150 SOMMAIRE INTRODUCTION ............................................................................................1 I. LA REGLEMENTATION DU SECTEUR DES BOISSONS ALCOOLISEES, LUTTE CONTRE UN PROBLEME DE SOCIETE, OU BIEN, FREIN ECONOMIQUE ? ............2 1. LA MUTATION D’UNE SOCIETE ....................................................................................2 a. Poids et place du secteur alcool en France ................................................................................. 2 b. Mouvements préventifs contre l’alcool et réglementation .......................................................... 3 c. Connaissances et perception des boissons alcoolisées............................................................... 4 2. L’IMPACT ECONOMIQUE SUR LE SECTEUR DES BOISSONS ALCOOLISEES .....................................5 a. Un secteur économique puissant et aussi responsable............................................................... 5 b. Un impact important sur le marché ............................................................................................ 6 c. Le cas du marché de la bière ...................................................................................................... 7 3. L’EVOLUTION FUTURE DU CADRE REGLEMENTAIRE .............................................................9 a. Une acceptation mitigée des consommateurs : une législation plus restrictive est-elle à prévoir ?..................................................................................................................................... 9 b. L’alcool, interdit de publicité sur Internet : comment appréhender les évolutions technologiques dans ce cadre réglementaire ? ......................................................................... 10 c. Le lobbying des producteurs de boissons alcoolisées continue : la loi Evin peut-elle perdurer ? ................................................................................................................................ 11 II. LA REGLEMENTATION DU SECTEUR DES BOISSONS ALCOOLISEES, OUTIL DE CENSURE, OU BIEN, VERITABLE DYNAMIQUE CREATIVE ? ....................... 12 1. LA REGLEMENTATION DU SECTEUR DANS LA RELATION AGENCE-ANNONCEUR............................. 12 a. Processus de décision lourd et prise de risques ....................................................................... 12 b. Interprétation de la loi Evin et confrontation des points de vue juridiques .............................. 13 2. LA REGLEMENTATION DU SECTEUR DANS LA REFLEXION STRATEGIQUE DE L’AGENCE .................... 14 a. Moyens limités et réduction des champs d’actions ................................................................... 14 b. Recherche de nouvelles tactiques et marketing alternatif........................................................ 15 3. LA REGLEMENTATION DU SECTEUR DANS LE PROCESSUS CREATIF ......................................... 17 a. Champs d’expressions limités et challenge créatif ................................................................... 17 b. Choc entre l’univers juridique et l’univers créatif..................................................................... 19 CONCLUSION ............................................................................................. 20 TABLE DES ANNEXES .................................................................................. 21 BIBLIOGRAPHIE.......................................................................................... 22 INTRODUCTION La France est le pays qui applique la réglementation la plus sévère en matière de boissons alcoolisées en Europe. D’ailleurs, plusieurs pays européens, comme la Belgique, commencent à suivre son exemple. La législation française restreint, entre autres, la vente d’alcool aux mineurs et l’ouverture des débits de boissons. Les boissons alcoolisées sont également fortement taxées par l’Etat. Les mesures les plus fortes émanent de la loi Evin de 1991 qui a pour principal objectif de restreindre la publicité en faveur de boissons alcoolisées. Les aspects du cadre réglementaire de ce secteur sont multiples et surtout très restrictifs. Pourtant la France est mondialement connue pour ces grands vins et l’alcool fait partie de sa culture. Mais depuis une quarantaine d’années la consommation est à la baisse et les comportements ont changé. Les risques et les dangers de l’alcool sont à présent davantage connus. On voit bien que l’alcool est un produit paradoxal et que sa place en France n’est plus tout à fait la même qu’il y a quelques années. Alors, il est intéressant de se demander comment le cadre réglementaire du secteur des boissons alcoolisées a-t-il pu métamorphoser ce marché ? Et, plus précisément, comment a-t-il réussi à bousculer les pratiques du publicitaire sur celui-ci ? De là émerge la question des raisons d’une législation aussi stricte et surtout celle de ses conséquences. Nous essayerons dans un premier temps d’appréhender ce cadre réglementaire dans le marché des boissons alcoolisées. La réglementation du secteur alcool traduit-elle la lutte contre un problème de société, ou bien, représente-t-elle un frein économique ? Nous aborderons alors la mutation de notre société, puis l’impact économique de la législation sur le secteur des boissons alcoolisées et enfin les évolutions futures à anticiper. Dans un deuxième temps, nous nous attarderons plus particulièrement sur la loi Evin afin de mieux cerner ses conséquences sur le métier et les pratiques du communicant. La réglementation du secteur alcool constitue-t-elle un outil de censure, ou bien, faut-il la considérer comme une véritable dynamique créative. Nous verrons d’abord cette ambiguïté au travers de la relation agence-annonceur, puis dans le cadre de la réflexion stratégique des agences conseil en communication et enfin au sein du processus de création publicitaire. 1 I. LA REGLEMENTATION DU SECTEUR DES BOISSONS ALCOOLISEES, LUTTE CONTRE UN PROBLEME DE SOCIETE, OU BIEN, FREIN ECONOMIQUE ? Dans cette première partie, nous nous attacherons à observer et comprendre l’impact du cadre réglementaire, c'est-à-dire la fiscalité, le code de la santé publique concernant la vente de boissons alcoolisées et la loi Evin, sur différents aspects du marché de l’alcool en France. Tout d’abord, nous nous pencherons sur l’évolution de notre société par rapport aux produits alcoolisés, et ce, au travers du poids culturel et économique du secteur alcool, de l’histoire de la prévention et de la réglementation contre l’alcool, et enfin, par rapport aux perceptions actuelles de ces produits. Ensuite, nous nous intéresserons plus particulièrement à l’impact économique direct et indirect de la réglementation sur ce marché. Nous verrons en quoi ce secteur est primordial dans l’économie française, puis l’influence d’une réglementation plus ferme sur la demande, l’offre et la distribution, et enfin, nous ferons un zoom sur un cas précis : le marché de la bière. En dernier lieu, nous nous questionnerons sur l’évolution de la réglementation du secteur alcool au regard de plusieurs thèmes : la perception des mesures par le consommateur lui-même, les avancées technologiques et les pressions du lobbying du vin. 1. LA MUTATION D’UNE SOCIETE a. Poids et place du secteur alcool en France La France est un pays où la place de l’alcool est importante. Poids culturel ou économique, selon Sarah Howard au début du siècle dernier l’alcool était même associé à l’identité nationale1. Il est certain qu’hier et encore aujourd’hui l’alcool occupe une place de choix dans notre gastronomie. Le vin est un emblème de l’art de vivre à la française. Il est considéré comme un élément incontournable du repas, au point d’être assimilé à un aliment. Le vin est un alcool noble et il est la raison d’être de certains métiers de prestige comme les œnologues. Par ailleurs, tous les grands restaurants français ont leur sommelier, car qu’estce que deviendrait la gastronomie française sans son vin. Au-delà, certains vont même jusqu’à lui attribuer des effets bénéfiques sur la santé. Louis Pasteur, lui-même, ne disait-il pas que le vin était « la plus hygiénique et la plus saine des boissons » ? De plus, il faut noter que les comportements en matière de boissons alcoolisées font l’objet d’une transmission familiale et culturelle. En effet, entre 15 et 65 ans, seulement 13% des français signalent que leurs parents ont cherché à limiter leur consommation d’alcool ; alors que 32% ont subi une interdiction de fumer2. D’ailleurs, le premier contact avec l’alcool a le plus souvent lieu dans un contexte familial. Ainsi, la consommation de boissons alcoolisées est fortement ancrée dans la culture française et bénéficie même, selon ces chiffres, de représentations plutôt positives. Ce fort poids culturel dans notre société transparait également par la place importante que prend l’alcool dans l’économie française. Le marché total des boissons alcoolisées représente, en France, un chiffre d’affaires de 13 milliards d’euros et plus de 500 000 emplois3. L'alcool est avec le tabac la substance psychoactive la plus consommée en France. On estime à 42,4 millions les expérimentateurs (12-75 ans) de l'alcool en France. Les usagers réguliers s’élèvent à 9,7 millions4. Autrement dit, le secteur des boissons alcoolisées est incontournable dans l’analyse de notre économie. D’ailleurs, si l’on regarde la production agricole, on remarque que la production vinicole, à elle seule, occupe la 2ème position après la production laitière. Au regard de tous ces éléments, il est logique que les boissons alcoolisées (surtout le vin) soient fortement associées à la France et à son identité. Pourtant, nous allons voir que l’alcool est un produit ambivalent. 1 2 3 4 Les images de l’alcool en France, 1915-1942 – Sarah Howard – CNRS Editions – Février 2006 Représentations, perceptions et connaissances vis-à-vis de l’alcool – www.etatsgenerauxalcool.fr Marché et réglementation – Entreprise et Prévention – www.ep-soifdevivre.com Le niveau d’usage des drogues en France en 2005 – www.ofdt.fr 2 b. Mouvements préventifs contre l’alcool et réglementation Si l’alcool est apprécié par les français pour son histoire et pour ce qu’il représente dans notre gastronomie, c’est aussi un produit dont la consommation excessive est dangereuse. Aussi, depuis le début du XXème siècle se succèdent les mouvements de prévention. La priorité se porte sur les cibles les plus fragiles : les jeunes. Jusqu’en 1950, l’Etat passe par le terrain de l’école et il a recours à une éducation intensive et un vocabulaire dur : « l’alcool détruit le corps et l’âme ». Les pouvoirs publics jouent sur la peur et la honte (violences, problèmes de santé, éclatement de la cellule familiale). A cette époque, on diabolise plus que l’on informe. Après la Seconde Guerre Mondiale et jusque dans les années 70, la stratégie adoptée est différente. Les autorités privilégient la sensibilisation et la responsabilisation. On préfère glorifier la sobriété et les boissons sans alcool. Dans les années 80 et jusqu’à aujourd’hui, l’Etat va prendre conscience que l’alcoolisme n’est pas la cause mais plutôt la conséquence d’un malaise chez des personnes qui sont dans une situation à problèmes. Ainsi, on bannit les messages trop sévères des campagnes de prévention et on parle davantage des risques immédiats de l’alcool. Les premiers spots télévisés ayant pour objet la prévention contre les produits alcoolisés apparaissent en 19845 (bien que certains organismes comme l’ANPAA6 existent depuis près d’un siècle déjà). Même si ces spots n’ont que peu d’effets sur les personnes déjà dépendantes, ils permettent de les aider à en prendre conscience et surtout d’éviter à d’autres de le devenir. Ainsi, les autorités préfèrent aujourd’hui prévenir et guérir. Toutes ces actions et ces mouvements préventifs contre l’alcool se traduisent par une baisse de la consommation d'alcool en France, depuis le début des années 1960. En effet, en quarante ans, elle a été divisée par deux7. Cette forte diminution est à mettre en parallèle avec une réelle prise de conscience des français des problèmes sanitaires et sociétaux liés à l’alcool. La consommation d’alcool comme le vin reste régulière et fortement ancrée dans la culture française, mais les quantités consommées ont baissé et les moments de consommation sont davantage occasionnels (fêtes ou apéritifs et non plus consommation de table quotidienne). Ainsi, les mouvements préventifs ont portés leurs fruits et le fameux « Consommer avec modération » a bien été assimilé. De cette prise de conscience de l’Etat et du grand public, les mouvements de prévention sont à présent soutenus par une réglementation de plus en plus ferme. Il faut savoir que la France est un pays qui possède l’une des législations les plus sévères au monde concernant les boissons alcoolisées. L’Europe prend d’ailleurs en modèle la législation française. Pourtant, malgré des campagnes de prévention incisives, on compte encore soixante-trois morts par jour à cause de l’alcool. L’alcool demeure, avec le tabac, la première cause de mortalité évitable en France. Ainsi, même s’il est clairement ancré dans la culture de notre pays, il est aussi un véritable problème de société. Au-delà des actions de prévention, le Ministère de la Santé se doit donc d’appliquer des mesures afin de limiter les risques liés aux boissons alcoolisées. C’est là l’objectif majeur qui a motivé la création de la loi Evin le 10 janvier 1991. Les fondements de la réglementation de ce secteur repose sur le fait que toute incitation à la consommation de boissons alcoolisées apparaît, à priori, de nature à augmenter la demande, et par conséquent, à détériorer la santé d’un nombre croissant d’individus. Le droit français restreint donc la possibilité de diffuser une publicité pour vanter les produits alcoolisés. La législation s’appuie sur un consensus large qui établit une relation entre expression publicitaire et augmentation du niveau de consommation. Toutefois, il est important de noter que selon l’OMS rien jusqu’aujourd’hui ne permet de prouver formellement cette relation. Au terme des dix premières années d’application de la loi Evin (qui a connu beaucoup d’aménagements concernant l’alcool), le Ministère de la santé a dressé le bilan8. Il estime que la loi Evin a marqué une « véritable rupture » dans les politiques publiques menées jusque là. Cette législation plus ferme a permis à des millions de français de prendre conscience des graves conséquences que représentait la consommation abusive d’alcool sur la santé. D’autre part, cette loi représente une rupture dans le sens où elle ne cherche pas à 5 6 7 8 L’alcool : l’histoire d’une prévention – www.france5.fr L’ANPAA est l’Association Nationale de Prévention en Alcoologie et Addictologie. Consommation d’alcool – www.insee.fr Bilan des 10 ans de la loi Evin – www.sante.gouv.fr 3 responsabiliser les producteurs du secteur alcool mais elle interdit clairement certaines formes de publicité et limite considérablement la communication sur ce secteur. La prévention et la réglementation ont pour but de contrebalancer une image subjective de l’alcool véhiculée par la publicité des grandes marques du secteur alcool. Il est donc important que les français connaissent et perçoivent correctement les boissons alcoolisées et leurs risques. c. Connaissances et perception des boissons alcoolisées Une récente étude de l’Institut de Recherches Scientifiques des Boissons (IREB)9 montre, qu’après plus de vingt ans de prévention, les connaissances des français en matière d’alcool sont parfois imparfaites voir éloignées de la réalité médicale. 80% des français estiment être très bien informés sur le thème « alcool ». Pourtant, les perceptions et les représentations sont souvent incorrectes. En effet, ¾ des français pensent que la consommation d’alcool a augmenté ces dix dernières années, alors qu’en réalité, la consommation moyenne par habitant en France a diminué de 20%. D’autre part, l’étude souligne que la perception des risques et des problèmes liés à l’alcool est étroitement liée à l’actualité (sécurité routière, consommation pendant la grossesse, violences,…) ou à l’âge en ce qui concerne les pathologies et problèmes de santé (cancer, cirrhose,…). Ainsi, la perception des risques est influencée et ne montre en aucun cas une réelle connaissance des problèmes dans leur proportion, fréquence ou même gravité. Cependant, cette même étude fait apparaître que les français montrent une véritable volonté de maîtriser les risques liés à l’alcool. En effet, un français sur deux dit appliquer le principe du conducteur désigné (« Celui qui conduit est celui qui ne boit pas ») lors des sorties en groupe. La sécurité routière est un sujet brulant d’actualité. Les reportages et les articles dans les médias sont très nombreux et les politiques s’emparent volontiers du sujet dans leurs discours ou leurs programmes de campagne. Cela dit les français ont encore une mauvaise appréciation des quantités raisonnables à consommer. La bière et le vin sont considérés comme des produits inoffensifs, sans aucun danger sur la santé10. Pourtant, même si les seuils de consommation à risque sont méconnus, il apparaît que les français se montrent plus prudents. Ainsi, les campagnes de prévention ont permis de changer les comportements et les habitudes de consommation dans ce sens. En termes d’image, si en vingt ans celle attachée au tabac s’est nettement détériorée, celle de l’alcool reste plutôt favorable dans le cas où il est consommé avec modération11. Les représentations concernant le tabac sont passées de « déstressant » et « relaxant » à « nocif », « asocial » et « drogue ». Cela est principalement lié au fait que, dans les années 50-60, on ne connaissait pas encore les effets nocifs du tabac. Les campagnes de prévention ont agi comme un révélateur. Toutefois, l’impact n’a pas été le même concernant l’alcool. Même si de nombreux organismes et campagnes publicitaires dénoncent les risques sanitaires et sociétaux de l’alcool, l’hédonisme (fête, convivialité et plaisir) tient encore une place prépondérante. Bien sur les français dénoncent les excès liés à l’alcool (violence, conduite en état d’ivresse, tapage,…) mais ils ne mettent pas en cause sa consommation habituelle. Si aujourd’hui pour le tabac on oppose « fumer » et « ne pas fumer », pour l’alcool l’alternative est moins tranchée : boire « normalement ou avec modération » et boire « avec excès ». Les français connaissent les risques de l’alcool, mais il est encore et avant tout perçu comme un produit de plaisir et de convivialité. Ainsi, il reste indéniable aujourd’hui que les mouvements de lutte contre l’alcool ainsi que la législation limitant la promotion des produits alcoolisés ont entrainé une nette baisse de la consommation et un changement des comportements des français, notamment sur les quantités consommées et la conduite au volant. Cela dit, si l’impact de la réglementation du secteur des boissons alcoolisées est appréciable sur le problème de société que peut représenter l’alcool, il est important de souligner que ce cadre réglementaire a également entrainé des effets pervers non négligeables sur l’économie du secteur. 9 10 11 Les Français et l’alcool : des connaissances parfois imparfaites mais une volonté de maîtriser les risques – www.ireb.com Représentations, perceptions et connaissances vis-à-vis de l’alcool – www.etatsgenerauxalcool.fr Les attitudes vis-à-vis de l’alcool et du tabac après la loi Evin – Ministère de l’emploi et de la solidarité / DREES 4 2. L’IMPACT ECONOMIQUE SUR LE SECTEUR DES BOISSONS ALCOOLISEES a. Un secteur économique puissant et aussi responsable Nous avons évoqué précédemment que le marché des boissons alcoolisées en France se monte à 13 milliards d’euros. Plus précisément, les vins et les champagnes sont à 7,4 milliards, les eaux de vie et les spiritueux à 4 milliards et la bière à 1,5 milliards12. Le secteur des boissons alcoolisées pèse plus de 60% dans les échanges commerciaux agroalimentaires. Il occupe la première place de l’industrie agroalimentaire. La production vinicole y est pour beaucoup. En effet, elle représente l’équivalent de 100 Airbus à l’exportation ! La France est le n°1 mondial des vins avec 45% des échanges internationaux. Elle est aussi le pays qui est le deuxième producteur européen de spiritueux et d’eaux de vie. De plus, de nombreuses régions françaises sont dépendantes de ce secteur qui représente leur activité principale (Languedoc, Champagne, Alsace, Cognac, Bourgogne,…). Ce pan de notre économie ne rassemble pas moins de 2000 entreprises et 1300 coopératives. En termes d’emploi, on compte aujourd’hui 150 000 vignerons qui permettent à plus de 340 000 salariés de travailler. Au global, le secteur alcool représente en France plus de 500 000 emplois rien que pour la production. Ainsi, le secteur des boissons alcoolisées constitue une part importante de l’économie française et il contribue au rayonnement international de notre pays13. Les enjeux économiques du secteur sont énormes, mais les problèmes sanitaires et sociétaux liés à l’alcool sont tout aussi importants. C’est pourquoi les discussions autour de la loi Evin ont été longues. Deux forts groupes de pression se sont constitués avec des objectifs franchement opposés : d’un côté les médecins qui souhaitent prévenir les dangers de l’alcool, de l’autre l’industrie des boissons alcoolisées qui veut sauver ses intérêts économiques. Le lobby médical s’est constitué dans les années 80 regroupant cinq grands professeurs de médecine. Deux d’entre eux, les professeurs Got et Dubois, ont profité des élections présidentielles de 1988 pour interpeller les candidats sur les problèmes liés à l’alcool et au tabac. En 1989, le ministre des Affaires Sociales, Claude Evin demande alors un énième rapport sur les mesures à prendre pour réduire la consommation d'alcool, de tabac et de médicaments. Le lobby de l’industrie de l’alcool, lui, ne s’est constitué qu’en 1990, deux mois après la présentation du projet concernant la loi Evin. Ils regroupent l’ensemble des producteurs de vin, de bière, de cidre et d’alcool. Ce lobby a permis de limiter les interdictions de la loi Evin, car à l’origine la loi ne devait autoriser que l’affichage sur les zones de production. Cela dit, l’industrie de l’alcool est consciente des problèmes de comportement et de consommation excessive d’une partie de la population française. Aussi, les grandes entreprises du secteur (Pernod-Ricard, Louis-Vuitton, Moët-Hennessy et Berger) ont créé l’association Entreprise et Prévention afin de montrer qu'elles œuvrent activement en faveur de la prévention contre l'alcoolisme14. L’association regroupe onze entreprises qui représentent plus de 60% du chiffre d’affaires du secteur. Autrement dit, même si sa mission première est de participer à la réduction de la surconsommation et de prôner une consommation modérée des boissons alcoolisées, ce groupe constitue un interlocuteur de poids et permet de faire entendre la voix des producteurs du secteur lors des concertations avec les pouvoirs publics. Toutefois, il reste bien difficile d’imposer les enjeux économiques d’un secteur, aussi importants soient-ils, devant l’ambition de lois qui consistent à prévenir les dangers de l’alcool et protéger le consommateur. Le Ministère de la Santé et les différents acteurs du secteur ont bien essayé de trouver un compromis au travers de la loi Evin en limitant plutôt qu’en interdisant purement et simplement la publicité en faveur de l’alcool. Mais cela n’a pas empêché quelques producteurs de présager la fin du marché des boissons alcoolisées. Cela dit, selon les chiffres évoqués précédemment, le secteur génère encore beaucoup de chiffre d’affaires et pèse toujours un poids très important dans notre économie. Pourtant, au regard de la situation actuelle du secteur et des changements qu’il a connus, il est évident que le cadre réglementaire qu’il doit subir a eu un fort impact sur la consommation, la distribution et même l’offre du marché. 12 13 14 Les enjeux économiques de l’alcool – www.etatsgeneraux.fr Marché et réglementation – Entreprise et Prévention – www.ep.soifdevivre.com Le lobby de l’alcool – lobbying.ifrance.com / Pourquoi Entreprise et Prévention ? – Entreprise et Prévention – www.ep.soifevivre.com 5 b. Un impact important sur le marché En effet, le marché de l’alcool connaît depuis plusieurs années une baisse régulière de la consommation, et bien sur, qui dit moins de consommateurs ou moins de quantités vendues, dit plus de difficultés économiques et de pression. La baisse de la consommation a commencé avec les campagnes de prévention et la loi Evin a renforcé cette tendance. D’autre part, les boissons alcoolisées sont fortement taxées par l’Etat, surtout en ce qui concerne les spiritueux. Le poids des taxes est calculé en fonction du titrage des alcools. Ainsi, même s’ils ne pèsent que 21,5% du marché, les spiritueux versent plus de 80% des taxes perçues par l’Etat sur les boissons alcoolisées15. Pour une boisson comme le whisky par exemple, les taxes représentent plus de 75% du prix de vente. Ainsi, une bouteille vendue 12€ ne permet au producteur de gagner qu’environ 3€. Les droits de consommation sont la taxe la plus importante car ils représentent près de 50% du prix de vente consommateur. Bien sur, on peut comprendre le poids de ces taxes au regard des dépenses que supportent la sécurité sociale à cause des problèmes d’alcool (qui s’élèvent tout de même à 10 milliards d’euros selon le Haut Conseil de l’Etat). Au même titre que le tabac, les boissons alcoolisées sont taxées par anticipation des problèmes sanitaires que leur consommation excessive peut poser. Cela dit, si l’on se place maintenant du côté des producteurs du secteur alcool, ces taxes constituent une pression économique qui se traduit par une baisse de revenus pour eux et une hausse des prix pour les consommateurs. Conjuguons des produits plus chers avec une consommation qui enregistre une tendance régulière à la baisse et nous arrivons naturellement à un affaiblissement du secteur. Pourtant selon l’INSEE, si les prix des boissons alcoolisées et du tabac ont progressé de la même manière jusqu’au début des années 90, par la suite le tabac a été taxé beaucoup plus régulièrement et fortement que l’alcool. Ainsi, les produits alcoolisés ne sont pas à l’abri d’une nouvelle hausse de la fiscalité. Par ailleurs, le réseau de distribution souffre également de la législation. La distribution d’alcool s’effectue à 60% par le réseau CHR16. Or le nombre de bars et cafés est en nette diminution à cause de la limitation des ouvertures d’établissements régulées par la loi (avec le système des licences et des quotas par habitant). En 1900, on comptait 300 000 cafés en France, en 2003, ils ne sont plus que 147 000. Ainsi, le principal réseau de distribution des produits alcoolisés est de moins en moins présent et il faut aujourd’hui se battre pour pouvoir figurer dans le maximum de lieux de vente. En ce qui concerne le réseau alimentaire, qui regroupe l’ensemble de la grande distribution, les rapports de force ont bien changé et les négociations sur ce terrain là sont très difficiles, notamment pour les petits producteurs. En effet, tant que notre société était caractérisée par un marché de la demande, les industriels étaient les rois. Ils considéraient alors qu’ils étaient les seuls à connaître les besoins et attentes des consommateurs. Les distributeurs n’avaient qu’à suivre. Mais aujourd’hui la concurrence est beaucoup plus rude (en particulier depuis la mondialisation) et la demande est plus faible. Ainsi, les producteurs se trouvent en position de faiblesse face à des distributeurs qui profitent de ce revirement vers un marché de l’offre. La grande distribution considère que c’est elle la plus à même de choisir l’offre qui conviendra aux consommateurs et de susciter l’envie et l’achat chez eux. Par conséquent, le poids et la puissance des groupes de distributeurs d’aujourd’hui (E. Leclerc, Auchan, Carrefour, System U, Intermarché) et les importantes mutations des comportements des consommateurs (recherche de prix bas, volatilité des consommateurs, changements des modes de vie,…) contraignent les industriels du secteur à évoluer dans un contexte délicat. Ainsi, sur ses deux réseaux de distribution (alimentaire et CHR), le secteur de l’alcool connaît de graves difficultés pour s’assurer un référencement efficace. Tous ces changements liés à un cadre réglementaire strict ont affecté de manière générale le marché des boissons alcoolisées. Pour chaque segment du secteur, cet environnement a eu des effets pervers plus ou moins marqués. Nous allons prendre en exemple un segment du marché que j’ai pu appréhender pendant plusieurs mois : le marché de la bière. 15 16 Spiritueux et fiscalité – Fédération Française des Spiritueux – www.spiritueux.fr La vente d’alcool en France – www.etatsgenerauxalcool.fr / CHR signifie Café-Hôtel-Restaurant. 6 c. Le cas du marché de la bière Si le vin est consommé par plus des ¾ des français, il est plutôt privilégié par les générations âgées. Pour la bière, la consommation est plus faible. Au cours de l’année, la moitié des français déclarent en avoir consommé. Cela dit, contrairement au marché global de l’alcool, la consommation de la bière se maintient17. Avec les alcools forts, c’est la boisson préférée des 20-25 ans et des étudiants18. Ainsi, ils sont la cible privilégiée des brasseries. Par ailleurs, il faut rappeler que la bière bénéficie d’un statut différent que les alcools forts. Au même titre que le vin, la bière est perçue par les hommes comme un produit inoffensif, sans danger pour la santé19. Par contre, si la France est un pays grand consommateur de vin, la bière est beaucoup moins mise à l’honneur. Les français ne se place qu’au quatorzième rang européen et font donc partie des plus faibles consommateurs de bière d’Europe. Un français consomme en moyenne 33,4 litres par an alors que son voisin le britannique en boit 100 par an et l’allemand plus de 120 par an20 ! Cela dit même si la consommation française est faible, la France est tout de même le 5ème producteur européen21. Mais avec la réglementation stricte du secteur, la structure de la production a changé. Les micro-brasseries ont aujourd’hui bien du mal à émerger devant les mastodontes du marché : Kronenbourg, Heineken et Inbev. Le marché français est en effet dominé par ces trois grands groupes étrangers qui se partagent 85% du marché face à 200 micro-brasseries22. De l’avis des petits producteurs, c’est un des effets pervers les plus importants de la loi Evin. En effet, dans un premier temps, la communication (sans parler uniquement de publicité) est nécessaire à ces microstructures pour se faire connaître. La communication est d’autant plus importante que la concurrence est rude et la visibilité sur le marché moindre face aux géants du secteur. La loi Evin, en réduisant leurs moyens de se faire connaître et de se différencier, pose un frein considérable au développement économique de ces micro-brasseries. Au-delà, la loi Evin, en limitant de manière arbitraire la publicité pour les alcooliers, n’a pas pris en compte la disproportion entre les investissements publicitaires des micro-brasseries et ceux des groupes industriels. Ainsi, les alcooliers les plus importants du marché ont rapidement identifié un intérêt majeur : l’absence de publicité à la télévision en faveur de l’alcool leurs permet de garder leur suprématie en freinant le lancement de nouveaux petits producteurs sur le marché. Cela s’explique très simplement, l’argent non investi en télévision leur a permis de renforcer leur budget sur une communication indirecte plus discrète mais toute aussi efficace sur les lieux de vente. Aujourd’hui la majeure partie de la communication d’Heineken, Kronenbourg et Inbev sur leurs marques passe par de la publicité sur le lieu de vente et de la promotion. D’autre part, ces géants de la bière s’associent souvent à des soirées étudiantes et leurs proposent des consommations gratuites. Les groupes industriels du secteur ont les moyens financiers de mettre en place des stratégies de communication qui amortissent l’interdiction de publicité. Ce n’est pas le cas des micro-brasseries. Par conséquent, il est indéniable que la loi Evin a directement participé à la mutation du paysage de la production brassicole en France puisqu’elle met réellement en péril les petits producteurs et permet aux trois principaux industriels de conserver leur suprématie. D’autre part, il est clair que les stratégies mises en œuvre par ces trois grands groupes ont changé. Cela s’explique par les changements de comportements des consommateurs évoqués précédemment. Depuis l’application d’un cadre réglementaire plus ferme, on consomme avec davantage de modération, mais on ne va pas jusqu’à rejeter l’alcool. Les français préfèrent boire de plus petites quantités d’alcool mais ils choisissent de déguster des produits de meilleure qualité. Ainsi, si le marché de la bière est moins fleurissant qu’il y a quelques années, il n’en est que plus inventif. Le marché de la bière est un brassin d’innovations. En effet, depuis quelques années on voit apparaître de nouvelles tendances en termes d’innovation produit. Tout d’abord, c’est le grand retour de la bière sans alcool. Les deux principales marques du segment étaient la Buckler de Heineken et la Tourtel du groupe Kronenbourg. Ce segment était plutôt morose jusqu’au lancement en 17 18 19 20 21 22 Boissons alcoolisées : 40 ans de baisse de consommation – www.insee.fr Baromètre santé 2005 : Attitudes et comportements de santé – Editions INPES – www.inpes.sante.fr Représentations, perceptions et connaissances vis-à-vis de l’alcool – www.etatsgenerauxalcool.fr La bière française sous pression – www.01men.com Marché et réglementation – Entreprise et Prévention – www.ep.soifdevivre.com Qui sont les champions de la bière ? – www.journaldunet.com 7 2000 de la Kronenbourg Pur Malt. Fabien Duvilla, directeur de la marque Kronenbourg, explique que grâce à son nom de marque pas comme les autres, c’est aujourd’hui le seul produit qui peut casser l’image un peu ringarde de la bière sans alcool. Il ajoute que au regard du contexte sanitaire et légal actuel, les bières sans alcool sont promises à un bel avenir. La preuve en est que la Kronenbourg Pur Malt connaît des taux de croissance à 30% par an23 et que le segment des bières sans alcool représente 10% du marché. Kronenbourg a également lancé récemment un nouveau produit qui suit la tendance actuelle aux EtatsUnis : la bière light. Ainsi, les brasseries Kronenbourg ont annoncé l’année dernière l’arrivée de la Kronenbourg Extra Fine, une boisson allégée en calories. Avec ce nouveau produit, Fabien Duvilla déclare vouloir « réagir au stéréotype de la bière qui fait grossir » et également séduire les femmes, jusque là faibles consommatrices. Effectivement, selon l’association des Brasseurs de France, seulement 20% des françaises sont amatrices de bière. Autrement dit, la cible féminine représente de belles perspectives de développement pour les brasseries, pour peu que l’on cerne bien leurs attentes. Ainsi, au-delà des bières light, on voit apparaître sur le marché des produits aromatisés, plus fruités et moins amers. En début d’année, Heineken a sorti l’Affligem Fruits Rouges et son concurrent Inbev, la Leffe Ruby. De manière générale, si les brasseries Kronenbourg sont davantage sur une stratégie d’innovation produit par la déclinaison de sa bière en variantes, le groupe Heineken, lui, se positionne plutôt sur une appréhension des modes de consommation. Concernant les femmes, Cyril Charzat, directeur marketing de Heineken Entreprise, explique qu’ils sont partis du constat qu’en France l’un des moments privilégiés de consommation de bière reste l’apéritif et que parallèlement, la contenance est l’un des motifs de non consommation de bière par les femmes. Le groupe Heineken a dans cette logique lancé une petite bouteille de Heineken de seulement 15 centilitres. Par ailleurs, le brasseur néerlandais a imaginé un nouveau concept de consommation : la bière pression à domicile. L’idée est de pouvoir permettre aux consommateurs de se servir une véritable bière pression chez eux. Ainsi, Heineken et Krups se sont associés pour créer la Beertender. Bien sur, le consommateur ne peut consommer que de la bière Heineken avec cette machine. Le brasseur a judicieusement réussi à adapter la stratégie de Nespresso à son produit. Plus de 20 000 machines se sont vendues à l’occasion des fêtes de fin d’année 2006. Fier de ce succès, Heineken se fixe un objectif de 300 000 machines vendues sur les cinq prochaines années. Autrement dit, la tireuse à bière à domicile va bientôt débarquer dans tous les foyers. Assisterons-nous à un deuxième phénomène Nespresso ? Une autre grande tendance se dessine du fait que les français préfèrent aujourd’hui la qualité à la quantité. Philippe Voluer, historien et créateur du Musée européen de la bière, observe que les bières de soif sont peu à peu délaissées au profit de boissons de dégustation qui sont souvent des productions artisanales à fermentation haute comme les bières blanches ou d’abbaye. Ces produits permettent d’anoblir la bière car leurs saveurs sont beaucoup plus variées et marquées contrairement aux bières industrielles comme la Pils ou la lager (par exemple, la bière Kronenbourg). Ainsi, on note une augmentation de la demande concernant les bières de spécialité et les bières de saison. Les brasseurs s’attachent à développer ces produits en mettant en avant l’aspect artisanal (notamment pour les bières d’abbaye comme Affligem, Leffe ou Grimbergen) et en proposant des spécialités du terroir et des saveurs inédites. Les bières de spécialité sont les bières de dégustation par excellence. Ce segment connaît un regain d’intérêt marqué puisqu’en 2007 il atteignait les 20% de parts de marché24. Les bières blondes de fermentation basse comme la Pils occupent 70% du marché, mais leur consommation tend à baisser. Ce n’est pas le cas des bières de spécialité pour lesquelles au contraire la consommation augmente. Autrement dit, obtenir 20% de parts de marché face aux bières de type Pils est une vraie victoire. Par conséquent, si le cadre réglementaire strict qui encadre le marché de l’alcool en France met en danger les petits producteurs et modifie les comportements des consommateurs, depuis l’application de cette législation plus ferme les industriels sont bien plus imaginatifs. Ainsi, un marché jusque là peu dynamique en termes d’innovation et devenu un véritable bouillon créatif. Pourtant, il est nécessaire de se questionner sur les 23 24 L’innovation au cœur de la bataille – www.journaldunet.com La vogue des bières de spécialité – www.01men.com 8 évolutions futures du cadre réglementaire pour le secteur alcool, que ce soit par rapport à la perception des mesures par le consommateur lui-même, aux vides juridiques des textes qui risquent d’apparaître au fur et à mesure des évolutions technologiques ou encore au lobbying des producteurs du secteur qui ne faiblit pas. 3. L’EVOLUTION FUTURE DU CADRE REGLEMENTAIRE a. Une acceptation mitigée des consommateurs : une législation plus restrictive est-elle à prévoir ? Dans un premier temps il est intéressant de prendre du recul sur le cadre réglementaire du secteur des boissons alcoolisées en observant le niveau d’adhésion des français à ces mesures. Le Ministère de l’Emploi et de la Solidarité et la DREES ont publié en 2000 une étude intitulée « Les attitudes vis-à-vis de la loi Evin ». Cette étude aborde le sentiment des français à l’égard de la loi, dix ans après sa mise en application. En ce qui concerne le tabac l’ensemble des mesures instaurées par la loi sont jugées comme très bonnes. A contrario, si l’on observe les appréciations des français concernant les limitations relatives à l’alcool, on constate que l’adhésion est moins franche, surtout en ce qui concerne les jeunes. Dans l’ensemble, ils trouvent les mesures mises en œuvre plutôt bonnes (environ ¾ des français) mais ils ne vont pas jusqu’à les juger très bonnes (un tiers seulement le pensent). Cela s’explique par le fait que l’alcool en France est davantage perçu comme une denrée alimentaire de consommation courante que comme une drogue. Les jeunes sont, en effet, le public le moins convaincu par ces mesures puisque seulement ¼ d’entre eux les trouvent très bien. Cela est à mettre en parallèle avec le fait que les jeunes sont ceux qui perçoivent le moins fortement la dangerosité de l’alcool et qui sont les plus enclins à adopter des comportements déviants (notamment avec des états d’ivresse répétés et fréquents en raison des soirées étudiantes). On remarque également que les préoccupations des adultes restent focalisées sur les risques encourus par les jeunes et la volonté de les protéger. Mais généralement, cela ne se traduit pas par une prise de conscience personnelle de leur part de la nécessité d’une plus grande tempérance dans leur propre comportement. Ainsi, si globalement les mesures sont plutôt acceptées par l’ensemble de la population, pour les jeunes, elles n’ont pas entraîné un changement de comportement radical. Pourtant, c’est ce public que cherchait à protéger en priorité l’Etat. On peut donc légitimement se demander si le gouvernement ne se montrera pas encore plus strict par la suite. Tout comme le tabac en début d’année, l’alcool pourrait-il être purement et simplement interdit à la consommation dans les lieux publics ? Il apparaît qu’une mesure aussi radicale concernant l’alcool est difficilement envisageable. Tout d’abord, l’alcool n’est pas de nature à poser un problème similaire au tabagisme passif. Certains évoquent tout de même, et à juste titre, les nuisances et le danger que peut représenter une personne ivre pour autrui (syndrome d’alcoolisation fœtale, violence, conduite en état d’ivresse). Pourtant, le gouvernement lui-même ne l’envisage pas. En 2006, suite au vote du texte de loi interdisant de fumer dans les lieux publics, le Premier Ministre de l’époque, Dominique de Villepin déclarait au Figaro qu’il ne croit pas à une interdiction de l’alcool puisque nous sommes dans une société de liberté et qu’il est préférable d’apprendre à réguler son propre comportement. Toutefois, concernant les jeunes, le Ministère de la Santé et celui de l’Education Nationale s’apprêtent à prendre de nouvelles mesures très prochainement en interdisant totalement la vente d’alcool aux mineurs car actuellement elle est encore acceptée dans certains cas pour les mineurs de 16 à 18 ans. Ainsi, au vue de l’adhésion modérée à la loi Evin et du faible impact de celle-ci sur les comportements des jeunes, il est certain que l’Etat prendra de nouvelles mesures. Cela dit, il est important de noter son opposition à une interdiction totale de l’alcool en France. 9 b. L’alcool, interdit de publicité sur Internet : comment appréhender les évolutions technologiques dans ce cadre réglementaire ? La loi Evin a été votée en 1991 et, en dix-sept ans d’existence, elle a très peu été mise à jour. En 2005, elle a été assouplie en ce qui concerne le contenu des messages publicitaires. Par contre, la liste des supports publicitaires autorisés n’a jamais été revue. Ainsi, si la loi Evin a été pensée par rapport au contexte et aux technologies existantes au début des années 90, la législation n’a pas anticipé les évolutions technologiques. On se retrouve donc aujourd’hui avec des flous juridiques et des incertitudes sur ce qui est interdit ou non en matière de publicité pour l’alcool. Heineken en a d’ailleurs fait les frais en début d’année. L’entreprise a en effet été attaquée par l’ANPAA et condamnée par la justice pour violation de la loi Evin. L’objet du litige était les publicités que le brasseur néerlandais affichait sur son site de marque Heineken.fr. Depuis la condamnation, en février dernier, les visiteurs sont accueillis par un message laconique « le site www.Heineken.fr est momentanément indisponible ». Le Journal du Net est revenu sur cette affaire pour bien en comprendre les conséquences25. Tout d’abord, il est clair que cette décision de justice va au-delà de la simple condamnation d’Heineken. Alexis Capitant, directeur général d’Entreprise et Prévention le déplore mais il a conscience qu’avec l’affaire Heineken, l’ANPAA a banni les fabricants de vins et de spiritueux du Web. D’ailleurs, la prochaine cible de l’ANPAA est Ricard et trois de ses sites de marque. Jusque là, les alcooliers suivaient les recommandations du BVP26 qui tolérait l’utilisation d’Internet dans le strict respect de la loi Evin qui encadre aussi les messages et mentions autorisés. Cela dit, pour Claude Evin, la loi est parfaitement claire et aucune interprétation n’est possible. Tous les supports non mentionnés sont interdits. Pourtant, il faut noter qu’habituellement les lois précisent les interdits et ne se contentent pas de dire ce qui est autorisé. Cela pause effectivement un problème d’interprétation difficile par rapport à l’évolution des médias. On a pu en mesurer l’ampleur avec Internet et l’affaire Heineken. Le média Internet est particulier. Il s’apparente à la fois à la radio, à la presse et à la télévision. Or, ces trois médias n’ont pas le même statut aux yeux de la loi Evin. La publicité à la télévision est interdite aux produits alcoolisés. Alors qu’en est-il des sites de partage vidéo qui hébergent des clips sur de l’alcool ? La publicité dans la presse par contre est autorisée. Aujourd’hui, tous les grands titres de presse ont leur propre site d’informations qui relaie le contenu de leurs journaux « papier ». La publicité serait-elle alors interdite pour les alcooliers sur de tels sites ? Mais la décision prise contre Heineken va encore pus loin. En effet, ce n’est plus uniquement la publicité qui est interdite mais la promotion des boissons alcoolisées au sens large. Patrick Elineau de l’ANPAA affirme que parler d’alcool sur Internet en des termes positifs peut s’apparenter à de la publicité et faire l’objet de poursuites. C’est d’ailleurs ce qui est arrivé au journal Le Parisien pour avoir publié plusieurs articles élogieux sur le champagne à l’occasion des fêtes de fin d’année en 2005. Ainsi, un blog sur l’œnologie ou un site de e-commerce spécialisé dans la vente de spiritueux pourraient être également condamnés pour violation de la loi Evin. On voit bien que les conséquences de l’affaire Heineken sont radicales. Cet événement a mobilisé de nombreuses personnes, avec d’abord les bloggeurs qui s’inquiètent de l’interprétation qui pourrait être faite de leurs propres sites. Par conséquent, une pétition est hébergée sur un blog spécialisé, Fineawine.com, et demande la modernisation de la loi Evin par l’ajout d’Internet à la liste des médias autorisés. Au-delà, c’est l’ensemble du secteur alcool qui a alerté les politiques. Ainsi, le 28 février dernier, trois sénateurs du PS ont déposé une proposition de loi pour préciser la loi Evin, notamment en incluant Internet dans les médias autorisés27. Cela dit, la modernisation de la loi Evin n’est pas pour tout de suite car le gouvernement et notamment la Ministre de l’Economie, Christine Lagarde, ne l’envisagent pas en raison du vecteur de divertissement et de communication important qu’Internet représente pour les jeunes. En attendant, mieux vaut éviter de se risquer à une campagne de publicité en faveur de l’alcool sur Internet. Mais ce qui est certain, c’est que l’affaire Heineken a soulevé le problème de la modernisation de la loi Evin car il est bien 25 26 27 Publicité, alcool et Internet : Jeux interdits ? – www.journaldunet.com Le BVP est le Bureau de Vérification de la Publicité. Trois sénateurs veulent autoriser la publicité pour l’alcool sur Internet – www.journaldunet.com 10 difficile de connaître le paysage médiatique de demain et pourtant la loi devra s’adapter à ce nouveau contexte, aussi différent soit-il. c. Le lobbying des producteurs de boissons alcoolisées continue : la loi Evin peut-elle perdurer ? La loi Evin subit régulièrement les pressions et les demandes de modifications du lobbying vinicole qui, comme nous l’avons évoqué précédemment, est très puissant, d’autant plus qu’il compte plus d’une centaine de députés de droite comme de gauche derrière lui. Le gouvernement se retrouve donc souvent en porte-à-faux lors des discussions autour des améliorations à apporter à la loi Evin. Cela a été particulièrement flagrant en 2004 lorsqu’un amendement a été adopté par l’Assemblée Nationale, contre l’avis un peu timide du gouvernement. Il avait pour objet l’assouplissement des conditions de promotion des vins du pays ou AOC. Début 2004, l’ANPAA a attaqué successivement deux interprofessions vinicoles (le BIVB et le CIVB)28 sur leurs campagnes publicitaires jugées anti loi Evin. Jusque-là personne n’avait encore soulevé la contradiction que constitue l’interdiction de ce pourquoi sont précisément faites les interprofessions, à savoir, communiquer. La loi Evin met sur le même plan les alcooliers producteurs et les interprofessions. Toutefois, ces dernières existent pour valoriser et faire connaître les qualités des produits de petits producteurs comme les vignerons qui n’ont pas les moyens de mettre en place des campagnes de publicité. Ainsi, l’amendement voté par le Parlement fin 2004 permet d’évoquer les caractéristiques qualitatives de produits alcoolisés bénéficiant d’une appellation d’origine ou d’une indication géographique, mais cela dans la mesure où ces éléments restent compatibles avec l’objectif de modération dans la consommation. On peut donc à présent parler de la couleur, de l’odeur, du goût, du territoire d’origine ou encore du cépage de ces produits. Cet amendement s’applique pour le vin mais également pour d’autres alcools plus forts comme par exemple le rhum martiniquais ou la vodka polonaise. Cette mesure facilite considérablement la publicité pour le vin. L’ANPAA a d’ailleurs immédiatement déploré « un démantèlement total de la loi Evin ». Le gouvernement et notamment le Ministre de la Santé de l’époque, Philippe Douste-Blazy, n’ont montré qu’une bien faible et peu convaincante opposition29. Ainsi, le lobbying vinicole très puissant est déjà parvenu tant bien que mal à assouplir une loi initialement très rigide et on peut effectivement douter de la capacité du gouvernement à protéger la loi Evin du lobbying des producteurs des boissons alcoolisées. Il est peu probable que la loi Evin disparaisse complètement au vue des problèmes sanitaires et sociaux que représente l’alcool, mais l’industrie de l’alcool s’applique et réussit peu à peu à rendre plus flexible et plus permissive notre législation. Au travers de cette première partie, nous avons appréhendé toute la complexité du secteur des boissons alcoolisées. Produit multifacettes, l’alcool a la particularité d’être à la fois un symbole culturel de notre pays et une boisson à risques pour notre santé. Malgré cette dualité, ce secteur représente encore aujourd’hui une part non-négligeable de notre économie. Ainsi, même si le cadre réglementaire mis en application par l’Etat est une réponse aux problèmes évidents que causent les boissons alcoolisées, il est certain qu’en l’état actuel des choses il constitue un frein économique pour le secteur. Aussi, on peut naturellement s’inquiéter de ces futures évolutions. De plus, nous avons vu que la législation a entraîné une mutation de la structure du marché et des comportements du consommateur. Ces transformations ont bien sur un impact direct sur le travail du communicant. Au-delà, et c’est ce que nous allons aborder dans une deuxième partie, la loi Evin limite et rend plus difficile la réflexion des annonceurs et des agences conseil en termes de communication. 28 29 La publicité pour le vin sera facilitée – www.nouvelobs.com Législation, politiques au pressoir – www.lexpress.fr 11 II. LA REGLEMENTATION DU SECTEUR DES BOISSONS ALCOOLISEES, OUTIL DE CENSURE, OU BIEN, VERITABLE DYNAMIQUE CREATIVE ? Au cours de mes trois mois de stage, j’ai pu m’apercevoir que travailler sur le marché de l’alcool est aussi ardu que passionnant pour le communicant. Nous l’avons vu en première partie le cadre réglementaire du secteur des boissons alcoolisées est à double tranchant, et en particulier la loi Evin. Cette ambivalence est également valable dans le cadre de la réflexion et de l’action des communicants. En effet, la réglementation du secteur des boissons alcoolisées est-elle un outil de censure ou bien une véritable dynamique créative ? C’est cette dualité que nous allons aborder dans cette deuxième partie. D’abord, nous observerons l’impact de la réglementation sur la relation agence – annonceur, au travers du processus de décision et de l’importance qui tiennent les interprétations des services juridiques. Ensuite, nous nous pencherons plus spécifiquement sur les conséquences de cette législation sur la réflexion stratégique de l’agence en termes de moyens et de champs d’actions, et également, en termes d’alternatives et de nouvelles tactiques. Enfin, nous nous intéresserons à la place et au poids du juridique dans le processus créatif que ce soit au niveau des champs d’expressions ou au niveau de la confrontation de ces deux univers. 1. LA REGLEMENTATION DU SECTEUR DANS LA RELATION AGENCE-ANNONCEUR a. Processus de décision lourd et prise de risques De part mon expérience professionnelle au sein de l’agence Dufresne Corrigan Scarlett, j’ai pu appréhender la relation client, principalement avec Heineken Entreprise. Ainsi, cette relation agence – annonceur s’inscrit dans le cadre très particulier du marché des boissons alcoolisées, comme nous avons pu le voir précédemment. La loi Evin contraint l’agence comme l’annonceur à faire contrôler et vérifier toutes créations, visuels ou messages, auprès de services juridiques. Étant directement touché par la réglementation du secteur alcool, Heineken possède un service juridique important et particulièrement vigilant. En effet, chaque nouvelle publicité ou communication constitue une prise de risque pour l’entreprise. Nous avons d’ailleurs constaté qu’Heineken en a déjà fait les frais dernièrement. Ne pas respecter la loi Evin peut couter cher. Aussi, l’annonceur se révèle souvent très hésitant face à de nouvelles propositions. Même l’enthousiasme que peut montrer le client lors d’une présentation peut être très vite refroidi lors de la prise de contact avec le service juridique qui se montre extrêmement prudent. Cela dit pour limiter les risques et une perte de temps, l’agence fait également appel à son propre service juridique. Dans le cas de Dufresne Corrigan Scarlett, il s’agit d’un cabinet extérieur. Ainsi, avant chaque présentation client, tous les visuels sont soumis à l’avis d’un juriste. La présentation d’une création « non Evin » au client constitue tout d’abord une perte de temps, tant pour l’agence que pour le client, mais elle représente également une perte de crédibilité pour l’agence car elle fait courir un risque à l’annonceur. Ainsi, le point de vue des services juridiques sur toutes les nouvelles créations est primordial. L’inconvénient de ces démarches est qu’elles rallongent considérablement un processus de décision déjà lourd, du fait de la taille de l’entreprise et du nombre important de personnes intervenant dans le processus de prise de décision. En effet, toutes les créations doivent être vérifiées et le juriste doit préparer une ébauche d’argumentaire pour être en mesure de défendre et recommander les pistes qui lui semblent respecter la loi Evin. Étant donné que l’agence ne propose jamais qu’une seule piste, mais plutôt trois ou quatre, le passage auprès du service juridique est toujours long. C’est un moment où l’annonceur et l’agence sont en position d’attente puisque l’avis du juriste est indispensable à la prise de décision. Ainsi, c’est un instant clé dans la relation agence – annonceur, mais c’est également un moment stressant pour les deux partis. En effet, les allers et venus sur les créations peuvent être très nombreux si les retours des services juridiques sont négatifs. Pourtant, lorsqu’une campagne de communication a été programmée, pour soutenir le lancement d’un nouveau produit ou pour travailler l’image de la marque, il est impératif 12 pour l’annonceur et l’agence de trouver un compromis et une solution dans des délais qui se resserrent. J’ai pu en faire l’expérience avec le visuel de la nouvelle campagne Affligem. Ce visuel représente le nouveau positionnement « 100% Belge » de la célèbre bière d’abbaye. L’agence ne comptait même plus le nombre de propositions faites à Heineken Entreprise et son service marketing. Les propositions acceptées par les services juridiques ne convenaient pas au client et celles qui étaient particulièrement efficaces et pertinentes étaient systématiquement rejetées30. Toutefois, les dates de diffusion de la campagne se rapprochaient de plus en plus et il était impératif dans ces conditions de trouver une alternative. L’agence retravaillait ces propositions créatives, même si les idées commençaient à manquer, et le client devait absolument prendre une décision et choisir un visuel ou une accroche. Dans ces conditions, on comprend que la relation agence – annonceur puisse devenir tendue. Finalement, Heineken a choisi deux propositions qui étaient un bon compromis entre l’efficacité recherchée pour le message et le respect de la loi Evin31. La proposition du Manneken Pis avait été dans un premier temps rejetée par le service juridique d’Heineken, mais le client a fait pression sur ses juristes pour qu’ils trouvent un argumentaire pertinent pour cette création. En tout, il a fallu plus de neuf mois de travail à l’agence et l’annonceur pour imaginer et valider cette nouvelle campagne. Mais cela peut prendre encore plus de temps. Par exemple, pour la dernière campagne Fischer, les échanges ont duré un an. Ainsi, le processus de décision des annonceurs de ce secteur est particulièrement long, mais cela s’explique bien entendu par la prise de risques que constitue la diffusion d’un nouveau visuel et message. Aussi, l’agence se doit d’anticiper ces délais d’échanges et de discussions dans la préparation de son travail et sa planification, malgré les difficultés d’interprétation de la loi Evin par les juristes eux-mêmes. b. Interprétation de la loi Evin et confrontation des points de vue juridiques Pour Claude Evin, la loi sur la limitation de la publicité en faveur des boissons alcoolisées ne peut pas faire l’objet d’interprétation. Cela dit, si le législateur a pour mission de formuler et de soumettre un texte de loi clair et explicite, c’est bien le rôle de la justice de faire appliquer la loi du mieux qu’elle peut. Il apparaît qu’en fonction des situations, les juristes doivent souvent interpréter les lois pour pouvoir rendre un jugement juste et conforme à l’esprit de la législation en vigueur. En ce qui concerne la loi Evin, il faut prendre en considération à chaque fois un nouveau visuel et interpréter la loi en conséquence. De cette notion d’interprétation découle naturellement un point de vue et une opinion propres à chacun. Les juristes doivent bien entendu s’efforcer d’argumenter leur point de vue afin de le faire valoir aux yeux de tous. Ainsi, qui dit interprétation, dit argumentation et dit confrontation des opinions. L’exemple de la nouvelle campagne Affligem a été particulièrement représentatif de la difficulté d’interprétation de la loi Evin. J’ai souvent observé la confrontation des différents points de vue des services juridiques en ce qui concerne cette loi. En effet, à plusieurs reprises, j’ai pu constater que sur un même visuel ou sur une même accroche le juriste de l’agence et le service juridique d’Heineken ne faisaient pas reposer leurs argumentaires sur les mêmes éléments. Leur approche était parfois différente au point d’entrer en contradiction. Des pistes créatives validées par le juridique de l’agence étaient rejetées par le service juridique du client, et inversement. Non seulement ces contradictions empêchent l’agence de poursuivre efficacement son travail, mais elles prouvent qu’on ne peut probablement pas assurer de manière certaine qu’une création est entièrement conforme aux directives de la loi Evin. D’autre part, j’ai pu remarquer que ce manque de certitude lié aux multiples interprétations possibles pouvait être utilisé comme un moyen de censure de la part de l’agence ou de l’annonceur. En effet, l’agence peut ne pas présenter certaines pistes créatives au client en raison du risque qu’elles représentent par rapport aux autres d’un 30 31 Annexe I : Propositions créatives pour le nouveau visuel clé 2008 d’Affligem – Dufresne Corrigan Scarlett Annexe II : Les deux visuels clés retenus pour la campagne Affligem 2008 – Dufresne Corrigan Scarlett 13 point de vue juridique. Cela dit, on a pu également remarquer que cela pouvait être aussi une stratégie adoptée par le client. Effectivement, lorsqu’une idée créative ne plaît pas vraiment et que le service juridique émet un léger doute sur le plan du respect de la loi Evin, cela peut suffire à abandonner une création. Au contraire, il est aussi arrivé que le client séduit par une piste créative sur laquelle les juristes formulent un doute pousse son service juridique à construire un argumentaire pour la défendre. Ce fut le cas notamment pour le visuel clé « Manneken Pis » de la nouvelle campagne Affligem qui a été choisi. Ainsi, on comprend la place importante que prend la loi Evin dans la relation agence – annonceur. Elle constitue un outil de censure sans précédent car l’interprétation fait entrer par nature une part de subjectif et laisse donc place à une multitude d’argumentations possibles. Au-delà, cette loi a également un impact fort sur la réflexion stratégique de l’agence conseil. 2. LA REGLEMENTATION DU SECTEUR DANS LA REFLEXION STRATEGIQUE DE L’AGENCE a. Moyens limités et réduction des champs d’actions Le publicitaire doit avoir en permanence à l’esprit les principes de la loi Evin lorsqu’il conçoit et mène une réflexion stratégique pour une marque de boisson alcoolisée. J’ai pu en faire l’expérience lors de l’élaboration de la stratégie de lancement de la nouvelle Affligem de Noël ou encore à l’occasion de recommandations concernant des opérations spéciales en faveur d’Adelscott. En effet, la loi Evin réduit considérablement les champs d’actions du communicant dans sa réflexion. Les champs d’application de la loi Evin ont été précisément définis. Les restrictions de la loi s’appliquent à deux types de publicité : la publicité directe, c'est-à-dire toute présentation publique d’un produit alcoolique (titré à plus de 1,2°) dans un but commercial, et la publicité indirecte. Cette dernière est définie plus précisément par la législation comme étant la propagande ou la publicité en faveur d’un organisme, d’un service, d’une activité, d’un produit ou d’un article autre qu’une boisson alcoolique mais qui en rappellerait une, par son graphisme, sa présentation, l’utilisation d’une dénomination, d’une marque, d’une emblème publicitaire ou bien d’un autre signe distinctif. Cela dit, l’ennui avec la loi Evin est que c’est une loi qui n’interdit pas. C’est une loi qu’on dit permissive. Autrement dit, elle précise, au contraire, ce qui est autorisé. Ainsi, elle délimite les moyens et les supports admis pour communiquer en faveur des boissons alcoolisées. Les médias autorisés par la loi Evin sont alors l’affichage, bien qu’à l’origine il ne devait être autorisé que dans les zones de production, la presse écrite, à l’exception des publications destinées à la jeunesse, et la radio, dans le cadre des tranches horaires autorisées (c'est-à-dire principalement aux moments de la journée où les jeunes publics à priori ne l’écoutent pas). On note dès lors l’interdiction de toutes publicités télévisées et également la prohibition de la publicité au cinéma. Ces deux médias ont été considérés comme des supports plus impactants auprès du grand public du fait qu’ils font tous deux appel à la vue et à l’ouïe simultanément. Par ailleurs, le législateur français a considéré qu’étant donné que ces deux médias de sons et d’images connaissaient un grand succès auprès de la jeunesse, il était indispensable de leurs interdire la diffusion de publicité pour des produits alcoolisés si l’on souhaitait continuer à poursuivre, de manière cohérente, l’objectif de protection de la jeunesse des risques et dangers de l’alcool. Pour le média Internet, la législation a tranché en début d’année. Les alcooliers sont désormais bannis du Web. Nous avons pu constater que le gouvernement soutenait cette décision en partie pour les mêmes raisons que celles qui ont motivées l’interdiction de la publicité à la télévision et au cinéma, à savoir la protection des jeunes. Par conséquent, en termes de mass médias, le publicitaire français se retrouve cantonné à l’utilisation de la presse, la radio et l’affichage, tandis que nos homologues étrangers s’en donnent à cœur joie à la télévision et jouissent de presque toutes les libertés possibles32. 32 La campagne « So what ? » de la bière australienne Hahn Beer en est la parfaite représentation. 14 Parmi les autres supports autorisés, la loi Evin permet aux alcooliers de communiquer via la PLV33 dans les lieux de vente à caractère spécialisé, c'est-à-dire dans lesquels l’exploitant détient une licence lui permettant de vendre de l’alcool. On peut ainsi concevoir des affichettes ou proposer des objets publicitaires pour ces points de vente. Cette forme de communication est aujourd’hui très fortement plébiscitée par les annonceurs. Cela s’explique tout d’abord par l’importance que prend le retail marketing34 dans les réflexions stratégiques des services marketing des annonceurs. Face à une concurrence de plus en plus rude, aux pressions de la grande distribution et surtout à une consommation à la baisse, il devient capital d’émerger des linéaires. D’autre part, cette communication coûte moins chère que les investissements faits en média et l’impact est bien plus immédiat dans les rayons ou les cafés. Ainsi, j’ai pu me rendre compte que la majeure partie des supports conçus par l’agence pour Heineken Entreprise servait principalement à de grandes campagnes promotionnelles en GMS35 ou bien à des animations spéciales en CHR36. Cela dit, là encore, la loi Evin restreint les possibilités en matière de PLV. En effet, les affichettes publicitaires ne doivent pas dépasser les 0,35 m2 et les objets publicitaires doivent être uniquement destinés au service et au fonctionnement de l’établissement dans lesquel ils sont distribués. Les objets publicitaires ne peuvent donc être ni vendus, ni distribués gratuitement au grand public. Ainsi, même les goodies, que les grands alcooliers adorent utiliser, sont encadrés par les directives de la loi Evin. Au-delà, la loi autorise la publicité auprès des professionnels du secteur, celle sur les véhicules de livraison (mais elle est limitée à la mention de la désignation du produit, du nom et de l’adresse du fabricant), celle concernant les manifestations et institutions liées à l’alcool (foires traditionnelles, musées, universités,…) et celle faite à l’occasion de vente directe chez le producteur. En ce qui concerne le parrainage en faveur de boissons alcoolisées, il est tout simplement interdit. Pour le mécénat, avant 1997, un décret le tolérait à certaines conditions. Le nom commercial du mécène pouvait être mentionné sur trois types de documents : ceux à destination des relations presse, ceux utilisés à la mise en œuvre de l’opération (du type programme, billetterie ou encore invitation) et les produits, ouvrages et œuvres musicales ou audiovisuelles qui sont l’objet même de l’opération de mécénat. Cela dit, depuis l’annulation de ce décret en 1997, la plus grande incertitude plane aujourd’hui autour des modalités de mise en place d’opérations de mécénat au profit de boissons alcoolisées. Dès lors, il est clair que la stratégie publicitaire est bridée et qu’il est bien difficile de contourner la loi Evin sans prendre de risques. Ainsi, la réflexion du communicant se limite aujourd’hui à la prise en compte d’actions promotionnelles ou événementielles relayées par des dispositifs plus ou moins importants en PLV. Toutefois, s’il est évident que la stratégie publicitaire est limitée par la loi Evin, cette réglementation pousse le publicitaire à aller plus loin et à trouver de nouveaux moyens et supports pour permettre à la marque de s’exprimer. Ainsi, la publicité et la communication pour le secteur des boissons alcoolisées trouvent un nouveau souffle au travers de tactiques innovantes et grâce notamment au marketing alternatif. b. Recherche de nouvelles tactiques et marketing alternatif Le marketing alternatif permet aujourd’hui de créer un lien très fort avec le consommateur. En effet, cette nouvelle technique de communication consiste à surprendre et marquer les esprits des publics. Elle permet de favoriser un puissant « bouche à oreille » autour d’un produit ou d’une marque par le biais de supports ou d’opérations originales dans la rue ou sur Internet. En ce qui concerne le secteur de l’alcool, nous avons vu précédemment que la réflexion stratégique pour l’élaboration de campagnes de communication était de plus en plus complexe du fait des restrictions de la loi Evin. Aussi, il devient bien difficile de se différencier et de surprendre le consommateur avec des moyens 33 34 35 36 La PLV est la Publicité sur le Lieu de Vente Le retail marketing est le marketing des points de vente. Annexe III : Opération promotionnelle pour le lancement de la nouvelle Affligem Fruits Rouges en GMS – Dufresne Corrigan Scarlett Annexe IV : Animations en CHR pour le lancement de la nouvelle bouteille 33 cl Edelweiss – Dufresne Corrigan Scarlett 15 aussi réduis. Par conséquent, le marketing alternatif constitue une véritable opportunité en termes de communication pour les alcooliers. Ainsi, leurs stratégies de communication essayent, dans le respect de la loi Evin, d’intégrer des opérations de street marketing, de buzz marketing, ou encore de guérilla marketing. Cela peut constituer un véritable atout pour la marque. Par exemple, l’année dernière Desperados a mis en place une opération de street marketing originale début juillet37. Cette opération a constitué un excellent relais à la campagne print « Les capsules Desperados ». Sur une journée, la marque s’est assurée une couverture médiatique importante dans les gratuits Matin Plus et Direct Soir. Cette campagne presse joue fortement la carte du teasing et du buzz puisque le visuel clé de la campagne se décline et révèle le nom de la marque en utilisant les quatre pages de la couverture. L’agence a également inséré des cookies « capsules » dans les pages de Direct Soir. Ainsi, l’originalité prime dans cette campagne et l’objectif principal est de marquer les esprits. Pour renforcer encore davantage l’effet de buzz auprès du public, Desperados a préparé avec la distribution de Direct Soir une mise en scène du déferlement des capsules. Les colporteurs des gratuits se tiennent sur un tapis recouvert de capsules Desperados et portent des pantalons sur lesquels remontent d’autres capsules. De cette manière, la marque exploite jusqu’au bout et de manière très maligne le thème de sa campagne publicitaire « l’invasion des capsules ». Cette opération avait une envergure nationale et elle a reçu un très bon accueil du public. Ce type de campagne permet d’être décalé et de surprendre le consommateur. De cette manière, on tisse un lien atypique avec lui et on retient son attention. D’autre part, les alcooliers mettent en place de plus en plus souvent des opérations événementiels auprès de leurs cibles, et notamment des jeunes. Les grandes marques du secteur alcool sont fortement présentes lors des soirées étudiantes ou encore des festivités locales, comme les férias ou bien les festivals. Mais les annonceurs peuvent se montrer encore plus originaux en se positionnant sur des thématiques inattendues. En effet, la marque Desperados, qui ne fait rien comme tout le monde, s’associe chaque année depuis neuf ans avec le collectif d’artistes « 9ème concept » afin de concevoir un univers Hors Série unique pour sa bouteille38. Chaque année, l’objectif est simple : changer, surprendre et étonner. La marque a ainsi développé une identité visuelle originale et authentique, à la fois urbaine, contemporaine et résolument festive. De cette manière, elle a réussi à installer un événement à chaque fois différent, mais véritablement attendu. Cette opération est relayée dans les linéaires en magasin et aussi auprès des cafés39. De plus, pour cette neuvième édition, Desperados et 9ème Concept ont même organisé une exposition de grande ampleur chez Culture Bière sur les Champs Elysées afin de présenter l’ensemble de la collection Hors Série de la marque. L’événementiel est une stratégie efficace pour faire parler de la marque et créer un véritable buzz. Ces nouvelles tactiques s’avèrent particulièrement efficaces pour travailler la notoriété et l’image d’une marque. Cela dit, il faut être très vigilant par rapport aux messages que l’on envoie aux consommateurs, qu’ils soient explicites ou au contraire suggérés. En effet, toutes ces opérations spéciales n’échappent pas à la réglementation de la loi Evin concernant les messages publicitaires. Aussi, il ne faut pas se montrer incitatif, ce qui, encore une fois, limite quelque peu les champs d’actions. Pourtant, la capacité d’une agence conseil à proposer ce type de campagne constitue aujourd’hui une véritable valeur ajoutée dans la réflexion stratégique. Cela est d’autant plus avéré dans le cas du secteur des boissons alcoolisées puisqu’en termes de moyens les annonceurs sont limités et il devient donc plus difficile d’être original face aux concurrents. Cette constatation est valable pour la réflexion stratégique mais également pour le processus créatif. 37 38 39 Annexe V : Bilan de l’opération de street marketing de Desperados – Dufresne Corrigan Scarlett et Bolloré Intermédia Annexe VI : Les bouteilles Hors Série Desperados – Dufresne Corrigan Scarlett et 9ème Concept Annexe VII : Argumentaire à destination des professionnels pour l’animation Hors Série Desperados en CHR – Dufresne Corrigan Scarlett 16 3. LA REGLEMENTATION DU SECTEUR DANS LE PROCESSUS CREATIF a. Champs d’expressions limités et challenge créatif Au-delà de la limitation des moyens et des supports de communication, la loi Evin régit et encadre l’expression publicitaire. En effet, elle autorise l’évocation d’un certain nombre d’indications en rapport avec le produit ou la marque faisant l’objet d’une publicité. De cette manière, le législateur souhaite limiter autant que possible l’effet incitatif de la publicité pour des boissons alcoolisées lorsqu’elle est autorisée. La publicité devra donc être la plus informative possible, même s’il est admis que de part sa nature la publicité est incitative. Cela dit, en utilisant le terme « indication » dans le texte de loi, le législateur a laissé planer une incertitude quant à la manière de présenter les éléments autorisés par la loi dans les publicités. Effectivement, en parlant d’indication, est-ce-que la loi permet l’utilisation de textes, de sons ou encore de représentations graphiques ? Ou, au contraire, est-ce qu’il faut comprendre que ces indications se limitent à la notion d’information ou de renseignement à destination du consommateur ? Dans le second cas, il n’y aurait plus de création publicitaire conceptuelle à proprement parler. Il est donc primordial de connaître le sens précis du texte de loi car c’est de là que découlera la liberté de création. Le BVP a recommandé l’utilisation de représentations littérales, sonores ou graphiques lorsqu’elles étaient justifiées par une fonction liée à l’un des éléments autorisés par la loi. Mais la jurisprudence est plus restrictive car si elle admet la possibilité de recourir à des « représentations », ces dernières ne doivent en aucun cas être incitatives et elles doivent se limiter à l’illustration d’une des indications admises par la loi Evin. Ainsi, les mentions autorisées peuvent prendre la forme de l’image si elles excluent toute connotation attractive et si elles restent compatibles avec la prévention des risques de l’alcool, notamment en termes de consommation excessive. Par conséquent, la création publicitaire sur le secteur des boissons alcoolisées est toujours possible mais dans un cadre très restrictif qui constitue en ce sens un réel challenge créatif. En effet, la loi Evin concède la communication et la publicité en faveur des boissons alcoolisées lorsqu’elles renvoient à au moins une des huit mentions précisées dans le texte de loi. La première est la dénomination du produit. Par ces termes le législateur permet au publicitaire de reproduire tous les signes distinctifs du produit ou de la marque pour peu qu’ils ne se montrent pas incitatifs à une consommation immodérée. Cette indication est indispensable à toute création publicitaire car elle permet d’associer la publicité à l’annonceur et à sa marque dans l’esprit du consommateur. Sans cela, il n’y a plus vraiment de raison d’être pour une publicité. La deuxième mention autorisée par la loi Evin est également très importante puisqu’il s’agit de l’indication de l’origine du produit ou de la marque. L’utilisation d’arguments liés à l’origine est très fréquente pour les produits alcoolisés. Cela permet de faire référence à l’ancienneté du produit, à son histoire ou encore à des éléments liés à sa provenance géographique. Pour toutes les marques de bières de spécialités pour lesquelles j’ai été amenée à m’investir, l’argument de l’origine du produit était exploité de manière récurrente. Cela pouvait se traduire par des signatures de marque : Fischer Tradition « So alsacienne »40 ou Cruz Campo « Cerveza premium española importada »41. Mais, cet argument transparaissait aussi dans les univers de marques. C’est le cas pour Adelscott qui par ces visuels se réfère directement à l’Ecosse, ses châteaux et son esprit chevaleresque42. J’ai pu également le remarquer au travers des créations pour la nouvelle campagne Affligem. La marque s’est clairement repositionnée sur la revendication de son origine belge et elle démontre sa belgitude en associant son produit à des symboles belges comme le Manneken Pis dans ses nouveaux visuels. Cela dit, si cette indication est très utilisée car elle laisse davantage de liberté à l’expression créative, elle a également fait l’objet de condamnations pour certaines marques43. La jurisprudence a rappelé à ces occasions que les éléments en rapport avec l’origine du produit devaient avoir un lien direct 40 Annexe VIII : Visuels clés 2007-2008 de Fischer Tradition - Dufresne Corrigan Scarlett Annexe IX : Propositions créatives 2008 pour Cruz Campo – Dufresne Corrigan Scarlett 42 Annexe X : Visuel clé 2008 d’Adelscott – Dufresne Corrigan Scarlett 43 Par exemple, la marque d’anisette liqueur Marie Blizard a été condamnée pour la diffusion d’une publicité représentant un tableau de Fragonard intitulé « Le Baiser » et accompagné du slogan « On n’a rien fait d’aussi troublant depuis 1755 ». Pour les juges, ce type de création était plus de l’ordre de l’émotion que de l’origine. 41 17 et perceptible avec celui-ci. Ainsi, si l’indication de l’origine du produit laisse plus de possibilités aux créatifs, il n’en reste pas moins que l’indication doit rester objective et les arguments avancés justifiés. D’autre part, la loi Evin autorise la référence à des éléments objectifs entrant dans la composition du produit. Par exemple, pour la nouvelle bière Fischer de Noël, on présentait certains ingrédients comme les épices sur les visuels de la campagne car c’était précisément ces éléments là qui faisaient la spécificité de cette bière de saison44. Mais encore une fois la législation précise bien que les scènes ou représentations de ces éléments doivent avoir un lien avéré avec la composition du produit. De plus, depuis 2005, la loi accorde la possibilité d’évoquer les caractéristiques qualitatives des produits alcoolisés d’appellation contrôlée ou bénéficiant d’une indication géographique. Ainsi, il est aujourd’hui possible d’évoquer entre autres la couleur, le goût ou encore l’odeur des produits. Au-delà, la loi permet la représentation des différentes étapes de fabrication et d’élaboration du produit, et, d’une manière plus large, elle prévoit la possibilité de se référer aux terroirs de production, ainsi qu’aux distinctions obtenues. Aussi, dans quasiment tous les visuels réalisés pour Affligem, la médaille d’or qu’elle a remportée en 2007 à l’EBS45 devait être mentionnée. Elle a d’ailleurs fait l’objet de la création d’un kit de matériel de service spécifique pour le CHR, invitant le consommateur à déguster la meilleure bière d’Europe46. La mention de ces distinctions n’est pas un élément central dans la création graphique ou rédactionnelle au sens de concept publicitaire, mais elle est très importante pour faire passer un message de qualité produit auprès du consommateur. Ainsi, si ces distinctions ne sont pas indispensables au processus de création publicitaire pure, leur mention est un atout important pour vendre le produit. Ensuite, la loi Evin admet la possibilité de communiquer sur les modalités de vente et sur le mode de consommation du produit. A priori, cette indication permet d’apporter beaucoup plus de liberté aux créatifs. En effet, le fait de pouvoir aborder des attitudes ou des moments de consommation permettraient d’apporter de la valeur ajoutée à la marque et d’être beaucoup plus proche des consommateurs. Cela dit, la jurisprudence a exclu la possibilité de représenter le lieu de consommation de l’alcool estimant que cela ne rentrait pas dans le cadre de l’évocation des modalités de vente ou des modes de consommation. Par ailleurs, le BVP a recommandé d’être prudent quant aux représentations de scènes de consommation évoquant des sensations ou bien représentant des consommateurs. Ainsi, cette indication, qui à première vue laisse une marge de manœuvre plus importante à l’expression publicitaire, doit tout de même rester dans un cadre très informatif, objectif et donc restrictif. Par ailleurs, la loi Evin autorise la citation du degré d’alcool, mais la publicité ne doit pas reposer sur une argumentation positive qui aurait pour but de le valoriser. Enfin, la législation permet la mention du nom et de l’adresse du fabricant, des agents et des dépositaires. Par conséquent, on remarque que si la loi Evin est une loi par nature permissive, la jurisprudence s’attache à bien cadrer les autorisations qu’elle accorde. De plus, cette loi soulève une autre difficulté qui est de valoriser et soutenir les ventes de produits qui sont perçus par le Ministère de la Santé et la profession médicale comme nocifs, voir dangereux. En effet, la loi Evin contraint les alcooliers à faire apparaître lisiblement et clairement sur leurs publicités un message sanitaire précisant que l’abus d’alcool est dangereux pour la santé. Cette mention est obligatoire, à l’exception des documents à destination des professionnels ou des PLV à l’intérieur des lieux de vente à caractère spécialisé. Ce qu’il est important de noter du point de vue de la création publicitaire, c’est qu’un tel message peut sembler contradictoire avec ce que la publicité souhaite véhiculer. En effet, l’objectif d’une publicité, aussi informative soit elle, reste de séduire et convaincre le consommateur d’acheter le produit valorisé. Ainsi, un message préventif aussi fort va à l’encontre de l’objectif premier du travail des équipes créatives. On peut donc affirmer que la réglementation du secteur des boissons alcoolisées représente un véritable challenge créatif. 44 Annexe XI : Visuel clé pour la Fischer de Noël 2007 – Dufresne Corrigan Scarlett L’European Beer Star est un concours européen qui réunit plus de 500 bières venues de 28 pays. Un jury international de professionnels élit et récompense chaque année les meilleures bières d’Europe. 46 Annexe XII : Boards de présentation du kit Awards Affligem Blonde 2008 – Dufresne Corrigan Scarlett 45 18 b. Choc entre l’univers juridique et l’univers créatif Les commerciaux en agence se doivent de faire le lien entre les équipes créatives et les conclusions des juristes sur les pistes créatives préconisées. Les créatifs habilités à travailler sur les budgets en rapport avec des boissons alcoolisées anticipent les restrictions de la loi Evin et l’expérience sur ce type de produits est primordiale pour gagner en efficacité et optimiser le temps qui leurs est imparti. Cela dit, il est clair que l’univers juridique et l’univers créatif ne sont pas de la même nature et qu’ils ne poursuivent pas les mêmes objectifs. Ces deux mondes sont très différents, mais pourtant ils cohabitent au quotidien malgré leurs divergences. Si l’on observe de plus près l’univers juridique, on peut le qualifier de rationnel et de réfléchi. Les juristes doivent s’adapter en permanence à la législation et l’appliquer de la meilleure manière possible. Le cadre réglementaire strict du secteur des boissons alcoolisées en fait un monde plutôt rigide. En effet, si l’on suit les directives de la loi Evin, l’univers juridique tend à faire rentrer les créations dans un même moule afin d’éviter tous risques de condamnation. L’objectif du juriste est d’appréhender la création publicitaire sous un angle informatif et objectif et d’en écarter tous éléments pouvant être perçus comme incitatifs ou bien subjectifs. Dès lors, le milieu juridique renvoie à un processus complètement différent du processus de réflexion et conception publicitaire des créatifs. Effectivement, l’objectif même de la création est de mettre en valeur des idées qui permettent de différencier un produit ou une marque des autres afin de les rendre uniques aux yeux du consommateur. Si l’univers juridique est plutôt rigide, l’univers créatif se doit d’être particulièrement ouvert et libéré. Ainsi, imposer trop de contraintes à la réflexion créative, notamment par les directives de la loi Evin, bride fortement les idées et concepts qui pourraient être proposés. De plus, la créativité est souvent de l’ordre du ressenti et son interprétation est par conséquent propre à chacun. D’un public à un autre (selon l’âge, le sexe, le milieu social…) les publicités ne seront pas perçues de la même manière. Ainsi, le point de vue juridique peut être biaisé par le vécu et la personnalité même du juriste qui appréhende la publicité. J’ai pu observer que les juristes pouvaient avoir une vision des messages véhiculés par les visuels publicitaires qui ne correspondait pas à celle de l’agence et du grand public. C’est l’exemple de la nouvelle campagne Affligem avec le Manneken Pis. Les discussions sur cette piste créative ont été longues et laborieuses. En effet, les interprétations du visuel étaient très différentes. Pour le service juridique de Heineken Entreprise, le Manneken Pis qui représente un petit garçon faisait référence à l’enfance et la jeunesse. Par conséquent, un tel visuel était prohibé. Cela dit, la position de l’agence et des équipes créatives étaient bien distinctes. Pour eux, le Manneken Pis constitue le symbole par excellence de la Belgique, au même titre que la Tour Eiffel est représentative de la France. De plus, le grand public le voit aussi comme un monument faisant référence à la Belgique et non à la jeunesse. Ainsi, le rejet du service juridique de l’annonceur semble erroné et d’ailleurs, cette piste a été finalement retenue. Le même reproche a été formulé à l’encontre d’une autre piste faisant référence à la BD, autre symbole de la Belgique. Ce visuel a également été rejeté par les juristes qui y voyaient un lien indéniable avec la jeunesse, bien que la BD belge s’adresse aussi à des adultes (comme « Le Chat » par exemple)47. On perçoit alors clairement le choc et la confrontation difficile entre deux univers qui ne poursuivent pas les mêmes objectifs. Les interprétations ne sont pas les mêmes et l’univers juridique apparaît alors comme extrêmement rigide et excessivement prudent. Ainsi, ce sont deux mondes très différents, voir opposés sous certains aspects. Pourtant, il est nécessaire qu’ils cohabitent au quotidien. En général les créatifs et l’agence se doivent d’anticiper et d’intégrer les réflexions des juristes, bien que celles-ci soient le plus souvent perçues comme contraignantes et incohérentes avec les objectifs poursuivis du point de vue de la création. 47 Annexe I : Propositions créatives pour le nouveau visuel clé 2008 d’Affligem – Dufresne Corrigan Scarlett 19 CONCLUSION La législation française a véritablement réussi à transformer un secteur. Nous l’avons vu, même si l’alcool demeure très fortement ancré dans la culture française, il n’en reste pas moins que les français adoptent à présent un comportement plus prudent à son égard. Les nombreuses campagnes de prévention soutenues par l’Etat y sont pour beaucoup bien que les connaissances et la perception de ces produits restent encore imparfaites. Mais, la consommation baisse régulièrement depuis une quarantaine d’années. Pourtant, les enjeux économiques du secteur de l’alcool sont énormes et c’est d’ailleurs pour cela que le lobbying des producteurs est aussi virulent. Toutefois, il est aujourd’hui inconcevable de ne pas tenir compte des dangers et des risques que représente la consommation excessive d’alcool. Ainsi, même les grands alcooliers prônent une consommation responsable et modérée de leurs produits. Mais, le contexte sanitaire et légal actuel (fiscalité, pression sur la distribution, limitation de la vente et loi Evin) freine le développement du secteur et a un impact direct sur les stratégies des marques comme nous avons pu nous en apercevoir avec le marché de la bière. De plus, il est clair que cette législation stricte et rigide n’a que partiellement emporté l’adhésion du grand public et qu’elle a bien du mal à s’adapter aux évolutions de l’environnement technologique. Par conséquent, même si la prévention et la réglementation ont clairement métamorphosé le marché, on peut se poser la question de l’efficacité de ce cadre réglementaire dans le temps. Au-delà, la loi Evin a une influence forte sur le travail des communicants pour les marques d’alcool. Elle constitue une prise de risques à tous les niveaux, d’autant plus que son interprétation s’avère difficile. Cela complexifie la relation agence-annonceur et rallonge considérablement les processus de décision. La loi Evin est restrictive et bride par conséquent la réflexion stratégique et créative des publicitaires. La liberté d’expression est limitée et les moyens sont réduits. En ce sens, le cadre réglementaire du secteur des boissons alcoolisées représente un puissant outil de censure. Il est donc devenu très ardu et imprudent de se montrer original et différent. Pourtant, c’est ce à quoi les annonceurs aspirent et la recherche de stratégies tactiques et inédites s’avère une vraie plus value pour les agences conseil en communication. De plus, la confrontation de l’univers juridique et créatif permet d’une certaine manière de stimuler toujours davantage la recherche d’idées neuves. Ainsi, tant du point de vue de la stratégie que de celui de la création publicitaire, la loi Evin se révèle être une véritable dynamique créative. Elle pousse à chercher des alternatives, à contourner les restrictions et à toujours aller plus loin. Par conséquent, et c’est à mon sens le plus intéressant, elle permet avant toute chose de stimuler l’originalité et la créativité des communicants. On peut donc affirmer que la loi Evin a, d’une certaine manière, bousculé positivement les pratiques des publicitaires de ce secteur. 20 TABLE DES ANNEXES ANNEXE I : Propositions créatives pour le nouveau visuel clé 2008 d’Affligem ………………..….… I ANNEXE II : Les deux visuels clés retenus pour la campagne Affligem 2008 ………………….…... IV ANNEXE III : Opération promotionnelle pour le lancement de la nouvelle Affligem Fruits Rouges en GMS …………………………………………………………. V ANNEXE IV : Animations en CHR pour le lancement de la nouvelle bouteille 33 cl Edelweiss ….…… VI ANNEXE V : Bilan de l’opération de street marketing de Desperados …………………………….. VII ANNEXE VI : Les bouteilles Hors Série Desperados …………………………………….…………... XV ANNEXE VII : Argumentaire à destination des professionnels pour l’animation Hors Série Desperados en CHR ………………………………………………………. XVI ANNEXE VIII : Visuels clés 2007-2008 de Fischer Tradition ………………………………..…..… XVIII ANNEXE IX : Propositions créatives 2008 pour Cruz Campo ……………………………………..… XX ANNEXE X : Visuel clé 2008 d’Adelscott …….……………………………………………….……. XXI ANNEXE XI : Visuel clé pour la Fischer de Noël 2007 …………………………………………….. XXII ANNEXE XII : Boards de présentation du kit Awards Affligem Blonde 2008 ……………………… XXIII 21 BIBLIOGRAPHIE o OUVRAGES Lamy droits des médias et de la communication – Editions Lamy – Nov. 2007 Les images de l’alcool en France, 1915-1942 – Sarah Howard – CNRS Editions – Fév. 2006 o SITES Les Etats Généraux de l’alcool – www.etatsgenerauxalcool.fr Représentations, perceptions et connaissances vis-à-vis de l’alcool Les enjeux économiques de l’alcool La vente d’alcool en France Ministère de la Santé – www.sante.gouv.fr Bilan des 10 ans de la loi Evin Entreprise et Prévention – www.ep-soifdevivre.com Marché et réglementation Pourquoi Entreprise et Prévention ? 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Trois sénateurs veulent autoriser la publicité pour l’alcool sur Internet 01men – www.01men.com La bière française sous pression La vogue des bières de spécialité Le Nouvel Observateur – www.nouvelobs.com La publicité pour le vin sera facilitée L’Express – www.lexpress.fr Législation, politiques au pressoir France 5 – www.france5.fr L’alcool : l’histoire d’une prévention Lobbying – lobbying.ifrance.com Le lobby de l’alcool 22 o ETUDES OFDT – www.ofdt.fr Le niveau d’usage des drogues en France en 2005 INSEE – www.insee.fr Consommation d’alcool Boissons alcoolisées : 40 ans de baisse de consommation IREB – www.ireb.com Les Français et l’alcool : des connaissances parfois imparfaites mais une volonté de maîtriser les risques INPES – www.inpes.sante.fr Baromètre santé 2005 : Attitudes et comportements de santé – Editions INPES – Ministère de l’emploi et de la solidarité / DREES – www.sante.gouv.fr Les attitudes vis-à-vis de l’alcool et du tabac après la loi Evin 23