TAP GG 158[AGE_VILLAGE]:MARS GG 113 30/10/09 18:19 Page414 YVES GINESTE1, ROSETTE MARESCOTTI2 RÉSUMÉ/ABSTRACT 1. DIRECTEUR DE FORMATION, CO-AUTEUR DE LA PHILOSOPHIE DE SOIN DE L’HUMANITUDE ET DE LA MÉTHODOLOGIE DE SOIN GINESTE-MARESCOTTI. CO-AUTEUR DU LIVRE HUMANITUDE (ÉDITIONS ARMAND COLIN, 2007). 2. DIRECTRICE CEC-IGM-FRANCE, CO-AUTEUR DE LA PHILOSOPHIE DE SOIN DE L’HUMANITUDE ET DE LA MÉTHODOLOGIE DE SOIN GINESTE-MARESCOTTI. La relation passe par des piliers: regard, toucher, parole. Ces piliers, naturels dans une relation qui se passe bien, disparaissent lors des soins difficiles aux Hommes très vieux. La Méthodologie de soin Gineste-Marescotti® propose des outils professionnels de soins relationnels d’acquisition de ces piliers – regard de mise en humanitude, Toucher-tendresse®, auto-feedback– actualisés dans une séquence de soin appelée Capture sensorielle®, composée de quatre étapes: les pré-préliminaires, les préliminaires, le rebouclage sensoriel, la consolidation émotionnelle. L’application de la Capture sensorielle® évaluée lors d’études scientifiques permet de transformer 83 % des soins difficiles en soins apaisants1. MOTS CLÉS: Alzheimer – Humanitude – Soins relationnels – Communication. SENSORIAL CAPTURE IN THE METHODOLOGY OF GINESTE-MARESCOTTI® CARE: AETIOLOGY OF TOOLS BASED ON RELATIONSHIPS IN DIFFICULT CARE SITUATIONS Relationships involve three main features: sight, touch, speech. These three features are natural in a good relationship, but disappear in the difficult care of the very elderly. The methodology of Gineste-Marescotti® care proposes professional tools in the field of care based on relationships enabling the 3 features to be achieved – sight in a human context, Toucher-tendresse® (affectionate touch), auto-feedback – updated in a sequence called sensorial Capture® comprising four phases: pre-preliminaries, preliminaries, restoration of sensorial capacity, emotional consolidation. Application of sensorial Capture® has been evaluated in scientific studies that have demonstrated that in 83% of difficult cases, care becomes soothing.1 KEY WORDS: Alzheimer’s disease – Human approach – Care based on relationships – Communication. Depuis trente ans, nous assurons des formations de soin auprès d’équipes soignantes. Lors de ces stages, nous effectuons tous les jours les soins de base auprès des patients réputés les plus difficiles et choisis par les équipes: patients rétractés, opposants, souffrants, grabataires et autres. L’observation systématique des pratiques habituelles nous a démontré l’importance de la relation dans ces soins extrêmes. Nous avons étudié chaque composante de cette relation, en créant de nombreux outils en matière de nursing, de mobilisation, de réhabilitation, d’organisation des services, et nous mesurons leurs impacts lors de nombreuses études. Parmi les 150 techniques de soin élaborées, nous décrivons ici la Cap- 414 > La Capture sensorielle dans la Méthodologie de soin GinesteMarescotti® : éthologie des outils de la relation dans les soins difficiles > Approches non-médicamenteuses de la maladie d’Alzheimer Actes du 2e Colloque International. Paris. 2009 Approches non-médicamenteuses de la maladie d’Alzheimer ture sensorielle®. Bien que cette technique de relation s’adresse à tous les types de patients, elle est particulièrement nécessaire et performante auprès des personnes atteintes d’un syndrome cognitivo-mnésique. Toutes ces techniques sont en lien direct avec la Philosophie de l’Humanitude® et constituent avec elle la Méthodologie de soin GinesteMarescotti®. L’observation et les constats Il nous paraît essentiel de préciser que cette technique est née du terrain, de l’observation, de la pratique, des modifications permanentes que nous avons menées au cours de plus de vingt mille soins, de l’analyse des échecs et des ten- tatives de compréhension des réussites. La théorie n’est venue qu’expliquer les résultats observés. En 1982 et 1983, nous lançons une étude sur les temps de communication verbale dans les services gériatriques. Parle-t-on aux vieillards «grabataires», à ceux atteints d’un syndrome d’immobilisation, aux «déments séniles» qui ne communiquent plus? Pendant deux ans, avec l’accord des équipes observées, nous plaçons des magnétophones à déclenchement vocal pour enregistrer sur 24 heures tous les mots qui s’adressent à ces adultes âgés. Nous mesurons ainsi qu’à l’époque, dans ce qui s’appelait l’hospice, un grand vieillard ne reçoit que 120 secondes de mots par 24 heures… LA REVUE FRANCOPHONE DE GÉRIATRIE ET DE GÉRONTOLOGIE • OCTOBRE 2009 • TOME XVI • N°158 C’est une prise de conscience capitale qui va orienter nos recherches: ces soignants volontaires pour participer à cette étude ne sont pas de mauvais soignants, au contraire, ils sont persuadés de parler, mais ne le font pas : ce qui est naturel, c’est de se taire. Il devient alors nécessaire, si l’on estime que la relation verbale est importante quel que soit l’état cognitif d’une personne en soin, de professionnaliser la relation, d’élaborer des techniques précises, et de s’y entraîner. Nous créons le premier outil, l’auto-feed back, et mesurons alors qu’il faut entre six mois et deux ans pour qu’il soit totalement maîtrisé par les soignants. Et nous constatons avec ces équipes que les temps de communication verbale directe passent entre 8 et 12 minutes par 24 heures, avec comme résultat la disparition quasi totale des syndromes d’immobilisation… D’autres études viendront confirmer nos observations, dont celle de 2004 auprès d’un patient atteint de la maladie d’Alzheimer en stade final, rétracté, opposant aux soins, qui ne reçoit que moins de 30 secondes de communication verbale par jour. La communication se basant principalement sur les regards, la parole et le toucher, nous avons étudié ces piliers relationnels et avons élaboré des techniques pour répondre aux objectifs recherchés. Pour le regard, nous avons mesuré, toujours pour les mêmes types de pathologies et d’états de dépendance, une dizaine de regards par jour. Au lieu de plusieurs milliers que nous recevons chaque jour. Pour le toucher, la vie de ces résidents très handicapés est basée sur des touchers de mobilisations difficiles, de nursing, des touchers utiles et invasifs, difficiles à recevoir, très rarement ressentis comme des touchers validants. La Capture sensorielle® va donc reprendre les modes de relations positives entre les humains et professionnaliser cette relation afin de tenter d’éviter les pièges majeurs tendus par la grande vieillesse, la différence, la peur de la mort ou de ressembler à celui dont nous prenons soin. Cette démarche typiquement éthologique nous a permis d’identifier quatre étapes distinctes dans la relation : les pré-préliminaires, les préliminaires, le rebouclage sensoriel, la consolidation émotionnelle. Pour faciliter la compréhension, nous allons comparer une situation de la vie courante, aller chez des amis boire l’apéritif, et une situation de soin. Les pré-préliminaires Il s’agit là de prévenir l’autre qu’une rencontre va avoir lieu : on sonne à la porte, les amis savent que l’on arrive, ils se préparent à la rencontre. Dans les soins, on frappe à la porte. La technique que nous avons retenue après expérimentation permet d’augmenter le nombre de réponses en gériatrie lourde de 40 % : frapper trois fois à la porte suffisamment fort, attendre trois secondes, refrapper trois fois, attendre à nouveau trois secondes, refrapper et entrer s’il n’y a pas de réponse, frapper alors au pied du lit. Dans les cas où il n’y a pas de réponse verbale, nous pouvons observer une modification positive du comportement ou de l’attitude chez plus de 50 % de ces patients. Les préliminaires Il serait mal venu chez des amis de se précipiter sur l’apéritif à peine la porte ouverte. Au contraire, pendant quelques minutes, la mise en relation se fait sans évoquer la raison de l’invitation, mais en prenant des nouvelles. Dans le soin, la période des préliminaires au soin est capitale. Elle a une durée de moins de 40 secondes dans 90 % des cas, peut aller jusqu’à 3 minutes sans jamais les excéder. Elle vise à entrer en relation positive et permet de faciliter l’acceptation du soin habituellement refusé dans 70 % des cas étudiés. Au cours de ces préliminaires, le soin n’est pas évoqué. Cela s’inscrit dans la tentative d’offrir une relation « gratuite », nous venons pour rencontrer la personne, pas à cause d’un soin obligatoire. Ce n’est que vers la fin des préliminaires que le soin est proposé. En pratique, et respectant les techniques mises au point pour les trois piliers relationnels, cela donne une approche que nous pouvons décrire ainsi, par exemple pour un patient habituellement opposant au soin par déficit cognitivo-mnésique: • L’approche se fait de face, regard long, axial, la parole doit impérativement arriver dans les trois secondes suivant l’accroche visuelle, puis le soignant choisit si possible une position qui lui permet de porter un regard horizontal, voir oblique vers le haut (le fait de se positionner en dessous est lu comme un signe de soumission, donc le soignant ne peut être perçu comme un agresseur). • La main est proposée comme pour dire bonjour, si elle n’est pas prise, le toucher est reporté. • La parole, toujours soutenue par des regards proches, axiaux, longs, horizontaux, est douce, rassurante, les mots employés ne sont pris que dans un registre positif: «bonjour», «cela me fait plaisir de vous voir», « ça va bien ? », « vous êtes super aujourd’hui», etc. Il est absolument impératif d’éviter les mots négatifs, d’opposition, de nommer le soin à venir si c’est habituellement un soin difficile (ne pas dire «je vais vous doucher » si la douche est insupportable). • Dès que possible, en général très rapidement, il est nécessaire de rentrer dans l’espace intime de la personne. En effet, en mémoire émotionnelle, les personnes admises dans l’espace intime sont toujours des relations positives. Le faire prudemment en guettant les signes éventuels de refus (très rares). • Le toucher se fera de manière progressive en commençant par des zones socialement neutres (épaules, avant bras), pour conclure cette mise en relation par des touchers plus envahissants, comme toucher la joue. • Proposer le soin, sous forme verbale atténuée: «Vous avez des dou- LA REVUE FRANCOPHONE DE GÉRIATRIE ET DE GÉRONTOLOGIE • OCTOBRE 2009 • TOME XVI • N°158 Approches non-médicamenteuses de la maladie d’Alzheimer Actes du 2e Colloque International. Paris. 2009 TAP GG 158[AGE_VILLAGE]:MARS GG 113 30/10/09 18:19 Page415 > 415 leurs dans le dos, vous venez avec moi, je vais vous masser le dos, cela vous fera du bien…» Les préliminaires sont terminés quand des signes d’apaisement apparaissent. Le soin peut commencer. Le rebouclage sensoriel Il s’agit de l’état de bien être obtenu quand tous les piliers sensoriels portent le même langage. Avec nos amis, lors de l’apéritif, le bien être s’installe, nous évitons les sujets qui fâchent, on se lit comme aimés dans le regard amical, les touchers sont d’amitié, les mots dans un registre de partage amical. Dans le soin, si les piliers sont les vecteurs d’émotions positives, le rebouclage sensoriel se traduira par des sourires, toujours par une baisse du tonus musculaire, parfois par des mots qui n’était plus prononcés depuis des années par des patients mutiques. La grande difficulté consiste à maîtriser des techniques de soin complexes comme le toucher au cours de la toilette intime, de manipulations délicates ou difficiles, sans que le toucher ne porte un message négatif qui vienne contrarier les messages positifs des deux autres piliers, parole et regards. C’est pourquoi nous avons mis au point des techniques appelées « Toucher tendresse », mais aussi des techniques de mobilisation où, quels que soient le soin et le patient, le soignant ne force jamais plus que ne pourrait le faire un enfant de 10 ans. La consolidation émotionnelle Après l’apéritif, on ne se sauve pas sans un mot, mais il y a toujours un moment où l’on verbalise le bon moment que l’on vient de passer, où l’on fixe la prochaine rencontre. Dans le soin, cette période vise à faire entrer en mémoire émotionnelle, la seule persistante dans les SCM, les bons moments que l’on vient de passer. On valorise, la personne, la rencontre, le soin par des mots positifs : « Vous êtes vraiment agréable», «je me suis régalé avec vous », « la douche vous a fait du bien », « vous avez aimé la douche, n’est-ce pas?», etc. L’application de cette technique lors des soins difficiles avec des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer donne des résultats qui ont été mesurés par une étude scientifique publiée en juin 2008 : 83 % de ces soins qui se passaient dans les cris, les coups, dans l’opposition la plus radicale, se sont faits dans le calme, avec des sourires, voire de la coopération. Cela place aujourd’hui les approches non médicamenteuses comme les approches majeures dans les soins aux patients âgés atteints de SCM. > RÉFÉRENCES 1. Successfull Aging Database. «Évaluation de la Méthodologie de soin GinesteMarescotti, dite «Humanitude», lors de formations in situ. » La Revue de Gériatrie, tome 33, Supplément A au n°6, juin 2008. LA REVUE FRANCOPHONE DE GÉRIATRIE ET DE GÉRONTOLOGIE • OCTOBRE 2009 • TOME XVI • N°158 Approches non-médicamenteuses de la maladie d’Alzheimer Actes du 2e Colloque International. Paris. 2009 TAP GG 158[AGE_VILLAGE]:MARS GG 113 30/10/09 18:19 Page417 417