tumeurs au-delà des types histopathologiques, du grade et des paramètres classiques du stade (3). Les autres signatures sont à visée pronostique comme la signature à 70 gènes ou MammaPrint® (4), la signature à 21 gènes, ou Oncotype DX® (5), pour ne citer que les plus utilisés. Elles présentent l’attrait de la nouveauté, le côté rassurant de la technologie moléculaire de pointe par rapport aux approches classiques, dont on connaît la valeur, mais aussi les limites. Elles suscitent donc un certain engouement, et beaucoup, pathologistes y compris, y voient la mort programmée de l’examen histopathologique classique (6). Depuis des décennies, les pathologistes réalisent le diagnostic des tumeurs mammaires et déterminent les facteurs pronostiques et prédictifs. Les données du compte-rendu permettent la prise en charge standard du cancer du sein, associées aux données de la patiente comme l’âge et les comorbidités, selon les recommandations nationales ou internationales revisitées dans les référentiels nationaux (1). Que peuvent apporter de plus ces nouveaux outils ? Vont-ils remplacer l’examen histopathologique ? Sontils plus fiables que nos techniques ? Sont-ils complémentaires ? Correspondances en Onco-Théranostic - Vol. III - n° 1 - janvier-février-mars 2014 Les signatures moléculaires dans le ­cancer du sein : le point de vue du pathologiste La prise en charge des cancers du sein et ses limites Le cancer du sein est caractérisé par une vaste hétérogénéité, aussi bien au niveau du devenir clinique qu’au niveau de la réponse aux traitements. Des patientes aux mêmes caractéristiques cliniques et pathologiques peuvent avoir des évolutions cliniques très différentes et cela ne peut être prédit par les modèles actuellement disponibles, qui utilisent un nombre trop limité de paramètres. Par exemple, 30 % des patientes de bon pronostic vont rechuter. En termes prédictifs, nous identifions les populations de patientes éligibles pour des traitements ciblés (hormonothérapie, traitement anti-HER2), mais nous ne sommes pas capables encore d’identifier celles qui vont bien répondre. Il est dès lors indispensable de progresser vers l’individualisation du traitement en améliorant les outils d’analyse. Classification de Perou et Sorlie ou classification intrinsèque L’étude des profils d’expression génomique a apporté une classification moléculaire de la maladie en sousgroupes cliniquement pertinents (3, 7). La distinction majeure se fait d’abord selon les profils différents des tumeurs ER (Estrogen Receptor) positives et négatives. On distingue ainsi : ✓✓ au moins 2 types moléculaire de tumeurs ER positives : les tumeurs luminales A et B, d’évolution clinique et avec des réponses thérapeutiques différentes ­(encadré) ; ✓✓ les tumeurs du sous-groupe luminal A sont de bas grade, prolifèrent peu, et sont associées à un meilleur pronostic que les autres sous-groupes ; ✓✓ les tumeurs du sous-groupe luminal B sont plus agressives, à prolifération plus élevée, et associées soit à des mutations, soit à des amplifications géniques comme celle de HER2 ; ✓✓ le type moléculaire basal-like est majoritairement ER négatif, PR (Progesterone Receptor) négatif et HER2 négatif. Le raccourci “triple négatif” est souvent utilisé pour qualifier ce groupe. Les tumeurs basales sont de mauvais pronostic. Elles présentent une forte instabilité génétique. Plusieurs études ont montré que cette catégorie de tumeurs englobait la plupart des tumeurs mammaires liées à des mutations de BRCA1. Cependant, ce groupe englobe également des tumeurs de types histopathologiques rares, certains étant de bon pronostic comme les carcinomes adénoïdes kystiques. Il convient donc de ne pas assimiler toutes les tumeurs de phénotype basal Classification servant aujourd’hui de base pour la prise en charge des patientes •• Luminal : ER+, HER2− – A : non proliférative et/ou PR > 20 % – B : proliférative et/ou PR bas ou négatif et/ou HER2+ •• HER2 : HER2+, ER− •• Triple négatif : ER−, PR−, HER2– ER : Estrogen Receptor, PR : Progesterone Receptor. Encadré. Classification intrinsèque par immunohistochimie selon Saint-Gall 2013. à des tumeurs agressives. L’analyse microscopique faite par le pathologiste est alors fondamentale (8) ; ✓✓ le type moléculaire HER2 enrichi est caractérisé par une forte expression de plusieurs gènes de l’amplicon ErbB2 et une négativité des ER et PR. Environ 50 % des tumeurs HER2 positives en immunohistochimie et en hybridation in situ sont ER positives et donc luminales B. Même si cette classification moléculaire n’a pas apporté d’information pronostique supérieure à celles fournies par les facteurs anatomocliniques et immuno­ histochimiques validés, elle a déjà clairement amélioré la compréhension de la maladie en démontrant son hétérogénéité moléculaire. Ces sous-types moléculaires sont également retrouvés au stade de carcinome in situ et seraient stables tout au long de l’évolution d’un cancer du sein. Aujourd’hui, la classification intrinsèque est accessible via une signature à 50 gènes commercialisée par NanoString® (cf. infra). Signatures multigéniques de première génération (laboratoire centralisé) : Oncotype DX® et MammaPrint® Ces 2 tests moléculaires s’adressent à des types différents de cancer du sein, soit sans envahissement ganglionnaire, soit avec envahissement allant jusqu’à 3 ganglions (population RH positive et tissus fixés en paraffine pour le premier et tous types de cancer du sein, tumeur fraîche, pour le second). La technologie initiale est la même : puces à ADN. Il s’agit dans les 2 cas de tests centralisés. Le transfert des échantillons vers les États-Unis pour Oncotype DX® et vers les Pays-Bas pour MammaPrint® est aisé, et les résultats sont donnés en 8 à 10 jours par mail via un serveur sécurisé. ✓✓ Oncotype DX® (Genomic Health®, Redwood City, CA, États-Unis) correspond à une version simplifiée du test Correspondances en Onco-Théranostic - Vol. III - n° 1 - janvier-février-mars 2014 33 Mise au point initial par puces à ADN (250 gènes) utilisant 21 gènes seulement par qRT-PCR (16 gènes associés au cancer : famille des récepteurs hormonaux, de HER2, de la prolifération, du stroma et de l’invasion) et 5 gènes permettant de contrôler le bon fonctionnement de la technique. Le test donne un score de rechute (RS) [variable continue de 0 à 100], qui est contenu dans 3 classes : RS faible < 18, RS élevé ≥ 31 et RS intermédiaire, entre les 2 catégories précédentes (5, 9). De nombreuses études ont montré que les patientes RE positives avec un RS bas ne bénéficiaient pas de la chimiothérapie mais de l’hormonothérapie, à l’opposé des patientes avec RS élevé, qui bénéficiaient de l’adjonction de la chimiothérapie (8). Néanmoins, les paramètres du stade clinique restent puissants et, par exemple, avec un fort envahissement ganglionnaire (supérieur à 4 ganglions envahis), toutes les tumeurs ont un RS élevé. Le test Oncotype DX® est recommandé par l’ASCO® (American Society of Clinical Oncology), l’ESMO (European Society for Medical Oncology), Saint-Gall et le NCCN (National Comprehensive Cancer Network) [10, 11, 12] pour l’établissement du pronostic et le choix thérapeutique pour les tumeurs RH positives. Il est le seul test de première génération à avoir un niveau de preuve Ib à ce jour. Son coût est environ de 3 200 €. De nombreux pays remboursent ces tests soit par le biais de systèmes gouvernementaux (Medicare, Medicaid aux États-Unis, NICE au Royaume-Uni, assurance sociale au Canada), soit par le biais des assurances privées ou des mutuelles (Israël, États-Unis, Allemagne, par exemple). ✓✓ MammaPrint® (Agendia®, Amsterdam, Pays-Bas) correspond à une signature de 70 gènes permettant de classer les patientes en 2 groupes pronostiques (le bon et le mauvais) [2, 4]. MammaPrint® a obtenu de la Food and Drug Administration (FDA), en 2008, une labellisation comme test pronostique pour les patientes âgées de moins de 61 ans atteintes d’un cancer du sein RE positif ou négatif de moins de 5 cm, sans envahissement ganglionnaire, et de stade I/II. Ce test a été développé sur du matériel frais et a récemment été adapté à du tissu fixé, inclus en paraffine, mais sans que de véritables travaux comparatifs sur de grandes séries aient été menés. Les tumeurs ayant des récepteurs hormonaux négatifs viennent enrichir le groupe de mauvais pronostic, car cette signature n’a été développée que chez les patientes porteuses de tumeurs RE positives. Signatures de nouvelle génération (tests décentralisés) ✓✓ Prosigna™ (PAM50), commercialisée par NanoString® aux États-Unis, permet la reconnaissance des sous- 34 types “moléculaires” (lum A, lum B, HER2 enrichi, basal) et le calcul du risque de rechute en combinant les paramètres biologiques de la classification intrinsèque à un score de prolifération et à la taille tumorale. Ce test est adapté aux tissus fixés, inclus en paraffine (2). Il est réalisé par une technologie de puces à ADN avec un signal numérique (1 gène = 1 code-barre). Pour cela, 50 gènes ont été sélectionnés à partir des 650 initiaux (12, 13). Il s’agit d’un test décentralisé, “local”, qui peut être réalisé dans un laboratoire avec des machines dédiées. Il s’agit d’une signature de rechute tardive (à 10 ans), qui a été approuvée par la FDA à l’automne 2013. Trois groupes de ROR sont définis pour les patientes récepteurs positives, HER2 négatives avec un ROR bas, intermédiaire et élevé. ✓✓ EndoPredict® (Sividon, Cologne, distribué par Myriad Genetics). Ce test a été développé exclusivement à partir de tumeurs récepteurs positifs. Il s’agit d’un test de qRT-PCR avec 7 gènes sélectionnés correspondant à des gènes associés aux estrogènes et à la prolifération. Il existe aussi des gènes de contrôle. Ce test est adapté aux tissus fixés, inclus en paraffine (14). Il s’agit d’un test “local” (l’analyse peut se faire dans tout laboratoire équipé avec matériel spécifique) [15]. Le résultat se donne sous la forme d’un score EP (EndoPredict®) qui prend en compte le “poids” des gènes (calcul de score). Ce score permet de prédire le risque de rechute précoce (poids des gènes du module prolifération) et de rechute tardive (poids des gènes du module estrogènes) à 5 et 10 ans. Ces 2 signatures ont un niveau de preuve Ib. Cependant, il n’y a pas encore beaucoup de recul permettant d’évaluer l’implémentation de ces tests décentralisés en clinique et dans la routine de plateformes moléculaires ou de structures de pathologie (16). La reproductibilité de ces tests décentralisés sera le point critique pour leur développement. Limitations des signatures multigéniques Ces signatures n’apportent pas d’informations utiles aux patientes porteuses de tumeurs de haut grade, de tumeurs triples négatives ou HER2 positives, qui sont quasiment toujours dans les catégories de mauvais pronostic. Par exemple, personne, actuellement, avec les thérapies anti-HER2 et leurs bénéfices connus ne s’abstiendrait de traiter une patiente HER2 sur le seul résultat d’une signature moléculaire favorable. Il en va de même pour une tumeur identifiée de bon pronostic par la signature moléculaire et de stade clinique très avancé (plus de 5 cm, N > 3). Correspondances en Onco-Théranostic - Vol. III - n° 1 - janvier-février-mars 2014 Les signatures moléculaires dans le ­cancer du sein : le point de vue du pathologiste En France, à ce jour, l’utilisation de ces signatures (Oncotype DX® et MammaPrint®) en routine n’est recommandée ni par l’Institut national du cancer, ni par la Société française de sénologie et de pathologie mammaire, à travers un rapport qui, à mon avis, renferme nombre d’imprécisions et d’erreurs (17). Ces tests ne sont pas pris en charge par la Sécurité sociale. Néanmoins, ils sont accessibles, soit à travers des essais cliniques, soit grâce à des mesures locales (phases pilotes menées par les agences régionales de santé en Franche-Comté et en région Centre, par le biais d’un système de dons et de legs et un appui de la Ligue contre le cancer au centre Jean-Perrin à ClermontFerrand) ou encore par achat direct par les patientes. Le futur On peut espérer un accès plus large des patientes à ces tests moléculaires dans le but d’une désescalade théra­ peutique. Malgré leur coût, ces tests peuvent poten- tiellement permettre une meilleure appréciation de l’agressivité tumorale et, pour beaucoup de patientes, d’éviter la chimiothérapie et ainsi de faire des économies de santé. Les profils génomiques constituent donc des outils très puissants qui peuvent disséquer la complexité biologique du cancer du sein. Cependant, l’œil et le savoir-faire du pathologiste restent indispensables à une prise en charge optimale des patientes atteintes d’un cancer du sein. Le défi est de combiner ces informations moléculaires et cliniques afin de prédire le devenir des patientes et la réponse aux agents thérapeutiques. En effet, nous manquons de tests moléculaires prédictifs pour déterminer, au sein des populations traitées par des chimiothérapies classiques ou chez les patientes HER2 positives, celles qui vont bien répondre aux traitements classiques ou ciblés. L’acquisition des connaissances permettant leur mise en place représente un défi important pour le futur qu’il importe de gagner pour un traitement adapté et efficace de la maladie. ■ L’auteur déclare avoir des liens d’intérêts avec Genomic Health et NanoString. Références 1. Senkus E, Kyriakides S, Penault-Llorca F et al.; ESMO Guidelines Working Group. 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