Nutrition et infections chez la personne âgée

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NUTRITION ET INFECTIONS CHEZ LA
PERSONNE AGEE
Journée régionale des correspondants en
hygiène des établissements sanitaires et
médico-sociaux publiques et privés de
Bourgogne
Dijon, le 10 mars 2015
Pr Patrick Manckoundia
Faculté de Médecine de Dijon, université de Bourgogne
CHU de Dijon
Unité INSERM U1093
Dénutrition protéino-énergétique
Définition
La dénutrition protéino-énergétique (DPE) correspond à :
Perturbations cliniques et biologiques marquant une
carence d'éléments nutritifs soit par insuffisance d'apports
(IA), soit par hypercatabolisme.
Rupture prolongée équilibre énergétique : apports
insuffisants par rapport aux besoins.
Personne âgée (PA) exposé DPE +++.
Dénutrition protéino-énergetique
Prévalence de la DPE chez la personne âgée
Domicile : +/- (2 à 4 % en France ⇒ 250 M à 500 M SA)
Institution : +++ (30 à 60 % en France)
Pourquoi cette différence :
DPE chronique par IA à l'origine immunodépression ⇒ ↑
risque hospitalisation pour affection(s) sévère(s).
Pathologie suffisamment grave pour justifier hospitalisation
entraîne par elle-même dégradation état nutritionnel
Dénutrition protéino-énergétique
Évaluation de la DPE (1)
I. Anthropométrie (1)
1. Poids +++
Perte > 5% en 1 mois ou 10 % en 6 mois
Difficultés mesure poids ⇒ chaise-balance et
couplage pesée & lève-malade.
Trouble hydratation ⇒ sous ou surestimation
2. Indice de masse corporelle (IMC)
poids/ taille² (kg/m²) (NB : taille maximale atteinte)
DPE si IMC < 21
Mesure de la taille ? : Tassements vertébraux,
amincissement des disques, cyphose ⇒ sousestimation taille. équation de Chumléa
Dénutrition protéino-énergétique
Évaluation de la DPE (2)
I. Anthropométrie (2)
3. Circonférence brachiale (CB), du mollet ⇒ masse
musculaire/ maigre (MM)
Si CB < 25 cm chez l'H et 23 cm chez la F ⇒ ↓ MM.
4. Epaisseur plis cutanés tricipital et sous-scapulaire ⇒
masse grasse (MG).
Si pli cutané tricipital < 6 mm chez H et 10 mm chez la F
⇒ ↓ MG
Mais circonférences et plis ⇒ appréciation grossière des
réserves en MM et MG.
- Bonne spécificité, mais sensibilité moyenne, pas de reproductibilité
⇒ impossibilité surveillance rapprochée état nutritionnel.
- Vieillissement ⇒ modification répartition adiposité : ↓ graisse souscutanée, ↑graisse profonde
Dénutrition protéino-énergétique
Évaluation de la DPE (3)
II. Biologie (1)
1. Protéines nutritionnelles
Albuminémie
- 34-30 g/L ⇒ DPE légère
- 29-25 g/L ⇒ modérée
- < 25 g/L ⇒ sévère
• Bon reflet du statut nutritionnel
chronique
• Prédictif mortalité
• Aspécifique
• Non sensible à court-terme car
½ vie 21 jours
• Attention Hydratation
Transthyrétine (Préalbuminémie)
- Norme : 0,2-0,4 g/L
- Varie en l'absence de DPE :
- ↑ si insuffisance rénale C.
- ↓ si insuffisance
hépatocellulaire, infection.
- Très bonne sensibilité à court
terme demi-vie 2 jours.
Dénutrition protéino-énergétique
Évaluation de la DPE (4)
II. Biologie (2)
1. Protéines inflammatoires
CRP
Orosomucoïde (α-1-glycoprotéine acide)
Protéines inflammatoires ⇒ distinction DPE exogène de
l’hypercatabolisme
Dénutrition protéino-énergétique
Évaluation de la DPE (5)
II. Echelle de dépistage de la dénutrition : Mini-nutritionnal
assessment (MNA)
- 1ère partie 6 items ⇒ dépistage (= MNA short form (MNA
SF).
- 2ème partie 12 items ⇒ évaluation globale
Score MNA = facteur prédictif de mortalité (à l'hôpital),
d'institutionnalisation et du coût de l'hospitalisation.
Dénutrition protéino-énergétique
Évaluation de la DPE (6)
Au total : Méthodes d’évaluation de l’état nutritionnel
recommandées à l’entrée du patient à l’hôpital
Anthropométrie : Poids, taille, IMC
Biologie et/ou biochimie : Aucune recommandée
systématiquement
Index : Calcul du score de dépistage par le MNA-SF®
Prise alimentaire : Évaluation nécessaire avec
méthode(s) laissée(s) à l’appréciation des professionnels
Dénutrition protéino-énergétique
Évaluation de la DPE (7)
Critères permettant d’évoquer une DPE chez la PA
Perte de poids ≥ 10% par rapport à une valeur antérieure
(VA) à l’hospitalisation actuelle ;
Perte de poids ≥ 5% en 1 mois ou ≥ 10% en 6 mois, par
rapport à une VA ;
IMC ≤ 20 kg/m² ;
Albuminémie < 35 g/L (attention état inflammatoire)
Score MNA global < 17/ 30 ou MNA-SF® ≤ 11/14.
Critères permettant d’évoquer une DPE sévère chez la PA
Perte de poids ≥ 10 % en 1 mois ou ≥ 15 % en 6 mois,
par rapport à une VA ;
IMC ≤ 20 kg/m² ;
Albuminémie < 25 g/L
Transthyrétinémie < 50 mg/L
Dénutrition protéino-énergétique
Physiopathologie de la DPE (1)
Carence d’apports alimentaires
La quantité de protéines apportées à l’organismes est
réduite par rapport aux besoins en l’absence d’une
accélération du métabolisme.
Hypercatabolisme
Sécrétion de cytokines proinflammatoires (IL-1/6, TNF) et
de PGE2 par monocytes ou macrophages.
Puis, stimulation immunité par recrutement des
lymphocytes, phagocytes et fibroblastes ⇒ accélération
métabolismes glucidique, protéique, lipidique et calcique.
Protéolyse musculaire fournissant les acides aminés
nécessaires au système immunitaire et à la synthèse
protéines inflammatoires.
Dénutrition protéino-énergétique
Étiologies de la DPE (1)
2 grands cadres étiologiques selon la physiopathologie.
Les étiologies de la DPE sont souvent intriquées chez la PA
Insuffisance d’apports alimentaires (1)
1. Causes sociales : ressources financières, dépression,
isolement social
2. Anomalies du tube digestif : transit, mycoses
3. Diminution des capacités : altération des capacités
intellectuelles (démence), troubles de la marche,
anomalies bucco-dentaires, affections motrices du
membre supérieur, insuffisance du personnel
4. Iatrogénèse : régimes prolongés, polymédication
Dénutrition protéino-énergétique
Étiologies de la DPE (2)
Hypercatabolismes
1. Infections : hyperactivité lymphocytaire
2. Nécrose tissulaire (IDM, AVC) : hyperactivité
phagocytaire
3. Tumeurs, rhumatismes et réparation tissulaire
(fracture, escarres) : hyperfonctionnement fibroblastique
4. Affections non inflammatoires : insuffisance
cardiaque, insuffisance respiratoire, hyperthyroïdie
Dénutrition protéino-énergétique
Conséquences de la DPE (1)
Conséquences cytologiques
Atrophie cellulaire
Diminution des divisions cellulaires
Diminution du métabolisme et de la disponibilité de l'ATP.
Conséquences cliniques (1)
En général :
↑ morbidité & mortalité : x 4 chez les PA > 80 ans
hospitalisés.
Après 75 ans, corrélation entre albuminémie et morbimortalité.
Dénutrition protéino-énergétique
Conséquences de la DPE (2)
Conséquences cliniques (2)
1. Infections x 2 à 6 cf infra
2. Anorexie, asthénie et amaigrissement
↓ MM & force ⇒ troubles équilibre ⇒ chutes, risque
fracture puis aggravation DPE.
Fonte muscle diaphragmatique ⇒ épuisement
respiratoire lors des infections broncho-pulmonaires.
DPE ⇒ aggravation sarcopénie
3. Maladies cardio-vasculaires
Déficit vit B, cofacteurs enzymatiques homocystéine
Dénutrition protéino-énergétique
Conséquences de la DPE (3)
Conséquences cliniques (3)
4. Troubles psycho-intellectuels
Par carence en vitamines B
↑ dégradation intellectuelle chez PA atteintes de
maladie d’Alzheimer.
5. ostéoporose de dénutrition
• Carentielle : hyperparathyroïdie secondaire
• hypercatabolisme : ↑ activité ostéoclastique liée aux
cytokines proinflammatoires.
⇒ ↑ risque fracturaire.
Dénutrition protéino-énergétique
Conséquences de la DPE (4)
Conséquences cliniques (4)
6. troubles de la glycorégulation
Syndromes d'hyperglycémie de stress,
hypoglycémie à jeun (↓ réserves en glycogène)
favorisant des malaises
7. Troubles d'hydratation
½ des besoins/j en eau est assurée par alimentation
Rechercher DPE en cas de déshydratation
8. Ralentissement de la cicatrisation (escarres)
La DPE ⇒ escarres car ↓ MG, ischémie tissulaire
chronique et ↓ mobilité.
Escarres ⇒ aggravation DPE par hypercatabolisme.
Dénutrition protéino-énergétique
Conséquences de la DPE (5)
Conséquences cliniques (5)
9. Troubles digestifs
DPE ⇒ atrophie muqueuse intestinale & ↓
péristaltisme ⇒ stase digestive, formation fécalome ou
diarrhée, perturbations hydroélectrolytiques.
Glossite atrophique = marqueur de DPE
10. Conséquences endocriniennes ↓T4, T3
11. Augmentation mortalité et morbidité post-opératoire
12. Anomalies distribution médicamenteuse
hypoalbuminémie : forme libre des médicaments liés à cette
protéine augmente, d’où risque de surdosage
Dénutrition protéino-énergétique
Conséquences de la DPE (6)
Conséquences cliniques (6)
Toutes ces complications ⇒
•
↓ qualité de vie,
•
↑ durée de séjour hospitalier,
•
↑ morbidité & mortalité,
•
↓ chances de guérison & de récupération
fonctionnelle
•
↑ risque d’entrée en institution.
La mortalité est multipliée par 4 à 8 dans les 9 mois qui
suivent une hospitalisation associée à une DPE
Dénutrition protéino-énergétique
Prise en charge de la DPE
Stratégie de prise en charge nutritionnelle
⇒ Prise en charge précoce, plus elle est efficace
Objectifs de la prise en charge de la PA dénutrie
• ↑ Apports énergétiques de 30 à 40 kcal/kg/j
• ↑ Apports protéiques : 1,2 à 1,5 g/kg/j
Modes de renutrition
But assistance nutritionnelle (AN) : restauration ou
maintien état nutritionnel satisfaisant et amélioration du
pronostic en évitant complications de DPE.
3 modes d’AN, 2 derniers = nutrition artificielle :
Supplémentation orale hyperprotidique/hypercalorique
Nutrition entérale : SNG, gastrostomie, jéjunostomie
Nutrition parentérale
Dénutrition PE et Infections
Constats :
• DPE = 1ère cause d’immunodéficience dans le monde
• Relation entre malnutrition et infection puis mortalité infantile
(cf Pays en voie de développement)
• Recrudescences infections à germes opportunistes (ex :
Pneumocystis jirovecii) chez des sujets dénutris sans autre
déficit immunitaire
• Observation populations en famine et sujets en grève de la
faim : apparition pathologies infectieuses entraînant décès
• Prévalence infections nosocomiales multipliée par 5 chez les
patients hospitalisés et présentant une dénutrition sévère
• Impact significativement positif d’une intervention
nutritionnelle sur la diminution de la morbidité infectieuse (étude
réalisée au Guatemala sur des enfants préscolaires).
Dénutrition PE et Infections
Fonctions immunitaires des micronutriments
• Vitamine A permet maintien intégrité épithélium des
tractus respiratoires et gastro-intestinaux.
• Vitamine E :
- anti-oxydant ayant un rôle dans épuration des
radicaux libres ;
- régulateur de la fluidité membranaire (modification
des propriétés lipidiques) ;
- régulateur de l’expression des gènes.
• Vitamine D, effets anti-microbiens (cf carence en vitamine
D et susceptibilité à infection à Mycobacterium tuberculosis)
• Zinc, cofacteur de plus de 300 enzymes
Dénutrition PE et Infections
La DPE (1) ⇒
• Dysfonction immunitaire / lymphopénie.
• Altération immunités cellulaire, humorale & non spécifique
• Aggravation de l’immunosénescence physiologique
• Déficits immunitaires par carence zinc, sélénium, Vit B6, 9 et
12, micronutriments qui sont des cofacteurs enzymatiques
• ↑↑↑ radicaux libres car défaut d’élimination par carence en
zinc, sélénium, cuivre, vitamines C et E et carotène qui sont
des anti-oxydants
Dénutrition PE et Infections
La DPE (2) ⇒
• Carence en sélénium et risque d’infection à Coxsackie virus
• Carence en vitamine A :
• risque de diarrhée ;
• risque de paludisme à Plasmodium falciparum;
• risque de rougeole ;
• risque de surmortalité globale.
• Carence en zinc :
• réduction immunité non spécifique, incluant fonctions des
neutrophiles des cellules NK et activité complémentaire ;
• réduction nombre de lymphocytes T et B ;
• altération hypersensibilité retardée, activité cytotoxique et
production d'anticorps
Dénutrition PE et Infections
La DPE (3) ⇒
• Carence en Fer entraine réduction :
• immunité cellulaire
• fonctions des neutrophiles
• activité myéloperoxydase et antibactérienne
D’où ↑ infections
Dénutrition PE et Infections
Influence des infections sur l’état nutritionnel
Infection ⇒
• Hypercatabolisme glucidique, protéique, lipidique et
calcique.
• Protéolyse musculaire fournissant les acides aminés
nécessaires au système immunitaire et à la synthèse des
protéines inflammatoires
• Phénomènes systémiques : effet anorexigène des
cytokines, fièvre, frissons ⇒ pertes énergétiques
D’où dénutrition.
• Infection digestive ⇒ ↓ apports car douleurs, nausées,
diarrhées, … ou inflammation tube digestif d’où gêne à la
digestion et à l’absorption.
Dénutrition PE et Infections
Cercle vicieux : l’infection favorise un hypercatobolisme
qui entraîne une DPE qui à son tour aggrave le déficit
immunitaire et qui lui-même va favoriser d’autres infections.
infections
Infection
hypercatabolisme
Dénutrition
Infection(s)
Déficit immunitaire
Dénutrition PE et Infections
Complications infectieuses des traitements de DPE
Choix du type d’assistance nutritionnelle important car risques
infectieux différents :
• Supplémentation orale hyperprotidique/hypercalorique :
pas de risque infectieux.
• Nutrition entérale (SNG, gastrostomie) : risque de PNP
d’inhalation lié à mauvais positionnement ou déplacement
de la sonde, position du patient (à plat), pH gastrique élevé
(attention aux IPP)
• Nutrition parentérale :
• Risque +++ d’infection de cathéter par contamination
cutanée (point de piqûre) ou endoluminale (manipulation cathéter).
• Risque de translocation digestive car atrophie muqueuse
digestive liée au jeûne
Obésité/surcharge pondérale et risque
infectieux
• Généralement, personnes obèses plus exposées
aux infections par rapport aux personnes non obèses.
• Augmentation incidence des infections cutanées chez les
personnes obèses : candidose, intertrigo, furonculose, érythrasma,
Eczéma marginé de Hébra (teigne), la folliculite, fasciite nécrosante,
gangrène gazeuse, ….
• Phase active hépatite C chronique plus prolongée en cas
d’obésité ?
Nutrition et Infections
Prévention des infections par le biais nutritionnel (1)
• Zinc :
• Réduction risque infections
• Augmentation séroconversion et production d’anticorps lors de
certaines vaccinations (choléra)
• Vitamine E :
• Amélioration fonction immunitaire chez la PA :
• Prolifération cellulaire des cellules T naïves (et non mémoires)
• Production d’IL par les cellules T naïves
• Production d'anticorps après vaccination
• Amélioration résistance à la grippe (expérimental)
• Réduction risque contracter infection respiratoire supérieure en
EHPAD
Nutrition et Infections
Prévention des infections par le biais nutritionnel (2)
• Vitamine D :
• Prometteuse pour traitement prophylactique dans maladies virales
épidémiques et diverses infections
• Renforcement des défenses immunitaires contre la tuberculose
• Vitamine A : peu de preuves ; surtout chez les enfant et petits
prématurés : ↓ de ½ du taux de décès d’enfants malnutris en cas
d’adjonction de vitamine A, mécanisme ?
• Glutamine (énergie entérocytes) : ↓ épisodes infectieux chez les
grands brûlés ou polytraumatisés
Nutrition et Infections
Prévention des infections par le biais nutritionnel (3)
• Immunonutrition :
• Basée sur nutriments avec effets sur immunité (stimulation),
cicatrisation (synthèses protéiques), réponse inflammatoire et
contrôle
• Suppléments nutritionnels enrichis (arginine & oméga 3 +++)
• Diminution infections après chirurgie majeure ORL ou abdominale
et chez polytraumatisés graves
• Probiotiques en prévention de certaines infections, notamment à
Clostridium difficile
CONCLUSION
DPE et infections : situations fréquente chez la PA
Nécessité de bien connaître l’impact de l’état nutritionnel sur la santé de
la PA, notamment sur le plan infectieux.
Il important d’avoir conscience d’un possible cercle vicieux impliquant
DPE et infection(s) avec évolution souvent dramatique.
l’action la plus efficace passe par la prévention de la DPE qui permettra
à la personne notamment âgée d’avoir les outils nécessaires pour éviter
les infections (prévention), mais aussi les combattre efficacement
lorsque l’organisme n’a pu les éviter.
MERCI DE VOTRE ATTENTION
PLACE AUX QUESTIONS
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