Hépatite B et grossesse ● J.C. Soulié* Mots-clés : Antigène HBs - Allaitement maternel Infection - Hépatite B - Transmission - Nouveau-né. L’ infection par le virus de l’hépatite B (VHB) est un état fréquent au cours de la grossesse. Son dépistage permet de prévenir sa transmission au nouveau-né dans 95 % des cas environ, à la condition expresse que le traitement préventif (injection d’immunoglobuline spécifique, suivie d’une première injection vaccinale) soit entrepris dans les 12 premières heures de la vie. L’efficacité de cette prévention sérovaccinale chez le nouveau-né a été prouvée dès 1983 à Taïwan (1). En France, cette méthode a été mise en œuvre dès 1984, confirmant son efficacité (2) ; elle est recommandée depuis 1991 et a justifié, en 1992, le dépistage de l’antigène de surface du virus (AgHBs) au cours de la grossesse, au titre des examens prénataux obligatoires. La présence de l’AgHBs est en effet la signature nécessaire et suffisante au diagnostic d’infection par le VHB. Pendant la grossesse, la seule présence de ce marqueur infectieux suffit à décider d’entreprendre la sérovaccination du nouveau-né. CONSÉQUENCES DE L’INFECTION NÉONATALE À VHB L’infection du nouveau-né est rarement symptomatique, évoluant alors le plus souvent vers la guérison. Plus exceptionnellement encore que chez l’adulte, la maladie revêt une forme grave ou fulminante (5). En l’absence de prévention efficace, la conséquence la plus fréquente de l’infection du nouveau-né est la transmission de l’état de porteur chronique de l’AgHBs. Elle est quasi constante lorsque le sang maternel est très infectieux (AgHBe/PCR positifs), tandis qu’elle n’a lieu que chez 10 % des enfants infectés en l’absence de ces marqueurs de forte infectiosité (figure 1). 800 000 naissances par an Prévalence chez les femmes enceintes : 1 % de mères AgHBe + (10-15 %) 800-1 200 NN de mères AgHBs + 8 000 de mères AgHBe – 7 000 # 90 % Risque d’infection 20 % 900 Nouveau-nés infectés # 1 400 FRÉQUENCE DE LA TRANSMISSION VERTICALE DE L’INFECTION À VHB L’enquête conduite en 1992-1993 par Denis et al. (3) auprès des maternités de douze CHU en métropole a montré de grandes disparités de prévalence du portage de l’AgHBs, de 0,13 % à Limoges à 3 % à Montpellier. Ces différences rendent compte de la composition ethnique des populations examinées, reflétant les prévalences dans les pays d’origine, généralement comprises entre 10 et 20 % en Afrique subsaharienne et en Asie. En France métropolitaine, chez les patientes accouchées, elle a été estimée globalement à 1 % (4). Le risque de transmission de l’infection à VHB au nouveau-né dépend de la contagiosité de la mère au moment de l’accouchement. La présence associée dans le sérum de l’AgHBe ou de séquences génomiques de l’ADN du virus détectées par polymerase chain reaction (PCR), indique une réplication virale significative, une infectiosité élevée du sang maternel et, par conséquent, un risque important d’infection du nouveauné. Ce risque est de 20 % environ lorsque la recherche de l’AgHBe est négative, mais il atteint 90 % en cas de positivité. * Centre d’hémobiologie périnatale, 53, bd Diderot, 75570 Paris Cedex 12. La Lettre du Gynécologue - n° 264 - septembre 2001 # 95 % Risque de transmission de l’état de porteur chronique de l’AgHBs < 10 % à 1 000 nouveau-nés environ Figure 1. Évaluation numérique de la transmission de l’état de porteur chronique de l’AgHBs de la mère au nouveau-né en France. L’histoire naturelle de cette transmission qui, sur le plan épidémiologique, renouvellerait pour moitié environ le “réservoir de virus” (porteurs chroniques) dans les régions de forte endémie, a rarement été précisée de manière prospective sur le plan clinique. Chez 40 enfants, Tong (6) a observé que 95 % des nourrissons infectés par leurs mères (en majorité AgHBe positif) à la naissance ne manifestaient jamais d’ictère et devenaient porteurs chroniques. Au cours des trois premières années, tous présentaient une hypertransaminasémie. Lorsqu’il était pratiqué, l’examen histologique du foie révélait constamment une hépatite chronique persistante. Entre 5 et 13 ans, la cytolyse persistait 21 D O S S I E R complémentaires et à en surveiller l’évolution (11). Environ 500 cas de primo-infection par le VHB seraient diagnostiqués chaque année au cours de la deuxième moitié de la grossesse, représentant moins de 5 % des cas de positivité de l’AgHBs au dépistage, et un risque majeur de transmission périnatale. La présence ou l’apparition d’anticorps anti-HBc de la classe IgM permet le diagnostic, alors que le taux de transaminase ALT est augmenté ou s’élève rapidement. Les symptômes d’hépatite aiguë, très peu spécifiques chez la femme enceinte (nausées, vomissements, douleur abdominale), tandis que l’ictère est le plus souvent absent, ne sont pas aisément rapportés à leur cause sans l’aide du diagnostic sérologique. L’évolution clinique n’est pas modifiée par la grossesse mais le risque d’accouchement prématuré serait augmenté. La guérison a lieu dans 90 % des cas ; elle est affirmée par la disparition de l’AgHBs (en moyenne après 3 mois), puis l’apparition d’anticorps anti-HBs protecteurs. Le passage à la chronicité se produit dans 10 % des cas à l’âge adulte. Une hépatite fulminante fatale complique 1 % des cas d’hépatite B. La situation la plus fréquente est donc celle d’une infection chronique par le VHB. L’AgHBs est présent (sa persistance plus de 6 mois après la primo-infection définit l’état de porteur chronique), les anticorps anti-HBc de la classe IgM sont absents. Chez la femme enceinte, il s’agit dans 98 % des cas de l’état de porteur chronique asymptomatique de l’AgHBs ; le taux des transaminases est normal. chez 4 enfants sur 17, et 11 avaient des signes cliniques d’atteinte hépatique (angiomes stellaires, hépato-splénomégalie). En Italie, Zancan et al. (7), chez 36 enfants infectés précocement et présentant au début de l’étude une hépatite chronique avec signes biologiques de réplication virale (AgHBe positif), ont constaté après 10 à 16 années de suivi la pérennisation asymptomatique de l’état de porteur de l’AgHBs, avec une élévation modérée du taux de transaminases, et la constitution d’une fibrose hépatique dans 50 % des cas, ou d’une cirrhose dans 22 % des cas. Environ 5 % des cas de cirrhose post-hépatitique évoluent chaque année vers le carcinome hépatocellulaire, complication majeure de l’infection chronique par le VHB. C’est un chercheur français, Bernard Larouzé, qui a le premier signalé la filiation entre cette tumeur, fréquente en Afrique subsaharienne, et la transmission verticale de l’infection (8). Ce risque évolutif est indépendant de l’origine géographique du porteur chronique ; il est une des premières causes de mortalité en Asie. Sa prévention vaccinale est un exemple unique en pathologie cancéreuse : à la suite de la vaccination systématique des nouveau-nés, l’incidence de cette tumeur chez l’enfant a été divisée par quatre à Taïwan entre 1984 et 1990 (9). DÉPISTAGE DE L’AgHBs PENDANT LA GROSSESSE La recherche de l’AgHBs est habituellement exécutée à l’occasion du 4e examen prénatal (6e mois de la grossesse). La sérovaccination du nouveau-né, dont la bonne préparation (voir plus loin) et la précocité sont les facteurs essentiels d’efficacité de la prévention, pourra alors être entreprise dans les meilleures conditions. Un dépistage positif plus tardif pourrait exposer, en cas d’accouchement prématuré, à une application retardée de la prévention néonatale. Cependant, la connaissance de facteurs de risque particuliers (toxicomanie, partenaire à risque) peut conduire soit à modifier cette chronologie habituelle, en ne prescrivant l’examen de dépistage qu’au 8e mois (10), soit à répéter le dépistage en fin de grossesse en cas de négativité initiale au 6e mois. Conséquences préventives : chez le nouveau-né et au foyer Sans délai, il revient au médecin de famille de faire préciser le statut sérologique des sujets contacts au foyer (tableau I) afin de limiter, par la sérovaccination des sujets AgHBs négatif non immuns, les risques d’infection “horizontale”. La vaccination du nouveau-né exposé doit être entreprise à la maternité. L’injection initiale unique de 1 ml d’immunoglobuline spécifique anti-HBs (2 ml en cas d’hépatite aiguë de la mère) est impérative avant 12 heures de vie, idéalement au moment des premiers soins à la naissance, un bain ou une toilette antiseptique soigneuse de la peau contaminée par le sang maternel devant précéder tout geste invasif non urgent. La précocité de la prévention conditionne de manière essentielle son efficacité, et justifie une organisation sans faille du dépistage au cours de la grossesse, de la fourniture pharmaceutique, ainsi que l’information soigneuse des parents et des différents acteurs de la vac- CONSÉQUENCES PRATIQUES D’UN DÉPISTAGE POSITIF DE L’AgHBs Conséquences diagnostiques : chez la femme enceinte (tableau I) La positivité du dépistage doit conduire à préciser le statut infectieux de la patiente par des examens sérologiques Tableau I. Hépatite B : statuts infectieux, profils et évolutions sérologiques. Statut infectieux Sujet “vierge” Sujet vacciné Infection récente* Période d’état Fenêtre sérologique** Sujet guéri Infection chronique AgHBs AgHBe Anti-HBc totaux Anti-HBc IgM Anti-HBs Infectiosité + + + + +/- + + + + + + - + + - + + + * 3 à 6 semaines après l’inoculation, présence isolée de l’AgHBs précédant la réponse immune. ** 6 à 8 mois après l’inoculation, disparition de l’AgHBs, persistance d’anti-HBc IgM. 22 La Lettre du Gynécologue - n° 264 - septembre 2001 cination (qui devra être complétée chez le nourrisson par une 2e et une 3e injection ainsi qu’un rappel à 1 mois, 2 mois et 1 an, respectivement) (12). Dans ces conditions, et dans le cas habituel de portage chronique maternel asymptomatique de l’AgHBs, l’allaitement au sein n’est pas contre-indiqué (13). Une immunité durable est obtenue chez 95 % des nouveau-nés vaccinés, un examen sérologique (recherche de l’AgHBs et dosage des anticorps anti-HBs) étant recommandé vers l’âge de 15 mois. CAS PARTICULIERS La non-connaissance du statut infectieux de la mère à l’accouchement (absence de dépistage préalable), doit conduire à prescrire en urgence la recherche de l’AgHBs. En présence d’un facteur de risque (patiente originaire d’une région de forte endémie, antécédent de toxicomanie), ou lorsque le résultat du dépistage ne peut être obtenu avant le délai de 24 heures, il semble prudent d’injecter au nouveau-né 1 ml d’immunoglobuline antiHBs, et dans le premier cas, d’entreprendre la vaccination. Deux études (14, 15), aux Pays-Bas (16 patientes AgHBs positif, dont 2 avec AgHBe positif), et à Taïwan (67 patientes AgHBs positif, dont 19 avec AgHBe positif), ont montré l’absence d’aggravation du risque de transmission de l’infection in utero par la pratique de l’amniocentèse au 2e trimestre. Une ponction “sanglante” doit cependant être particulièrement évitée. En cas de projet de procréation médicalement assistée, la positivité de la recherche de l’AgHBs doit faire rechercher une éventuelle atteinte hépatique (aiguë ou chronique), qui pourrait constituer une contre-indication temporaire, voire définitive. Les candidats au don de gamètes porteurs de l’AgHBs sont exclus a priori, bien qu’aucun cas de transmission “paternofœtale” n’ait été décrit ; les risques de contamination accidentelle (milieu de culture, instruments) sont connus et en principe prévenus. ■ La Lettre du Gynécologue - n° 264 - septembre 2001 R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S 1. Beasley RP, Hwang LY, Lee GCY et al. Prevention of perinatally transmitted hepatitis B virus infections with hepatitis B immune globulin and hepatitis B vaccine. Lancet 1983 ; ii : 1099-102. 2. Soulié JC, Goudeau A, Parnet F et al. Sérovaccination des nouveau-nés de mères porteuses chroniques de l’antigène HBs. Étude multicentrique comparative de l’immunogénicité et de l’efficacité de doses normales et de doses réduites du vaccin Hevac B. Rech Gynecol 1990 ; 2 : 25-30. 3. Denis F, Tabaste JR, Ranger-Rogez S. Prévalence de l’AgHBs chez 21 476 femmes enceintes. Enquête de douze CHU français. Bull Epidemiol Hebd 1994 : 53-4. 4. Goudeau A and the European Regional Study Group. Epidemiology and eradication strategy for hepatitis B in Europe. Vaccine 1990 ; 8 : S113-6. 5. Dupuy J, Frommel D, Alagille D. Severe hepatitis in infancy. Lancet 1977 : 191-4. 6. Tong M. Perinatal transmission of hepatitis B and its sequelae. In : N EG, editor. Asian symposium on strategies for large scale hepatitis B immunisation. 1986, p. 13-20. 7. Zancan L, Chiaramonte M, Ferrarese N et al. Pediatric HBsAg chronic liver disease and adult asymptomatic carrier status : two stages of the same entity. J Pediatr Gastroenterol Nutr 1990 ; 11 : 380-4. 8. Larouzé B, London W, Saimot G. 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