Forum Médical de Rangueil Dénutrition et maladie d’Alzheimer Dr Anne Ghisolfi-Marque La Maladie d’Alzheimer (MA) est une pathologie neuro-dégénérative caractérisée par une perte progressive des fonctions cognitives et l’apparition d’un état de dépendance particulièrement difficile à assumer pour les proches des patients. La MA concerne actuellement plus de 610000 personnes âgées de plus de 75 ans et les projections démographiques prévoient une augmentation considérable de la prévalence au cours des années à venir. La survenue d’une perte de poids est très fréquente chez les patients atteints de démence et plus particulièrement de MA. Elle toucherait 30 % des patients à un stade modéré de la maladie et plus de 50 % des sujets en maison de retraite à un stade sévère. La perte de poids peut précéder le diagnostic de la maladie et donc être présente dès les stades précoces. En l’absence de prise en charge, l’amaigrissement va évoluer vers la constitution d’une dénutrition protéino-énergétique (DEP), elle-même à l’origine d’une surmorbidité infectieuse, de fonte musculaire, de trouble de la marche, de chute…et de surmortalité. La survenue d’une DPE aggrave par ailleurs le pronostic et le fardeau de la maladie. Les mécanismes de cette perte de poids restent à ce jour imparfaitement connus. Ils sont très vraisemblablement multifactoriels, évoluant selon les stades de la maladie. Parmi les mécanismes invoqués, la perte d’autonomie peut être responsable de difficultés d’approvisionnement ou dans la préparation des repas ; une augmentation de la dépense énergétique totale soit par majoration de la dépense énergétique due à l’activité physique (déambulation, agitation), soit par modifications métaboliques a été proposée ; la perte de poids peut aussi trouver sa cause dans une dysfonction de la régulation du pondérale par atteinte du système endocrine à contrôle hypothalamique ou dans des perturbations métaboliques impliquant le neuropeptide Y, les cytokines, la cholécystokinine ; enfin une modification du contrôle de la prise alimentaire par atrophie du cortex mésio-temporal est aussi proposé comme mécanisme à l’origine de la perte de poids. Deux types d’amaigrissement ont pu être identifiés au cours de l’évolution de la MA témoignant de la complexité physiopathologique : un amaigrissement lent progressif corrélé aux performances cognitives et faisant partie intégrante de la maladie neurologique, un amaigrissement rapide et profond corrélé à la perte d’autonomie et à la diminution de l’apport protéino-énergétique. Le patient atteint de MA est le plus souvent un patient âgé. De ce fait, deux aspects doivent être pris en compte : d’une part le risque nutritionnel lié à la pathologie, d’autre part celui lié au vieillissement. Comme pour tous les patients, la prise en charge nutritionnelle devra prendre en considération la dimension éthique. Mais un diagnostic de MA ne doit pas faire écarter toute prise en charge nutritionnelle et constituer a priori une perte de chance. En effet, l’état nutritionnel (évalué par le Mini Nutritional Assessment –MNA-) est le seul élément prédictif de la perte rapide de cognition. Différentes modalités de prise en charge nutritionnelle ont été proposées et évaluées. Des programmes d’éducation nutritionnelle délivrés aux aidants ont permis d’obtenir un effet positif sur le poids, l’état nutritionnel évalué par le MNA et les fonctions cognitives des patients. En institution, l’augmentation significative du temps d’intervention diététique a permis d’obtenir pour les patients bénéficiaires un gain pondéral et une amélioration du pronostic. Les compléments nutritifs oraux (CNO) hyper caloriques sont bien acceptés par les patients ; l’apport quotidien de 400 kcal supplémentaires a permis d’augmenter le poids et d’améliorer l’état nutritionnel des sujets traités. Il a pu être mis en évidence un effet positif des CNO sur la masse maigre des patients atteints de MA et à risque de dénutrition. La nutrition entérale est quant à elle sujet à controverse. Sa prescription de manière temporaire chez un patient atteint de MA à un stade modéré et exposé à un risque nutritionnel majeur en raison d’une pathologie hyper catabolique doit être discuté comme dans le cas d’un patient âgé non dément. Par contre, son utilisation à long terme, dans les situations de MA évaluée ne semble pas indiquée. En effet, dans ces indications, la nutrition entérale ne permet pas d’améliorer la survie, n’a que peu d’effet sur les paramètres nutritionnels et est cause de sur morbidité : Il n’y a donc pas d’indication de la nutrition artificielle au stade terminal de la Maladie d’Alzheimer. La surveillance de l’état nutritionnel doit être mise en place dès le diagnostic de la maladie. Le dépistage d’une dénutrition doit entraîner la mise en route d’une prise en charge nutritionnelle personnalisée et adaptée aux besoins et capacités du sujet. Cette prise en charge sera toujours dans un premier temps orale, avec éventuellement recours aux CNO. La nutrition entérale pourra être utilisée aux stades modérés de la maladie dans un contexte de situations aiguës réversibles. Par contre son intérêt aux stades sévères n’a pas été démontré. Gillette-Guyonnet S, Abellan Van Kan G, Alix E, Andrieu S, Belmin I, Berrut G, Bonnefoy M, Brocker P, Constans T, Ferry M, Ghisolfi-Marque A, Girard L, Gonthier R, Guérin O, Hervy MP, Jouanny P, Laurain MC, Lechowski L, Nourashémi F, Raynaud-Simon A, Ritz P, Roche J, Rolland Y, Salva T, Vellas B. IANA (International Academy on Nutrition and Aging) Expert Group : Weight loss and Alzheimer’s disease. J.Nutr.Health Aging. 2007 ; 11 (1) : 38-48.