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De l'0rdre des Experts-Comptables
Europe & Entreprises
Opportunités pour l'Expert-Comptable
EDITORIAL
Délocalisations des activités comptables, bien réfléchir avant d’agir
Même si la profession vise un haut niveau de qualité de ses prestations, les cabinets d'expertise comptable doivent optimiser
leurs coûts de production pour le traitement comptable. Il existe pour cela plusieurs solutions : délocaliser à l'extérieur de la
France [on est alors tenté d'utiliser le terme délocalisation], mutualiser les activités entre plusieurs cabinets pour abaisser les
coûts, refondre les processus internes de traitement comptable ou pourquoi pas relocaliser les activités comptables en France
mais dans des zones géographiques où le coût de la main d'oeuvre est plus faible [zones franches par exemple ou zones
rurales].
Les entreprises cherchent également à externaliser leur fonction comptable pour abaisser leurs coûts de revient pour tout ou
partie des processus comptables et financiers. L'opérateur le mieux à même de répondre à cette attente est l'expert-comptable.
L'externalisation comptable est déjà une réalité pour les TPE : l'enjeu actuel est la conquête des PME, un marché à conquérir.
Toutefois sur le chemin, il y a les SSII ou certains grands opérateurs, concurrents des EC pour le middle market et les grands
comptes. Histoire de compliquer la lecture du jeu, il est possible qu'à moyen terme des groupes d'entreprises ayant des fonctions
comptables centralisées dans des centrales ou groupements, s'aperçoivent qu'ils peuvent aussi vendre leurs services comptables
à d'autres entreprises.
De plus en plus, le rôle des entreprises est d'assembler des modules et processus en optimisant la création de valeur. Les
cabinets d'expertise comptable peuvent aussi avoir cette même problématique d'assembleur de compétences internes et
externes à moyen terme. De toutes les manières la tendance à la concentration de tous les secteurs d'activités, va amener
la profession à revoir sa copie en matière de production et de savoir comment les cabinets vont pouvoir générer de la valeur
dans le futur.
A ce jour, la délocalisation reste encore un phénomène peu répandu pour le secteur des activités comptables aussi bien côté
cabinet que parmi les entreprises. Les expériences sont très limitées et les acteurs sont dans une phase d’observation.
Toutefois, cela doit nous inciter à entamer une réflexion globale sur de nouvelles modalités des process de traitement comptable
en tirant parti des technologies, avec peut-être des solutions collaboratives en réseaux [par exemple des hubs avec d’autres
cabinets d’expertise comptable] tout en respectant les normes de qualité de la profession comptable. En 2007, des gisements
de gains de productivité sont accessibles immédiatement dès lors que l’on remet en cause nos process de travail habituels,
sans avoir besoin de délocaliser.
Au-delà d’un horizon de 3 à 5 ans, il est possible que ce constat change, en fonction de la vitesse de propagation de l’innovation
dans les entreprises et dans ce cas, la délocalisation sera peut-être à nouveau à l’ordre du jour avec de nouveaux arguments.
Thierry Lorot
Président de la Commission développement des cabinets
et des pratiques innovantes du CSOEC
AVERTISSEMENT
Ce Livre blanc résulte d'une enquête d'investigation menée par Robert Mauss afin d'identifier les expériences et visions
de quelques acteurs. Nous avons voulu faire cette radiographie 2007 loin de tout dogme ou toute polémique afin que
chacun puisse se faire son propre jugement sur ce phénomène. Les propos recueillis sont placés sous la responsabilité
des différents auteurs interviewés.
Ce document est né de la volonté de Jean-Pierre Alix, président du CSOEC, d'éclairer la profession sur les impacts et
opportunités potentielles de ce phénomène. La conduite de ce projet a été confiée à Thierry Lorot, président de la commission
développement des cabinets et des pratiques innovantes au CSOEC.
L'architecture pédagogique du livre blanc a été élaborée par René Duringer, directeur de la prospective et du congrès au
CSOEC. Bérengère Bézier, chargée de mission congrès & prospective a coordonné et complété la matière rédactionnelle
en s'assurant de son intelligibilité.
En l'état actuel ce document de réflexion ne peut traduire une position du CSOEC.
Ce document résulte de travaux arrêtés fin juillet 2007.
Sommaire
Avant-Propos
2
Facteurs clés de succès d’une opération de délocalisation d’activités comptables / Sondage flash
3
I - La délocalisation dans tous ses états
4
1/ Les champs multiples d’une définition
4
2/ Quelles entreprises pour quelles délocalisations de services
Techniques des délocalisations
Qui délocalise ?
Potentiel de délocalisation dans les services opérables à distance
Les services délocalisables
Catégories de fonctions externalisées par les entreprises
Top Ten des fonctions externalisées
La menace pour l’emploi
5
5
5
6
6
6
6
7
3/ Centres d’appels : le grand départ
Huit mille postes délocalisés
Délocalisations : aux Etats-Unis, même les informaticiens flippent
7
7
7
4/ “Il n’y a aucune fatalité aux délocalisations”
8
5/ “L’offshore est une nécessité”
9
6/ Les services informatiques, précurseurs des délocalisations de services
Délocalisations : les estimations du Syntec Informatique
Offshore : quelques données clés
II - Regards
10
11
11
12
1/ ”Depuis septembre 2005, je propose des missions de tenue comptable externalisée
et de participation aux travaux de clôture”
12
2/ Délocalisation : la prudence s’impose
13
3/ Un cabinet qui procède à l’externalisation interne
13
4/ “L’externalisation est une réponse à la pénurie de personnel.”
14
5/ Cap sur la Roumanie
14
6/ “Nous sommes capables d’assurer l’ensemble des prestations qui entrent
dans le domaine de l’expertise comptable”
15
7/ “La délocalisation a répondu à un besoin précis”
16
8/ Les charmes de la grande île de l’Océan Indien
17
9/ “Pour parvenir à un résultat efficient, il faut non seulement délocaliser un grand nombre
de dossiers, mais pas uniquement sur la tenue comptable…”
17
10/ Les délocalisations des cabinets ne sont plus un fantasme, mais pas encore une réalité
et encore moins une menace
18
III - Focus sur les travaux du Congrès du 60e Congrès
“Et si on parlait de comptabilité ?” - Paris 2005
20
Focus 1/ Atelier de la Profession/La délocalisation : Enjeux, risques et perspectives
20
Focus 2 / La délocalisation va-t-elle séduire les experts-comptables ?
21
Focus 3/ Délocalisations des industries en Europe : la course déflationniste en marche
22
ANNEXES
26
Annexe 1/ Bibliographie
26
Annexe 2/ Questionnaire de l’enquête sur les délocalisations des activités comptables
des cabinets d’expertise comptable en Europe auprès de la profession - Avril 2007
27
AVANT-PROPOS
Les grands mouvements de développement économique ont toujours été liés aux progrès des techniques de
transport. Les Caravelles de Christophe Colomb profitent de leur haut bord et de leur grand-voile carrée pour traverser
l’Atlantique. Les Grandes Découvertes sont à l’origine du fabuleux développement économique de l’Europe.
L’invention de la machine à vapeur, avec la création des chemins de fer et des bateaux à vapeur, porte littéralement
la Révolution Industrielle au XIXe siècle. L’arrivée de l’électricité, fondement du télégraphe et du téléphone
raccourcit encore les distances. La radio, le cinéma et la télévision participent également à ce mouvement de village
planétaire. L’aviation moderne réduit encore les distances. Aujourd’hui, c’est Internet qui les abolit. Le développement
d’Internet est l’un des plus prodigieux de l’histoire de l’Humanité. Il n’y a pas une invention qui ait connu un développement aussi phénoménal. En 1996, on dénombrait quelques happy fews à disposer d’une adresse électronique
Aujourd’hui, la moitié des ménages français est équipée d’un ordinateur relié à une connexion à haut débit. Les
études dénombrent 1,2 milliard d’Internautes dans le monde. Ce n’est pas en vain que l’on parle de réseau des
réseaux…
Naissance de l’économie dématérialisée
Les Technologies de l’Information et de la Communication réunissent trois grands types d’outils : les instruments de
télécommunication, les serveurs informatiques qui permettent de collecter et archiver l’information et les systèmes
dits télématiques qui sont positionnés entre les serveurs informatiques. La montée en puissance de ces techniques
est littéralement exponentielle. Plus moyen de se plaindre de la lenteur de communication. Il suffit de quelques
secondes pour transférer des contrats, des documents, des fichiers toujours plus volumineux. Cette rapidité et
cette efficacité du média permettent de revoir les méthodes de travail, c’est l’économie dématérialisée. Les
grands groupes ont organisé des groupes de travail autour de systèmes de messagerie et d’applications dites
de travail collaboratif. Les entreprises peuvent ainsi s’affranchir des distances et des horaires pour regrouper leurs
meilleures compétences autour d’un projet.
La création de places de marché virtuelles a favorisé l’externalisation des projets en structurant de manière nouvelle
les relations entre un donneur d’ordre et ses fournisseurs. Les entreprises ont ainsi pris l’habitude des mises
en concurrence systématiques. Les Acheteurs sont devenus des personnages redoutés. Et surtout, les chefs
d’entreprise ont pris l’habitude de regarder systématiquement au-delà de leurs frontières ou de leurs zones de
chalandise, les TIC abolissent les frontières. Elles font quasiment disparaître les coûts de communication et les
technologies suppriment souvent les besoins de déplacement. Les TIC permettent de mettre en concurrence des
prestataires éloignés avec leurs propres ressources. Elles font aussi quasiment disparaître les coûts de transaction.
Le chef d’entreprise peut alors se livrer aux joies du benchmarking qui permet de comparer sa compétitivité, étape
par étape de production, usine par usine, service par service. Et mettre en compétition ses propres ressources
avec celles que le marché lui propose. Progressivement, nous voyons se dessiner sous nos yeux une entreprise
qui privilégie la coordination entre partenaires au détriment de son mode d’organisation militaire traditionnelle. Voilà
pourquoi, les Technologies de l’Information et de la Communication, nous font passer de l’ère de la sous-traitance
à celle de l’externalisation et des délocalisations.
2
Regards croisés sur la délocalisation des activités comptables
Les délocalisations, une menace pour l’expert-comptable ?
Les cabinets d’expertise comptable peuvent-ils échapper au phénomène ? Oui, dans une large mesure. L’expertcomptable délivre d’abord un conseil de proximité. Il est souvent l’homme de confiance du chef d’entreprise. A ce
titre, l’expert-comptable est difficilement délocalisable. Mais progressivement, il voit poindre des menaces nouvelles.
Son statut monopolistique est réellement menacé. Les banques ou les sociétés de services en informatiques louchent
dangereusement sur ses activités. L’expert-comptable est donc contraint au minimum à un effort de réflexion sur
ses activités, ses missions, les services rendus à ses clients et les attentes à venir de ces mêmes clients. A ce
titre, l’externalisation en France ou ailleurs, d’une partie de ses tâches, apparaît comme une solution possible.
Nous rencontrerons au fil des pages de ce livret des confrères qui ont choisi cette méthode pour des raisons souvent
différentes. Nous en rencontrerons d’autres qui, après avoir poussé la réflexion assez loin, ont préféré renoncer
à cette tentation. Aujourd’hui, les délocalisations ne concernent qu’une poignée de cabinets. L’offre existe, mais
elle est émiettée et encore peu significative. Les prestataires affirment vouloir se concentrer sur une partie seulement
des missions actuelles de l’expert-comptable. Ils prétendent le décharger de ses tâches les plus ingrates afin qu’il
puisse se concentrer sur le conseil aux entreprises, la partie noble du métier. Le discours est attrayant, mais
l’expert-comptable ne doit pas oublier que d’autres l’ont entendu avant lui, avec les résultats que l’on connaît.
Facteurs clés de succès d’une opération de délocalisation d’activités comptables
Sondage flash
1.
Coût de la main d’œuvre locale
2.
Infrastructures technologiques du pays d’accueil
3.
Compétences comptables du personnel local [tenue, révision]
4.
Volume d’écritures à traiter
5.
Sécurité politique + climat social du pays d’accueil
6.
Professionnalisme, productivité, organisation du management ou comportement du personnel local
7.
Maîtrise de technologies avancées pour le cabinet qui va externaliser
8.
Référentiel comptable local et notamment proximité par rapport au système comptable français
9.
Acceptation des collaborateurs français
10. Capacité des collaborateurs français à réaliser d'autres missions
11. Maîtrise de la langue française du personnel local
12. Facilité d’accès par les transports du pays d’accueil
13. Viabilité du nouveau modèle économique basé sur de nouvelles missions
14. Niveau d’éducation du pays d’accueil
15. Eloignement géographique [par rapport à la France]
16. Capacité du cabinet qui externalise à piloter la qualité des prestations rendues
Source : sondage flash avril 2007 auprès d’un mini panel d’experts-comptables
Questionnaire en annexe 2
Regards croisés sur la délocalisation des activités comptables
3
I
LA DÉLOCALISATION DANS TOUS SES ÉTATS
1/ Les champs multiples d’une définition
Derrière le vocable générique de délocalisation, il existe de
nombreuses situations. Une entreprise peut être tentée de se
séparer d’une partie de ses activités, mais elle peut aussi vouloir
les externaliser, les sous-traiter, les partager, les déplacer ou
les superviser. Chacune de ces actions recouvre une stratégie
adaptée à des circonstances différentes. Dans certains cas,
l’entreprise désire faire briller son cours de bourse. Mais, elle
peut vouloir aussi confier une activité à des spécialistes plus
compétents, conquérir des parts de marché à l’exportation ou
gagner en souplesse dans son mode de fonctionnement.
Délocalisation, externalisation, offshore, nearshore, sous-traitance,
infogérance… petite revue lexicale.
Délocalisation
Transfert en bloc d’activités existantes du territoire national
vers le territoire d’un autre pays [Sénateur Jean Arthuis - Rapport
sur les délocalisations]. Le Syntec définit par offshore, ou
délocalisation les travaux vendus et facturés en France par des
centres implantés à l’étranger.
Les six grands types de délocalisation
[Source El Mouhoub Mouhoud “Mondialisation et
délocalisation des entreprises” La Découverte 2006].
Délocalisation défensive : Afin de se défendre contre
une concurrence toujours plus vive, l’entreprise est
contrainte de rétablir sa compétitivité par le transfert à
l’étranger de ses centres de production, et maintient
sur le territoire d’origine les activités de recherche et
développement, le marketing, les bureaux de style.
Externalisation
Transfert répété ou continu de la gestion d’une activité vers un
prestataire extérieur.
Les principaux motifs d’une externalisation
Moins
cher
qu’en
interne
Production
Distribution/logistique/
transport
Informatique/
télécommunications
Ressources humaines
Administration et finances
Services généraux
Meilleure Stratégie Flexibilité
qualité
d’orgaet
qu’en
nisation souplesse
interne
+++
+
++
+
+++
+
+
++
++
+
++
++
++
+++
++
++
+
++
++
++
+
++
+
++
Importance des critères pour l’externalisation : +++ 40 % et
plus, ++ de 20 à 39 %, + moins de 20 %.
Source Ernst & Young “Baromètre Outsourcing 2005”
Externalisation offshore : Qualificatif savant pour
délocalisation.
Externalisation nearshore : Délocalisation vers un
pays proche. Les entreprises françaises considèrent
comme nearshore, les pays d’Europe et du Maghreb.
Délocalisation d’accompagnement : Les fournisseurs
délocalisent en masse pour se contraindre aux obligations
de leur donneur d’ordre.
Externalisation à valeur ajoutée : Cette méthode
consiste à rémunérer le prestataire selon le chiffre
d’affaires que l’activité va générer. Par exemple, l’entreprise
A confie à B le soin de mettre au point un produit. A se
charge de la distribution et rétribuera B en fonction des
résultats des ventes.
Délocalisation avec comportement de marge : Les
entreprises délocalisent sans répercuter sur leurs prix la
baisse des coûts de production.
Coexternalisation : Variante de la précédente. Le
prestataire est rémunéré en fonction des résultats de la
première.
Délocalisation d’efficience et de rentabilité :
Délocalisation de parties d’activités non compétitives
afin de se renforcer sur son propre marché.
Externalisation avec prise de participation : En
échange d’une délégation d’activité de l’entreprise A
vers l’entreprise B, A prend une participation au capital
de B.
Délocalisation de recentrage sur son métier de
base : Délimitation des frontières et recentrage sur les
compétences de base dans une logique de dynamique
d’innovation et d’apprentissage.
Délocalisation itinérante : Délocalisation successive
en fonction des hausses des coûts salariaux et de
production.
Externalisation à choix multiple : Afin de ne pas
dépendre d’un prestataire unique, une entreprise va
répartir l’activité dont elle se sépare entre plusieurs
fournisseurs. C’est souvent le cas dans les transferts
d’activités liées à l’informatique ou aux télécommunications.
Inconvénient, la méthode fait grimper les coûts de gestion.
IDE ou Investissements Directs à l’Etranger
Selon une étude du MEDEF, 39 % des PME ont déjà réalisé un
investissement à l'étranger. La moitié des entreprises déjà
implantées hors de nos frontières ont un nouveau projet
d'investissement à l'étranger. La motivation de ces projets est
la croissance sur de nouveaux marchés pour 73 % des cas et
la délocalisation de la production pour 20 %
4
Regards croisés sur la délocalisation des activités comptables
La délocalisation dans tous ses états
Autres qualificatifs
Downsizing
Opération qui vise à améliore la productivité et la compétitivité
d’une entreprise par la réduction de ses effectifs. Contrairement
à l’externalisation, il n’y aura pas de transfert de personnel vers
un prestataire, mais une séparation pure et simple avec une
partie des employés.
Filialisation
Transformation d’un département en entreprise à part entière.
A cours des années 1980 et 1990, de nombreux grands groupes ont ainsi filialisé leur département informatique.
Infogérance
Prise en charge contractuelle de tout ou partie de la gestion
d'un système d'information d'un organisme par un prestataire
extérieur. [Commission ministérielle de terminologie informatique].
Outsourcing
Procédure consistant à confier à un fournisseur une partie
complète de ses activités. Les informaticiens parlent aussi de
BPO ou Business Process Outsourcing.
Sous-traitance
Opération par laquelle une entreprise confie à une autre le soin
d’exécuter pour son compte et selon un cahier des charges
des missions de production ou de services dont elle conserve la
responsabilité économique finale. [Conseil Economique et Social].
TMA ou Tierce maintenance applicative
Mission confiée à un prestataire extérieur [le tiers] de maintenir
en état de fonctionnement une application informatique. Le
prestataire supervise la sécurité, il corrige les erreurs, et améliore
le fonctionnement en fonction de l’avancée de l’état de l’art.
2/ Quelles entreprises pour quelles délocalisations de services
On a longtemps pensé que le mouvement de délocalisation
concernait essentiellement le secteur manufacturier, avant de
constater que les services étaient eux aussi externalisables à
l’étranger. Comme pour les usines, les entreprises qui délocalisent
dans le secteur des services, le font d’abord pour profiter dune
main d’œuvre de qualité à moindre coût. Mais elles sont également
animées par d’autres motivations comme le besoin de
contourner les rigidités de notre législation sociale. Elles peuvent
aussi vouloir s’implanter sur des marchés émergents riches
d’opportunités.
Par ailleurs, il ne s’agit plus seulement de transférer des activités
à faible valeur ajoutée comme les centres d’appels téléphoniques.
Les délocalisations menacent tous les secteurs, y compris
ceux de la haute technologie. Si l’on excepte les purs services de
proximité [services à la personne, restauration, réparation…] il
n’y a pas un pan de l’activité qui ne soit menacé.
Entre la montée en gamme des activités et la diversité des
motivations, les salariés ont parfaitement le droit de se sentir
menacés. N’oublions pas que le secteur tertiaire représente les
deux tiers de l’emploi privé.
Techniques des délocalisations
Il existe plusieurs formes de délocalisation. La presse [et c’est
bien normal] braque ses projecteurs sur les plus spectaculaires,
ceux qui entraînent la fermeture pure et simple de sites entiers
avec transfert complet de l’activité vers un pays étranger. Il
arrive même parfois que l’entreprise propose à ses employés
de rejoindre le site délocalisé, aux conditions légales et salariales
locales. Ces délocalisations se traduisent par une perte nette
d’emplois, immédiatement quantifiable. Pourtant, il s’agit d’une
goutte d’eau dans la mer. L’institut Katalyse, auteur pour la
Commission des Finances du Sénat d’un rapport sur les
délocalisations de services, estime que pour un emploi perdu
par un transfert brutal d’activité, il faut en compter cinq pour des
décisions nettement moins spectaculaires dites de délocalisation
diffuse ou de non localisation.
Dans le premier cas, une entreprise regroupe à l’étranger une
activité jusque là répartie sur plusieurs sites de son territoire
national. Il n’y pas de fermetures à grande échelle, ni de
La délocalisation dans tous ses états
mouvements sociaux. Mais il y a bien des pertes d’emplois.
Axa envisage ainsi de regrouper d’ici à 2012 sur ses plates-formes
de Chine, d’Inde et du Maroc quelques 70 000 personnes.
L’assureur reconnaît que ces postes remplaceront des emplois
en Europe et en Amérique du Nord. Axa compte déjà 2 200
employés en Inde. Et pour compenser le départ en retraite d’ici
2012 de 4 500 employés, Axa compte recruter 1 500 personnes
en France et autant de Marocains qui auront pour mission de
placer par téléphone des contrats d’assurance simples aux
consommateurs français. Alcatel a ainsi ouvert des sites de
recherche et développement en Chine. Des pans entiers de
l’activité informatique bancaire mondiale sont maintenant
regroupés en Inde. D’après l’association indienne des sociétés
de services en informatique, 8 % des transactions bancaires
américaines sont gérés depuis l’Inde, avec une perspective de
30 % en 2010.
Enfin, une “non localisation” fait qu’une entreprise choisit tel
pays plutôt que tel autre pour implanter un site ou un siège.
Pas de licenciements secs, mais un immense manque à
gagner. Ainsi, on estime que 8 000 positions de centres d’appels
ont été délocalisées, alors que les call centers marocains
emploient 22 000 personnes à eux seuls. En 2005, Saint-Gobain
a fait de Shanghai son quatrième pôle de recherche, en plus
de ses deux centres français et de son unité américaine. Bien
sûr, l’expansion prodigieuse de l’économie chinoise justifie de
tels investissements, mais c’est autant de débouchés qui se
ferment aux étudiants français.
Qui délocalise ?
Les premières entreprises qui réfléchissent à un éloignement
de leurs activités sont celles qui ont le moins à voir avec leur
ancrage territorial. Notre expert, l’économiste Jean-Louis Levet
rappelle d’ailleurs que plus les liens sont étroits entre une
entreprise et son terroir, moins l’entreprise aura la volonté de
déplacer ses activités. L’institut Katalyse, dans un rapport réalisé
pour la Commission des Finances du Sénat, constate que la
dépendance des entreprises du secteur “eau” envers les
collectivités locales, les incite à maintenir en France des services
pourtant externalisables à l’étranger comme les services généraux.
Regards croisés sur la délocalisation des activités comptables
5
La taille de l’entreprise, son organisation historique constituent
un second facteur favorable à une délocalisation. Ainsi, une
société trouvera rationnel de fusionner au sein d’une même
entité des activités ou des services jusque là éclatés entre
diverses filiales. A noter que dans certains cas, la délocalisation
peut être favorable à l’économie nationale. Le pétrolier Total a
ainsi rapatrié en France ses fonctions de support mondial. Plus
une entreprise est importante, plus elle compte de filiales, plus
le volume de ses tâches administratives augmente, plus elle
trouvera naturel de regrouper certains services au sein d’un
centre dédié. D’après l’étude Katalyse conduite pour le Sénat,
sur 39 000 emplois “susceptibles d’être délocalisés en 2006”,
79 % seront initiés par des entreprises de plus de 500 personnes,
alors qu’elles ne représentent que 35 % des emplois de services.
Bien entendu, la taille de l’entreprise n’explique pas tout. On
constate que des PME du secteur des technologies n’hésitent
absolument pas à sous-traiter et même à créer des implantations
à l’étranger, même très petites. Comme le souligne Katalyse “les
paramètres de taille et de rayon d’action doivent donc être
pondérés à la fois par le facteur culturel propre à chaque entreprise,
lui-même dépendant dans une certaine mesure du secteur
d’activité de l’entreprise concernée et de la nature même des
métiers de services concernés par la délocalisation.”
Potentiel de délocalisation dans les services
opérables à distance.
Selon l’étude conduite par Katalyse pour le compte du Sénat,
la taille de l’entreprise pondère ces tendances. Dans un grand
groupe, aucun service, aucune activité, ne peut se sentir à l’abri
d’une délocalisation.
PME
Gestion transactionnelle
et systèmes d’information
Recherche et Développement
Gestion de la Relation Client
Front Office
+
Moyenne
Entreprise
++
Grande
Entreprise
++
+
o
o
+
+
+
++
++
++
++ potentiel très important
+ potentiel important
o potentiel faible
Les services délocalisables
Les délocalisations de services deviennent courantes quand
l’ancrage territorial de l’entreprise n’a rien d’assuré, que ces
activités sont banales et répétitives et que par une informatique
bien conçue, ces activités peuvent être réalisées à distance sans
effets apparents. C’est le cas des systèmes d’information ou
de gestion transactionnelle. Les départements de Recherche et
Développement figurent également parmi les services à “haut
potentiel” de délocalisation. Le développement des technologies
de communication et la montée prodigieuse du savoir dans
des pays comme la Chine ou l’Inde sont les deux facteurs clés
pour de tels mouvements. La Société Générale a ainsi ouvert
à Bangalore, la Silicon Valley indienne, SG Software une filiale
de 350 personnes avec comme objet d’en faire un centre
d’excellence en matière d’informatique et de développement.
Les activités de services qui [aujourd’hui] apparaissent comme
peu délocalisables sont étroitement liées à la proximité avec le
client. Manuel Jacquinet, directeur de Colorado, spécialiste des
6
Regards croisés sur la délocalisation des activités comptables
opérations téléphoniques nous rappelle ainsi que les centres
d’appels emploient 280 000 personnes en France pour moins
d’une dizaine de milliers de positions délocalisées essentiellement
au Maghreb. Selon le cabinet Accenture, le secteur du crédit à la
consommation est aujourd’hui mûr pour être délocalisé. Les organismes de ce secteur envisagent de regrouper au Maroc ou en
Roumanie les plateaux de recouvrement de créances et de scoring.
Une telle opération devrait engendrer des économies salariales de
l’ordre de 30 %. Pour l’instant, la proximité est considérée comme
un enjeu stratégique que l’on hésite à externaliser à l’étranger.
C’est le cas des activités de Gestion de la Relation Clients et
des services de Front Office, qui en plus sont considérés
comme partie prenante du cœur de l’activité de l’entreprise.
En scrutant les entreprises qui ont procédé à la délocalisation
d’une partie de leurs activités, Katalyse constate que “l’essentiel
des mouvements de transfert observés provient du secteur
services aux entreprises”. Autrement dit, la nature même du
métier explique la délocalisation. Un call center ou la gestion d’un
service informatique peuvent passer les frontières d’autant mieux
qu’il s’agit d’activités qui ont déjà quitté le giron de l’entreprise.
Dans certains cas, les observateurs soulignent que l’opération
de délocalisation succède à l’externalisation d’un service vers
une autre entreprise française. Afin de ne pas perdre son client en
répondant à ses exigences financières, le prestataire implantera
le service qu’il gère dans un pays à moindre coût salarial.
Catégories de fonctions externalisées
par les entreprises
Les résultats du tableau concernent des services externalisés
essentiellement en France. Le mérite de ce tableau est d’indiquer
les fonctions qui sont le plus menacées par une délocalisation
pure et simple.
Les services généraux
La distribution, la logistique et le transport
L‘informatique et les télécommunications
Les ressources humaines
La production
L‘administration et les finances
La vente, le marketing et la communication
2003
86 %
78 %
77 %
72 %
55 %
55 %
26 %
2005
95 %
83 %
73 %
72 %
62 %
62 %
28 %
Source Ernst & Young “Baromètre Outsourcing 2005”
Top Ten des fonctions externalisées
Restauration
Transport
Flotte automobile
Maintenance applicative
Stockage et entreposage
Gestion de la paye
Logistique
Gestion des réseaux et serveurs
Gestion des documents
Formation
Téléservices, accueil et secrétariat
2003
66 %
63 %
53 %
59 %
31 %
48 %
39 %
33 %
42 %
34 %
28 %
2005
74 %
57 %
61 %
57 %
50 %
49 %
45 %
45 %
41 %
41 %
40 %
Source Ernst & Young “Baromètre Outsourcing 2005”
La délocalisation dans tous ses états
La menace pour l’emploi
Il est difficile de comptabiliser précisément le nombre d’emplois
détruits ou menacés par les délocalisations. En effet, les délocalisations directes sont facilement comptabilisables, contrairement
aux emplois perdus à la suite d’une décision de non localisation.
Les instituts estiment que pour un emploi disparu à la suite
d’un transfert d’activité à l‘étranger, il faut en compter cinq dans
le second cas. Katalyse estime ainsi à 39 000 le nombre d’emplois
perdus par l’économie nationale en 2006, 8 000 à la suite de
délocalisations directes et 31 000 par une non localisation.
Ramené à une population active de 28 millions de personnes,
on se place à la marge. Mais, les chiffres montent. Katalyse
prévoit la perte de 202 000 emplois de services sur la période
2006-2010, soit sur cinq ans “22 % de la création nette de
l’emploi salarié sur les cinq années de la période 1993-2003”.
Les prestataires en externalisation [ingénierie, centres d’appels…]
représentent 45 % des emplois qui seront délocalisés jusqu’en
2010. Les postes d’informaticiens ou de chercheurs perdus
s’élèvent à 57 000, dont 52 000 non localisés. Même par rapport
aux 13,8 millions de personnes du secteur tertiaire, il s’agit
encore d’une goutte d’eau. Mais, il convient de prendre en
compte les effets induits par ces pertes d’emploi. 202 000 c’est
l’équivalent de la population d’une ville comme Montpellier
C’est autant de personnes qui consommeront moins, qui verront
leur période de chômage encore prolongée ou de cadres qui
devront se satisfaire d’emplois peu satisfaisants. Et surtout, la
tendance est là. Pour beaucoup les départs massifs en retraite
des baby-boomers donneront le signal d’un mouvement de
délocalisation de services autrement plus massif.
3/ Centres d’appels : le grand départ
S’il existe un service qui pratique depuis longtemps l’externalisation, c’est bien l’activité téléphonique. A la fin des années 1980,
quand les entreprises ont voulu “se recentrer sur leur cœur de
métier”, elles ont commencé par sous-traiter leur standard
téléphonique à des fournisseurs spécialisés. L’activité a pris de
l’ampleur en bénéficiant largement des progrès des technologies.
Les centres ont été déplacés selon les intérêts des entreprises.
“On dénombre plus de 2 500 centres d’appels en France qui
emploient 280 000 personnes” affirme Manuel Jacquinet,
directeur associé de Colorado, l’une des principales sociétés
de conseil pour les centres d’appels. Et malgré sa jeunesse, la
profession s’est bien structurée. Il existe aujourd’hui plusieurs
formations comme Accueil Conseil et Vente à Distance dispensées dans certains lycées professionnels [diplôme de niveau IV],
des licences professionnelles Métiers des Télé-Services,
Management des Centres d’Appels ou Superviseurs en Centres
d’Appels. Ces cursus sont ouverts justifiant d’un diplôme type
DEUG ou BTS. Et certaines écoles supérieures de commerce
proposent à leurs étudiants un Mastère Spécialiste en
Management de la Relation Client.
Huit mille postes délocalisés
Ces efforts sont le prix à payer pour maintenir l’emploi dans
l’Hexagone. Car le phénomène que tout un chacun se plait à
souligner c’est bien le développement des délocalisations.
“Pour l’instant, rappelle Manuel Jacquinet, on estime à 8 000 le
nombre de positions externalisées à l’étranger, mais ce nombre
augmente de 50 % par an”. Le mouvement a démarré en 2000
avec l’installation d’une filiale de SR. Téléperformance en Tunisie
et de Phone Assistance au Maroc. Aujourd’hui, les principales
destinations sont toujours le Maroc et la Tunisie, talonnés par
l’île Maurice, le Sénégal, Madagascar et la Roumanie. Bien
entendu, les donneurs d’ordre veulent profiter de tarifs très
attractifs. Selon Colorado, un centre français facture 28 euros
une heure d’appel en B to B, 25 euros en B to C, contre 15 euros
en moyenne pour un plateau au Maroc. Ajoutons que pour un
jeune Marocain ou Sénégalais, un emploi dans un centre d’appel
constitue une véritable opportunité professionnelle. Le prix ne
fait pas tout. Les délocalisations permettent d’élargir les plages
horaires de travail. Manuel Jacquinet souligne l’effet pervers de
la Réduction du Temps de Travail : “alors que les entreprises
La délocalisation dans tous ses états
ont besoin de répondre sans discontinuer à leurs clients entre
8h du matin et 20h le soir, ces lois ont créé de véritables
goulots d’étranglement, alors que la tendance historique est à
l’amélioration de la disponibilité.”
En délocalisant leurs centres d’appels, les entreprises peuvent
imaginer des plateaux ouverts sept jours par semaine, et 24
heures par jour. Il s’agit d’un argument fort pour les activités de
support informatique, ou pour les Fournisseurs d’Accès à
Internet dédiés au monde professionnel. Et puis, comme le
reconnaît Manuel Jacquinet, les personnels étrangers sont de
mieux en mieux formés. Le patron de Colorado sait de quoi il
parle. Son entreprise intervient partout dans le monde, jusqu’en
Australie et au Pakistan pour des missions d’optimisation pour
le compte d’opérateurs de télécommunication. La délocalisation
d’un plateau téléphonique peut-elle se heurter à des freins
linguistiques ou culturels ? La réponse de Manuel Jacquinet
est sans nuance : “Non, je ne vois aucune mission qui ne
puisse pas être traitée depuis l’étranger.”
Pays
Loyer €/m2/an
Salaire mensuel
moyen d’un
téléconseiller
Durée de travail
hebdomadaire
200
100
150
15
NC
NC
380
450
350
250
450
100
40
48
48
NC
ND
ND
Roumanie
Tunisie
Maroc
Sénégal
Ile-Maurice
Madagascar
Source Colorado
Délocalisations : aux Etats-Unis, même les
informaticiens flippent
Tout le monde se souvient de Michaël Moore piégeant Phil
Knight, le patron de Nika qui jurait mordicus que les Américains ne
voulaient pas travailler dans une usine de chaussures [“The Big
One” 1997]. Mais même la high-tech est menacée… De manière
moins humoristique, l’IEEE-USA tire le signal d’alarme. John
Steadman, le président du syndicat des ingénieurs informaticiens
américains a pu exposer son inquiétude sur le phénomène au cours
d’une rencontre organisée par l’Atelier BNP-Paribas en 2004.
Regards croisés sur la délocalisation des activités comptables
7
Selon John Steadman 540 000 emplois high-tech ont été perdus
aux Etat-Unis en 2003 et 234 000 en 2004.
Selon lui, le taux de chômage des informaticiens s’élevait en
2004 à 6,7 % et “d’ici à 2015, ce sont 3,3 millions d’emplois
qui pourraient être délocalisés, dont une majorité de postes
d’ingénieurs informaticiens ou de scientifiques”. Et lorsque ses
interlocuteurs lui rappellent que les dirigeants des entreprises
des secteurs high-tech affirment que les délocalisations sont
bénéfiques pour les Etats-Unis, John Steadman a beau jeu de
mettre en avant les inconvénients : pertes d’emplois qualifiés,
dépendance accrue vis-à-vis de l’étranger, aggravation du
déficit commercial, transferts d’investissements. “Il reste à prouver
que les économies réalisées par les entreprises et le consommateurs résultant de la délocalisation peuvent contrebalancer
ces effets négatifs.”
4/ “Il n’y a aucune fatalité aux délocalisations”
Jean Louis Levet, directeur général de l’IRES [Institut de Recherches Economiques et Sociales]
Directeur de l’IRES depuis décembre 2006, Jean-Louis Levet est
docteur d’Etat en Sciences Economiques. Il a exercé différentes
responsabilités, notamment au sein du ministère de l’industrie,
au cabinet du Premier ministre, à la présidence de la Caisse des
dépôts et consignations, à la direction générale d’un groupe
industriel et au Commissariat Général au Plan. Jean-Louis Levet
est l’auteur de nombreux ouvrages qui animent régulièrement
le débat public, dont “Sortir la France de l’impasse”, couronné
par l’Académie des sciences morales et politiques [2000],
“Localisation des entreprises et rôle de l'Etat : une contribution
au débat” publié en 2005 par la Documentation Française, et
“Pas d'avenir sans industrie” chez Economica, en octobre 2006.
Comment définissez-vous les délocalisations ?
Je reprends la définition communément admise. Une délocalisation consiste à produire à l’étranger ce que l’on faisait jusque
là chez soi, avant de réimporter la production sur son propre
marché. Une opération de délocalisation peut donc se traduire
par la fermeture des sites de production. Voilà ce qui distingue
une délocalisation d’une externalisation. Lorsque Airbus ouvre
une usine en Chine, c’est d’abord pour servir les compagnies
aériennes. Il s’agit d’une stratégie de prise de parts de marché.
Bien entendu, les événements sont parfois plus compliqués.
Les industriels peuvent combiner délocalisation et prise de
parts de marché extérieur. Ainsi quand Renault a décidé de
construire la Logan en Roumanie, c’était d’abord pour servir
des marchés émergents avec un modèle robuste et bon
marché. Ce n’est qu’ensuite que Renault a décidé d’importer
et distribuer la Logan en France.
Existe-t-il d’autres causes pour expliquer le
départ d’une partie de la production à l’étranger ?
Bien entendu, toutes les délocalisations ne répondent pas au
même objet. Certaines sont utiles. Elles permettent de baisser
les coûts de revient et de maintenir une grande partie de la
production en France. D’autres formes de délocalisation peuvent
être destructrices. Par exemple, de grands industriels imposent
à leurs sous-traitants des quotas de pièces fabriquées à bas coût
à l’étranger. Et si cela ne suffit pas, ces industriels substitueront
directement des fournisseurs étrangers à leurs partenaires
habituels ; si l’on peut encore parler de partenariat dans ces
circonstances. L’arrivée au capital de sociétés de “private
equity” avec leurs exigences de rentabilité se traduit par des
délocalisations. Ajoutons aussi la confrontation des zones
euro/dollar qui provoque des ajustements constants des sites
de production.
importations. Elles sont à l’origine de moins de 10 % des
emplois détruits et représente moins de 4 % de la production
globale. Sous l’angle macroéconomique, il s’agit donc d’un
phénomène marginal. Mais il faut dépasser ces chiffres bruts
pour prendre la mesure véritable du phénomène, et analyser
plus finement l’angoisse qu’elles suscitent dans la population.
Il faut déjà constater que les délocalisations n’affectent pas
tous les secteurs de la même manière. Il y a dix ans, l’industrie
textile avait délocalisé sa production à hauteur de 45 %. Cette
proportion s’élève aujourd’hui à 65 %. La part de biens délocalisés
dans des secteurs comme l’électroménager ou le jouet a doublé,
sinon triplé depuis dix ans. Ce qui ajoute aux tourments de nos
concitoyens réside dans le lien souvent intime entre la géographie
et la spécialisation industrielle. La disparition de pans entiers
de l’industrie provoque une désertification de certaines régions.
Selon vous, les délocalisations d’industries ou de
services sont-elles un phénomène irréversible ?
Il n’y a pas de déterminisme en matière économique, sauf dans
les systèmes parfaitement clos ou totalitaires, donc les délocalisations n’ont rien d’irrémédiables. Ce qui compte vraiment, c’est
la volonté politique : voulons-nous que la France et l’Europe
conservent leur tissu industriel ? La question est cruciale.
Toutes les projections à 25 ou 30 ans affirment que si nous
maintenons les orientations actuelles, l’Europe va se retrouver
coincée entre un pôle de très haute technologie USA/Japon et
un pôle formé de pays émergents comme l’Inde ou la Chine
qui profitent de leurs structures de production à bas coût, mais
qui investissent massivement dans l’éducation, la formation et
la recherche. Derrière la question des délocalisations, c’est en
réalité celle de la désindustrialisation qui est posée. Elle peut
induire une perte de substance technologique et de nos capacités
d’innovation. A ce rythme, l’Europe deviendra une sorte de
paradis touristique avec les services de proximité qui en
découlent, et quelques pôles d’excellence.
Quelles sont selon vous les bonnes réponses
aux délocalisations ?
Toutes les études [INSEE, Banque de France,…] nous disent
que les délocalisations représentent entre 5 % et 7 % des
Le cadre de cet entretien est trop restreint pour décrire les
mesures à prendre. Il faudrait une stratégie de Lisbonne
puissance deux à mettre en œuvre vraiment et orienter massivement les budgets européens et français vers l’économie de
la connaissance dans une perspective de développement
durable. Investir au niveau européen dans les grands besoins
du futur [santé, énergie] et les enjeux de souveraineté [espace,
défense], tout en remettant en cause la concurrence fiscale et
sociale. Nous devrions aussi engager une véritable stratégie
Euro Méditerranée, et, cesser de laisser le champ libre aux
Chinois en Afrique. De même, parallèlement aux négociations
OMC, l’Europe doit construire une vraie stratégie commerciale
à l’égard de l’Asie. Au niveau national, il s’agit de favoriser la
Regards croisés sur la délocalisation des activités comptables
La délocalisation dans tous ses états
Que représente réellement le phénomène
économique des délocalisations ?
8
croissance des PME, source d’emplois et d’ancrage dans les
territoires. Les leviers d’action ne manquent pas [commandes
publiques, aides existantes…]. Les régions doivent devenir des
acteurs à part entière capables de déployer des outils de développement économique, ce qui nécessite de redéfinir un vrai
pacte entre l’Etat et les territoires.. Autre possibilité, la politique de
formation professionnelle devrait être orientée massivement
vers ceux qui en ont vraiment besoin, les salariés peu qualifiés,
premières victimes des restructurations et de la financiarisation
de l’économie.
désormais très liés et complémentaires.. Un expert-comptable
peut délocaliser une partie de son activité, mais il doit se dire
qu’il s’agit d’un choix parmi d’autres possibles. Comme tout chef
d’entreprise, l’expert-comptable doit d’abord réfléchir sur son
métier, ses missions, la structure de ses coûts, et sur l’évolution
de son métier dans les années à venir. Je vous l’assure, les
délocalisations ne sont pas une fatalité. Si le mouvement
s’amplifie, c’est aussi à cause de notre incapacité collective à agir.
Les dix leviers de la performance globale
Pouvez-vous nous citer les secteurs économiques
les plus menacés ?
Je ne vais pas être très original. Ces secteurs sont ceux qui
consentent depuis de nombreuses années le minimum en
matière de formation et en recherche et développement. Sans
surprise, sur longue période, les industriels du textile sont ceux
qui ont le moins investi dans la formation de leur personnel.
Lorsqu’il a fallu affronter la concurrence de pays à bas coût, et
ce, dès les années 70, ils n’ont pu résister pour la plupart, au
détriment des femmes et des hommes qui y travaillaient.. Bien
sûr, l’arrivée de la Chine et de l’Inde accélère le phénomène,
mais fondamentalement, il faut d’abord balayer devant sa
porte. D’ailleurs, si nous procédons à une analyse plus fine, y
compris dans les secteurs fortement concurrentiels comme le
textile, l’électroménager, la mécanique, nous voyons bien qu’il
existe des entreprises prospères qui embauchent, se développent
et gagnent des parts de marché à l’international. Ces entreprises
sont celles qui investissent dans la formation de leurs personnels
et qui conduisent des efforts permanents de créativité, d‘innovation, de connaissance de leurs marchés, de partenariats, etc.
Ce qui est valable pour les industries, vaut aussi pour les
entreprises du tertiaire, d’autant qu’industrie et services sont
Les leviers
Créativité
Maitrise du savoir-faire
technologique
Personnels formés et polyvalents
Force de la marque
Maitrise de la production
Dialogue social
Maitrise de la distribution
et de la logistique
Gestion de l’information
Actionnariat stable
Etroitesse des liens avec son terroir
o = relativement neutre
+ = important
Hier
+
++
Aujourd’hui
++
+++
Demain
+++
+++
o
+
++
o/+
+
+++
++
+++
++
++
+++
+++
+++
+++
+++
o
o
++
++
+++
++
+++
+++
+++
++ = très important
+++ = déterminant
Source Jean-Louis Levet “Localisation des entreprises et
rôle de l’Etat : une contribution au débat”, La Documentation
Française, Avril 2005
5/ “L’offshore est une nécessité”
Cyrille Meunier, responsable du Département Economie, Marché et Affaires Européennes du Syntec Informatique
En janvier 2006, l’organisation syndicale Syntec Informatique a
fait paraître une “Etude sur l’impact des délocalisations” sur les
sociétés de service en informatique [SSII]. Elle ne prend pas en
compte les éditeurs de logiciels qui ont souvent délocalisé une
partie de leurs services de recherche et développement aux
Etats-Unis. Le Syntec définit par offshore, ou délocalisation les
travaux vendus et facturés en France par des centres implantés
à l’étranger. A l’origine de cette étude, Cyrille Meunier nous en
rappelle les principaux enseignements.
Le phénomène de délocalisation, que vous
préférez appeler Offshore a-t-il une incidence
sur l’emploi des informaticiens en France ?
L’offshore en France est encore un phénomène marginal, mais
son potentiel est important. Nous estimons que les sociétés de
service françaises ont délocalisé 2 % de leur production en 2005,
et 3 % l’an dernier. Les volumes sont faibles, mais la croissance
se situe à 40 % par an. Fin 2008, l’offshore représentera 5 % du
total du chiffre d’affaires des SSII. Mais il ne faut pas s’emballer.
Nos études affirment, et nos adhérents le confirment, que
l’offshore est structurellement plafonné. Je ne crois pas que
l’offshore dépassera 1 % de l’activité totale des SSII.
nous, l’offshore ne dépasse pas 10% du marché. Par ailleurs,
des pans entiers des projets informatiques ne peuvent pas
s’envisager loin du client. Je dirais même qu’un nombre croissant
de projets est interdit aux centres de production délocalisés.
En effet, le client estime que la réussite d’un déploiement suppose
une compréhension intime de son cœur de métier. Sa direction
des Services Informatiques explique à son prestataire les réalités
de l’entreprise. Cette volonté implique la mise à disposition de
développeurs et de chefs de projets réactifs, capables de saisir
les inflexions et les tendances au quart de tour. Par définition,
la proximité est nécessaire pour entretenir et cultiver cette forme
de compréhension. Une large partie des services en informatique
implique également la proximité. Par essence, le conseil ne se
délivre pas à distance. Les contrats de maintenance imposent
quant à eux une résolution des problèmes dans les deux heures
qui suivent l’alerte. Les infrastructures sont constamment
renforcées. La sécurité est devenue un sujet crucial et il est
impossible de déléguer ces matières à un prestataire indien ou
autre.
Voyez-vous d’autres freins au développement
de l’offshore ?
Nous constatons déjà qu’aux USA où les habitudes de délocalisation sont autrement plus anciennes et importantes que chez
Dans certains cas, la délocalisation est carrément inconcevable.
C’est le cas notamment du secteur public français qui pour
l’instant confie ses projets à des SSII installées en France [ce
qui n’est pas le cas de l’administration britannique, soucieuse
La délocalisation dans tous ses états
Regards croisés sur la délocalisation des activités comptables
Qu’est-ce qui vous rend si optimiste ?
9
d’économie NDLR]. Les PME n’ont pas forcément intérêt à
délocaliser. Leurs projets sont nombreux mais souvent de taille
modeste, ce qui interdit les allers et retours.
Alors selon vous, quels sont les projets qu’une
entreprise a intérêt à confier à un prestataire
éloigné à l’étranger ? Quelles sont les conditions
de réussite ?
Un projet offshore suppose une très grande rigueur, le cahier
des charges doit être parfaitement formalisé et livré sous la forme
d’un package à suivre à la lettre. La délocalisation a horreur de
l’approximation, sinon, c’est l’échec assuré. Le Syntec Informatique
a d’ailleurs constaté que les projets de délocalisation impliquent
paradoxalement des services et des centres de liaison et
d’information de proximité. On peut dire que le recours à l’offshore
est possible pour les projets longs très formalisés : télémaintenance, tierce maintenance application [TMA].
Comment expliquez-vous que les entreprises
françaises recourent moins que leurs concurrentes
européennes ou américaines à la délocalisation
de leurs projets ?
L’offshore se heurte à des réticences culturelles particulièrement
vives dans notre pays. Ainsi, pour des raisons de sécurité, le
secteur de la Banque/Assurance préfère développer ses propres
logiciels, conduire ses propres développements plutôt que de
recourir à des solutions packagées : plus la distance est importante, plus les risques augmentent. Les sociétés françaises
renouvellent souvent moins leurs logiciels que leurs concurrentes
étrangères, aussi leurs besoins sont moindres. Autre problème
culturel, les meilleurs centres de traitement sont en Inde, pays
anglophone. La langue est un obstacle supplémentaire au
développement des délocalisations de services informatiques.
C’est un sujet vraiment sensible chez nous, nous avons le
sentiment que l’offshore menace l’emploi de nos ingénieurs et les
syndicats montent immédiatement au créneau. Un projet de
délocalisation, même limité, même justifié, a un impact négatif
sur l’image de l’entreprise.
Certains parlent d’échec des délocalisations et
même de relocalisation des projets informatiques.
Partagez-vous ce point de vue ?
Un mouvement de relocalisation ? Il s’agit d’entreprises qui ont
essuyé les plâtres, avec tous les risques et désagréments que
cela suppose. On ne peut d’ailleurs pas dire que cette question concerne les entreprises françaises, moins précurseurs
que les anglo-saxonnes. Il y a eu des dégâts surtout aux USA,
mais les problèmes sont réglés et les habitudes sont prises.
Aujourd’hui, les directions achats des groupes anglo-saxons
exigent carrément qu’une part des travaux confiés à une SSII
soit réalisée en Inde. Il s’agit de réduire la facture, sans aucune
concession sur la qualité.
Pensez-vous que le recours à des sous-traitants
basés à l’étranger doive toujours être écarté ?
Absolument pas. Le Syntec affirme même que cette attitude est
une erreur. Il s’agit d’abord d’un problème de ressources car il
n’y a pas assez d’informaticiens en France. Le chômage n’affecte
que 2,5 % d’entre eux. En plus, les directions informatiques
ont pris l’habitude de débaucher les ingénieurs des SSII. Nous
sommes également très inquiets devant la désaffection des jeunes
pour les filières et les professions scientifiques et d’ingénieurs.
Les “forts en math” s’orientent aujourd’hui vers des professions
plus rémunératrices : actuaires, traders, analystes financiers…
Les Ressources Humaines éprouvent de plus en plus de
difficultés pour recruter du personnel en période de croissance.
Et comme il est difficile de faire venir des ingénieurs d’Inde, il
faut recourir à l’offshore. Face à ce véritable problème, le Syntec
Informatique encourage les pouvoirs publics à intensifier les
efforts de formation d’informaticiens, et à conduire une politique
audacieuse de co-développement avec les pays du pourtour
méditerranéen.
6/ Les services informatiques, précurseurs des délocalisations de services
Le transfert en Inde de la comptabilité de la compagnie
aérienne Swissair avait fait couler beaucoup d’encre à la fin des
années 1980. L’opération n’avait pourtant pas empêché
l’entreprise de disparaître, malgré des économies avouées de
45 millions d’euros par an, mais elle avait marqué les esprits.
L’Inde est le paradis des délocalisations informatiques. Le pays
tire profit d’un système universitaire hyper sélectif mais capable
de sortir chaque année plus de 200 000 ingénieurs de très
haut niveau. Le sous-continent s’accapare quasiment la moitié
de ce marché. Selon la Nasscom [India's National Association
of Software and Service Companies], les sociétés de services
indiennes ont réalisé un chiffre d’affaires de 17,2 milliards de
dollars en 2004, contre 12,6 pour le Canada, 1,9 pour la Chine,
1,8 pour les pays d’Europe de l’Est et 0,9 pour les Philippines.
Les sociétés indiennes ont enregistré une croissance de 34,5 %
en 2004, et devrait progresser d’autant en 2005. Pour 2008, la
Nasscom mise sur des revenus de 48 milliards de dollars, sur
un total mondial attendu de 94 milliards de dollars.
Les grands noms de l’informatique emploient des armées
d’informaticiens indiens. IBM compte plus de quarante mille
employés en Inde, EDS 3500, et Cap Gemini vient de débourser
1,25 milliard de dollars pour reprendre la SSII locale Kambay et
ses 6 900 salariés. Cap Gemini dirige aujourd’hui l’activité de
12 000 informaticiens indiens. Ce mouvement ne devrait d’ailleurs
pas s’arrêter là. Bien entendu, les entreprises voient dans les
délocalisations un moyen de réduire leurs coûts informatiques
d’environ 30 %. Il leur suffit de comparer les salaires : 2 500 euros
en France pour un jeune informaticien, 750 euros en Pologne,
400 en Inde pour un ingénieur débutant et 1 800 pour un confirmé,
ou 350 en Chine. Mais dans la pratique la délocalisation d’un
projet informatique s’avère une opération complexe, et donc …
plus onéreuse. Le donneur d’ordre doit missionner des chefs
de projet capables de formaliser la commande. Ils devront se
déplacer fréquemment, dominer les inconvénients du décalage
horaire et se montrer capables de surmonter les différences
culturelles et linguistiques. Pas si simple pour les déploiements
complexes type ERP ou CRM. Il est certes possible de confier ces
contrats à des SSII maghrébines ou européennes, mais malgré
leurs progrès ces entreprises sont loin d’avoir atteint le niveau
de leurs consoeurs indiennes, et bien sur occidentales. Autre
obstacle, les donneurs d’ordre en ont parfois “pour leur argent”.
La course aux économies limite le choix des prestataires.
Selon une étude d'Unilog et d'IDC réalisée en 2006 auprès de
200 entreprises européennes, 27 % des sociétés ayant externalisé
tout ou partie de leur système d'information ont rencontré des
difficultés. Les entreprises se heurtent à des difficultés techniques,
qui sont encore aggravées par l’opacité des prestataires qui
s’engagent médiocrement sur les moyens engagés.
Regards croisés sur la délocalisation des activités comptables
La délocalisation dans tous ses états
10
Ces obstacles expliquent largement que l’offshore des services
informatiques soit un phénomène encore marginal. Mais qui se
développe rapidement. Selon une étude conduite par Pierre
Audoin Conseils [PAC], la sous-traitance informatique offshore
devait toucher 2,5 % à 3 % du marché français contre 1 % en
2002. Et le Syntec informatique enfonce le clou : l’offshore
représentera 5% de l’activité des SSII françaises en 2009. Car
les délocalisations répondent à une véritable nécessité au
moins pour pallier les besoins en main d’œuvre. On compte en
France environ 300 000 informaticiens [dont 71 % de cadres
selon l’APEC], les créations de postes compensent à peine les
départs en retraite, soit une trentaine de milliers de personnes
chaque année. Le Syntec informatique sonne d’ailleurs l’alarme
en pointant la génération d’informaticiens “baby boomers” qui
s‘apprête à partir à la retraite. La mission “Prospective des
métiers et qualifications” [PMQ] du Commissariat Général du
Plan estime que chaque année 600 000 informaticiens vont
prendre leur retraite, alors qu’à peine 150 000 informaticiens
arrivent sur le marché dans le même temps.
Par ailleurs, la croissance du secteur est largement supérieure
à celle de l’économie nationale. Le Syntec Informatique retient
une hypothèse de croissance de 2 % par an pour l’économie
française, mais de 6 % à 8 % pour l’informatique. PAC estime
que la croissance du marché “Logiciels et Services” devrait se
situer à 7 % par an d’ici 2009. Il faut donc bien trouver ailleurs
la main d’œuvre que l’économie recherche. Selon les analystes
de Katalyse, mandaté par la Commission des Finances du
Sénat [Documentation Française, juin 2005 pour cerner l’impact
des délocalisations de services] l’offshore devrait provoquer la
perte de 37 000 emplois d’ici 2010. Mais rassurons-nous, il ne
s’agira pas d’un pur et simple transfert de main d’œuvre.
Simplement de postes qui auraient pu être créés en France, mais
qui pour diverses raisons sont délocalisés en Inde ou ailleurs.
Pour reprendre la conclusion du Syntec Informatique “l’offshore
est une tendance lourde pour le secteur de l’informatique. Ce
phénomène est structurellement plafonné. L’enjeu clé est la
compétitivité des employeurs et des salariés en France. Piloter
la transformation du secteur plutôt que la subir est le défi
majeur auquel sont confrontés les entreprises du secteur, leurs
collaborateurs et leurs clients, avec le soutien nécessaire des
pouvoirs publics.”
Délocalisations : les estimations du Syntec Informatique
Selon l’organisme patronal de la profession le potentiel des délocalisations est loin d’être atteint : 2 % aujourd’hui pour 15 % possible.
Le CA offshore France 2005
Le nombre d’emplois offshore en France en 2005
La part offshore des prestations réalisées en centre de services en 2005
Le pourcentage des prestations réalisées
en centre de services en France en 2005
Le pourcentage des prestations
offshore réalisées en Europe
La taille des sociétés du secteur utilisant l’offshore
par des sociétés dont le CA > 100 M
Le CA offshore France 2009
Le taux de croissance annuel 2005-2009 de l’offshore en France
Le plafond théorique de l’offshore en France
- de 2 % du CA total Services
3000 à 5000
20 à 25 %
6à8%
+ 50 %
+ de 90 % du CA réalisé
Autour de 5 % du CA total Services
+ 30 à + 40 %
15 % du CA services
Offshore : quelques données clés
Source
Cabinet d’analyse IDC
Cabinet d’analyse Forrester Research
Cabinet d’analyse Forrester Research
Pierre Audoin Conseil
Pierre Audoin Conseil
Cabinet A.T Kearney [novembre 2005]
Singapour.
Chiffre
Marché mondial “offshore” 2005 = 12 milliards de dollars
[2,8 % du marché des services] dont 9,15 milliards
pour les USA et 2,12 milliards pour l’Europe.
4 % des 500 premières entreprises mondiales délocalisent plus
de 10% de leur budget informatique
La Grande-Bretagne représente 70 % du marché “Europe de l’Ouest”
Principaux pays pour les délocalisations depuis la France : Europe du Sud
30 %, Inde 25 %, Afrique du Nord 18%, Europe de l’Est 15 %, autres 12 %.
Principaux pays pour les délocalisations depuis l’Allemagne : Asie 50 %,
Europe de l’Est 25 %, autres 25 %.
Top 5 des destinations offshore : Inde, Chine, Malaisie, Philippines,
Salaires bruts comparés des informaticiens diplômés en France et en Inde [€]
Jeune informaticien indien
Jeune informaticien français
Manager confirmé indien
Manager confirmé français
4 000 – 5 000
27 000 – 30 000
10 000 – 15 000
50 000 – 70 000
Source Syntec informatique
La délocalisation dans tous ses états
Regards croisés sur la délocalisation des activités comptables
11
II
REGARDS
1/ “Depuis septembre 2005, je propose des missions de tenue comptable
externalisée et de participation aux travaux de clôture”
Abdelatif Boulaid, cabinet CBA
La délocalisation ouvre un champ de développement aux cabinets
d’expertise comptable marocains. Abdelatif Boulaid, dirigeant
du cabinet Boulaid Abdelatif [CBA] basé à Casablanca a d’ailleurs
pris des locaux dans “Casashore” un vaste complexe immobilier
consacré à l‘offshore. Pour le confrère marocain, les délocalisations constituent une nouvelle industrie qui se développe de
manière considérable grâce notamment à l’appui de l’Etat.
Pouvez-vous nous présenter votre groupe ?
Je suis engagé dans deux structures. La première est particulièrement destinée à l’offshoring, la SARL Maroc Corporate Patners
dont je suis l’associé unique. La deuxième entité est dédiée au
conseil. C’est le cabinet Boulaid Abdelatif [CBA] où j’exerce
comme consultant indépendant. Je dirige les activités de cinq
collaborateurs, et s’il le faut je peux recourir à la délégation de
personnel en demandant à des confrères l’appui de certains de
leurs collaborateurs. Il s’agit toujours de personnes bien formées.
Depuis quand proposez-vous des missions
de délocalisation aux EC et aux entreprises
françaises ?
Depuis septembre 2005, je propose des missions de tenue
comptable externalisée et de participation aux travaux de clôture.
Vous adressez-vous également aux directions
administratives et financières des entreprises ?
Nous proposons des prestations d’externalisation pour les
entreprises marocaines spécialement en audit interne. Nous
envisageons également de développer des prestations dédiées
à la gestion externalisée du reporting pour les entreprises
françaises.
Comment vous faites-vous connaître auprès des
experts-comptables et pouvez-vous nous donner
une idée du nombre et du type de clients que
vous servez ?
Je passe des annonces dans des sites Internet spécialisés.
Notre portefeuille actuel est constitué de trois cabinets français
d’experts-comptables, ce qui représente une soixantaine de
dossiers.
Pouvez-vous lister et expliquer les principaux
avantages d’une délocalisation ?
La délocalisation de la tenue comptable entraîne bien entendu la
diminution des coûts de traitement. Mais il me semble réducteur
d’assimiler systématiquement délocalisation et baisse des charges.
En délocalisant la tenue comptable, l’expert-comptable est
beaucoup mieux en mesure de se concentrer sur des missions
à plus forte valeur ajoutée. Au Maroc, nous employons plus
volontiers le vocable d’offshore que celui de délocalisation. Il s’agit
d’une activité qui se développe de manière considérable dans
notre pays, grâce notamment à l’appui de l’état. Nous-mêmes
avons réservé des espaces de travail dans “Casashore” un
nouveau parc immobilier, totalement dédié à l’offshoring, près
de Casablanca, qui doit ouvrir ses portes fin 2007. Aujourd’hui,
le Maroc en est aux prémices de cette nouvelle industrie. Je
crois vraiment que le courant est en train de passer.
12
Regards croisés sur la délocalisation des activités comptables
Quelles sont les tâches et les missions que vous
proposez qui intéressent vos clients ?
L’accompagnement pour les missions d’externalisation de l’audit
interne et la surveillance comptable sont parmi les missions les
plus appréciées de nos clients marocains. Pour nos clients
français de la sous-traitance comptable, nous constatons une
appréciation très positive des experts-comptables sur la qualité
de notre travail, et surtout sur notre bonne réactivité.
Quelles sont les compétences de vos collaborateurs, et quels sont vos critères de recrutement ?
Nos collaborateurs sont tous issus de l’enseignement supérieur
professionnel ou universitaire avec spécialisation en finances et
comptabilité. Ils justifient de diplômes au moins bac plus 4. Nous
leur assurons en interne au moins deux sessions de formation
par mois, orientées vers le domaine fiscal et comptable. Pour
ce qui est des nouveautés dans la législation fiscale française
nous recevons de nos clients experts-comptables des notes
qui listent les décisions qui impactent le dossier comptable de
leurs clients.
Le recours à la sous-traitance suppose une
réorganisation du donneur d’ordre. Quelles sont les
procédures de collaboration que vous instaurez
avec vos clients ?
Comme nous traitons actuellement uniquement avec des
experts-comptables, les implications organisationnelles de
l’externalisation sont minimes. Nous avons cependant mis à
l’étude un package pour la délocalisation administrative et
comptable à l’attention des PME françaises en collaboration
avec des experts-comptables.
Quelles garanties qualitatives pouvez-vous
assurer à vos clients ? Sécurité, bonne saisie,
respect des délais, etc.
En plus de nos procédures internes de contrôle des traitements
[lettrage, réconciliations, analyses …] nous définissons avec
nos clients des contrôles spécifiques en cas de besoin.
En cas de problèmes, de quels recours disposent
vos clients contre vous ?
Les contrats types que nous proposons prévoient le recours à
l’arbitrage international. Nous sommes également couverts par
une assurance RC.
Regards
2/ Délocalisation : la prudence s’impose
Michel Bohdanowicz, expert-comptable, vice-président délégué de L’Ordre des Experts-Comptables
Pour Michel Bohdanowicz, vice-président délégué du Conseil
de l’Ordre les délocalisations ne sont pas une panacée pour
l’expert-comptable. Non seulement, elles n’apportent aucun bénéfice mais en plus elles sont carrément une source de problèmes.
“Aujourd’hui, les délocalisations sont rendues possibles par la
montée en puissance de technologies de l’information et des
communications Mais il s’agit d’un phénomène parfaitement
récent. Les procédures d’externalisation, et pire de délocalisation
à l’étranger d‘une partie de la production se traduisait par la
mise en place d’une logistique infernale, avec des envois postaux
plus ou moins sécurisés. Entre les pertes de documents et les
erreurs de traitement, surtout avec l’étranger, l’externalisation
relevait d’une mission impossible. Avec l’Internet et le haut
débit, la Terre s’est contractée. Un document parcourt des milliers de kilomètres en quelques secondes. Lors du dernier
congrès de l’Ordre à Paris, deux cabinets ont exposé des
solutions de délocalisation, le premier au Maroc et l’autre en
Roumanie. Ils ont pu s’exprimer sereinement, sans que
personne ne leur apporte la contradiction. Pourtant, la question
est sensible. Elle touche à de nombreux domaines comme les
technologies, les finances, mais également à la moralité. Il ne
s’agit pas pour moi de me placer sur un terrain, propre à des
débats sans fin. Je pense simplement qu’avant d’entamer une
opération de délocalisation, l’expert-comptable doit réfléchir
à l’organisation de son cabinet et aux différentes manières
d’améliorer son fonctionnement. Incidemment, si l’organisation
de base est déficiente, on ne fera que délocaliser les problèmes
sans rien régler. Au contraire, un process d’externalisation
requiert une vraie rigueur, sinon on multiplie les procédures de
saisie et l’on court à sa perte.
Pas de délocalisation pour 50 factures
Ma seconde objection à la délocalisation de la production
provient de la technique comptable pure. La plupart des dossiers
clients se situent entre 1 000 et 1 500 lignes. C'est-à-dire que pour
saisir cinquante factures, je ne vois pas où se place l’intérêt de
recourir à une tenue externe. Le gain de productivité est trop
faible. Je ne parle pas bien entendu des grands comptes mais des
petites entreprises qui font le quotidien des experts-comptables.
Troisième réflexion, nous sommes loin d’avoir exploité les
ressources délivrées par les technologies. Je pense ainsi à
la reprise automatique d’informations, comme les données
bancaires. Le portail de la profession, Jedeclare.com négocie
des accords en ce sens avec la profession bancaire, afin de
simplifier nos missions. Il est vrai que ces négociations sont
toujours en cours. Mais dans les années à venir, les travaux de
normalisation lancés par la profession auront abouti : messages
financiers, liasse fiscale, documents électroniques… Lorsque
le projet de jeton comptable sera effectif, l’expert-comptable
pourra incorporer les documents et les informations directement
dans ses logiciels. Les problèmes de saisie et de normes de
diffusion seront définitivement réglés.
Par ailleurs, on peut estimer à moins de deux jours, le temps
consacré par un collaborateur à la saisie d’un millier de lignes.
C’est vrai que ce sera sensiblement moins cher au Maroc,
mais si l’on arrive à convaincre le client d’adopter un logiciel de
facturation, le gain sera encore plus sensible. Je vous assure
que même depuis le tableur Excel, il est possible de lancer des
programmes d‘exportation d’informations sur des logiciels
comptables. Et il existe de nombreux outils sur le marché.
Enfin, je ne suis pas certain que le niveau d’exigence soit forcément le même à l’extérieur du cabinet, sans parler d’opérateurs
de saisie installés à l’étranger. Nous ne pouvons pas nous
satisfaire d’un taux de qualité moyen, même si nos partenaires
sont sérieux et nous garantissent un niveau supérieur à ce que
l’on obtient en moyenne dans leur pays.
Et puis, les délocalisations posent encore d’autres soucis
redoutables comme la formation des gens, la culture générale,
la langue, etc. Mais le tableau serait incomplet si l’on omet de
dire qu’elle résout, il est vrai, des problèmes considérables de
recrutement de collaborateurs.”
3/ Un cabinet qui procède à l’externalisation interne
Christian Fleuret, expert-comptable, fondateur du cabinet Fleuret
La presse a cité l’expérience conduite par le cabinet Fleuret
comme une “relocalisation”. Pourtant d’après Christian Fleuret,
fondateur d’un cabinet de cinquante personnes [1 500 dossiers]
“contrairement à ce que certains articles ont pu faire croire, nous
n’avons pas rapatrié depuis un pays étranger quelconque une
partie de notre activité. Nous avons simplement procédé voici
18 mois à une externalisation en interne de certaines missions.”
Le cabinet s’est doté en interne d’un centre de traitement
comptable, précisément calé sur ses critères de qualité. La
nomenclature est particulièrement précise : transfert des pièces,
ordres de traitement figés, traitement des dossiers par entrée,
vérification et contrôle.
La démarche est plutôt novatrice. Le centre emploie une douzaine
de personnes, pour l’instant exclusivement au service des collaborateurs du Cabinet Fleuret. L’intérêt de cette externalisation
est double. D’une part, les collaborateurs sont dégagés des
tâches de saisie. Ils gèrent la relation client, en conduisant des
missions de conseil et de prévision. Et de l’autre le cabinet
recrute pour son centre des jeunes en formation. “Nous repérons
ainsi dans ce vivier ceux qui pourront suivre une carrière à part
entière dans notre cabinet. Les jeunes du centre sont des
étudiants en contrat d’alternance. Ils préparent un BTS ou
d’autres diplômes” explique Christian Fleuret.
Regards
Regards croisés sur la délocalisation des activités comptables
Ce n’est pas la première fois que le cabinet Fleuret procède à
l’externalisation “interne” d’une partie de ses missions. Le traitement des fiches de paie de ses clients est maintenant confié à un
centre de traitement à part, entièrement spécialisé, fort d’une
équipe de sept personnes. Progressivement, ces centres seront
ouverts à d’autres cabinets d’expertise comptable qui désirent
externaliser certaines tâches. Quant aux délocalisations proprement dites, Christian Fleuret est échaudé par les expériences
de délocalisation auxquelles il a participé. Il s’était ainsi impliqué
dans un projet à Madagascar avant de faire machine arrière :
“Les procédures étaient trop compliquées. La sécurité n’était
pas assurée, et je ne vous parle pas de l’instabilité politique.”
13
4/ “L’externalisation est une réponse à la pénurie de personnel.”
Jean-Marc Guilly, directeur de Gestavision
Depuis cinq ans, Jean-Marc Guilly propose les services
d’externalisation de comptabilité de sa société Gestavision.
Après avoir fait de la sous-traitance pour le compte de cabinets
d’expertise comptable, Jean-Marc Guilly a orienté ses activités
vers les entreprises. Son opinion est bien sûr subjective, mais
il l’exprime clairement : il n’y a pas vraiment d’intérêt à transférer
ses dossiers vers un pays étranger.
Pourquoi avez-vous cessé de collaborer avec les
cabinets d’expertise comptable ?
Nous avons constaté que l’externalisation pose de gros problèmes
chez les confrères. Du coup, ces problèmes se sont cristallisés
et nous arrivaient de manière parfois exagérée. Nous avons
constaté que nous portions le chapeau pour des erreurs ou
des problèmes propres à nos donneurs d’ordre. Nous avons
également souffert du manque de considération de certains à
notre égard, et Gestavision a souvent préféré stopper une
relation contractuelle, avant qu’elle ne dégénère. Je ne veux
pas minimiser nos erreurs et nos propres problèmes, mais
nous avons su les surmonter pour proposer une prestation de
qualité.
Qui sont alors les clients de Gestavision
aujourd’hui ?
Nos vrais clients sont les entreprises. Il s’agit de grosses PME
et même de grandes entreprises. Nous sommes ainsi missionnés
par les directions financières de 250 entreprises. Nous leur
proposons une méthode de gestion fiable et rapide. Notre outil
repose sur la numérisation des documents qui sont ensuite classés
automatiquement, archivés, avec des fonctions d’intégration
bancaire et de lecture automatique de documents. Avec des
masques de saisie, le client peut corriger et valider les écritures
que nous lui proposons.
Estimez-vous que les experts-comptables doivent
externaliser une partie de leur travail ?
Les cabinets doivent s’organiser pour contrer une concurrence
qui monte. Je pense notamment aux banques. Il existe
aujourd’hui deux types de cabinets. Les premiers, les moins
nombreux, que l’on peut qualifier de “haut de gamme” se
consacrent surtout au conseil et font très peu de travaux de
saisie et de fiches de paye. Les seconds, la grande masse,
consacrent leur énergie à la tenue des comptes. Pourtant, de
nombreux problèmes peuvent être gérés par un expert-comptable.
Je pense à la fiscalité ou à la gestion patrimoniale. Il faut des
personnes compétentes pour les tâches de saisie et de tenue,
et les experts-comptables éprouvent des difficultés pour recruter
et surtout conserver du personnel compétent. Nous constatons
déjà une situation de blocage à Paris et en Ile-de-France. Il
devient difficile de trouver des aides-comptables. L’externalisation
constitue donc une réponse à ce problème.
Les délocalisations peuvent-elles aussi constituer
une réponse à ce problème ?
On se fait des idées fausses sur les délocalisations. Si l’on
compte bien, les coûts sont souvent supérieurs aux nôtres ! Il
y a toujours des coûts cachés pour ne pas dire inattendus,
avec des intermédiaires aussi inutiles qu’obligatoires, et qu’il
faut bien rémunérer. Nous constatons aussi des problèmes
d’incompréhension d’ordre culturel, y compris avec des pays
francophones comme ceux du Maghreb, d’Afrique Noire, l’Ile
Maurice… Nous avons-nous-même procédé à des tests en
Roumanie. La qualité du personnel est bonne, mais les prix
montent déjà. Ils finiront par nous rattraper. Et puis attention !
En Afrique, on emploie souvent du personnel très qualifié pour
qui la saisie n’est pas qu’un simple petit boulot. On risque donc
de délocaliser des missions toujours plus complexes comme
les arrêtés de comptes, à la limite du contrôle de gestion. Voilà
le danger.
5/ Cap sur la Roumanie
Gilbert Métoudi, cabinet BM & associés
Le cabinet BM & Associés [du nom de ses fondateurs Roger
Berdougo et Gilbert Métoudi] a été créé en 1985. Aujourd’hui,
le cabinet est déployé sur deux sites parisiens avec une
cinquantaine de personnes pour ses missions d’expertise
comptable et de commissariat aux comptes. Et comme
prolongement de ses activités, BM & A a ouvert un bureau en
Roumanie dont les effectifs varient entre sept et douze personnes
selon la charge de travail. BM & A gère 1 200 mandats pour un
chiffre d’affaires de 4,8 millions d’euros.
“Début 2000, mes associés et moi-même étions inquiets de
l’évolution du métier, explique Gilbert Métoudi. Nous privilégions
la croissance organique et les performances de la structure
doivent suivre. Nous avons été confrontés en 2000 à la fois à
un départ massif de collaborateurs et à l’instauration de la
réduction du temps de travail [RTT]”. Le cabinet a voulu réfléchir
sur des solutions alternatives propices à l’expansion de ses
activités, mais qui ne se traduisent pas par de nouvelles
complications dans la gestion des ressources humaines. “Nous
avons voulu créer des centres de compétences qui cassent les
schémas d’organisation habituels des cabinets, affirme Gilbert
14
Regards croisés sur la délocalisation des activités comptables
Métoudi. C’est d’ailleurs l’une de mes convictions profondes,
ce mode de fonctionnement est conduit à disparaître. Il faut
créer et diversifier les compétences, avec un pôle social, un
pôle juridique, un pôle informatique. Et la tenue de compte
s’inscrit dans ce schéma d’organisation.”
Pour BM & Associés, au vu de leurs compétences et de leurs
revenus, les collaborateurs doivent se placer entièrement au
service du client. La création de tels pôles de compétence permet
aussi de créer des équipes homogènes.
Une culture commune, un plan comptable
commun, une formation commune
Mais pourquoi avoir délocalisé en Roumanie la saisie des
comptes ? Gilbert Métoudi préfère parler d’externalisation, car
BM & Associés est partie prenante dans l’entité ouverte à
Bucarest.
“En 2002, un client nous a parlé de la Roumanie. Initialement,
nous avions pensé au Maghreb ou à l’Afrique Noire. Nous
avions d’ailleurs rencontré des confrères et même envisagé
Regards
une collaboration avec un cabinet français implanté au Maroc.
Mais, leur organisation était assez archaïque et nous avons
senti qu’ils ne pourraient pas assumer nos dossiers.”
Le client français de BM & Associés était implanté à Bucarest.
Il a su trouver les mots justes pour valoriser la culture locale et
la qualité de la main d’œuvre. Nombre de Roumains sont
francophones et surtout, à la chute de la dictature communiste,
le pays a adopté le plan comptable français. L’Ordre a assuré
la formation des confrères roumains et la comptabilité des
entreprises est quasiment identique à la notre.
Roger Berdougo et Gilbert Métoudi ont passé une semaine sur
place pour rencontrer des experts-comptables avec des critères
précis : taille du cabinet, culture et vision partagée du métier. Les
collaborateurs roumains justifient d’une formation équivalente
à un DUT, et ajoute Gilbert Métoudi “nous nous déplaçons
régulièrement à Bucarest pour rencontrer nos associés, superviser
l’activité et monter les plans de formation nécessaires.
Le fonctionnement du centre de traitement roumain repose
entièrement sur les technologies de l’information et de la
communication qui permettent selon l’expression de Gilbert
Métoudi “de disposer d’une structure intégrée, mais déplacée”.
Le système repose sur une application de gestion électronique
des documents qui assure la transmission [en haut débit]
des pièces. BM & Associés améliore constamment son outil
de communication, avec une messagerie, des webcams, la
téléphonie IP avec Skype, etc. La liaison est assurée par une ligne
dédiée en boucle. En cas de cataclysme, le cabinet ne perd
ainsi aucune information. “Nous avons à Paris, une personne à
plein temps dédiée à l’envoi des documents, complète Gilbert
Métoudi, qui effectue des missions de formation et s’occupe
de notre pôle bureautique.”
Qui dit délocalisation, dit réduction des coûts. Gilbert Métoudi
reconnaît bien volontiers qu’un collaborateur local revient deux
fois moins cher que son équivalent français. “Mais, dit-il, je ne
compte pas les frais cachés comme nos voyages, le temps
passé à faire de la formation”. Par ailleurs, depuis que la
Roumanie est entrée dans l’Union Européenne, elle connaît une
expansion économique sans précédent. Certes, BM & Associés
est heureux de s’impliquer dans les échanges franco-roumains
en plein développement, mais cette croissance pèse sur son
activité. Les salaires montent, le droit du travail est contraignant,
mais surtout le cabinet est pénalisé par un véritable turn-over.
Gilbert Métoudi reconnait que ce problème risque de poser la
question du maintien de BM & Associés en Roumanie. “Mais
pour l’instant tout va bien. La Roumanie n’est pas loin et pas
trop chère Les collaborateurs sont sérieux et opérationnels.
Mais j’insiste. La délocalisation n’est pas une fin en soi.
L’efficacité de BM & Associés est la pierre angulaire de cette
démarche. Aujourd’hui, nos collaborateurs français travaillent
différemment, et dans le sens que nous souhaitions. A l’exception
de quelques dossiers bien spécifiques, les travaux de tenue
sont entièrement délocalisés.”
6/ “Nous sommes capables d’assurer l’ensemble des prestations qui entrent
dans le domaine de l’expertise comptable”
Hassan Lasri, cabinet IL Consulting
Expert-comptable toujours inscrit à l’Ordre, Hassan Lasri est
installé à Casablanca. Son propos est aujourd’hui de mettre à
la disposition de ses confrères français une main d’œuvre
compétente et bien formée, pour des tarifs compétitifs. Son
cabinet IL Consulting collabore aujourd’hui avec trois cabinets
français.
Pouvez-vous nous présenter votre groupe ?
Je suis moi-même titulaire d’un diplôme d’expertise comptable
français, et j’ai exercé en France de 1995 à 2002. Je maintiens
d’ailleurs toujours une activité en France, et je suis toujours inscrit
à l’Ordre. Mon cabinet, IL Consulting emploie outre moi-même,
quatre collaborateurs et deux stagiaires que je forme aux arcanes
de la comptabilité française. Nous avons par ailleurs un département de conseil juridique.
Depuis quand proposez-vous des missions de
délocalisation aux EC et aux entreprises françaises ?
Depuis 2002, c'est-à-dire au moment de l’ouverture du cabinet
au Maroc. Plusieurs de mes clients français m’ont maintenu
leur confiance lorsque j’ai ouvert mon cabinet à Casablanca,
ce qui me permet de justifier d’une véritable expérience de
collaboration avec des entreprises et des partenaires étrangers.
Aujourd’hui, je réserve mes propositions de collaborations à
mes confrères français. Nous n’avons engagé aucune action
de prospection sur les directions financières des entreprises
françaises. Nous nous faisons connaître auprès des confrères
français essentiellement par des annonces.
Regards
Quelles prestations proposez-vous aux expertscomptables français ?
Nous pouvons assurer toutes les prestations qui rentrent dans
le domaine de l’expertise comptable, notamment celles qui sont
en rapport avec la mission de présentation des comptes ; la
saisie, le rapprochement bancaire et l’analyse des comptes.
Nous pouvons aussi aller jusqu’à la plaquette. Notre mandant
français peut simplement éditer la liasse.
Quels sont selon vous les principaux avantages
d’une délocalisation ?
Il faut soulager l’expert-comptable des tâches de saisie, et
même de révision afin qu’il puisse se consacrer à ses missions
de conseil. Les autres atouts de ce type de délégation résident
dans la réduction des coûts et la qualité du travail.
Quels sont vos tarifs ?
Nos tarifs varient bien entendu selon les tâches [saisie simple,
lettrage, rapprochement bancaire ou révision] et du nombre de
dossiers. La facturation se fait soit par ligne soit par dossier
selon le cas. Disons que pour un dossier annuel de 100 000 lignes,
je vais facturer entre 0,06 et 0,08 euros par ligne. Vous pouvez
trouver moins cher, mais IL Consulting recrute du personnel de
bon niveau, qui profite d’une formation professionnelle continue.
Ces efforts ont un coût, celui de la qualité.
Quelles sont les compétences de vos collaborateurs, et quels sont vos critères de recrutement ?
Nous embauchons des jeunes diplômés au niveau Bac + 4 en
comptabilité et en gestion ayant déjà étudié le plan comptable
Regards croisés sur la délocalisation des activités comptables
15
français. J’enseigne moi-même dans plusieurs établissements et
institutions du supérieur. Et comme je vous l’indiquais, le cabinet
assure une formation complémentaire en interne permanente.
Nous suivons l’évolution des textes et des lois en France par
des abonnements à des revues spécialisées et à des sites WEB.
Je vous rappelle aussi que je suis moi-même expert-comptable
inscrit en France et que le cabinet reçoit régulièrement les informations sur la profession, comme le programme de la formation
annuelle
Le recours à la sous-traitance suppose une réorganisation du donneur d’ordre. Quelles sont les
procédures de collaboration que vous instaurez
avec vos clients ?
abonnés à un service Internet à haut débit. Ils sont équipés
d’un scanner rapide et d’un logiciel comptable afin que nous
puissions récupérer et intégrer simplement les informations. En
interne, nous leur recommandons de dédier une personne
pour gérer la transmission des données.
En cas de problèmes, de quels recours disposent
vos clients contre vous ?
Nous avons souscrit une assurance professionnelle en France et
bien entendu, les clients peuvent toujours recourir à la médiation
de l’Ordre.
Les progrès des technologies de la communication nous
permettent de traiter des volumes importants. Nos clients sont
7/ “La délocalisation a répondu à un besoin précis”
Michel Louchard, dirigeant du cabinet Louchard
Féru de technologies, Michel Louchard cherche en permanence
à innover afin d’améliorer le fonctionnement de son cabinet. Il
est ainsi l’auteur du logiciel de comptabilité en ligne Itool.com,
aujourd’hui distribué par l’éditeur EBP.
“Nous avons conduit une réflexion approfondie sur les délocalisations en 2004 et 2005, avec des expériences comparées sur
deux cabinets étrangers au Maroc et à l’Ile Maurice. Le premier
facturait 15 euros de l’heure, le second 8 euros pour la saisie
et 15 euros pour la supervision. Il faut admettre que le cabinet
mauricien a produit un travail de qualité, avec outre la saisie, la
révision des comptes tiers et des comptes généraux. Ils se sont
montrés capables de signaler les problèmes, comme l’absence
de documents. Aujourd’hui, le cabinet va externaliser au Maroc
un gros dossier de saisie. Il s’agit d’un fabricant et distributeur
important de meubles qui désire ouvrir un second point de vente
et modifier ses procédures comptables. Le dossier de ce client
totalise déjà 7 000 lignes et devrait donc rapidement doubler, ce
qui nous pose des problèmes de personnel. Jusqu’ici, le client se
chargeait de la saisie via Itool, et nous récupérions les informations
pour consolider le dossier. Aujourd’hui, il nous demande de
prendre en charge ce travail. Notre charge de travail est telle
qu’il est difficile d’absorber ce dossier. Et je ne peux pas recruter
un collaborateur supplémentaire pour ce seul dossier.
Via le réseau Itool, j’ai rencontré Régis Barse, expert-comptable
dans le sud-ouest qui pilote un cabinet au Maroc, et j’ai
décidé, avec l’accord de mon client, de lui confier le dossier.
Le cabinet Louchard,
précurseur en technologies
La chaîne de production s’appuie sur une maîtrise plutôt rare
des nouvelles technologies au cabinet Louchard. Le système est
basé sur l’exploitation de solutions virtuelles car je préfère recourir
à des applications en mode ASP, afin de laisser au prestataire
le soin de gérer et de faire évoluer la partie informatique. Le
cabinet a sélectionné la solution de gestion électronique de
documents fournie par Google, qui outre sa gratuité, permet
d’archiver jusqu’à trois giga octets de données. La partie
messagerie est également fournie par Google avec Gmail qui
accepte les documents traditionnels produits sous Word ou
Excel. Une partie des documents arrive au cabinet sous forme
16
Regards croisés sur la délocalisation des activités comptables
numérisée, comme les fichiers de vente du client, ou les documents
bancaires. Les documents “papier” sont numérisés via un
scanner de production Canon IR 3570. Le système numérise
les documents, les indexe et les expédie automatiquement à
l’adresse e-mail que nous lui avons indiquée. La répartition des
documents s’effectue par mots clés. Le destinataire n’a plus
qu’à récupérer les documents sous forme de fichiers pdf dans sa
boite mail. Il n’a plus qu’à saisir ou à imprimer les informations.
Depuis Lille, nous suivons à volonté l’évolution des travaux. De
plus, le bureau virtuel permet de conserver l’historique complet
du travail.
Le back-office peut être décentralisé
J’estime que l’on peut délocaliser la totalité du back-office. Pour
le client, l’opération est totalement transparente. Les process
de communication permettent de suivre en permanence l’état
d’un dossier, avec notamment une vision en double écran. On
peut relancer le client sans perte de temps.
Je désire ajouter qu’il était parfaitement possible de profiter à
bon compte de solutions externalisées en France. Si l’on compte
bien, une personne employée dans une entreprise située dans
une zone franche revient moins chère. Mais le véritable intérêt de
la délocalisation réside dans le contournement des contraintes
de la législation du travail. En fonction de l’évolution de la
charge de travail, il est possible de monter en puissance et
d’adapter les effectifs aux besoins de l’entreprise. C’est pour
cela que certains dossiers clients devraient être délocalisés. Je
pense notamment aux entreprises de distribution qui ont de forts
volumes, de nombreuses références et des marges serrées.
Pour l’instant il faut recourir à une main d’œuvre humaine. Je
ne crois pas à la “machine qui fait tout”. Les miracles sont par
essence parfaitement exceptionnels. Par ailleurs, c’est l’usage
qui fait la technologie. Et pour l’instant, nous n’y sommes pas
du tout. Les experts-comptables progressent lentement, et il
ne faut pas s’attendre à des bouleversements pour les années
qui viennent.”
Regards
8/ Les charmes de la grande île de l’Océan Indien
Parmi les destinations possibles pour conduire une délocalisation,
Madagascar a des atouts à faire valoir. Depuis des années, l’île
dédie une part de sa main d’œuvre à des travaux de saisie
informatique. Insuffisant pour remplacer des collaborateurs formés
aux subtilités de la comptabilité, mais de quoi constituer les
infrastructures nécessaires. A l’autre extrémité de la chaîne,
l’INSCAE [Institut National des Sciences Comptables et de
l’Administration d’Entreprises] forme depuis quinze ans des
cadres de bon niveau. Les étudiants obtiennent des diplômes
de niveau bac plus trois ou bac plus cinq. L’INSCAE a d’ailleurs
passé des accords d’échange et de partenariat avec
l’Université Pierre Mendès France de Grenoble, l’Université
Paris XII-Val-de-Marne et l’IAE de Poitiers. De nombreux
étudiants malgaches viennent d’ailleurs parfaire leur formation
en France. Signalons que notre diplôme d’expert-comptable
n’est pas reconnu à Madagascar.
Les salaires constituent l’un des charmes essentiels de
Madagascar. Un diplômé de l’INSCAE, parfaitement à même
de produire une plaquette est rémunéré 500 euros par mois.
Un opérateur de saisie, deux à trois fois moins. Du coup,
l’expert-comptable local peut superviser l’activité d’une quinzaine
de collaborateurs.
Les centres de traitement comptables fleurissent donc à
Madagascar avec le but avoué de sous-traiter la partie du travail
sans “valeur ajoutée” : tenue, saisie et révision. Certains peuvent
aller jusqu’à la production de la plaquette annuelle des clients.
A noter que les Malgaches ne peuvent pas réaliser les plans de
paye. Les délais de production sont parfaitement comparables
aux nôtres. L’expert-comptable français donneur d’ordre dispose
même d’outils informatiques pour suivre la tenue de dossiers
et l’avancement des missions.
L’Etat malgache pousse à la création d’une véritable industrie
de l’offshore. Il existe des zones franches où se sont installés
des plateaux entiers d’opérateurs de saisie. L’Internet haut
débit n’a pas encore traversé le canal du Mozambique, mais il est
possible de louer une liaison satellite pour mille dollars avec un
débit type 2 Mo/s. Cependant, les principales villes de l’île sont
déjà câblées, et les équipementiers finalisent le déploiement
d’un câble qui reliera Madagascar à l’Afrique du Sud.
9/ “Pour parvenir à un résultat efficient, il faut non seulement délocaliser un
grand nombre de dossiers, mais pas uniquement sur la tenue comptable…”
Jean-Marc Jaumouillé, directeur des techniques professionnelles de Fiducial
Pour le compte du réseau Fiducial, Jean-Marc Jaumouillé a
conduit une mission de réflexion sur le bien-fondé d’une
délocalisation de la production à l’étranger. Ses conclusions sont
simples. Une délocalisation n’aurait pas de sens aujourd’hui.
Selon lui, cette stratégie n’est tout simplement pas adaptée
aux besoins et à la structure de Fiducial.
“Nous avions déjà réfléchi à l’externalisation de nos tâches
pendant les années 1990, mais les technologies n’étaient pas
au point et les questions techniques nous avaient fait reculer. En
2005, nous avons engagé une nouvelle réflexion sur l’opportunité
de délocaliser la production à l’étranger. Et une nouvelle fois,
l’idée a été abandonnée pour plusieurs raisons : la taille de la
structure à créer à l’étranger, la taille des dossiers, l’acceptation
d’une telle décision par le réseau dont l’implication était impérative,
les process, le tout pour un gain relativement marginal.
Pour parvenir à un résultat efficient, il faut non seulement délocaliser un grand nombre de dossiers, mais pas uniquement sur
la tenue comptable [tâche qui représentent moins de 20 % du
temps]. Mais pour délocaliser seulement 10 % des dossiers, il
faut embaucher entre 400 et 500 personnes, ce qui revient à
bâtir une véritable “usine” à comptabilité. Une telle structure
exige un investissement colossal en temps et en moyen, pour
des résultats financiers a priori peu probants.
les salaires locaux, ce qui rendrait l’opération encore moins
intéressante.
Deuxième facteur négatif, j’estime qu’une délocalisation n’a de
sens que pour des dossiers importants, de plus de 5 000 lignes.
Or, la plupart des dossiers que nous traitons ne justifient pas
forcément un traitement externalisé. Des gains de productivité
sont encore possibles sur le territoire national.
Autre écueil, l’acceptation par les collaborateurs d’une telle
opération. Pour qu’elle fonctionne, il faut impliquer les collaborateurs dans le choix des dossiers mais aussi dans la mise en
œuvre des process. Or, aujourd’hui, dans l’imagerie populaire,
la délocalisation sous entend le transfert d’emplois vers les
pays émergents et la suppression d’emplois en France, même
si telle n’était pas notre ambition. Comment espérer de l’aide
de la part de quelqu’un qui a peur de perdre son travail, même
si je le rappelle, ce n’était pas notre volonté. Car pour nous, la
délocalisation était un moyen d’absorber la croissance.
En effet, la constitution d’un centre de traitement de 400
personnes exige des locaux, des équipes de recrutement, une
intendance informatique, une hiérarchie, des formations, et
surtout de la main d’œuvre qualifiée en quantité suffisamment
disponible. En outre, une telle quantité de recrutement sur une
agglomération entraînerait probablement une hausse sur
Enfin, je ne crois pas que les technologies soient suffisamment
au point pour compenser la complexification des process.
C’est ma quatrième grande réserve. D’une part, il faut passer
du temps à scanner des documents, avec tout ce que cela
entraîne comme perte de temps [format des documents,
agrafage…]. D’autre part, les solutions de reconnaissance de
caractères ne permettent pas l’automatisation requise par une
délocalisation bien conduite. On a souvent aussi vite fait de saisir
les documents de manière traditionnelle, plutôt que de les
numériser. Surtout quand il s’agit de petits dossiers où les
grandes séries n’existent pas. Par ailleurs, il faut des dossiers
absolument bien organisés, car sinon le collaborateur étranger
Regards
Regards croisés sur la délocalisation des activités comptables
17
et le collaborateur français perdent un temps considérable en
échange de données. Et je ne parle même pas des conséquences du traitement des opérations par un collaborateur qui ne
connaît rien du dossier, si ce n’est le DP et les pièces comptables.
De plus, légalement l’expert-comptable est tenu d’informer ses
clients d’une délocalisation du traitement de leurs dossiers.
Les chefs d’entreprise auront vite fait de nous demander une
restitution d’une partie de la marge. Ce qui réduit encore l’intérêt
de l’opération.
Je ne suis pas opposé par principe aux délocalisations, mais la
méthode n’est pas aujourd’hui adaptée pour nous. Elle peut en
revanche correspondre aux besoins d’un cabinet traditionnel.
Pour traiter ses dossiers, sans subir les problèmes de recrutement,
l’expert-comptable peut parfaitement recourir à une sous-traitance
étrangère de “qualité.”
10/ Les délocalisations des cabinets ne sont plus un fantasme, mais pas
encore une réalité et encore moins une menace
L’expert-comptable connaît bien les méthodes d’externalisation.
Il aimerait souvent déléguer à un prestataire national ou étranger
une partie de ses tâches afin de se concentrer sur le conseil et
l’expertise proprement dite. Mais pour l’instant, les freins sont trop
puissants pour que ces désirs se traduisent par un phénomène
massif de transfert de tâches à l’étranger.
L’externalisation de missions est une pratique répandue depuis
des années dans les directions financières et dans les cabinets
d’expertise comptable. Une étude de Markess International
[mai 2007] montre que si 60 % des entreprises externalisent
la fonction Paie aujourd’hui, elles seront 72 % en 2009.
Donc pourquoi pas la saisie des comptes ? Il s’agit d’une tâche
peu valorisante, pour ne pas dire ingrate, souvent répétitive, et
qui mobilise des ressources humaines qui pourraient être
consacrées à des missions autrement plus importantes de
service au client. Et tant qu’à externaliser autant délocaliser. Les
comptables marocains, roumains, malgaches et autres sont
aussi compétents que les Français. Au Maroc ou en Tunisie, la
semaine de travail légale est de 48 heures. Et le salaire d’un
jeune collaborateur est compris entre 400 et 500 euros par mois.
A Madagascar, le temps de travail légal est de 41 heures par
semaine, cinq jours par semaine. Mais en contrepartie, les salaires
sont plus bas.
Pas de délocalisation sans technologies
Les propositions de délocalisation existent depuis la fin des années
1990, avec le développement d’Internet et des technologies
de l’information. Elles émanent souvent d’experts-comptables
qui ont fait leurs études et ont exercé en France. La lenteur des
communications, la mauvaise qualité des transmissions
[rappelons-nous de l’audace nécessaire pour employer les
majuscules et les caractères accentués] ont longtemps confiné
cette offre au champ expérimental. Certains cabinets, notamment
marocains, ont proposé de transmettre les pièces par voie postale.
Des coûts attractifs ne font pas tout, et les experts-comptables
ont refusé de s’impliquer dans de telles usines à gaz.
Les progrès de la technologie bouleversent l’offre. Les communications à haut débit [plusieurs mégabits par seconde] permettent
de transférer des dossiers volumineux en quelques secondes.
Autre facteur favorable aux délocalisations, les 35 heures qui
provoquent l’effondrement de certaines missions comme la saisie.
En pratique, la délocalisation repose sur la numérisation des
documents. Le cabinet doit acquérir un scanner de production,
un logiciel de gestion électronique de documents et [bien
entendu] une liaison haut débit sécurisée. La nomenclature
18
Regards croisés sur la délocalisation des activités comptables
reprend et adapte les étapes de la procédure traditionnelle.
L’expert-comptable collecte les pièces. Il les classe, les vérifie
avant de les numériser et d’envoyer les lots à son correspondant
étranger qui lui signale la bonne réception des documents. Les
pièces sont codées, avant d’être intégrées sur un logiciel de
comptabilité. A noter que les cabinets délocalisés possèdent une
logithèque complète en la matière. Exactement comme le ferait
un collaborateur français, le comptable “délocalisé” analyse le
dossier. Il procède aux rapprochements bancaires. En général,
un superviseur intervient à cette étape du travail pour vérifier
les travaux. Le dossier repart ensuite en France, vers le cabinet
pour révision et remise au client.
Délocalisation et organisation
Progressivement donneur d’ordre et fournisseur prennent des
habitudes de collaboration. Il se crée un véritable va-et-vient
d’échanges d’informations en utilisant des avis de réception de
documents, des outils de messagerie, de téléphonie ou de
visiophonie sur Internet. Bien entendu les communications
sont sécurisées par des solutions de cryptage, des mots de
passe et autres logiciels anti-virus.
Ces procédures ont l’apparence de la simplicité, mais elles
impliquent un bouleversement complet des méthodes et de
l’organisation du cabinet. Techniquement, les collaborateurs
doivent se plier aux contraintes de la gestion électronique de
documents [GED], l’application qui supporte l’opération. Ainsi,
les pièces et les documents doivent être systématiquement
scannés et indexés très précisément. L‘informatique ne supporte
pas l’à-peu-près. Si l’importance des flux de documents l’exige,
il vaut mieux créer un poste de travail à part entière, comme l’a
fait Gilbert Metoudi, dirigeant du cabinet parisien BM & Associés.
Jusqu’où peut-on confier des missions à des partenaires
extérieurs ? Pour Hassan Lasri, du cabinet IL Consulting de
Casablanca : “Nous pouvons assurer toutes les prestations qui
rentrent dans le domaine de l’expertise comptable, notamment
celles qui sont en rapport avec la mission de présentation des
comptes ; la saisie, le rapprochement bancaire et l’analyse des
comptes. Nous pouvons aussi aller jusqu’à la plaquette. Notre
mandant français peut simplement éditer la liasse.” Pourquoi pas.
Mais d’une part l’expert-comptable peut éprouver le sentiment
d’une perte sur la main mise de ses dossiers. Il faudra aussi
sérieusement renforcer les procédures de supervision, et ne
plus se contenter des avis de réception, de la communication
sur Skype et du savoir-faire du confrère étranger.
Regards
Une délocalisation est-elle rentable ?
Les autres blocages
Mais surtout, une délocalisation pose des problèmes d’organisation interne. Les collaborateurs peuvent éprouver l’impression
à la fois d’être dessaisis de leurs dossiers, et même menacés
d’un prochain licenciement. Le dirigeant va devoir les rassurer.
Contrairement à beaucoup d’autres chefs d’entreprise à la
recherche des meilleurs coûts de revient, les experts-comptables
externalisent ou délocalisent d’abord pour des raisons d’organisation et ensuite pour gérer plus simplement les problèmes
de gestion du personnel. Un expert-comptable parisien [huit
collaborateurs et 150 dossiers] voulait ainsi abandonner les
tâches de saisie afin de “faire monter mes collaborateurs en
compétence. Je voulais qu’ils consacrent davantage de temps au
service des clients”. Double échec. Le prestataire de service choisi
par notre interlocuteur n’a pas répondu à la demande. “Il fallait
systématiquement repasser derrière, ce qui enlevait beaucoup
d’intérêt à l’opération, explique notre expert-comptable. La
saisie comptable exige du savoir-faire. On ne peut pas faire de la
saisie au kilomètre comme pour d’autres missions, avec un taux
d’erreur acceptable”. Et surtout, ses collaborateurs ont eu le
sentiment d’être dépossédés de leur travail. Notre interlocuteur
a d’ailleurs constaté que certains de ses salariés se plaisent
dans les missions de saisie.
D’autres freins protègent encore l’activité des experts-comptables
[et de leurs collaborateurs] des délocalisations. Michel
Bohdanowicz, vice-président délégué du Conseil de l’Ordre
pense que les technologies permettent de bien rationnaliser le
travail et d’optimiser l’organisation des cabinets : “on peut estimer
à moins de deux jours, le temps consacré par un collaborateur à
la saisie d’un millier de lignes. C’est vrai que ce sera sensiblement
moins cher au Maroc, mais si l’on arrive à convaincre le client
d’adopter un logiciel de facturation, le gain sera insignifiant”.
D’autres ne sont pas convaincus de la pertinence des progrès
technologiques. Et il est vrai que la numérisation implique une
certaine homogénéité des documents. Jean-Marc Jaumouillé,
directeur des Techniques Professionnelles de Fiducial insiste
aussi sur le caractère émietté de l’offre. Auteur d’un rapport de
mission pour son organisation, Jean-Marc Jaumouillé a
constaté que les cabinets étrangers qu’il a visités en Afrique du
Nord, sont des petites entités, d’une dizaine de personnes. “Or
affirme-t-il, pour délocaliser à peine 10 % de nos dossiers, il
faudrait ouvrir un centre de traitement de plus de 400 personnes”.
Jean-Marc Jaumouillé et Michel Bohdanowicz se rejoignent
d’ailleurs pour estimer qu’une délocalisation n’a de sens que
pour des dossiers de plus de 5 000 lignes, loin du quotidien de
l’expert-comptable. Et Michel Louchard d’ajouter “je crois
qu’une opération de délocalisation se justifie pour les entreprises
de distribution qui ont de forts volumes, de nombreuses
références et des marges serrées”.
Enfin, selon la législation, un expert-comptable ne peut pas
recourir à la sous-traitance [en France comme à l’étranger]
sans l’accord de ses clients. Un chef d’entreprise [même d’une
TPE] aura vite fait de demander à son conseil de lui restituer
une partie des marges.
Michel Louchard, du cabinet du même nom et basé à Lille, a
externalisé au Maroc afin d’absorber un dossier plus conséquent
que ses missions habituelles. “Mes collaborateurs ne pouvaient
pas absorber une charge de travail supplémentaire, et je ne
pouvais pas recruter un collaborateur pour un seul dossier même
exceptionnel”. Michel Louchard reconnaît volontiers qu’un
recrutement dans une zone franche en France ne pèserait pas
plus sur ses comptes que la délocalisation du travail au Maroc.
Mais, le gain en souplesse et en adaptation est incomparable.
“Peut-être faudrait-il développer des formules alternatives
comme le travail à domicile. Je suis certain que de nombreuses
personnes seraient heureuses d’accepter des missions de ce
type, en profitant de leur liberté horaire.”
Regards
Regards croisés sur la délocalisation des activités comptables
19
III FOCUS SUR LES TRAVAUX DU CONGRÈS DU 60 E CONGRÈS
“ET SI ON PARLAIT DE COMPTABILITÉ ?” - PARIS 2005
Focus 1/ Atelier de la Profession / La délocalisation :
Enjeux, risques et perspectives
La délocalisation :
Enjeux, risques et perspectives
Source : Extrait du Vademecum du Congrès 2005, page 80
Les mots “délocalisation” et “externalisation” sont l’objet de
débats animés lorsqu’ils sont prononcés. Les multiples exemples
médiatisés à l’extrême dans la presse ont amené peu à peu
l’opinion à voir dans ces pratiques, avant tout, une manière de
générer plus de profits ou, au mieux, une façon de prévenir les
risques d’une chute de ceux-ci. Il est vrai que les délocalisations
s’accompagnent généralement d’une cohorte de licenciements
traumatisants pour des familles, une ville, une région.
Notre propos n’est pas de faire l’apologie de la délocalisation
ou son procès. L’objectif de cet atelier est de présenter ce
qu’est réellement l’externalisation ou la délocalisation, comment
elle s’organise, ce qu’elle coûte et rapporte, ce qu’elle implique,
afin que le public puisse avoir une vision claire de la problématique.
La conception et mise en œuvre d’un processus de délocalisation
est une alchimie. Si les ingrédients sont connus, le tour de
main est déterminant. S’engager dans un tel projet nécessite
une stratégie claire et des moyens sérieux.
Le contexte et les enjeux
La profession dans une logique de marché
• concurrence de plus en plus vive ;
• remise en cause des modèles de production ;
• rentabilité en chute avec des prix en baisse et une hausse
des coûts salariaux ;
• investissements techniques importants ;
• exigences clients en mutation ;
• aspirations des hommes et des femmes en évolution.
Les enjeux
• fidéliser ses bons collaborateurs et en attirer d’autres ;
• se préparer à un marché ouvert ;
• être productif et développer la qualité ;
• être rentable ;
• garder ses clients et en conquérir d’autres ;
• avoir une image valorisée avec des missions à forte valeur
ajoutée.
Les principes admis par l’Ordre sous respect des textes
réglementaires
• délégation et supervision des travaux ;
• signature des documents par l’expert-comptable ;
• ratio d’encadrement ;
• secret professionnel.
Les obligations
• celle de l’expert-comptable [donc, adapter la police d’assurance
à ce cas particulier] ;
• contrôler le sous-traitant ;
• veiller à ce que celui-ci respecte la réglementation locale.
Les impacts
• sur le plan technique : quels systèmes informatiques, quels
outils, comment les rendre compatibles avec ceux du cabinet ?
• sur l’organisation du travail : comment organiser le travail
avec l’entité délocalisée ? Quelle répartition des rôles ? Quels
sont les délais de traitement ? Comment gère-t-on les
erreurs ? Au final, est-ce un levier de productivité ?
• sur le management : Délocalisation = destruction d’emploi ?
Comment faire adhérer les collaborateurs aux systèmes ?
Garde-t-on les mêmes collaborateurs ? Comment les impliquer ?
Que font-ils du temps dégagé par l'externalisation de leurs
tâches ? Quelles qualifications pour le personnel délocalisé ?
Comment manager à distance ?
• sur la gestion du cabinet : Quel impact sur la marge ?
Comment gère-t-on les temps, la facturation ? Le coût de la
sous-traitance ?
• sur la relation client : Faut-il dire au client que l’on délocalise ?
Quelles sont les réactions ? Comment le lui cacher, éventuellement ?
Des risques liés
• aux contraintes de la Profession ;
• à l’éloignement de l’activité ;
• aux aléas de la technologie ;
• au pays choisi ;
• aux aspects économiques ;
• aux aspects socio-économiques.
Des opportunités liées
• à la stratégie du cabinet ;
• au marché ;
• à l’évolution des collaborateurs ;
• à la rentabilité du cabinet.
Alors faut-il créer soit même ou bien s’adresser en sous-traitance
à des “externalisateurs” ?
Quelles sont les conditions du succès et les facteurs d’échec
d’une telle opération ?
La responsabilité
• délégation et supervision des travaux ;
• signature des documents par l’expert-comptable ;
• ratio d’encadrement ;
• secret professionnel.
20
Regards croisés sur la délocalisation des activités comptables
Focus sur les travaux du Congrès du 60e Congrès
Focus 2/ La délocalisation va-t-elle séduire les experts-comptables ?
La délocalisation va-t-elle séduire les
experts-comptables* ?
Source : Extrait du Vademecum du Congrès 2005, page 93
*La présentation de cette étude ne peut en aucun cas être
assimilée à une prise de position de l’Institution.
L’étude sur les délocalisations dans les cabinets d’expertise
comptable a été conduite en octobre 2004 par le cabinet
RC&A, spécialiste dans l'organisation interne des cabinets
d'expertise comptable et dans la mise en œuvre des systèmes
d'information des cabinets. RC&A propose également une
activité d'étude et de conseil. Cette étude a été conduite auprès
de 350 cabinets d’expertise comptable. Sans prétendre à une
représentativité parfaite, ce travail permet d’évaluer l’impact du
désir de délocalisation à un moment où la profession affiche à
la fois sa volonté de se concentrer sur des missions à valeur
ajoutée et de restaurer ses marges.
La délocalisation est reconnue comme une méthode permettant
d’abaisser les coûts en transférant à l’étranger des tâches de
production. Elle se distingue ainsi de l’externalisation qui
consiste à sous-traiter une partie des missions à une autre
société française. Et du reste, les experts-comptables interrogés
par RC&A préfèrent sous-traiter leurs missions avec des sociétés
nationales [23 %] plutôt qu’avec des entreprises étrangères [20 %].
La délocalisation est encore l’apanage des grandes entreprises.
Les PME n’y recourent que rarement, y compris dans le transfert
à l’étranger des plateaux téléphoniques. Il est également possible
de sous-traiter Aussi l’étude nous délivre une première surprise :
50 % des cabinets d’expertise comptable croient dans l’intérêt
des délocalisations, un quart observe la situation, peu désireux
d’essuyer les plâtres. Reste un autre quart qui ne sait pas où
afficher sa défiance à l’égard de la méthode. Ce résultat est
d’autant plus intéressant que plus de la moitié des cabinets
interrogés [55,73 %] affirment qu’ils n’ont “aucune connaissance
d’expériences” de délocalisation. Les autres ont des échos
“négatifs” [9,49 %] ou des échos “positifs” [20,16 %].
Les freins aux délocalisations
D’après RC&A, les principaux freins sur la mise en œuvre d’une
opération de délocalisation résident sur les doutes, sur la fiabilité
de l’opération et des techniques, ou sur des scrupules quant à
l’attitude à tenir vis-à-vis des collaborateurs [40,8 %]. Il est
également probable que les experts-comptables bien au fait
des outils informatiques savent que les nouvelles technologies
permettent d’augmenter le niveau de productivité, et donc de
rétablir leurs marges au moins autant que les délocalisations.
Dans le détail, une moitié des cabinets se pose des questions
sur la qualité du travail délégué, une autre s’interroge sur les
techniques nécessaires pour mettre en œuvre une opération
de délocalisation. A noter qu’un tiers se pose des questions
sur la réalité des bénéfices promis et que tout de même 36 %
doutent des qualités professionnelles des prestataires étrangers.
Parmi les raisons qui freinent les projets de délocalisation, la
sécurité figure en bonne place : 45 % des cabinets mettent en
cause la “crédibilité de la viabilité technique et la sécurité” de la
solution et 35 % redoutent la perte de connaissance et de maîtrise
technique des dossiers. Les prestataires devront donc déployer
des efforts considérables avant de se faire reconnaître par la
Profession comme des interlocuteurs compétents, capables
de procurer des services fiables.
Focus sur les travaux du Congrès du 60e Congrès
La tenue, fonction délocalisable
par excellence
Quelles sont les missions que les experts-comptables pourraient
déléguer à un prestataire externe ? Sans surprise, les cabinets
répondent pour 75 % d’entre eux “la tenue” seule. 93 % pensent
d’ailleurs que les dossiers de tenue sont les plus adaptés à la
délocalisation. Une minorité envisage de déléguer également la
tenue et la révision des comptes [15,7 %]. Et on ne compte
que 4 % des cabinets pour envisager de déléguer les dossiers
de révision seule. Ce résultat s’explique doublement : d’une part
la révision implique une participation active du cabinet jusqu’à
l’intervention d’un expert-comptable français, et de l’autre par
le manque de visibilité sur les capacités des prestataires. La
délocalisation concerne une poignée de cabinets et trop peu
de retours d’expérience sont perceptibles pour envisager autre
chose que la délégation de la partie la plus “simple” des missions
traditionnelles du cabinet. Parmi ceux qui envisagent de délocaliser
une partie de leur activité, 30 % veulent pouvoir se concentrer
sur des prestations plus rentables et 30 % avouent brutalement
reconstituer leurs marges.
Aujourd’hui, les cabinets d’expertise comptable ne sont pas
encore concernés par la délocalisation. Cependant la situation
risque de changer rapidement. L’expert-comptable est incité à
dématérialiser les documents et les dossiers. Et la délocalisation
pourra lui apparaître tout simplement comme un flux de données
informatiques supplémentaire à gérer. Nombre d’expertscomptables estiment d’ailleurs que des outils technologiques
tels que les logiciels de reconnaissance de caractères ou des
solutions plus globales, comme la Gestion Electronique des
Documents, vont permettre d’éviter l’externalisation d’une partie
des missions. L’étude révèle d’ailleurs que 81 % des cabinets
possèdent un scanner et que 8,7 % vont en acquérir un. On
pourrait ajouter que l’Internet à haut débit est une technologie
largement répandue. Le but consiste à diminuer le volume de
papier produit ou géré. Cependant, le déploiement de tels
systèmes exige des efforts longs et onéreux. Le cabinet doit
radicalement transformer ses méthodes de travail et son
organisation. Il doit également former ses collaborateurs sans
perdre de vue que des mises à jour de son système de travail
seront rapidement nécessaires. D’ailleurs près de 60 % des
cabinets estiment que les investissements en informatique sont
importants, et surtout que les licences de leurs logiciels sont
“excessivement” élevées. Autrement dit, l’informatique est une
course à l’armement sans fin, contrairement aux délocalisations
autrement plus souples. L’expert-comptable peut quasiment à
loisir et sans investissement particulier augmenter ou réduire la
charge de travail confiée à un prestataire. Et sans investissement
particulier. Sur le papier, la délocalisation permet d’économiser
jusqu’à 40 % sur les tâches déléguées. L’expert-comptable
peut donc à la fois faire profiter son client d’une économie
réelle et reconstituer ses marges.
Les délocalisations doivent favoriser l’activité
de conseil
D’autres facteurs favorisent également les délocalisations.
L’expert-comptable peut déléguer une partie de son travail à
un tiers afin de pallier des problèmes de recrutement ou de
gestion de personnel. D’après RC&A, les deux tiers des cabinets
reconnaissent une moindre rentabilité sur leurs missions de
tenue du fait de l’augmentation de la masse salariale depuis
Regards croisés sur la délocalisation des activités comptables
21
l’instauration de la réduction du temps de travail. Les cabinets n’ont
pas pu semble-t-il répercuter cette inflation sur leurs honoraires.
L’expert-comptable se plaint également de ses difficultés à
recruter, 35 % franchement et 42 % parfois. En délocalisant, le
cabinet transfert les questions liées à la gestion des ressources
humaines, comme les emplois du temps en période de campagne
fiscale. Enfin, en se séparant des missions basiques de tenue,
l’expert-comptable espère se concentrer sur le conseil, vécu
comme plus gratifiant sur un plan intellectuel, et susceptible d’une
facturation améliorée. 63 % des experts-comptables interrogés
affirment d’ailleurs que leur cabinet a “résolument une vocation à
développer du conseil” et 35 % espèrent développer “si possible”
des missions de conseil. Malheureusement, cette vision ressemble
à un Eldorado. Au quotidien RC&A constate que les missions
traditionnelles forment toujours le fonds de commerce des
cabinets. Et surtout contrairement aux espoirs mis dans le conseil,
la perte de la tenue des comptes entraîne une dégradation des
revenus horaires des cabinets qui passent à moins de 30 euros.
L’expert-comptable est peut-être le premier conseil du chef
d’entreprise, mais il a du mal à négocier les missions sur-mesure,
qui changent de la tenue de compte.
Progressivement et malgré les obstacles et les réticences, les
délocalisations apparaissent comme une solution d’avenir. En
confiant la tenue des comptes de leurs clients à un prestataire
externe, l’expert-comptable ne renonce à aucune de ses missions
tout en pouvant proposer d’autres services à ses clients. Les
technologies sont disponibles. Les prestataires commencent à
afficher des références crédibles. Et même, certaines sociétés
étrangères peuvent produire des certifications ISO. Par ailleurs
souligne RC&A, les experts-comptables ont d’autant plus intérêt
à examiner de près les délocalisations qu’ils peuvent s’attendre
à une concurrence nouvelle venue des banques, des centres
de gestion, de sociétés de comptabilité virtuelles, etc. La
pertinence d’une opération de délocalisation dépend de la
vitesse de montée en puissance et de l’agressivité de cette
concurrence attendue. La Profession ne disposera pas forcément
du temps nécessaire pour s’organiser et restructurer les cabinets.
Reste cependant une question à laquelle l’étude ne répond pas :
comment valider le travail délocalisé. Les risques d’erreurs
sont importants. Et ils sont même démultipliés par la
constance des échanges de données. Comment alors valider
les phases de saisie, comment s’assurer de la bonne tenue
des comptes ? Il est impossible de procéder à une délégation
de mission comme la saisie des informations, la tenue des
comptes ou la réalisation des bulletins de paie sans un contrôle
attentif. Et quel intérêt offre une délocalisation, s’il faut superviser
et réviser le travail fourni ? Avant de délocaliser ou d’externaliser
ses missions, l’expert-comptable devra se poser les bonnes
questions sur les procédures à suivre et sur son organisation.
Focus 3/ Délocalisations des industries en Europe :
la course déflationniste en marche
Délocalisations des industries et des services
en Europe : la course déflationniste en
marche
Source : Extrait du Vademecum du Congrès 2005, page 87
Le rejet de la Constitution européenne, le 29 mai dernier, s’est
en partie décidé sur la peur des délocalisations. Toutes les
études affirmant que le phénomène est limité n’ont suscité que
scepticisme, face à l’exploitation politique des effets immédiats
les plus visibles. Pour ceux qui subissent fermetures d’usines
et licenciements, les analyses des économistes ressemblent à
des arguties de privilégiés déconnectés des réalités sociales.
Car les premières victimes sont d’abord les salariés non-qualifiés,
qui ont l’impression d’être abandonnés. Mais si le sujet a rencontré
autant d’écho, c’est aussi parce que ces délocalisations touchent
maintenant les activités de service, et même des centres de
recherche et développement, auparavant supposés à l’abri de
cette menace.
Brandi comme un épouvantail par les opposants à la
Constitution européenne, le “plombier polonais” aurait pu devenir
un drolatique personnage de café-théâtre, si cette grossière
ficelle de campagne électorale avait entraîné moins de graves
conséquences politiques. Car la caricature s’est révélée efficace
pour amalgamer les craintes et les rancœurs d’un pays doutant
de lui-même face à la concurrence étrangère, que ce soit sous
forme d’immigration de main d’œuvre à bas coût, ou de délocalisations, son parallèle inversé et infernal. Selon la définition
habituellement retenue par les économistes, une délocalisation
est une “fermeture d’une unité de production en France, suivie de
sa réouverture à l’étranger, en vue de réimporter sur le territoire
national les biens produits à moindre coût, et/ou de continuer
à fournir les marchés d’exportation à partir de cette nouvelle
implantation” rappellent Lionel Fontagné et Jean-Hervé Lorenzi,
auteur d’un rapport remis au CAE1.
La victoire du “non” le 29 mai dernier s’est en partie jouée sur
ce sujet. Les délocalisations vers les nouveaux Etats membres de
l’est ont cristallisé les mécontentements nés d’une permanente
ambivalence face à l’Europe, souvent utilisée pour faire passer
au forceps des réformes et une ouverture économiques que
les dirigeants politiques savent nécessaires, mais ont rarement
expliqué avec courage et clarté. Il était de fait facile d’enfoncer
un coin dans cette patiente construction nourrie d’ambiguïtés et
de non-dits, notamment autour de l’élargissement à vingt-cinq.
Laurent Fabius ne s’en est pas privé, dénonçant l’absence de
toute disposition d’harmonisation fiscale et sociale, porte
ouverte aux délocalisations intra-européennes d’après lui.
Hasard cruel du calendrier, la mise en œuvre effective et totale de
l’adhésion de la Chine à l’OMC, avec la fin des quotas textiles, a
précédé le référendum européen de quelques semaines, et a
achevé d’irriter une majorité de citoyens-travailleurs face à des
décisions prises en leur nom, mais dont les conséquences se
révélaient néfastes à leurs yeux.
Car les exemples concrets n’ont pas manqué au cours des
mois ou des semaines précédant le scrutin. En novembre
2004, Elco-Brandt annonçait ainsi des transferts de fabrication
de produits d’entrée de gamme en Pologne, qui se traduiront
par 300 départs en retraite anticipés dans ses usines de
Vendôme [Loir-et-Cher] et Orléans [Loiret]. En février 2005,
Electrolux, un autre fabricant d’électroménager, présentait aussi
1. Désindustrialisation - Délocalisations, Lionel Fontagné, Professeur à l’Université Paris 1, Jean-Hervé Lorenzi, professeur à l’Université Paris-Dauphine, conseil d’analyse
économique [CAE].
22
Regards croisés sur la délocalisation des activités comptables
Focus sur les travaux du Congrès du 60e Congrès
un vaste plan de restructuration, prévoyant fermeture et
délocalisation de six sites en Europe, dont celui de Reims, et la
construction de deux usines en Pologne. En avril, les 167 salariés
de l’usine Ronal, un groupe suisse de sous-traitance automobile
ayant installé en 1976 une usine de jantes à FreymingMerlebach, en Moselle, assistaient à la vente aux enchères des
dernières machines, après transfert de la production en
Pologne.
à la main. Au XIXème siècle, l’industrie textile britannique avait
ruiné des dizaines de millions d’artisans du textile en Inde, en
exportant ses “indiennes” moins chères car copiées à l’échelle
industrielle. Nombre de pays émergents, dont les “petits dragons”
asiatiques ou encore le Brésil, n’ont réussi à construire une
industrie nationale qu’en protégeant derrière des barrières douanières leurs premières entreprises incapables de tenir en qualité
et en prix face aux productions européennes ou américaines.
Mi-mai, le portail Internet Lycos, proposait sans rire et sans doute
pour respecter ses obligations légales, de reclasser en Arménie
34 salariés, pour 300 à 500 euros par mois, contre 2 000 à 3 500
euros mensuels en France pour des développeurs informatiques.
Quelques mois auparavant, pour lutter contre les délocalisations
de centres d’appels, Nicolas Sarkozy voulait contraindre les
télé opérateurs à déclarer d’emblée leur lieu de travail. Passée
la fièvre électorale, et le changement de gouvernement, ce
propos de tribune électorale est passé à la trappe.
Ce “retour de manivelle” sous forme de délocalisations n’est que
le dernier épisode de la longue histoire des relations économiques
internationales. Au hasard des titres des journaux, qui parfois
prennent un relief encore plus dramatique dans la presse de
certaines régions durement touchées par la désindustrialisation,
le phénomène peut toutefois apparaître nouveau par son
ampleur supposée, et irréversible en raison des déséquilibres
dont il se nourrit : “les coûts horaires moyens [coûts 2002 au
taux de change 2003] dans une grande entreprise sont par
exemple de 28 euros en France, 24 aux Etats-Unis, 4 au Mexique
et au Brésil et 1,30 en Chine” [Désindustrialisation - délocalisation,
rapport au CAE]. Tout ce qui est délocalisable devrait quitter un
pays aussi fiscalement et socialement hostile aux vigoureuses
lois du marché…
Rares sont les secteurs à l’abri [santé, grande distribution,
commerce, BTP, ou encore presse, édition…] de ces imparables
calculs de gestionnaire. Les services financiers ou comptables
n’y échappent pas. Dans un rapport publié en juin dernier3, le
cabinet McKinsey indique ainsi “que certaines entreprises ont
mis en place des processus de suivi des débiteurs défaillants
pour de faibles montants, catégories qu’elles avaient jusqu’alors
été contraintes d’ignorer.
Dans le cas d’un transporteur aérien qui a transféré sa comptabilité clients en Inde, ces créances recouvrées représentent
jusqu’à 65 millions d’euros qui s’ajoutent à une économie
annuelle de 40 millions d’euros correspondant à la réduction
du coût de la main d’oeuvre”.
“Pourquoi les entreprises restent-elles en France ?” s’interrogeait
de fait Jean-Louis Levet, auteur d’un rapport pour le Commissariat
Général au Plan [avril 2005], en énumérant plusieurs facteurs
poussant à la délocalisation des chefs d’entreprise peu enthousiastes. De grands donneurs d’ordre formulent à l’encontre des
PMI “la nécessité vitale de délocaliser dans des pays à bas
coûts salariaux, sous peine de n’être plus considérés […] Des
investisseurs institutionnels tiennent un discours justifiant la
délocalisation et s’étonnent auprès de certains des dirigeants
de leur attachement à leur territoire et les encouragent à fermer
leurs usines de production et à recourir à l’externalisation
auprès d’opérateurs asiatiques. La mode est là : pour séduire
les marchés financiers, il faut désormais avoir dans son plan de
financement “ses Indiens et ses Chinois” : la réduction des
coûts comme seule finalité devient un “must” incontournable
du bon gestionnaire moderne et responsable [responsable
devant les marchés financiers, bien entendu]”4.
D’autres annonces ont suivi immédiatement après les élections,
indiquant que les mesures étaient en préparation, mais sans doute
gelées avant le scrutin. Mi-juin, Alcatel déclarait ainsi à l’attention
des analystes financiers que l’essentiel de ses investissements
dans de nouveaux centres de recherche et développement se
feraient en Inde et en Chine, même si le groupe maintenait ses
effectifs en France. Ces derniers exemples expliquent l’ampleur
prise par le débat, car ils concernent le secteur des services et la
R&D, considérés jusqu’à la fin des années 90 comme un gisement
d’emploi à l’abri des restructurations frappant l’industrie depuis
longtemps2. Les délocalisations dans l’informatique étaient aussi
devenues un sujet de campagne électorale lors des dernières
élections présidentielles américaines, en 2004, en raison des
pertes de postes au profit d’entreprises situées en Inde. “Les
travaux de Forrester Research estiment que 40 % des 1 000
entreprises du classement de Fortune ont délocalisé une partie
de leur activité ; que 3,3 millions d’emplois pourraient être
délocalisés dans les 15 prochaines années, entraînant la perte
de 136 milliards de dollars de masse salariale et que le secteur
des technologies de l’information s’apprêterait à délocaliser
500 000 emplois dans les prochaines années” [Désindustrialisation
- délocalisation, rapport au CAE]. Les délocalisations seront
sans doute un sujet brûlant également lors des prochaines
élections en Allemagne, qui pourraient être avancées à 2006. Sur
2 500 PME interrogées par la Fédération allemande de l’industrie,
près de la moitié ont déjà délocalisé une partie de leur activité,
ou envisagent de le faire. En revanche, le thème n’est pas
devenu un enjeu politique lors des élections parlementaires du
printemps dernier en Grande-Bretagne, bien que le pays soit
le plus en pointe dans les délocalisations de services. Les
entreprises britanniques peuvent puiser dans les centaines de
millions d’anglophones des anciennes colonies pour des centres
d’appels, de la saisie comptable, du développement informatique,
etc. Mais ces mouvements n’ont pas suscité de polémique
politique dans le plus vieux pays industriel, farouche partisan
du libre-échange dont l’économie a subi bien avant les autres
toutes les formes de concurrence internationale. La banque
HSBC a ainsi transféré plus de 5 000 postes de back-office, en
Inde ou au Pakistan, générant 250 millions d’euros d’économie
par an.
Les pays occidentaux se trouvent ainsi durement confrontés
au retour d’une concurrence économique qu’ils avaient d’abord
imposée triomphalement au reste du monde, parfois les armes
Le cabinet McKinsey confirme sans s’émouvoir le rôle de
nouveaux ratios inconnus jusque là. “À l'heure actuelle, les SSII
françaises n'emploient qu'une faible fraction de leur main-d'œuvre
dans les pays à bas coûts [2 à 6 % en moyenne]. Toutefois, les
analystes financiers commencent à considérer ce pourcentage
comme une variable essentielle pour déterminer la valeur de
l'entreprise, incitant les entreprises de services informatiques à
renforcer leur stratégie de délocalisation”, indiquent les auteurs.
Ils affirment par ailleurs qu’avec plus de flexibilité et moins de
2. Voir un premier rapport sur le sujet, dès 1993, de Jean Arthuis, Les délocalisations et l’emploi, rapport du Sénat
3. Comment la France peut-elle tirer parti des délocalisations de service, McKinsey Global Institute
4. Tribune dans Les Echos, 14 juin 2005
Focus sur les travaux du Congrès du 60e Congrès
Regards croisés sur la délocalisation des activités comptables
23
“réglementation autour des conditions de travail”, la France
devrait globalement profiter de ce mouvement de délocalisation
dans les services.
En dépit de ces bienfaits si chaleureusement défendus, les
délocalisations resteraient toutefois très limitées, selon plusieurs
études et rapports publiés juste avant le référendum, allant à
l’encontre de l’impression de phénomène de masse que
laissent les annonces répétées dans les médias. Dans une des
estimations les plus récentes et les plus argumentées, l’Insee
calcule ainsi que dans l’industrie, sur la période 1995-2001,
“en moyenne, 13 500 emplois auraient été délocalisés
chaque année, soit 0,35 % de l’emploi industriel”5. Ces
chiffrages ont été contestés par les partisans du non, affirmant
qu’ils relèvent d’une sous-estimation statistique [Henri Emmanuelli,
PS] niant des “réalités catastrophiques”. “Il existe depuis toujours
un décalage persistant entre la manière dont les économistes
évaluent et mesurent les délocalisations et la façon dont les
citoyens se représentent le problème. La quasi-totalité des
économistes ont tendance à dire que le phénomène des
délocalisations, avec les pertes d’emplois qu’il entraîne,
n’est qu’une toute petite partie d’un processus de “destruction créatrice” lui-même à la base du système capitaliste
en économie de marché”, peut-on lire en réponse dans
l’introduction du numéro spécial consacré au sujet par la revue
En temps réel6.
D’autres estimations, à l’étranger, confirment cependant cet effet
relativement modeste. “Sur les quelques 1 500 cas de restructurations recensés en Europe de Janvier 2002 au 15 juillet 2003, les
cas de délocalisation et de sous-traitance internationale ne
représentent que 8 % des restructurations et 7 % des emplois
supprimés”, [Désindustrialisation – délocalisation, rapport au
CAE]. Plus étonnant encore contrairement aux impressions tirées
des titres glanés dans la presse, les délocalisations “seraient
un peu plus nombreuses à destination des pays développés,
notamment des pays limitrophes de la France et des
États-Unis.
Dans ce cas, le phénomène de “délocalisation” s’inscrit surtout
dans un cadre de restructuration des grands groupes multinationaux”, selon l’Insee.
Moins de la moitié des emplois perdus le seraient pour
des pays émergents. “Parmi ces pays, la Chine représente la
principale destination de délocalisation, loin devant l’Afrique du
Nord, l’Europe de l’Est, le reste de l’Asie et le Brésil”. La statistique
confirme ici l’impression générale pour la Chine, mais elle la
nuance sérieusement en ce qui concerne les délocalisations
intra-européenne : elles se font à une large majorité vers des
pays à niveau de salaires et de charges équivalents [Espagne,
Italie, Allemagne], et non vers la République tchèque, la
Pologne, les pays baltes ou la Hongrie, utilisés comme des
repoussoirs de Constitution.
Des études conduites outre-Rhin arrivent au même résultat : “les
pertes d’emplois en Allemagne du fait de ces délocalisations
vers les nouveaux pays membres ont été estimées à 90 000
emplois sur 1990-2001, soit 0,7 % de l’emploi des entreprises
concernées et 0,3 % de l’emploi en Allemagne. Compte tenu
des mouvements permanents sur le marché du travail, ce chiffre
de 90 000 emplois équivaut au nombre d’emplois créés ou
détruits en Allemagne en… une semaine” [Désindustrialisation délocalisation, rapport au CAE].
Pour nuancer encore leur estimation, les auteurs de l’Insee
soulignent qu’il ne s’agit pas d’un bilan, les relocalisations dont
bénéficient la France n’étant pas retenues, car impossibles à
calculer rigoureusement. Elles existent aussi pourtant, mais ne
peuvent se remarquer qu’au hasard de quelques annonces
opportunes. La société d’hôtels des centres d’appels [SHCA]
a rapatrié à Alès [Gard] un bureau ouvert au Maroc, dont la
qualité insuffisante ne compensait pas le coût moindre. Carrier,
multinationale américaine fabricant des appareils de chauffage
et de climatisation, supprimera 1 200 postes à Coblence et
Mayence, dans ses établissements allemands, au profit d’une
usine tchèque et d’une française, installée à Aubagne [Bouche
du Rhône] [Les Echos, 17 et 23 mai 2005].
Mais quel que soit le sens du mouvement, il est difficile à repérer,
car aucune donnée statistique ne porte précisément sur ce
phénomène. “La méthode se fonde sur l’observation
concomitante d’une diminution d’effectifs en France et
d’une augmentation des importations par le groupe du
même type de bien qui était auparavant produit en
France”, expliquent les auteurs de l’étude Insee. Ils retiennent
aussi une définition un peu plus étendue de la délocalisation,
considérant qu’une fermeture ou une réduction d’effectif suivie
d’un accord de sous-traitance pour la fabrication du produit
fabriqué auparavant en France suffit à caractériser le fait, sans
qu’il y ait besoin d’une prise de contrôle effective.
S’il est limité, le phénomène s’amplifie, ce qui était déjà perceptible
à la fin de la période étudiée [1995-2001] par l’Insee. Les délais
de calcul et de recul nécessaires ne permettent pas d’avoir de
données plus récentes, mais “le film s’accélère, les difficultés
sont devant nous”, préviennent Lionel Fontagné et Jean-Hervé
Lorenzi, auteurs du rapport du CAE. L’analyse ne fait pas ressortir
de régions particulièrement frappées par les délocalisations,
mais elle souligne en revanche que certains secteurs [habillement
et textile, équipements du foyer, fabrication de composants et
de matériels électroniques] sont plus exposés que d’autres,
même si tous sont touchés.
Et surtout toutes les analyses reconnaissent que les salariés
les moins qualifiés sont les plus menacés. Les délocalisations
sont un des aspects de la compétition internationale qui se
teinte plus que les autres d’injustice sociale, car elles profitent
finalement au noyau des cadres dirigeants et des actionnaires, aux
dépends des salariés affectés à la production. Dans le cas où
les dirigeants et actionnaires n’auraient pas anticipé les problèmes
en délocalisant, ils sombreraient de toute façon avec leur outil
de production. Mais si, pour anticiper la perte de compétitivité
et la faillite éventuelle, la direction de l’entreprise ferme ses unités
de production en France et les transfère dans un pays à faible
coût de main d’oeuvre, elle en récupérera de la marge à répartir
entre les clients sous forme de baisse de prix [pour les retenir,
ou en gagner de nouveaux], les actionnaires [sous forme de
dividende]… et elle-même [pour bons résultats]. Les inconvénients
d’une délocalisation frappent durement “les catégories les
plus défavorisées et les moins mobiles [les non qualifiés]
alors que les impacts positifs sont plus diffus et concernent
à la fois les catégories les plus favorisées et les plus
mobiles, ainsi que les consommateurs” [En temps réel].
“C’est un cocktail politique explosif, notent Lionel Fontagné et
Jean-Hervé Lorenzi. Le traumatisme et ses conséquences
sociales, mais aussi son coût politique ne doivent pas être
5. Direction des études et synthèses économiques : Délocalisations et réductions d’effectifs dans l’industrie française, Patrick Aubert et Patrick Sillard
6. En temps réel, avril 2005. Faut-il avoir peur des délocalisations, par Lionel Fontagné, professeur d’économie à Paris I, également co-auteur du rapporteur remis au CAE
24
Regards croisés sur la délocalisation des activités comptables
Focus sur les travaux du Congrès du 60e Congrès
mésestimés. Il s’agit probablement, tant au niveau de la
perception que de la réalité, du principal sujet politique
d’aujourd’hui”. Il est ainsi tout à fait logique que l’opposition à
la Constitution européenne, accusée de ne rien faire pour
contenir les transferts vers les nouveaux Etats membres de
l’est, ait été portée surtout par les classes populaires. “Il est
tout d’abord primordial de s’occuper des perdants de la
mondialisation”, ajoute Lionel Fontagné, qui craint une perte
de substance de l’économie nationale, si rien n’est fait pour
sortir de la spirale par le haut, en créant notamment des pôles
de compétitivité.
économies en fonction des avantages comparatifs de chaque pays
sera perçu comme une argutie choquante pour les intéressés,
a fortiori lorsque cette explication est délivrée par des universitaires,
salariés de la fonction publique, et à l’abri de tels risques. Il
s’agit du “décalage préoccupant en démocratie, entre élites
imprégnées de la complexité du monde et citoyens imprégnés
par leur vécu” [En temps réel]. Lionel Fontagné y voit “un grand
malentendu”, en relevant malicieusement la blague que se
répètent les économistes, devenu un slogan peint sur les murs de
STMicroelectronics à Rennes, délocalisée à Singapour : “Pourquoi
les requins n’attaquent-ils pas les économistes ? Par courtoisie
professionnelle”.
Tout à leur analyse précise et pleine de nuances du phénomène,
les économistes se sont attachés à circonscrire les pertes
d’emplois strictement liées aux délocalisations, à différencier
des conséquences de l’approvisionnement à l’étranger des
hypermarchés, de la concurrence d’autres entreprises plus
productives ou novatrices, ou encore des implantations
accompagnant les conquêtes de marché internationaux. Pour
les salariés concernés, l’origine du mal est peu ou prou identique.
Que cela soit analysé comme le processus normal de la
destruction-création d’emploi, et de la spécialisation des
Focus sur les travaux du Congrès du 60e Congrès
Regards croisés sur la délocalisation des activités comptables
25
ANNEXES
Annexe 1/ Bibliographie
• The Offshore Nation : Strategies for Success in Global Outsourcing And Offshoring
From Atul Vashistha, Avinash Vashistha - McGraw-Hill - March 2006
• Manuel Jacquinet : “Les métiers des centres d’appels et de la relation client à distance”
CCL & Woodword-2005
• Philippe Villemus : “Délocalisations. Aurons-nous encore des emplois demain ?”
Ed Seuil. 2005.
• Jérôme Barthélémy : “Stratégies d’externalisation”.
Editions Dunod. Troisième éditions 2007.
• El Mouhoub Mouhoud : “Mondialisation et délocalisation des entreprises”
Edition La Découverte. Collection Repères. 2006.
• Sénateur Jean Arthuis : “Délocalisations : rompre avec les modalités pour suivre le modèle français”. Tome I et tome II.
Les Rapports du Sénat. Juin 2005
• Commission de l’Assemblée Nationale des Affaires Economiques de l’Environnement et du Territoire : “Rapport d’information sur
les délocalisations.” Novembre 2006.
• Françoise Drumetz : “La délocalisation”
Direction des Etudes Economiques et de la Recherche de la Banque de France. Bulletin de décembre 2004.
• Jean-Louis Levet : Commissariat Général du Plan. “Localisation des entreprises et rôle de l’Etat : une contribution au débat.”
La Documentation Française. 2005.
• OCDE : “Les délocalisations et l’emploi. Tendances et impacts.”
Mai 2007.
• Syntec Informatique : “Situation actuelle et développement de l’offshore dans les services informatiques en France.”
Décembre 2006.
26
Regards croisés sur la délocalisation des activités comptables
ANNEXES
Annexe 2/ Questionnaire de l’enquête sur les délocalisations des activités
comptables des cabinets d’expertise comptable en Europe auprès de la
profession - Avril 2007
Une enquête de la Commission Développement des cabinets et des pratiques innovantes pour la préparation des travaux du
62e Congrès de l’Ordre sur le thème de l’Europe.
1.
2.
3.
4.
5.
6.
7.
8.
9.
10.
11.
12.
13.
14.
15.
16.
17.
18.
19.
Avez-vous engagé des réflexions sur la possibilité d’externaliser vos activités comptables ?
Si oui, quand et pourquoi avez-vous entamé la réflexion ?
Des membres de votre réseau ont-ils déjà réalisé des expériences de délocalisation d’activités comptables en Europe ou à
l’extérieur de l’Europe ?
Dans quels pays avez-vous mené des investigations exploratoires lors de votre réflexion ?
Quel est le différentiel de coût attendu dans ce type de démarche par rapport à des coûts nationaux, si tout est traité dans votre
cabinet en France ? [différence en % par rapport à votre structure de coût]
Quels sont les retours d’expérience, positifs ou négatifs, de vos contacts exploratoires ou expériences ?
Est-ce que le retour sur investissement a été fructueux ?
Quelles conséquences pour le cabinet en France, notamment pour l’organisation et les collaborateurs comptables ?
Quels point spécifiques à notre réglementation professionnelle posent problème ou nécessitent un éclairage spécifique face à
cette innovation dans le process comptable ? [assurance, contrôle qualité, inscription à l’Ordre, cotisations, secret professionnel,
conformité à des normes professionnelles, responsabilité du cabinet, contrats, etc.]
Vos clients ont-ils été prévenus de l’externalisation ?
Comment ont été gérés les gains éventuels de productivité ?
Dans une logique de management de la qualité de la tenue comptable, quels sont les points forts et les points faibles d’une
externalisation des activités de traitement ?
Est-ce que cela s’applique à des types de marché spécifiques en termes de taille d’entreprise ou de secteur d’activité ?
Est-ce que la délocalisation implique des montages juridiques spécifiques pour votre cabinet ?
De votre point de vue, les pays les plus favorables pour externaliser des activités de tenue comptable ? En Europe et en plutôt
dehors de l’Europe ?
Votre vision de l’évolution des collaborateurs comptables du cabinet en cas de délocalisation de tout ou partie de la tenue comptable ?
Avez-vous envisagé également des formules alternatives à la délocalisation pour abaisser les coûts de production des activités
comptables : télétravail, utilisations poussées de la dématérialisation, délocalisation des activités dans des zones à bas salaire
en France, etc. ? Merci de nous donner une description brève de vos initiatives…
La délocalisation est-elle un procédé viable pour les cabinets d’expertise comptable afin de performer les activités de tenue dans
les 5 ans à venir ? Vraie bonne idée ou fausse bonne idée ou bonne idée pour certains cas très spécifiques ?
Ce qui vous parait le plus important dans une opération d’externalisation en vue de sa réussite ? Sélectionner 5 points et attribuez
leur un ordre d’importance [le 1 étant le point le plus important].
❏ Professionnalisme, productivité, organisation du management ou comportement du personnel local ?
❏ Niveau d’éducation du pays d’accueil ?
❏ Maîtrise de technologies avancées pour le cabinet qui va externaliser ?
❏ Référentiel comptable local et notamment proximité par rapport au système comptable français ?
❏ Compétences comptables du personnel local [tenue, révision] ?
❏ Sécurité politique + climat social du pays d’accueil ?
❏ Eloignement géographique [par rapport à la France] ?
❏ Maîtrise de la langue française du personnel local ?
❏ Coût de la main d’œuvre locale ?
❏ Facilité d’accès par les transports du pays d’accueil ?
❏ Infrastructures technologiques du pays d’accueil ?
❏ Capacité du cabinet qui externalise à piloter la qualité des prestations rendues ?
❏ Volume d’écritures à traiter ?
❏ Autres [citer]
ANNEXES
Regards croisés sur la délocalisation des activités comptables
27
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