Importance de la nutrition en cancérologie Formation Infirmières en CANCEROLOGIE « Soins Oncologiques de Support et Dispositif d’Annonce » Ghislain GRODARD Onco-diététicien CHRU Besançon [email protected] Jeudi 09 Février 2017 Dénutrition et cachexie cancéreuse UNE DÉFINITION DE LA CACHEXIE CANCÉREUSE ? « Cancer anorexia-cachexia syndrome – when all you can eat is yourself » Laviano et al, Nature Clin Pract Oncol 2005 UNE DÉFINITION DE LA CACHEXIE CANCÉREUSE ? Grec kakos (kakhexia)=mauvais ; hexis=constitution, désigne une forme de dénutrition aigue « syndrome multifactoriel C’est un caractérisé par une perte continue de masse musculaire (avec ou sans perte de masse grasse) qui n’est pas réversible par un support nutritionnel classique et qui entraîne un déficit fonctionnel progressif. Il y a une balance énergétique et protéinée négative avec diminution des apports alimentaires et perturbations métaboliques » Kenneth Fearon and al. 2011 , Lancet Oncol Definition and classification of cancer cachexia: an international consensus Kenneth Fearon and al. 2011 , Lancet Oncol 2011; 12: 489–95 DÉNUTRITION EN CANCÉROLOGIE Fréquente : 20 - 60% lors du diagnostic MÉCANISME : UNE RUPTURE DE L’ADAPTATION • Localisation sur le tractus digestif : causes mécaniques, malabsorptives, anorexie centrale • Niveau socio-économique • Hospitalisation, traitements (RT, CT, chirurgie) : régulation de l’appétit, effet anorexigène, sens affectés Besoins énergétiques • Type et Extension tumorale : métabolisme tumorale • Hospitalisation, traitements (RT, CT, chirurgie, thérapie ciblée) : métabolisme de l’hôte affecté + 0 - Apports énergétiques Mécanisme : une rupture de l’adaptation Au total, les malades hospitalisés conjuguent fréquemment une insuffisance d’apport (anorexie) avec une augmentation des besoins et parfois des pertes = production hépatique de glucose Système ubiquitineprotéasome Récepteurs B-3 adrénergiques Orage métabolique D’après P. Bachmann FACTEURS CATABOLIQUES DU CANCER Argiles Nutrition 2005 IATROGÉNIE : EFFETS SECONDAIRES Chimiothérapie: anorexie « centrale », nausées, vomissements, dysgueusie, dysosmie, dysphagie, mucite, iléus, et malabsorption ... Radiothérapie externe: anorexie, nausées, dysgueusie, dysosmie, dysphagie, mucite (stomatite), entérite, constipation, fistules, sténoses ... Chirurgie: ↑ dépenses énergétiques, ↓ apports oraux, altération de la digestion ou malabsorption due à des résections extensives digestives, chirurgie ORL, ... AUTRES TROUBLES DE LA SPHÈRE ORL Déglutition Dysosmie Dysgueusie Xérostomie Etat salivaire Etat dentaire Mucite/stomatite Mycoses buccales/ œsophagiennes AUTRES TROUBLES ET FACTEURS DE RISQUES Détérioration intellectuelle et démence Nausées, vomissements Diarrhées Perte digestive (stomie : proximale/terminale, débit stomial), résection digestive, insuffisance pancréatique … Perte d’autonomie Précarité et isolement Douleurs Polymédication Troubles psychiques (dépression) Régimes en tout genre (restrictif) Déficit moteurs et/ou tremblement des membres supérieurs DÉNUTRITION : EST-CE GRAVE ? La dénutrition tue lorsque 50% des réserves protéiques sont épuisées, correspondant à 35% de perte de la masse cellulaire. DÉNUTRITION EN CANCÉROLOGIE : QUELLE INCIDENCE ? 20 % des patients cancéreux ont pour seule cause décelable de décès la cachexie. Inagaki J. et al, Cancer, 1974, 33; 568-73 Ottery FD. Cancer Pract. 1994, 2; 123 DeWysWD, et al. Am J Med. 1980, 69; 491-7 Dworzak et al., 1998 Warren, 1932 DÉNUTRITION, QUELLES CONSÉQUENCES ? Composition corporelle Altérations profondes des secteurs hydriques : - déshydratation intracellulaire - hyperhydratation extracellulaire (ayant un impact sur pharmacocinétique des drogues) - hyperhydratation de la MM malgré sa fonte Fonctions immunitaires immunodépression : ↙ prolifération LT et LB en lien avec la carence protéique, ↙ synthèse et prolifération AC, ↙ synthèse de cytokines, ↙ baisse barrière immunitaire digestive Capacités fonctionnelles diminution de la force musculaire, y compris du muscle respiratoire, ↙ capacités de récupération et de réadaptation fonctionnelle Fonctions vitales retard de cicatrisation lâchage de suture, complications post-op en chirurgie cardiaque et digestive Autres Anémie, asthénie, troubles thymiques, défaut de synthèse hormonale CONSÉQUENCES DE LA DÉNUTRITION de la prévalence des infections nosocomiales des coûts de prise en charge hospitalière de la durée de l’hospitalisation (30%) de la dépendance et de la charge en soins de l'arsenal thérapeutique (éligibilité chirurgie par ex,) de la qualité de vie des malades des doses de chimiothérapie réponse aux traitements Augmentation des coûts et des traitements Relations statut nutritionnel et nouvelles prescriptions médicamenteuses Nbre de nouvelles prescriptions Moyenne Ecart-type Echantillon Dénutris 5,28 4,47 166 Non dénutris 4,49 4,02 672 Total 4,65 4,12 838 Ecart en % 17,59 % La dénutrition induit un effet sensible sur le niveau des nouvelles prescriptions : + 17,59% J.Edington et coll. Clin Nutr 2000 ; 19; 191-195 ASPECTS CLINIQUES Poids = signe clinique d’appel Modérée Sévère ≥2% en 1 semaine ≥5% en 1 mois ≥10% en 1 mois ≥10% en 6 mois ≥15% en 6 mois « Avec la chimio, j’ai déjà perdu 3 kilos en 1 mois » = 5% du poids initial « Je ne peux plus manger avec les rayons, j’ai perdu 2 kilos en 1 semaine, je ne savais pas que cela serait aussi dur » = 3,5% du poids initial ASPECTS CLINIQUES Cheveux rares, fins, secs, décolorés, présentant un défaut de résistance à l’arrachage Visage amaigri, globes oculaires saillants Pâleur cutanéo-muqueuse Lèvres fissurées, chéilite (perlèche) Langue lisse, atrophiée, dépapillée Caries, hypoplasie de l’émail Atrophie cutanée, dermatoses diverses Œdèmes des membres inférieurs Recherche d’une fonte adipo-musculaire HypoTA, bradycardie Performance status UN OUTIL : EPA® Relevé des ingesta sur 3 jours consécutifs ou rappel des 24 heures Echelle visuelle analogique (EVA) : autoévaluation en graduant la prise alimentaire actuelle par rapport à celle habituelle (N>7) R. Thibault et al. 2007 L’état nutritionnel, quelle importance ? Pronostic « une perte de poids de 5 % ou plus par rapport au poids habituel, ou poids de forme ou dans les six mois, est un facteur de mauvais pronostic. ». SFNEP Nutrition Oncology Guidelines 2012 « La perte de poids est aussi un facteur de mauvais pronostic en termes de survie globale, de survie sans récidive et de qualité de vie » SFNEP Oncolgy Nutrition Guidelines 2012 Diminution de la survie (Dawood, 2008) (niveau 3) K SEIN Risque accru de mortalité toutes causes confondues (Loi, 2005 ;Abrahamson, 2006; Cleveland, 2007; Caan, 2008) (niveau 2) K SEIN L’état nutritionnel, quelle importance ? Qualité de vie - Van Den Berg MG et al. 2013 (K ORL) - Platek ME et al. 2013 (K ORL) - Ravasco P. 2004 et 2012 (K Colorectal) - Isenring et al. 2004 & 2007 « le conseil diététique personnalisé avait une récupération plus rapide de la qualité de vie globale (p = 0,009) et de la fonction physique (p = 0,012) durant les huit semaines post-radiothérapie (EORTC-QLQ C30) chez les patients traités pour cancer des voies aérodigestives (88 %) et digestif (12 %) » - . Maintien des apports calorico-protéiques au long terme Maintien du statut nutritionnel à long terme RÉSULTATS • Progression ou récidive dans 58% des cas du groupe 3, 31% du groupe 2 et 19% du groupe 1 • Réduction des apports oraux, du statut nutritionnel et de la qualité de vie sont associées à une toxicité tardive accrue et survie moindre. (HR 8,25 ; IC 95% 2,74-11,47 ; p < 0,001) EN RADIOTHÉRAPIE ET RADIO-CHIMIOTHÉRAPIE À VISÉES CU Recommandations professionnelles de la Société Francophone Nutrition Clinique et Métabolisme (SFNEP) 2012 EN RADIOTHÉRAPIE OU RADIO-CHIMIOTHÉRAPIE DES VADS Recommandations professionnelles de la Société Francophone Nutrition Clinique et Métabolisme (SFNEP) 2012 Projet thérapeutique : prévenir les carences et garantir la réalisation du projet thérapeutique initial (réduction des doses de CT, arrêt de traitement…) Obésité et cancer du sein Quelle prise en soins ? (IMC > 30 selon OMS) Est-ce fréquent? De quel ordre? Est-ce réversible? Est-ce fréquent? OUI 1 femme sur 2 traitée pour un cancer du sein (niveau 2). La chimiothérapie est associée un RR de 1,9 (Saquib, 2007; Demark-Wahnefried, 2003) De quel ordre? Est-ce réversible? Est-ce fréquent? OUI 1 femme sur 2 traitée pour un cancer du sein (niveau 2). La chimiothérapie est associée un RR de 1,9 (Saquib, 2007; Demark-Wahnefried, 2003) Le gain de poids est de : 41% en surpoids ou obèses au diagnostic et 52% prennent du poids 6 mois après les traitements de CT (+ 3,2 ± 2,2 kg) (Trédan, 2010 : cohorte de 272 patientes entre 2004 et 2006). De quel ordre? 3 kilos en moyenne (Saquib, 2007; Heidemann, 2008). Prise de 8 à 10 kilos non exceptionnelles: >5 kg chez 1 patiente sur 3 sous chimiothérapie (Heidemann, 2007) Le gain de poids varie entre 1 et 6 kg au cours de la CT, suivant les études (Demark-Wahnefried, 1993 et 2001 ; Freedman, 2004 ; Goodwin, 1999 ; Heideman, 2009 ; Irwin, 2005 ; Saquib, 2007) Est-ce réversible? Est-ce fréquent? OUI 1 femme sur 2 traitée pour un cancer du sein (niveau 2). La chimiothérapie est associée un RR de 1,9 (Saquib, 2007; Demark-Wahnefried, 2003) De quel ordre? 3 kilos en moyenne (Saquib, 2007; Heidemann, 2008). Prise de 8 à 10 kilos non exceptionnelles: >5 kg chez 1 patiente sur 3 sous chimiothérapie (Heidemann, 2007) Est-ce réversible? Plutôt NON. Seulement 10% retrouvent leur poids initial Plus le surpoids est important, plus la probabilité de retour au poids initial est faible Effets délétères ? Effets délétères ? OUI D’après Pr ZELEK - Un IMC élevé serait un facteur de mauvais pronostic « les femmes obèses au moment du diagnostic de cancer du sein ont un risque majoré de 30% de mortalité comparé aux femmes non obèses ». Protani M, Breast Cancer research and treatment, 2010. - Un IMC élevé est un facteur de risque de cancer du sein - Diminution de la survie (Dawood, 2008) (niveau 3) - Risque accru de mortalité toutes causes confondues (Loi, 2005 ;Abrahamson, 2006; Cleveland, 2007; Caan, 2008) (niveau 2) Risques de récidive ? Risques de récidive ? OUI Risque accru de récidives (Hebert, 1998; Dawood, 2008; Loi 2005, Majed, 2007) (niveau 2) Risque accru de second cancer : cancer du sein controlatéral (Dignan,2003) et autres cancers (Dignan, 2003; Majed, 2007; Sanchez, 2008) :cancers gynécologiques (38,2 %) et digestifs (23,2 %) (Majed, 2007) (niveau 2) , World Cancer Research Fund (WCRF) et l’American Institute for Cancer Research (AICR) 2014 Risque accru de mortalité toutes causes confondues (Loi, 2005 ;Abrahamson, 2006; Cleveland, 2007; Caan, 2008) (niveau 2) Physiopathologie ? « J’ai eu tendance à prendre du poids à cause du type de chimio que j’ai reçu. C’était comme ajouter de l’insulte à l’injure » Obésité sarcopénique ↗ masse grasse ↘ masse maigre (Demark-Wahnefried, 2001 et 2002 ; DeNysschen, 2011) + risque de sarcopénie (Demark-Wahnefried , 2001; Fearon, 2011; Jacquelin-Ravel, 2012) En partie lié à la réduction de l’activité physique Diminution du métabolisme basal sous chimiothérapie ↘ dépense énergétique (Moses, 2004) ↘ tolérance aux thérapies anticancéreuses (Bachmann , 2008) Pas d’hyperphagie mise en évidence chez ces patientes Tissu Adipeux blanc = aromatases = œstrogènes Besoins Apports Equilibre CT Apports Besoins Equilibre Apports COUPLAGE APA ET NUTRITION : LIEN AVEC LE CANCER DU SEIN TAKE HOME MESSAGES Le surpoids, l’obésité et la prise de poids sont des facteurs de mauvais pronostic après diagnostic de cancer du sein (augmentation risque de mortalité globale et spécifique par maladie cardiovasculaire) (Kroenke, 2005 ; Druesne-Pecollo, 2012 ; Nichols, 2009 ; Camoriano, 1990). Manque d’AP : facteur probable de la prise en poids après diagnostic (Demark-Wahnefried, 2001) Référentiels inter-régionaux en Soins Oncologiques de support « Activité Physique Adaptée, Rééducation et Cancer du sein » 2013 RECOMMANDATIONS 1. Proposer aux patientes une consultation de diététique afin de les faire bénéficier de conseils alimentaires personnalises (niveau 1, grade A) 2. Eviter toute prise de poids supplémentaire (niveau 1, grade A) 3. Adapter l’alimentation en privilégiant les aliments à faible densité énergétique (fruits et légumes) et en limitant les aliments gras et sucrés (niveau 1, grade A) 4. Augmenter de façon progressive l’activité physique (niveau 1, grade A) 5. En cas d’obésité• , les orienter vers un programme de réduction pondérale (niveau 1, grade A) Recommandations Nice St-Paul de Vence 2009 SFNEP oncology nutrition guidelines: When should individualized dietary counseling be proposed CONCLUSIONS La prise de poids, l’obésité et le surpoids sont des facteurs de mauvais pronostic dans les cancers du sein. Les caractéristiques de cette adiposité est qu’elle est sarcopénique, liée à une diminution du métabolisme basal sous chimiothérapie, de l’AP et sans hyperphagie. La corticothérapie à haute dose (>50 mg/j) peut entrainer une hyperphagie et de facto une prise de poids. Rôle central de la réadaptation physique de façon concomitante à l’alimentation. Les conséquences sont majeures : ↙ survie, ↙ tolérance aux traitements, ↗ risque de récidive et de second cancer. Ne justifie en aucun cas le « régime de la peur »