formationcontinue - Aerzteverlag medinfo AG

publicité
Dermatologie
FORMATION CONTINUE
Une prise en charge complexe pour les cliniciens
L’escarre
Les escarres sont des lésions, souvent iatrogènes, encore fréquemment rapportées dans les pays développés. En 2007, une
enquête pilote européenne a démontré une prévalence d’escarres de 18.1% (1). En Suisse, l’enquête nationale en soins
somatiques aigus de 2012 de l’Association nationale pour le
développement de la qualité dans les hôpitaux et les cliniques
(ANQ) a montré une prévalence de 6.9% (2). Une étude comparative sur les escarres dans les établissements de soins pour
personnes âgées a établi une incidence de 14.3% en Allemagne
et 33.3% aux Pays-Bas. Les auteurs ont identifiés 6 facteurs influençant l’incidence: la démence, l’utilisation d’analgésiques,
l’utilisation des aides de transfert, le repositionnement des résidents, la disponibilité d’une infirmière spécialisée en soins de
plaies dans l’unité et des contrôles réguliers de la qualité dans
l’établissement (3). Enfin, aux Etats-Unis, une étude aux soins
à domicile a montré une incidence de 1.3%. L’incontinence fécale, l’assistance pour les soins d’hygiène, la dépendance pour
s’habiller, l’incapacité à effectuer des transferts lit-fauteuil et la
présence d’une escarre sont des facteurs prédominants au développement d’une nouvelle escarre (4).
L
’escarre est une lésion ischémique localisée au niveau de la peau
et/ou des tissus sous-jacents, située en général sur une saillie osseuse. Elle est le résultat d’un phénomène de pression, ou de pression associée à du cisaillement. Un certain nombre de facteurs favorisants ou imbriqués dans la survenue d’escarre y sont associés:
leur implication doit être encore élucidée (5). En Europe, la classification des escarres comporte 4 niveaux de gravité. Les termes
« inclassable » et « lésion de tissu profond suspectée », utilisés plutôt
par les américains, sont apparentés à la catégorie 4. L’Association
Suisse pour le soin des plaies section romande, dans leur guide
de consensus (6), encourage la documentation de ces 2 catégories
puisque qu’elles proposent une meilleure description clinique des
lésions. Enfin, le terme « catégorie » a été suggéré comme terme
la gazette médicale _ info@gériatrie _ 04 _ 2014
Lucie Charbonneau, Inf.
Lausanne
neutre pour remplacer «stade» ou «degré». Ce terme a l’avantage
d’être une désignation non-hiérarchique et libère ainsi les professionnels de la notion erronée de progression d’une catégorie 1 à 4
et d’une guérison de 4 à 1.
Système de classification internationale NPUAP-EPUAP
de l’escarre (5)
Catégorie I: Érythème persistant ou qui ne blanchit pas sur une
peau saine
Peau intacte avec un érythème qui ne blanchit pas à la pression,
généralement situé au niveau d’une proéminence osseuse. La décoloration cutanée, la chaleur, l’œdème, l’amplitude de la douleur
peuvent également être présents. Pour les peaux à pigmentation
foncée, le blanchiment pourrait ne pas être visible.
Catégorie II: Atteinte partielle de la peau ou phlyctène
Perte tissulaire partielle du derme qui se présente sous la forme
d’une ulcération ouverte peu profonde avec un lit de plaie rouge/
rosé, sans fibrine. Elle peut également se présenter comme une
phlyctène fermée ou ouverte, remplie d’un liquide séreux clair ou
sérosanguinolent.
Catégorie III: Perte complète de tissu cutané (tissu graisseux
visible)
Perte complète de tissu cutané. Le tissu adipeux de l’hypoderme
peut être visible, mais l’os, les tendons ou les muscles ne sont pas
exposés. Il peut y avoir la présence de fibrine. Elle peut inclure du
sous-minage ou des tunnélisations.
Catégorie IV: Perte tissulaire complète (muscle/os visible)
Perte tissulaire complète avec exposition osseuse, tendineuse ou
musculaire. De la fibrine ou de la nécrose peuvent être présentes.
Souvent, elle présente des sous-minages et tunnélisations.
Inclassable: Perte tissulaire ou cutanée complète dont la profondeur est inconnue
5
FORMATION CONTINUE
Perte tissulaire complète dans laquelle la profondeur de l’escarre
est complètement masquée par de la fibrine (jaune, beige, gris, vert
ou brun) et/ou par de la nécrose (beige, brun ou noire) présentes
dans le lit de la plaie. Une nécrose talonnière stable (sèche, adhérente, intacte sans érythème ou avec décollement tissulaire) a pour
fonction d’être une couverture naturelle (biologique) du corps et
ne doit pas être retirée.
Lésion de tissus profond suspectée
Zone délimitée de couleur pourpre ou brun-rouge avec une peau
décolorée intacte ou une phlyctène à contenu hématique, résultant d’une lésion des tissus mous sous-jacents dû à une pression et/
ou du cisaillement. L’évolution pourrait inclure la présence d’une
phlyctène fine sur un lit de plaie foncé. L’évolution de l’escarre peut
être rapide et atteindre d’autres couches tissulaires malgré le traitement proposé.
Traitement
Diminuer la pression
Avant de traiter la plaie, il est nécessaire de traiter la cause. Comme
la définition le précise, la pression est considérée depuis plusieurs
années comme le facteur extrinsèque le plus important dans la
formation de l’escarre. Il est donc nécessaire de diminuer celle-ci
pour les patients à risque de développer une escarre ou chez tous
les patients porteurs d’escarres.
Divers supports préventifs et thérapeutiques se trouvent
actuellement sur le marché. Des matelas en mousse viscoélastique
sont des supports très utiles dans la prise en charge des patients.
Ils diminuent la pression en redistribuant le poids sur une plus
TAB. 1
grande surface. Lors d’escarres de catégorie 3 ou 4 chez un patient
à mobilité réduite, il est probablement nécessaire d’avoir recours
à un support dynamique, et ainsi diminuer au minimum la pression sur les points d’appui, mesure indispensable pour permettre
la cicatrisation de la plaie. En situation d’escarre sacrée ou aux
ischions, il est nécessaire d’avoir recours à un coussin thérapeutique lorsque le patient est installé au fauteuil.
Pour favoriser la redistribution de la pression, il est nécessaire
d’encourager tout mouvement autonome du patient. Dans l’impossibilité, le repositionnement du patient doit être assuré par
une personne soignante ou quelqu’un de l’entourage du patient,
tant au lit qu’au fauteuil. Il est important de souligner que l’usage
d’un support diminuant la pression, tel qu’il soit, n’élimine pas le
besoin du repositionnement. Ces supports permettent seulement
d’espacer les intervalles de repositionnement.
Gestion de l’humidité
La gestion de l’humidité en cas d’incontinence urinaire est importante chez les patients à risque d’escarre car celle-ci altère la barrière
cutanée chez une population dont la peau est déjà fragilisée. Lorsque
l’incontinence urinaire ne peut être prise en charge, il est nécessaire de protéger la peau humide contre davantage de dommages. De
nombreux protecteurs cutanés et diverses protections absorbantes
ont montré leur efficacité dans la prise en charge de l’incontinence.
Nutrition
Un facteur de risque contributif au risque d’escarre est la malnutrition. Il est nécessaire d’identifier et d’évaluer celle-ci précocement. Il existe différents outils d’évaluation du risque nutritionnel
comme le Nutritional Risk Screening (NRS) (7) et le Mini Nutri-
Acronyme POSSIBLE (6)
Paramètres d’analyse
Observation clinique
Physiopathologie
Comprendre et traiter la cause avant de traiter la plaie:
• De quelle origine est la plaie ? Quel type de plaie?
• Quel est l’objectif visé (réaliste et concerté)?
• Investigations, examens faits ou à faire
• Localisation anatomique de la plaie?
• Evolution et changement d’aspect?
• Morphologie
• Tolérance du pansement et/ou traitement
• Compliance du patient au/x traitement/s préventif/s,
curatif/s et/ou palliatif/s mis en œuvre
• Représentation du patient face à sa plaie, sa maladie
• Niveau de douleur
Observation
Satisfaction
Superficie
• La taille de la plaie en longueur x largeur x profondeur
• Présence ou absence de sous-minage, de cavités
Infection
• Présence de signes inflammatoires et/ou infectieux
Berges
• La qualité de l’état cutané au pourtour de la plaie
Lit de la plaie
• L’apparence du lit de la plaie
Critères d’évaluation
• Diagnostic défini
• Résultats significatifs en lien avec la plaie
• Site de la plaie, visibilité sur schéma
• Amélioration ou péjoration de l’évolution de la plaie
• Atone, tumorale, saignement ?
• Amélioration ou aggravation du confort du patient
• Adhésion ou non du patient au traitement
• Compréhension du patient
• Amélioration ou aggravation de la douleur relative à la plaie,
à la réfection du pansement
• Réduction ou augmentation de la taille de la plaie
• Mesure du sous-minage : augmentation ou réduction
• Rougeur, chaleur, œdème, douleur, odeurs, qualité et quantité
(plus qu’attendu ou d’habitude) d’exsudats, résultats de frottis
ou biopsie
Infection
• plaie atone, état fébrile
• Qualité du pourtour: calme, inflammatoire, irrité, macéré, eczémateux, phlyctène, œdème, prurigineux, sec, hyperkératosique
• L’échelle colorielle:
Nécrose
• Pourcentage des différents tissus
Exsudat
•Présence et type de sécrétion (quantité/aspect/origine)
• Saturation du pansement
Fibrine
Bourgeonnement Epithélislisation
• % moindre ou accru de nécrose, fibrine, bourgeonnement,
épithélialisation
• Quantité et qualité de l’exsudat: absent, faible, moyen,
important/séreux, sanguinolent, séro-sanguinolant, purulent,
verdâtre/lymphatique, infection
_ 2014 _ la gazette médicale _ info@gériatrie
604 FORMATION CONTINUE
TAB. 2
Classification des escarres et propositions de prise en charge
Classification
But
Actions
Catégorie 1
• Soulager les points de pression
• Garder la zone atteinte au sec
• Préserver l’intégrité de la peau
 Décharge totale de la zone atteinte
Sur les autres localisations à risque, renforcer la
prévention: support adapté, repositionnement, soins de
peau
 Film polyuréthane (Tegaderm®, opsite®)
Catégorie 2
Phlyctène
• Soulager les points de pression
• Maintenir l’intégrité de l’épiderme (toit
de la phlyctène) par un environnement
protégé et favorable à la cicatrisation
• Décharge totale de la zone atteinte
• Sur les autres localisations à risque, renforcer la
prévention: support adapté, repositionnement, soins de
peau
 Film polyuréthane (Tegaderm®, opsite®).
Percer la phlyctène si sous tension en gardant le toit de
la phlyctène.
Catégorie 2
Dermabrasion
• Soulager les points de pression
• Prévenir la surinfection
• Favoriser l’épidermisation
• D
écharge totale de la zone atteinte
• Sur les autres localisations à risque, renforcer la prévention: support adapté, repositionnement, soins de
peau
 Hydrocellulaire (Mepilex®, Biatain®, Tielle®, Allevyn®)
Catégorie 3
• Soulager les points de pression
• Définir une prise en charge multi­
disciplinaire en fonction de l’état
générale de la personne
• Débridement des tissus dévitalisés
• Favoriser la granulation en milieu humide
• Prévenir la surinfection
 Décharge totale de la zone atteinte
 Sur les autres localisations à risque, renforcer la prévention: support adapté, repositionnement, soins de
peau
 Pansement en lien avec la phase de cicatrisation
Inclassable
• Soulager les points de pression
• Définir une prise en charge multi­
disciplinaire en fonction de l’état
générale de la personne
• Débridement des tissus dévitalisés afin
d’établir la catégorie d’escarre
Lésion de tissus
profonds
suspectée
• Soulager les points de pression
• Garder la zone atteinte au sec
• Préserver l’intégrité de la peau
• Attendre une délimitation de la plaie
avant toute tentative de débridement
 Décharge totale de la zone atteinte
 Sur les autres localisations à risque, renforcer la prévention: support adapté, repositionnement, soins de
peau
 Si pas de débridement: Bétadine® tulle pour sécher la
nécrose
 Pansement en lien avec la phase de cicatrisation si
plaie débridée
 Décharge totale de la zone atteinte
 Sur les autres localisations à risque, renforcer la prévention: support adapté, repositionnement, soins de
peau
 si peau non lésée: laisser à l’air et surveillance +++
 Si phlyctène hémorragique: Film polyuréthane (Tega
derm®, opsite®).
Percer la phlyctène si sous tension en gardant le toit de la
phlyctène.
Si signes infectieux ou inflammatoires (liquide trouble),
enlever le toit de la phlyctène
et Catégorie 4
la gazette médicale _ info@gériatrie _ 04 _ 2014
7
FORMATION CONTINUE
tional Assessment (MNA) (8). Ce dernier est spécialement utile
pour identifier le risque nutritionnel chez la personne âgée.
Traitement de l’escarre
Il convient, lors de la prise en charge d’une escarre, de réévaluer
l’ensemble des interventions, soit la mobilisation et l’utilisation
de supports diminuant la pression, la nutrition et la gestion de
l’humidité. L’évaluation de l’environnement du patient et de son
entourage est certainement utile. Il faut connaitre le potentiel de
cicatrisation. En outre, un objectif commun entre les différents
partenaires et le patient doit être clairement fixé.
Concernant la plaie, une évaluation et un suivi régulier est
nécessaire. Un acronyme P.O.S.S.I.B.L.E. a été conçu pour aider
l’évaluation de l’ensemble des éléments nécessaires à un suivi adéquat des plaies (6) (cf. Tab.1). Le nettoyage de la plaie et de la peau
périlésionnelle avec du sérum physiologique ou de l’eau est nécessaire à chaque réfection de pansement. Les solutions antiseptiques
devraient être utilisées uniquement en présence d’une infection
locale confirmée ou suspectée ou encore lors d’une suspicion d’une
forte colonisation bactérienne. Le débridement des tissus dévitalisés dans le lit de la plaie ou sur les berges de cette dernière permet
une objectivisation de la profondeur de la plaie et favorise la cicatrisation. Cependant, il doit être fait en regard de l’état du patient
et de la pertinence avec les objectifs de soins.
Enfin, au centre des soins de l’escarre, les pansements. Ces derniers sont choisis en fonction de la classification de l’escarre et du lit
de la plaie. La gestion et le maintien du milieu humide sont essentiels pour la cicatrisation d’une plaie. Le suivi de la plaie et l’adapta-
Références:
1. Vanderwee K et al. J Eval Clin Pract 2007;13(2):227‑235
2. Association nationale pour le développement de qualité dans les hôpitaux et
les cliniques. (2013). ANQ. Accès http://www.anq.ch/fr/anq/
3. Meesterberends E et al. J Am Med Dir Assoc 2013;14(8):605‑610
4. Bergquist-Beringer S, Gajewski BJ. Adv Skin Wound Care 2011;24(9):404‑414
5. European Pressure Ulcer Advisory Panel and National Pressure Ulcer Advisory
Panel (2009). Prevention and treatment of pressure ulcer: quick reference guide.
Accès http://www.epuap.org/guidelines/
6. Association Suisse pour les soins de plaies (2010). Les soins de plaie: comprendre, prévenir et soigner. Médecine et Hygiène.
7. Kondrup, J et al. Clinl Nutr 2003;22(3):321‑336
8. Nestlé Nutrition Institute. MNA® Elderly - Overview (2014). Accès http://www.
mna-elderly.com/
tion du pansement en fonction de l’amélioration ou la péjoration de
l’escarre sont un défi pour le clinicien. La classification de l’escarre
et des propositions de traitement non-exhaustif pour chaque catégorie d’escarre peut aider à la prise en charge de l’escarre (cf. tab. 2).
Lucie Charbonneau
Infirmière, Expertise en plaies et cicatrisation, CHUV
Rue du Bugnon 21, 1011 Lausanne
[email protected]
B Conflit d’intérêts : L’auteur n’a déclaré aucun conflit d’intérêts
en relation avec cet article.
B Références :
sur notre site internet : www.medinfo-verlag.ch
Message à retenir
◆ La prise en charge de l’escarre ne se limite pas aux soins de la plaie.
Elle comporte une prise en charge complexe qui consiste en l’application de mesures préventives telles que la mobilisation et le repositionnement, le recours à des supports diminuant la pression au lit et
au fauteuil, l’optimisation de la nutrition, la gestion de l’humidité et de
la douleur
◆ Fixer avec le patient et/ou son entourage des objectifs réalistes, communs et connus de tous les professionnels impliqués dans la prise en
charge
◆ Le traitement local de l’escarre doit être adapté en fonction du lit de
la plaie et nécessite un suivi et une évaluation rigoureuse
Téléchargement