Synthèse J Pharm Clin 2013 ; 32 (3) : 154-60 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. Tolérance du 5-fluorouracile chez des patients atteints d’un déficit en dihydropyrimidine déshydrogénase 5-fluorouracil safety in patients with dihydropyrimidine dehydrogenase deficiency Marie Touleimat 1 , Joachim Lelièvre 1 , Jean-Philippe Metges 2 , Nathalie Mugnier 1 1 Service pharmacie, Centre hospitalier régional universitaire de Brest, France <[email protected]> 2 Institut de cancérologie et hématologie, Centre hospitalier régional universitaire de Brest, France Résumé. Le 5-fluorouracile (5-FU) est une molécule très largement utilisée pour le traitement des cancers digestifs. Son métabolisme dépend essentiellement de la dihydropyrimidine déshydrogénase (DPD). Les patients présentant un déficit en cette enzyme sont à haut risque de présenter des effets indésirables graves lors d’un traitement par 5-FU. Notre objectif était d’évaluer la tolérance du 5-FU chez des patients présentant un déficit en DPD et pour lesquels une adaptation de dose avait été réalisée suivant une approche pharmacocinétique. Matériel et méthode : une analyse rétrospective des dossiers de patients présentant un déficit en DPD a été réalisée. Le déficit en DPD a été diagnostiqué par le laboratoire d’oncopharmacogénétique suivant une analyse multiparamétrique. Des ajustements de dose de 5-FU ont été suggérés par ce laboratoire en calculant la clairance plasmatique après la première administration de 5-FU. La dose proposée par le laboratoire et la dose de 5-FU réellement prescrite ont été comparées pour chaque patient et chaque cycle de chimiothérapie. Les données cliniques et biologiques de tolérance du traitement ont été recueillies. Résultats : les dossiers de 11 patients ont été analysés. Les patients ont été traités principalement pour des cancers colorectaux en situation adjuvante ou métastatique. Les doses de 5-FU en bolus et en perfusion continue suivaient les préconisations du laboratoire dans, respectivement, 84 % et 53 % des cas. Deux patients ont présenté une toxicité hématologique de grade 3 et de grade 4 ayant motivé l’arrêt définitif du traitement par 5-FU. Pour ces deux patients, le déficit d’activité de la DPD n’avait pas été recherché avant de débuter le traitement. Conclusion : cette étude a montré que le 5-FU était bien toléré chez les patients avec un déficit en DPD pour lesquels une adaptation de dose a été réalisée. Une approche pharmacocinétique est utile pour prévenir les effets indésirables du 5-FU chez des patients présentant un déficit en DPD. Mots clés : 5-fluorouracile, capécitabine, dihydropyrimidine déshydrogénase, chimiothérapie, toxicité Abstract. 5-fluorouracil (5-FU) is the cornerstone of the treatment of digestive cancers. Its catabolism and deactivation mostly depend on dihydropyrimidine dehydrogenase (DPD). Patients with DPD deficiency are at high risk of 5-FU early related side effects. Our objective was to assess the safety of 5-FU in patients with DPD deficiency considering a pharmacokinetic approach by the oncopharmacogenetics laboratory. Material and methods: we retrospectively analysed the files of patients who had DPD deficiency. DPD deficiency was diagnosed by the oncopharmacogenetics laboratory considering a multiparametric analyse. 5-FU dosage adjustments were also suggested by this laboratory by calculating 5-FU plasma clearance after the first 5-FU infusion. 5-FU dosage suggested by the laboratory and the 5-FU dosage really prescribed were compared for each patient and each chemotherapy cycle. Clinical and biological treatment safety data were collected. Results: we were able to analyse the files of 11 Tirés à part : M. Touleimat 154 Pour citer cet article : Touleimat M, Lelièvre J, Metges JP, Mugnier N. Tolérance du 5-fluorouracile chez des patients atteints d’un déficit en dihydropyrimidine déshydrogénase. J Pharm Clin 2013 ; 32(3) : 154-60 doi:10.1684/jpc.2013.0257 Tolérance du 5-fluorouracile et déficit en dihydropyrimidine déshydrogénase patients. Patients were mostly treated for colorectal cancers in adjuvant or metastatic situation. 5-FU dosage bolus and continuous infusion were consistent with laboratory suggestions in, respectively, 84% and 53% of cases. Two patients experienced haematological toxicity, respectively grade 3 and grade 4 which lead to permanently stop 5-FU. For those two patients DPD deficiency had not been searched prior to prescribing 5-FU. Conclusion: this study showed that 5-FU was well tolerated in patients DPD deficiency provided clinicians adjusted 5-FU dosage. Our results showed that a pharmacokinetics approach was useful for preventing 5-FU side effects in patients with DPD deficiency. Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. Key words: 5-fluorouracil, capecitabine, dihydropyrimidine dehydrogenase, chemotherapy, toxicity L e 5-fluorouracile (5-FU) et sa prodrogue, la capécitabine sont des molécules très largement utilisées en cancérologie puisqu’elles entrent dans le traitement de près de la moitié des cancers : colorectal, œsophage, estomac, sein et voies aérodigestives supérieures [1-4]. Le 5-FU et la capécitabine appartiennent à la classe des fluoropyrimidines, il s’agit d’antimétabolites de type antipyrimidique. Le métabolisme des fluoropyrimidines dépend majoritairement de l’activité de la dihydropyrimidine déshydrogénase (DPD) [5]. La DPD est une enzyme ubiquitaire qui présente une activité accrue dans le foie, les reins, les poumons et les leucocytes. Elle permet de métaboliser les bases pyrimidiques physiologiques (uracile (U) et thymine) en leurs dérivés hydrogénés (dihydrouracile (UH2 ) et dihydrothymine). La DPD est l’enzyme clé de la métabolisation et de l’élimination des fluoropyrimidines. Elle est capable d’inactiver plus de 80 % du 5-FU au niveau hépatique [5]. Elle permet la réduction du 5-FU en 5-fluoro-5,6-dihydrouracile (FUH2 ) qui est lui-même hydrolysé puis éliminé [6]. Il existe des variabilités interindividuelles importantes de l’activité de cette enzyme [7]. Différentes mutations du gène de la DPD ont été identifiées comme étant responsables d’une diminution de l’activité de l’enzyme, avec pour conséquence, une accumulation des métabolites actifs du 5-FU [8]. Les patients présentant un déficit d’activité de la DPD ont par conséquent un risque accru de développer une toxicité aiguë, précoce et grave au 5-FU et à la capécitabine. Tuchman et al. ont été les premiers à décrire un cas de toxicité sévère chez une femme traitée par 5-FU dans le cadre d’un traitement adjuvant du cancer du sein associé à une perturbation du métabolisme des pyrimidines [9]. Plusieurs cas de toxicités sévères voire létales liés à un déficit d’activité de la DPD ont, par la suite, été décrits [10-14]. Les toxicités ont pu être rapportées à des déficits partiels ou complets en DPD, les fréquences dans la population sont estimées à 3-5 % et 0,2 % respectivement [15]. Les toxicités décrites étaient de nature digestives (mucites, nausées/vomissements et diarrhées), hématologiques (neutropénies, leucopénies et thrombopénies) mais aussi neurologiques (malaises/confusion, syndrome cérébelleux, troubles visuels et coma) [10-14]. J Pharm Clin, vol. 32 n◦ 3, septembre 2013 La recherche d’un déficit d’activité de la DPD peut se faire selon différentes approches, par génotypage, en recherchant une mutation du gène de la DPD par phénotypage en évaluant le ratio UH2 /U, un rapport UH2 /U faible étant associé à une diminution de la clairance du 5-FU, ou en mesurant directement l’activité de la DPD leucocytaire [16-21]. La corrélation entre l’activité de la DPD et la clairance plasmatique du 5-FU ainsi que le suivi de la pharmacocinétique du 5-FU permettent d’individualiser la thérapeutique de ce médicament [22-25]. Cette approche compilant la recherche d’un déficit d’activité de la DPD et la pharmacocinétique du 5-FU apporte une aide au clinicien en ce sens qu’elle permet de proposer, a priori, des adaptations de doses de 5 FU chez des patients porteurs de mutations du gène de la DPD puis, après la première administration, des doses adaptées en fonction de la clairance 5 FU. L’objectif de notre étude était d’évaluer la tolérance du 5 FU chez des patients présentant un déficit partiel de l’activité DPD ou à profil de toxicité importante. Matériel et méthode Sélection des patients Il s’agissait d’une étude rétrospective. Le laboratoire d’oncopharmacogénétique d’Angers, réalisant le diagnostic du déficit enzymatique de la DPD, nous a fourni la liste des patients ayant reçu un traitement par 5-FU et/ou capécitabine à l’Institut de cancérologie et d’hématologie (ICH) du CHRU de Brest et pour lesquels un déficit enzymatique partiel de la DPD ou à profil de toxicité importante avait été diagnostiqué entre 2004 et 2011. Méthodologie Les informations ont été recueillies à partir des dossiers médicaux des patients et du logiciel de prescription des chimiothérapies anticancéreuses (Chimio® Computer Engineering). Une fiche de recueil standardisée a été élaborée pour les besoins de l’étude. La fiche de recueil standardisée comportait plusieurs items : - données démographiques (sexe, âge) ; 155 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. M. Touleimat, et al. - données cliniques sur la pathologie cancéreuse (localisation, classification TNM, date de diagnostic) et sur la tolérance du traitement ; - données biologiques concernant le statut DPD (génotypage, ratio UH2 /U) ; tolérance biologique de la chimiothérapie anticancéreuse ; - données pharmaceutiques et pharmacologiques concernant l’historique des chimiothérapies (nature de(s) protocole(s), nombre de cures, résultats de la pharmacocinétique du 5-FU avec les propositions d’adaptations de dose par le laboratoire d’Angers, doses de 5-FU prescrites. Nous avons comparé, pour chaque patient et pour chaque cure de chimiothérapie, la dose de 5FU (bolus et perfusion continue) réellement prescrite par le médecin à la dose proposée par le laboratoire d’oncopharmacogénétique. Nous avons également recherché la tolérance clinique et biologique de chaque cure à partir des observations médicales et des bilans biologiques des patients. Diagnostic du déficit en DPD et personnalisation du traitement Le diagnostic du déficit en DPD a été réalisé après consentement éclairé du patient par le laboratoire d’oncopharmacogénétique d’Angers selon l’approche multiparamétrique (Onco Drug Personalized Medicine ODPM Tox TM ) [23]. Cette approche permet de diagnostiquer un déficit d’activité de la DPD et de prédire le risque de toxicité aux fluoropyrimidines. Elle associe différents critères spécifiques au patient : résultats génotypiques et phénotypiques de l’activité de la DPD, caractéristiques physiologiques et physiopathologiques (âge, sexe, pathologie associée. . .), intégrés dans un algorithme. De plus, le laboratoire d’oncopharmacogénétique propose aux cliniciens d’ajuster les doses de 5-FU, de manière empirique avant la première administration de 5-FU puis, tout au long du traitement, en fonction de la clairance plasmatique, grâce au calculateur 5FU OPDM Protocol [26, 27]. Résultats Sur la période considérée, 17 patients présentaient un déficit partiel en DPD ou un profil de toxicité important. Nous avons été en mesure d’analyser les dossiers de 11 patients (10 hommes et 1 femme) car trois patients n’avaient pas reçu de 5-FU et trois autres n’avaient pas été traités dans notre établissement. L’âge moyen s’établissait à 58 ans [32-82]. Sept patients ont été traités pour un cancer colorectal, trois patients pour un cancer des voies aérodigestives supérieures et une patiente pour un cancer du sein. Six patients ont reçu du 5-FU et/ou de la 156 capécitabine dans le cadre d’un traitement adjuvant, trois dans le cadre d’un traitement d’un cancer au stade métastatique et deux patients dans le cadre d’un traitement néo-adjuvant. Le tableau 1 présente pour chacun des 11 patients étudiés, les protocoles de chimiothérapie avec le nombre de cures reçues, les recommandations d’adaptation des doses de 5-FU (bolus et perfusion continue) faites par le laboratoire d’oncopharmacogénétique pour la première cure de chaque protocole, le suivi ou non de ces recommandations par les cliniciens, ainsi que la tolérance et les effets indésirables apparus lors des cures de chimiothérapie à base de 5-FU et/ou capécitabine. Six patients sur les 11 étudiés ont bien toléré le traitement. Deux patients (patients 5 et 6) ont développé des effets indésirables hématologiques de grade 2 (anémie et thrombopénie) et un patient (patient 7) a développé des effets indésirables digestifs de grade 1 et 2 (diarrhées, nausées/vomissements) et une asthénie de grade 2. Pour les patients 5 et 6 la dose prescrite a été plus élevée que celle préconisée par le laboratoire d’oncopharmacogénétique. Pour le patient 7, les doses prescrites étaient au contraire plus faibles que celles préconisées par le laboratoire. Pour ces trois patients les effets indésirables survenus n’ont pas motivé l’arrêt de la chimiothérapie à base de 5-FU. Les patients qui ont bien toléré le traitement étaient ceux pour lesquels il y avait eu une adaptation de dose dès la première cure, puis un suivi pharmacocinétique conformément aux recommandations du laboratoire d’oncopharmacogénétique. Pour le patient 8, traité par Folfox, pour un cancer du côlon non métastatique, les recommandations du laboratoire d’oncopharmacogénétique ont été respectées strictement pour les doses de 5-FU en bolus (diminution de 50 % à chaque cure). Concernant la dose de 5-FU en perfusion continue, les doses des trois premières cures étaient légèrement plus faibles que celles préconisées. Toutefois la bonne tolérance clinique du traitement et les résultats pharmacocinétiques ont amené le clinicien à réaliser une pleine dose de 5-FU en perfusion continue dès la quatrième cure de Folfox. Deux patients (patients 2 et 3) ont développé une toxicité hématologique de grade 3 et grade 4 motivant l’arrêt de la cure. Pour ces patients aucun traitement à base de 5-FU ou de capécitabine n’a été réintroduit. Pour le patient 2, le 5-FU a été arrêté définitivement après la première cure de 5-FU suite à une neutropénie de grade 4, un relais par carboplatine associé à de la radiothérapie a par la suite été instauré. Pour le patient 3, le traitement par 5-FU a également été arrêté définitivement suite à une pancytopénie fébrile apparue après la première cure de 5 -FU dans le cadre d’un protocole 5-FU/cisplatine associé à la radiothérapie. Ce patient a ensuite été traité par docetaxel. Pour ces deux patients le diagnostic d’un déficit en activité DPD avait été J Pharm Clin, vol. 32 n◦ 3, septembre 2013 Tolérance du 5-fluorouracile et déficit en dihydropyrimidine déshydrogénase Tableau 1. Protocoles et nombre de cures, recommandations d’adaptation de dose, suivi des recommandations et tolérance. Recommandations Suivi Labo Angers recommandation dation pour pour C1 pour C1 cures suivantes Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. Protocole Patient (nombre de cures) Suivi recomman- Bolus Continu Bolus Continu Bolus Continu Effets indésirables tolérance 1 Folfox 4 infuseur (20) -50 % -50 % Oui Oui Oui Oui§ Asthénie non gradée, bonne tolérance 2 Fufol (1) NA NA NA NA NA NA Toxicité digestive non gradée, neutropénie G4 3 CDDP-5FU Rx (1) NA NA NA NA NA NA Neutropénie G2, thrombopénie G3, anémie G2, pancytopénie fébrile Lv5Fu2 CPT 11 infuseur (3) -50 % Non* Lv5Fu2 CPT 11 Bevacizumab infuseur (44) 4 Folfox 4 infuseur simplifié (7) Non* -50 % Adaptation pharmacocinétique Oui Oui Oui Oui Lv5Fu2 simplifié infuseur (3) Oui Mitomycine + Capécitabine (2) Oui Non (-40 %) NA NA Bonne tolérance 5 CMF (1) NA -70 % NA Anémie G2 6 Folfox 4 (12) 0% -50 % Non (-30 %) Non (-30 %) Non (-30 %) Oui Thrombopénie G2 Folfiri-Avastin (5) -30 % -30 % Non (-50 %) Non (-50 %) Non (-50 %) Non* Nausées/vomissements G2, asthénie G2, diarrhées G1 Lv5Fu2- Avastin(4) -30 % Adaptation pharmacocinétique Non (-50 %) Oui Non (-50 %) Oui Bonne tolérance Folfox 4 infuseur (6) -50 % -50 % Oui Oui Oui Non* Folfox 4 (6) -50 % Adaptation pharmacocinétique Oui Oui Oui Oui Oui Oui Oui Oui Bonne tolérance 7 8 Lv5Fu2 (4) 9 Lv5Fu2 simplifié (9) Bonne tolérance -50 % -100 % Adaptation pharmacocinétique 10 CDDP 5-Fu RX (2) NA -30 % NA Non (-50 %) NA Oui Bonne tolérance 11 Capecitabine+ RX (2) NA -30 % NA Oui Oui Bonne tolérance NA NA : non applicable * : non suivi des propositions d’adaptation de dose : doses plus faibles prescrites que celles proposées avec augmentation plus progressive. § : propositions d’adaptation de dose retrouvées uniquement pour la 1re cure. Pour les cures suivantes : augmentation progressive de la dose sur 6 cures puis stabilisation. J Pharm Clin, vol. 32 n◦ 3, septembre 2013 157 M. Touleimat, et al. 90 80 84 77 75 Pourcentage 70 60 53 50 40 30 20 10 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. 0 Bolus (1re cure) Dose en continu (1re cure) Bolus (cures suivantes) Dose en continu (cures suivantes) Figure 1. Taux de suivi des recommandations d’adaptation des doses de 5-FU par les cliniciens. réalisé a posteriori. Les recommandations du laboratoire d’oncopharmacogéntique étaient de ne pas administrer de bolus de 5-FU et de diminuer la dose de 5-FU en perfusion continue de 50 % à la première cure. La figure 1 présente les taux de suivi des propositions d’adaptation de dose du laboratoire d’oncopharmacogénétique par les cliniciens. Les adaptations de doses des bolus de 5-FU ont été plus suivies que les adaptations de doses du 5-FU en perfusion continue, a fortiori lorsqu’il s’agissait des cures suivantes (84 % de suivi pour les bolus versus 53 % de suivi pour les perfusions continues). Le suivi des recommandations des doses de 5-FU en perfusion continue était plus élevé pour la première cure (75 %) que pour les cures qui suivaient (53 %). À l’inverse le suivi des recommandations de doses de 5-FU en bolus était moins élevé pour la première cure (77 %) que pour les cures qui suivaient (84 %). Pour trois patients (patients 4, 7 et 8), les doses de 5-FU prescrites par le médecin étaient plus faibles que celles préconisées par le laboratoire. Discussion Cette étude a montré que le traitement par 5-FU et/ou capécitabine était bien toléré chez des patients ayant un déficit en activité enzymatique DPD, dès lors que des adaptations de doses avaient été réalisées. Au CHRU de Brest, la recherche d’un déficit d’activité de la DPD des patients est réalisée chez tous les patients de l’ICH suivis par les médecins oncologues spécialisés en gastroentérologie. Le 5-FU est, en effet, utilisé, à forte dose, dans la plupart des protocoles de chimiothérapie des cancers digestifs (Folfox, Fufol, Lv5Fu, Folfiri) [28]. De ce fait, les patients traités par de tels protocoles sont plus à risque de développer des toxicités liées au 5-FU. La recherche d’un déficit d’activité de la DPD n’est pas systématique 158 dans les autres spécialités d’oncologie, ce qui explique le faible nombre de patients, dans cette étude, traités pour un cancer du sein ou un cancer ORL, malgré l’utilisation du 5-FU dans les protocoles de traitements de ces cancers. Nous avons observé un bon suivi, par les cliniciens, des propositions d’adaptation de doses de 5-FU. Le suivi des adaptations de doses pour les bolus de 5-FU était plus important que pour les doses en perfusion continue, car les bolus génèrent plus d’effets indésirables que les perfusions continues [29]. Le suivi des propositions d’adaptation était également plus important pour les premières cures que pour les cures suivantes. Le fait que les cliniciens ne suivent pas toujours strictement les adaptations de doses de 5-FU proposées par le laboratoire d’oncopharmacogénétique peut s’expliquer par le jugement clinique du médecin qui reste essentiel dans la décision thérapeutique. On peut, toutefois, comprendre que les cliniciens soient plus à même de suivre les recommandations du laboratoire d’oncopharmacogénétique chez un patient porteur d’un déficit d’activité de la DPD et vierge de tout traitement par 5-FU. Chez les patients porteurs d’un déficit partiel en DPD ou présentant un profil de toxicité important, le suivi pharmacocinétique, permet, en complément d’un suivi clinique, d’optimiser les doses de 5-FU. Cette approche permet chez les patients qui tolèrent bien le traitement d’augmenter les doses de 5-FU progressivement et d’optimiser la thérapeutique [24]. Un patient (patient 8) a même pu bénéficier durant neuf cures sur un total de douze cures d’une pleine dose de 5-FU en perfusion continue. Ce patient a été revu en consultation 28 mois après l’arrêt de sa chimiothérapie, il ne présentait pas de signes évolutifs de son cancer du côlon. Sur les 11 patients de notre étude, deux patients ont développé une toxicité de grades 3 et 4. Il s’agissait de patients pour lesquels aucune adaptation posologique n’avait été réalisée (en raison de l’absence de recherche d’un déficit d’activité de la DPD). Cela illustre l’intérêt de cette approche pharmacocinétique d’adaptation de dose chez les patients porteurs d’un déficit enzymatique en DPD. L’absence de recherche d’un déficit enzymatique en DPD a, d’une part, induit une toxicité qui aurait pu être évitée et, d’autre part, entraîné l’arrêt du 5-FU dont on connaît l’importance dans la prise en charge de ces pathologies. Nos résultats sont en phase avec ceux décrits dans la littérature scientifique. En effet, Gamelin et al. ont montré, dans une étude de phase III, que les patients qui bénéficiaient d’un suivi de la pharmacocinétique du 5-FU avaient des taux de réponses objectives significativement supérieurs et présentaient moins d’effets indésirables que ceux qui ne bénéficiaient pas d’un tel traitement. En ce qui concerne la survie globale, la même tendance était observée sans, toutefois, que les seuils de significativité n’aient J Pharm Clin, vol. 32 n◦ 3, septembre 2013 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. Tolérance du 5-fluorouracile et déficit en dihydropyrimidine déshydrogénase été atteints [25]. Par ailleurs, dans cette étude, les auteurs ont montré que les patients qui bénéficiaient d’un suivi de la pharmacocinétique du 5-FU recevaient, en moyenne, des doses de 5-FU plus importantes que les patients qui n’en bénéficiaient pas. La méthodologie rétrospective et la taille de l’échantillon ont été les principales limites de notre étude et ne nous ont pas permis d’évaluer la tolérance du traitement. Par ailleurs, l’imputabilité des effets indésirables au 5-FU n’a pas été possible car les patients recevaient dans leurs protocoles d’autres médicaments anticancéreux (ex : carboplatine, irinotecan). Conclusion Il n’existe actuellement aucune recommandation officielle de la part des autorités de santé concernant la recherche d’un déficit enzymatique en DPD avant un traitement à base de fluoropyrimidines. Cependant, des travaux scientifiques montrent l’intérêt d’une telle recherche associée à un suivi pharmacocinétique afin d’éviter des effets indésirables graves chez les patients porteurs d’une telle mutation [24, 25]. Cette étude a permis de confirmer l’intérêt d’une telle stratégie. La plupart des patients ont, en effet, bien toléré le 5-FU, malgré le fait qu’ils étaient à risque majeur de toxicité. Une étude médico-économique rétrospective a montré que la recherche du déficit enzymatique en DPD permettait de diminuer l’incidence des toxicités de grade 3-4 et d’éviter les décès associés au 5-FU. De plus, cette étude a montré que le coût de la recherche systématique de ce déficit enzymatique était inférieur au coût de la prise en charge des toxicités dues au 5-FU qu’elle permettait d’éviter [30]. Ces résultats valident donc la pertinence de la recherche systématique de ce déficit enzymatique dans la pratique clinique quotidienne. Remerciements : Nous remercions le docteur M. BoisdronCelle et le laboratoire d’oncopharmacogénétique du Centre régional de lutte contre le cancer Paul Papin à Angers pour leur collaboration. Liens d’intérêts : aucun. Références 1. De Gramont A, Bosset JF, Milan C, et al. Randomized trial comparing monthly low-dose leucovorin and fluorouracil bolus with bimonthly high-dose leucovorin and fluorouracil bolus plus continuous infusion for advanced colorectal cancer : a French intergroup study. J Clin Oncol 1997 ; 15 : 808-15. 2. Howell A, Bush H, George WD, et al. Controlled trial of adjuvant chemotherapy with cyclophosphamide, methotrexate, and fluorouracil for breast cancer. Lancet 1984 ; 2 : 307-11. J Pharm Clin, vol. 32 n◦ 3, septembre 2013 3. Boku N, Yamamoto S, Fukuda H, et al. Fluorouracil versus combinaison of irinotecan plus cisplatin versus S-1 in metastatic gastric cancer : a randomized phase 3 study. Lancet 2009 ; 10 : 1063-9. 4. Kish JA, Ensley JF, Jacobs J, et al. 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