Thrombose de la veine porte - Portal vein thrombosis

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Thrombose de la veine porte
Portal vein thrombosis
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■ Le facteur étiologique local le plus fréquent correspond
aux foyers septiques intra-abdominaux (qui conduisent à une
pyléphlébite septique).
■ Même quand un facteur local a été mis en évidence, une
ou plusieurs affections prothrombotiques sont identifiées dans
près de 70 % des cas.
■ Les syndromes myéloprolifératifs représentent la première
cause de thrombose de la veine porte d’origine extrahépatique. À côté de leurs formes classiques, il existe des formes
occultes ou frustes sans anomalie évocatrice du sang périphérique. Le diagnostic peut alors être fait à la fois par la mise
en évidence de colonies érythroblastiques spontanées lors de
la culture des précurseurs médullaires sur milieu pauvre en
érythropoïétine et par l’analyse histologique de la biopsie
ostéomédullaire.
■ Les principales complications de la thrombose du système
porte sont l’infarctus veineux mésentérique, les hémorragies
digestives dues à l’hypertension portale sous-hépatique et la
compression des voies biliaires par les veines du cavernome.
■ Le traitement anticoagulant permet souvent la reperméabilisation des vaisseaux thrombosés à la phase aiguë et a pour
but d’éviter la récidive de thrombose splanchnique ou extrasplanchnique à la phase de cavernome portal.
DÉFINITION
La thrombose de la veine porte est une affection rare atteignant
les enfants et les adultes. Elle est la cause la plus fréquente d’hypertension portale extrahépatique en Occident. Son diagnostic peut
être porté à la phase aiguë, à l’occasion d’une douleur abdominale,
mais l’occlusion de la veine porte par un thrombus passe souvent
(1) Service d'hépatologie, Fédération médico-chirurgicale d'hépato-gastroentérologie, hôpital Beaujon, AP-HP, Paris et (2) Service d’hépato-gastroentérologie,
hôpital Saint-Camille, Bry-sur-Marne.
inaperçue. Le thrombus s’organise et une circulation veineuse collatérale porto-porte tortueuse se développe autour de la veine thrombosée, entraînant la formation du cavernome. Le diagnostic sera
alors porté soit fortuitement, soit à l’occasion d’une rupture de
varices œsophagiennes ou de manifestations d’hypersplénisme (1).
L’utilisation du terme “thrombose de la veine porte” devrait être
restreinte aux cas de thrombose du tronc de la veine porte. En effet,
la thrombose de la veine porte peut s’étendre en aval aux branches
droites et gauches et aux branches segmentaires intrahépatiques
et, en amont, à la veine splénique, à la veine mésentérique supérieure
ou inférieure. La thrombose du système porte correspond à la thrombose de n’importe lequel des sites sus-cités.
ÉTIOLOGIE
La cause de la thrombose de la veine porte est souvent multifactorielle : une cause locale et une affection prothrombotique ou une
combinaison d’affections prothrombotiques. Un facteur étiologique
est actuellement mis en évidence dans près de 80 % des cas (2).
Les causes d’obstruction de la veine porte sont résumées dans le
tableau I. En l’absence de tumeur maligne de voisinage (carcinome
hépatocellulaire et adénocarcinome pancréatique), il faut rechercher des arguments en faveur d’une cirrhose, d’une cause locale
et d’une affection prothrombotique.
Lorsque la thrombose de la veine porte accompagne une cirrhose
et qu’un carcinome hépatocellulaire a été formellement éliminé,
deux cas de figure sont possibles :
– Il n’y a pas ou peu d’insuffisance hépatique ; une enquête étiologique complète doit alors être effectuée. En effet, une thrombose
de la veine porte n’est mise en évidence que dans moins de 1 % des
cas de cirrhose sans insuffisance hépatique et une ou plusieurs
affections prothrombotiques héréditaires (facteur V Leiden, mutation du gène de la prothrombine ou mutation homozygote du gène
de la MTHFR) sont mises en évidence chez 70 % des patients
atteints de cirrhose et de thrombose de la veine porte (3).
– Il existe une atrophie hépatique avec insuffisance hépatique sévère
et stagnation du flux portal ; les thromboses partielles de la veine
porte sont alors fréquentes, peu spécifiques, et une enquête étiologique n’est pas nécessaire.
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Tableau. Étiologie de la thrombose de la veine porte.
Causes fréquentes
Causes rares
Régionales
– cirrhose avec insuffisance hépatique
– pancréatites chroniques et aiguës
– pyléphlébites septiques (appendicite,
diverticulite, infection biliaire, cancer colique…)
– chirurgie sus-mésocolique
Régionales
– cirrhose sans carcinome hépatocellulaire
ni insuffisance hépatique
– traumatismes abdominaux
– transplantation hépatique
– hépatite à cytomégalovirus
– maladie de Crohn et rectocolite hémorragique
– tuberculose ganglionnaire intra-abdominale
Générales
– syndromes myéloprolifératifs
– mutation du gène du facteur II et facteur V Leiden
– déficit congénital en protéine S, C et antithrombine III
– syndrome des antiphospholipides
Générales
– hémoglobinurie paroxystique nocturne
– syndrome néphrotique
– maladie de Behçet
– afibrinogénémie
– hyperhomocystéinémie
– augmentation du facteur VIII de la coagulation
Le facteur local le plus fréquent correspond aux foyers septiques
intra-abdominaux (qui conduisent à une pyléphlébite septique).
Les autres facteurs locaux sont les traumatismes de la veine porte
(notamment lors de la chirurgie biliaire), la splénectomie pour
syndrome myéloprolifératif ou anémie hémolytique, les affections
pancréatiques et les adénopathies du pédicule hépatique dues à la
tuberculose (1).
Une pyléphlébite septique se manifeste par la présence de matériel
purulent dans la veine porte. Il s’agit d’une affection rare mais grave.
Elle est associée le plus souvent à une thrombophlébite d’un des
affluents de la veine porte, phlébite constituée au contact d’un foyer
infectieux intra-abdominal. C’est donc une variété très particulière
de thrombose de la veine porte. La pyléphlébite septique est la cause
de près de 50 % des cas de thrombose de la veine porte extrahépatique de l’enfant et d’un tiers des cas chez l’adulte (4). Chez l’enfant, elle est habituellement consécutive à une infection ombilicale
néonatale ou à une canulation septique de la veine ombilicale. Chez
l’adulte, ses principales causes sont l’appendicite, la sigmoïdite,
les infections biliaires et les tumeurs coliques. Les septicémies à
Bacteroides fragilis sont très fréquemment associées à une pyléphlébite, ce qui justifie la recherche systématique de cette complication au cours des septicémies à Bacteroides fragilis dont la cause
ne paraît pas d’emblée évidente.
En cas d’appendicite, avant l’avènement des antibiotiques et de
la chirurgie rapide, la pyléphlébite septique était une complication
fréquente de l’appendicite. Actuellement, l’incidence de la pyléphlébite septique a beaucoup diminué, et complique essentiellement des cas d’appendicite passés inaperçus (5).
Même quand un facteur local a été mis en évidence, une ou plusieurs
affections prothrombotiques sont identifiées dans près de 70 % des
cas (2). Il peut s’agir d’états prothrombotiques acquis ou héréditaires, tels que détaillés dans le tableau. Les syndromes myéloprolifératifs représentent la première cause de thrombose de la
veine porte d’origine extrahépatique (environ un tiers des cas) (2,
6, 7). À côté de leurs formes classiques, il existe des formes occultes
ou frustes sans anomalie évocatrice du sang périphérique (6). En
effet, les anomalies du sang périphérique sont souvent masquées
par la carence martiale, l’hémodilution et l’hypersplénisme (8).
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Facteurs favorisants
– estroprogestatifs
– grossesse
– splénectomie
Le diagnostic peut alors être fait à la fois par la mise en évidence
de colonies érythroblastiques spontanées lors de la culture des
précurseurs médullaires sur milieu pauvre en érythropoïétine et,
surtout, par l’analyse histologique de la biopsie ostéomédullaire
montrant une dystrophie mégacaryocytaire, une hyperplasie des
lignées cellulaires ou une fibrose (7). Chez la majorité des patients
atteints de syndrome myéloprolifératif dont le diagnostic a été porté
grâce à la mise en évidence de colonies érythroblastiques spontanées et par l’analyse histologique de la biopsie ostéomédullaire,
il existe d’autres anomalies évocatrices de syndrome myéloprolifératif : taux de plaquettes proche de la limite supérieure de la
normale chez un patient ayant une importante splénomégalie, par
exemple (7). Le risque de transformation du syndrome myéloprolifératif en myélofibrose ou leucémie aiguë est de 23 % après
6 ans de suivi, soit un taux équivalent aux syndromes myéloprolifératifs classiques en dehors du contexte de thrombose portale (7).
PHYSIOPATHOLOGIE
En aval du thrombus, il y a peu d’effet sur l’intestin aussi longtemps
que les arcades veineuses mésentériques restent libres. L’ischémie
résulte de l’extension du thrombus vers les veines mésentériques
et les arcades veineuses mésentériques. Ces dernières fonctionnent
en effet comme une circulation collatérale drainant le flux sanguin
intestinal vers les territoires adjacents non thrombosés. Quand l’ischémie se prolonge au-delà de plusieurs jours, un infarctus intestinal
peut survenir. Dans 20 à 50 % des cas, l’infarctus intestinal est
responsable du décès en raison d’une péritonite et d’une défaillance multiviscérale. La résection intestinale à la suite d’une thrombose veineuse mésentérico-portale est l’une des principales causes
du syndrome de grêle court. Une sténose de l’intestin grêle peut
être une séquelle tardive d’une ischémie veineuse mésentérique.
En amont de la thrombose de la veine porte, les conséquences
hépatiques sont peu marquées. En effet, des phénomènes de
compensation naturelle expliquent pourquoi l’interruption du flux
portal a peu de conséquences cliniques. Un premier mécanisme
compensatoire est la vasodilatation immédiate de l’artère hépatique
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en réponse à une diminution du flux veineux portal (arterial buffer response). Le deuxième mécanisme compensateur est l’apparition rapide de veines collatérales porto-portes. L’apparition de
ces veines est visible quelques jours après la thrombose. Les veines
collatérales apparaissent à la périphérie ou au sein des structures
adjacentes à la portion obstruée de la veine porte : voie biliaire
principale, vésicule biliaire, pancréas, antre gastrique, duodénum.
Quand l’obstruction du tronc de la veine porte persiste, les veines
collatérales ont tendance à devenir progressivement de plus en
plus volumineuses. Les veines collatérales vont alors constituer
un cavernome portal.
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intrahépatique est associé, les signes cliniques ou endoscopiques
d’hypertension portale ainsi que la présence d’une dysmorphie
hépatique affirment la thrombose ancienne. Cependant, les premières
veines collatérales du cavernome peuvent être décelées quelques
jours à quelques semaines après la constitution de la thrombose
de la veine porte. Grâce aux progrès des examens d’imagerie non
invasifs, la thrombose de la veine porte est de plus en plus souvent diagnostiquée à un stade aigu, devant des douleurs abdominales (4).
DIAGNOSTIC
EXPRESSION CLINIQUE
Les circonstances de découverte des thromboses de la veine porte
sont :
– une hémorragie digestive ou des manifestations d’hypersplénisme liées à l’hypertension portale ;
– des douleurs abdominales non spécifiques ou liées à une ischémie (aiguë ou chronique), voire un infarctus intestinal d’origine
veineuse ;
– les manifestations d’une pyléphlébite suppurée (fièvre élevée,
frissons et douleurs abdominales) ;
– ou, enfin, des manifestations secondaires à la compression de
la voie biliaire par le cavernome.
Ces symptômes permettent rarement d’évoquer d’emblée la
thrombose de la veine porte, mais sont l’occasion de pratiquer des
examens d’imagerie abdominale qui conduisent à leur tour au
diagnostic.
Il faut distinguer la thrombose récente, qui n’est pas encore accompagnée de manifestations de l’hypertension portale, et la thrombose ancienne. Cette distinction est importante car le pronostic et
le traitement en sont différents. En cas de thrombose récente, le
risque d’hémorragie digestive due à l’hypertension portale est pratiquement nul dans l’année qui suit le diagnostic. En revanche, le
risque d’infarctus veineux mésentérique est maximal. En cas de
thrombose ancienne, la complication la plus fréquente est la rupture de varice œsophagienne ; un infarctus veineux mésentérique
reste possible, mais il est plus rare qu’en cas de thrombose récente.
Enfin, en raison de l’allongement de la durée de vie des patients,
il est noté de plus en plus souvent des symptômes biliaires (ictère,
angiocholite) dus à la compression de la voie biliaire par les veines
du cavernome. Cette complication n’apparaît en moyenne que
15 ans après le diagnostic de thrombose de la veine porte (9).
Les arguments en faveur du caractère récent de la thrombose de la
veine porte sont variés : notion d’un examen d’imagerie antérieur
montrant une veine porte libre, d’une pyléphlébite septique associée à un foyer septique intra-abdominal, d’une chirurgie biliaire
ou d’une splénectomie ; thrombus spontanément hyperdense en
tomodensitométrie ; manifestation initiale par une douleur abdominale ou, a fortiori, par un infarctus veineux mésentérique. Ce
dernier argument n’est pas formel car une thrombose ancienne peut
être responsable de douleurs abdominales à l’occasion d’une thrombose distale surajoutée ou d’une thrombose d’une veine du cavernome. À l’inverse, le cavernome et, en dehors des cas où un bloc
Les techniques d’imagerie non invasives permettent maintenant
de faire le diagnostic de thrombose de la veine porte, de préciser
l’extension de la thrombose et de rechercher une cause locale. Le
recours à l’artériographie digestive est devenu inutile. L’échographie couplée à l’exploitation de l’effet doppler affirme le diagnostic quand sont mis en évidence l’image directe du thrombus
(matériel échogène intraluminal) ou le remplacement de la veine
porte par de multiples images canalaires tortueuses correspondant
au cavernome. L’impossibilité de détecter un écoulement sanguin
dans la veine porte est un argument de présomption mais non de
certitude du diagnostic de thrombose de la veine porte. L’angioscanner peut affirmer le diagnostic en mettant en évidence au temps
portal : l’absence de rehaussement des vaisseaux thrombosés,
l’image directe du thrombus (hypodensité cernée par du produit
de contraste) ou le cavernome (10). La vascularisation hépatique
apparaît exagérée au temps artériel et diminuée au temps portal
dans le territoire portal obstrué (figure 1). En cas d’ischémie
veineuse mésentérique, la tomodensitométrie met en évidence un
Figure 1. Thrombose aiguë de la branche portale droite. Angioscanner
hélicoïdal hépatique chez un même patient. Sans injection (en haut à
gauche) : pas d’anomalie. Phase artérielle (en haut à droite) : artérialisation compensatrice du lobe droit. Phase portale (en bas) : branche portale gauche perméable et thrombose aiguë de la branche portale droite.
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Figure 2. Dysmorphie hépatique chez un patient atteint de cavernome
portal avec une histologie hépatique normale. Angioscanner hélicoïdal
hépatique chez un même patient (coupes craniocaudales). Hypertrophie
du segment 4 et du lobe caudé, atrophie du lobe gauche et du lobe droit.
La voie biliaire est entourée par le cavernome portal.
épaississement et un aspect en cocarde des anses grêles atteintes.
L’échoendoscopie et l’angio-IRM sont également très performantes
dans l’exploration du système porte. La cholangio-IRM couplée
à l’angio-IRM est le meilleur examen pour étudier la compression
des voies biliaires par les veines du cavernome (9). Le cavernome
portal, même en l’absence d’hépatopathie associée, est responsable
de l’apparition d’une dysmorphie hépatique associant le plus souvent une hypertrophie du segment 4 et du lobe caudé et une atrophie du lobe gauche et du lobe droit (données personnelles)
(figure 2).
TRAITEMENT
Il comprend, d’une part, le traitement de la thrombose récemment
constituée et la prévention d’autres épisodes thrombotiques, avec,
notamment, la question du rapport bénéfice/risque du traitement
anticoagulant, et, d’autre part, le traitement de l’hypertension portale, le traitement d’une éventuelle compression biliaire par les
veines du cavernome et le traitement de la cause (traitement d’un
syndrome myéloprolifératif, par exemple).
La question du rapport bénéfice/risque du traitement anticoagulant
est ancienne. La thrombose de la veine porte complique dans la
majorité des cas une affection prothrombotique. En conséquence,
le traitement anticoagulant a été proposé dans le but de prévenir
l’extension de la thrombose vers les veines splanchniques responsables d’infarctus veineux mésentérique et les accidents dus
à la thrombose d’autres veines profondes. A contrario, les réticences à l’utilisation du traitement anticoagulant sont liées au
risque théorique d’augmenter l’incidence et la gravité des épisodes
hémorragiques.
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En cas de thrombose récente de la veine porte, le but principal du
traitement est d’obtenir une reperméabilisation des vaisseaux
thrombosés, pour éviter la survenue d’une ischémie ou d’un infarctus veineux mésentérique à court terme, et des complications d’une
hypertension portale par bloc préhépatique à long terme. Une reperméabilisation complète ou partielle (mais suffisante pour prévenir
un bloc préhépatique significatif) est notée chez la grande majorité des patients traités précocement par anticoagulants en cas de
thrombose récente de la veine porte (4). Le pronostic à court et long
terme des patients traités précocement par anticoagulants est bon.
La durée du traitement pourrait dépendre de plusieurs facteurs.
Nous proposons un traitement de 6 mois en l’absence d’affection
prothrombotique reconnue ou suspectée sur l’anamnèse et un traitement anticoagulant à vie en cas d’affection prothrombotique
mise en évidence ou fortement suspectée par l’histoire antérieure.
Des manifestations initiales évoquant une ischémie mésentérique
ou la persistance d’une thrombose mésentérique à l’imagerie plaident pour le maintien du traitement anticoagulant, même en l’absence d’affection prothrombotique, en raison d’un risque théorique
de récidive de l’ischémie mésentérique. Le bon pronostic des patients
traités par anticoagulants et la bonne tolérance de ce traitement
réduisent probablement la place de traitements plus invasifs
comme la thrombectomie chirurgicale, la fibrinolyse ou le TIPS.
Il n’existe pas de donnée permettant d’étudier le ratio bénéfice/risque de ces procédures invasives comparativement au simple
traitement anticoagulant. Cependant, il semble que la thrombolyse in situ permette souvent une recanalisation, parfois après échec
du traitement anticoagulant, mais qu’elle soit associée à un fort
taux de complications hémorragiques graves (11).
Au stade de cavernome portal, le but du traitement anticoagulant
n’est plus d’obtenir la reperméabilisation des vaisseaux thrombosés, mais de prévenir la récidive et l’extension de la thrombose
vers les arcades veineuses intestinales, extension qui induirait un
infarctus veineux mésentérique, et les accidents dus à la thrombose d’autres veines profondes.
Une étude rétrospective de 136 adultes atteints de thrombose de la
veine porte et indemnes de cirrhose ou de cancer a été effectuée (12).
Cette étude a indiqué que, chez les 74 patients atteints d’affection
prothrombotique, l’incidence des accidents de thrombose au cours
du suivi (8,4 pour 100 patient-années) équivalait aux deux tiers de
l’incidence des hémorragies digestives dues à l’hypertension portale (12,5 pour 100 patient-années). Le traitement anticoagulant
était associé à une réduction statistiquement significative de 70 % du
risque de thrombose d’autres veines profondes et des infarctus
veineux mésentériques. L’analyse multivariée des divers facteurs
de risque d’hémorragie ne révélait pas d’augmentation de l’incidence des hémorragies chez les patients traités par anticoagulants ; de même, les hémorragies n’étaient pas plus sévères quand
elles survenaient chez des patients traités par anticoagulants. Le
traitement préventif des hémorragies dues à l’hypertension portale
(agents ß-bloquants et traitement endoscopique) était associé à une
diminution du risque d’hémorragie, alors que la révélation de la
maladie par une hémorragie digestive était liée à une augmentation ultérieure du risque d’hémorragie. Hypothétiquement, l’absence d’augmentation de l’incidence des hémorragies chez les
patients traités par anticoagulants pourrait s’expliquer par un effet
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préventif du traitement sur la thrombose des veines du cavernome
ou sur l’extension de la thrombose de la veine porte. Le traitement
anticoagulant pourrait ainsi prévenir l’accentuation du bloc préhépatique. Sur la base de ces résultats, il semble donc que certains
patients puissent particulièrement bénéficier du traitement anticoagulant. Il s’agit des patients atteints d’une affection prothrombotique ne présentant pas de grosses varices œsophagiennes ou
gastriques, ou présentant de grosses varices œsophagiennes ou
gastriques n’ayant jamais saigné, et soumis à une prophylaxie des
hémorragies dues à l’hypertension portale selon les mêmes modalités que dans la cirrhose. Dans les autres cas, le bénéfice du traitement anticoagulant est possible, mais moins clair. L’efficacité
du traitement pharmacologique ou endoscopique a rendu la place
des anastomoses portosystémiques très limitée. Ces anastomoses
sont, de toute façon, le plus souvent vouées à la thrombose
précoce.
Le pronostic actuel de la thrombose de la veine porte est bon. En
effet, après un suivi moyen de 5 ans, seuls 3 % des patients sont
décédés de complications de la maladie (infarctus veineux mésentérique et hémorragie digestive) (12).
■
Mots-clés : Thrombose de la veine porte - Syndrome myéloprolifératif - Hypertension portale - Traitement anticoagulant.
Keywords: Portal vein thrombosis - Primary myeloproliferative disorders - Portal hypertension - Anticoagulant therapy.
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Prochain dossier thématique à paraître en décembre 2005
Séquelles fonctionnelles
de la chirurgie digestive
Coordination : Dr T. Vallot (Paris)
La lettre de l’hépato-gastroentérologue - n° 5 - vol. VIII - septembre-octobre 2005
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