Tolérance du 5-fluorouracile chez des patients atteints d`un déficit

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Synthèse
J Pharm Clin 2013 ; 32 (3) : 154-60
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Tolérance du 5-fluorouracile
chez des patients atteints d’un déficit
en dihydropyrimidine déshydrogénase
5-fluorouracil safety in patients with dihydropyrimidine
dehydrogenase deficiency
Marie Touleimat 1 , Joachim Lelièvre 1 , Jean-Philippe Metges 2 , Nathalie Mugnier 1
1 Service pharmacie, Centre hospitalier régional universitaire de Brest, France
<[email protected]>
2 Institut de cancérologie et hématologie, Centre hospitalier régional universitaire de Brest, France
Résumé. Le 5-fluorouracile (5-FU) est une molécule très largement utilisée pour le traitement des cancers digestifs.
Son métabolisme dépend essentiellement de la dihydropyrimidine déshydrogénase (DPD). Les patients présentant
un déficit en cette enzyme sont à haut risque de présenter des effets indésirables graves lors d’un traitement
par 5-FU. Notre objectif était d’évaluer la tolérance du 5-FU chez des patients présentant un déficit en DPD et
pour lesquels une adaptation de dose avait été réalisée suivant une approche pharmacocinétique. Matériel et
méthode : une analyse rétrospective des dossiers de patients présentant un déficit en DPD a été réalisée. Le déficit
en DPD a été diagnostiqué par le laboratoire d’oncopharmacogénétique suivant une analyse multiparamétrique.
Des ajustements de dose de 5-FU ont été suggérés par ce laboratoire en calculant la clairance plasmatique après
la première administration de 5-FU. La dose proposée par le laboratoire et la dose de 5-FU réellement prescrite
ont été comparées pour chaque patient et chaque cycle de chimiothérapie. Les données cliniques et biologiques
de tolérance du traitement ont été recueillies. Résultats : les dossiers de 11 patients ont été analysés. Les patients
ont été traités principalement pour des cancers colorectaux en situation adjuvante ou métastatique. Les doses de
5-FU en bolus et en perfusion continue suivaient les préconisations du laboratoire dans, respectivement, 84 % et
53 % des cas. Deux patients ont présenté une toxicité hématologique de grade 3 et de grade 4 ayant motivé l’arrêt
définitif du traitement par 5-FU. Pour ces deux patients, le déficit d’activité de la DPD n’avait pas été recherché
avant de débuter le traitement. Conclusion : cette étude a montré que le 5-FU était bien toléré chez les patients
avec un déficit en DPD pour lesquels une adaptation de dose a été réalisée. Une approche pharmacocinétique est
utile pour prévenir les effets indésirables du 5-FU chez des patients présentant un déficit en DPD.
Mots clés : 5-fluorouracile, capécitabine, dihydropyrimidine déshydrogénase, chimiothérapie, toxicité
Abstract. 5-fluorouracil (5-FU) is the cornerstone of the treatment of digestive cancers. Its catabolism and deactivation mostly depend on dihydropyrimidine dehydrogenase (DPD). Patients with DPD deficiency are at high
risk of 5-FU early related side effects. Our objective was to assess the safety of 5-FU in patients with DPD deficiency considering a pharmacokinetic approach by the oncopharmacogenetics laboratory. Material and methods:
we retrospectively analysed the files of patients who had DPD deficiency. DPD deficiency was diagnosed by the
oncopharmacogenetics laboratory considering a multiparametric analyse. 5-FU dosage adjustments were also suggested by this laboratory by calculating 5-FU plasma clearance after the first 5-FU infusion. 5-FU dosage suggested
by the laboratory and the 5-FU dosage really prescribed were compared for each patient and each chemotherapy
cycle. Clinical and biological treatment safety data were collected. Results: we were able to analyse the files of 11
Tirés à part : M. Touleimat
154
Pour citer cet article : Touleimat M, Lelièvre J, Metges JP, Mugnier N. Tolérance du 5-fluorouracile chez des patients atteints d’un déficit en dihydropyrimidine déshydrogénase. J Pharm Clin 2013 ; 32(3) : 154-60 doi:10.1684/jpc.2013.0257
Tolérance du 5-fluorouracile et déficit en dihydropyrimidine déshydrogénase
patients. Patients were mostly treated for colorectal cancers in adjuvant or metastatic situation. 5-FU dosage bolus
and continuous infusion were consistent with laboratory suggestions in, respectively, 84% and 53% of cases. Two
patients experienced haematological toxicity, respectively grade 3 and grade 4 which lead to permanently stop
5-FU. For those two patients DPD deficiency had not been searched prior to prescribing 5-FU. Conclusion: this
study showed that 5-FU was well tolerated in patients DPD deficiency provided clinicians adjusted 5-FU dosage.
Our results showed that a pharmacokinetics approach was useful for preventing 5-FU side effects in patients with
DPD deficiency.
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Key words: 5-fluorouracil, capecitabine, dihydropyrimidine dehydrogenase, chemotherapy, toxicity
L
e 5-fluorouracile (5-FU) et sa prodrogue, la capécitabine sont des molécules très largement utilisées en
cancérologie puisqu’elles entrent dans le traitement
de près de la moitié des cancers : colorectal, œsophage,
estomac, sein et voies aérodigestives supérieures [1-4].
Le 5-FU et la capécitabine appartiennent à la classe
des fluoropyrimidines, il s’agit d’antimétabolites de type
antipyrimidique. Le métabolisme des fluoropyrimidines
dépend majoritairement de l’activité de la dihydropyrimidine déshydrogénase (DPD) [5]. La DPD est une enzyme
ubiquitaire qui présente une activité accrue dans le foie,
les reins, les poumons et les leucocytes. Elle permet
de métaboliser les bases pyrimidiques physiologiques
(uracile (U) et thymine) en leurs dérivés hydrogénés
(dihydrouracile (UH2 ) et dihydrothymine). La DPD est
l’enzyme clé de la métabolisation et de l’élimination des
fluoropyrimidines. Elle est capable d’inactiver plus de
80 % du 5-FU au niveau hépatique [5]. Elle permet la
réduction du 5-FU en 5-fluoro-5,6-dihydrouracile (FUH2 )
qui est lui-même hydrolysé puis éliminé [6]. Il existe des
variabilités interindividuelles importantes de l’activité de
cette enzyme [7]. Différentes mutations du gène de la DPD
ont été identifiées comme étant responsables d’une diminution de l’activité de l’enzyme, avec pour conséquence,
une accumulation des métabolites actifs du 5-FU [8]. Les
patients présentant un déficit d’activité de la DPD ont
par conséquent un risque accru de développer une toxicité aiguë, précoce et grave au 5-FU et à la capécitabine.
Tuchman et al. ont été les premiers à décrire un cas de
toxicité sévère chez une femme traitée par 5-FU dans le
cadre d’un traitement adjuvant du cancer du sein associé
à une perturbation du métabolisme des pyrimidines [9].
Plusieurs cas de toxicités sévères voire létales liés à un
déficit d’activité de la DPD ont, par la suite, été décrits
[10-14]. Les toxicités ont pu être rapportées à des déficits partiels ou complets en DPD, les fréquences dans la
population sont estimées à 3-5 % et 0,2 % respectivement
[15].
Les toxicités décrites étaient de nature digestives
(mucites, nausées/vomissements et diarrhées), hématologiques (neutropénies, leucopénies et thrombopénies)
mais aussi neurologiques (malaises/confusion, syndrome
cérébelleux, troubles visuels et coma) [10-14].
J Pharm Clin, vol. 32 n◦ 3, septembre 2013
La recherche d’un déficit d’activité de la DPD peut
se faire selon différentes approches, par génotypage, en
recherchant une mutation du gène de la DPD par phénotypage en évaluant le ratio UH2 /U, un rapport UH2 /U
faible étant associé à une diminution de la clairance du
5-FU, ou en mesurant directement l’activité de la DPD leucocytaire [16-21]. La corrélation entre l’activité de la DPD
et la clairance plasmatique du 5-FU ainsi que le suivi de la
pharmacocinétique du 5-FU permettent d’individualiser la
thérapeutique de ce médicament [22-25]. Cette approche
compilant la recherche d’un déficit d’activité de la DPD et
la pharmacocinétique du 5-FU apporte une aide au clinicien en ce sens qu’elle permet de proposer, a priori, des
adaptations de doses de 5 FU chez des patients porteurs
de mutations du gène de la DPD puis, après la première
administration, des doses adaptées en fonction de la clairance 5 FU.
L’objectif de notre étude était d’évaluer la tolérance
du 5 FU chez des patients présentant un déficit partiel de
l’activité DPD ou à profil de toxicité importante.
Matériel et méthode
Sélection des patients
Il s’agissait d’une étude rétrospective. Le laboratoire
d’oncopharmacogénétique d’Angers, réalisant le diagnostic du déficit enzymatique de la DPD, nous a fourni la
liste des patients ayant reçu un traitement par 5-FU et/ou
capécitabine à l’Institut de cancérologie et d’hématologie
(ICH) du CHRU de Brest et pour lesquels un déficit
enzymatique partiel de la DPD ou à profil de toxicité
importante avait été diagnostiqué entre 2004 et 2011.
Méthodologie
Les informations ont été recueillies à partir des dossiers médicaux des patients et du logiciel de prescription
des chimiothérapies anticancéreuses (Chimio® Computer
Engineering). Une fiche de recueil standardisée a été élaborée pour les besoins de l’étude.
La fiche de recueil standardisée comportait plusieurs
items :
- données démographiques (sexe, âge) ;
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M. Touleimat, et al.
- données cliniques sur la pathologie cancéreuse (localisation, classification TNM, date de diagnostic) et sur la
tolérance du traitement ;
- données biologiques concernant le statut DPD (génotypage, ratio UH2 /U) ; tolérance biologique de la
chimiothérapie anticancéreuse ;
- données pharmaceutiques et pharmacologiques concernant l’historique des chimiothérapies (nature de(s)
protocole(s), nombre de cures, résultats de la pharmacocinétique du 5-FU avec les propositions d’adaptations
de dose par le laboratoire d’Angers, doses de 5-FU
prescrites.
Nous avons comparé, pour chaque patient et
pour chaque cure de chimiothérapie, la dose de 5FU (bolus et perfusion continue) réellement prescrite
par le médecin à la dose proposée par le laboratoire d’oncopharmacogénétique. Nous avons également
recherché la tolérance clinique et biologique de chaque
cure à partir des observations médicales et des bilans
biologiques des patients.
Diagnostic du déficit en DPD et
personnalisation du traitement
Le diagnostic du déficit en DPD a été réalisé après
consentement éclairé du patient par le laboratoire
d’oncopharmacogénétique d’Angers selon l’approche
multiparamétrique (Onco Drug Personalized Medicine
ODPM Tox TM ) [23]. Cette approche permet de diagnostiquer un déficit d’activité de la DPD et de prédire le risque
de toxicité aux fluoropyrimidines.
Elle associe différents critères spécifiques au patient :
résultats génotypiques et phénotypiques de l’activité
de la DPD, caractéristiques physiologiques et physiopathologiques (âge, sexe, pathologie associée. . .),
intégrés dans un algorithme. De plus, le laboratoire d’oncopharmacogénétique propose aux cliniciens
d’ajuster les doses de 5-FU, de manière empirique avant
la première administration de 5-FU puis, tout au long du
traitement, en fonction de la clairance plasmatique, grâce
au calculateur 5FU OPDM Protocol [26, 27].
Résultats
Sur la période considérée, 17 patients présentaient un
déficit partiel en DPD ou un profil de toxicité important.
Nous avons été en mesure d’analyser les dossiers de
11 patients (10 hommes et 1 femme) car trois patients
n’avaient pas reçu de 5-FU et trois autres n’avaient pas été
traités dans notre établissement. L’âge moyen s’établissait
à 58 ans [32-82]. Sept patients ont été traités pour un
cancer colorectal, trois patients pour un cancer des
voies aérodigestives supérieures et une patiente pour un
cancer du sein. Six patients ont reçu du 5-FU et/ou de la
156
capécitabine dans le cadre d’un traitement adjuvant, trois
dans le cadre d’un traitement d’un cancer au stade métastatique et deux patients dans le cadre d’un traitement
néo-adjuvant.
Le tableau 1 présente pour chacun des 11 patients
étudiés, les protocoles de chimiothérapie avec le nombre
de cures reçues, les recommandations d’adaptation des
doses de 5-FU (bolus et perfusion continue) faites par
le laboratoire d’oncopharmacogénétique pour la première cure de chaque protocole, le suivi ou non de ces
recommandations par les cliniciens, ainsi que la tolérance et les effets indésirables apparus lors des cures
de chimiothérapie à base de 5-FU et/ou capécitabine.
Six patients sur les 11 étudiés ont bien toléré le traitement. Deux patients (patients 5 et 6) ont développé des
effets indésirables hématologiques de grade 2 (anémie
et thrombopénie) et un patient (patient 7) a développé des effets indésirables digestifs de grade 1 et 2
(diarrhées, nausées/vomissements) et une asthénie de
grade 2. Pour les patients 5 et 6 la dose prescrite a
été plus élevée que celle préconisée par le laboratoire
d’oncopharmacogénétique. Pour le patient 7, les doses
prescrites étaient au contraire plus faibles que celles préconisées par le laboratoire. Pour ces trois patients les
effets indésirables survenus n’ont pas motivé l’arrêt de la
chimiothérapie à base de 5-FU. Les patients qui ont bien
toléré le traitement étaient ceux pour lesquels il y avait
eu une adaptation de dose dès la première cure, puis un
suivi pharmacocinétique conformément aux recommandations du laboratoire d’oncopharmacogénétique. Pour
le patient 8, traité par Folfox, pour un cancer du côlon
non métastatique, les recommandations du laboratoire
d’oncopharmacogénétique ont été respectées strictement
pour les doses de 5-FU en bolus (diminution de 50 %
à chaque cure). Concernant la dose de 5-FU en perfusion continue, les doses des trois premières cures étaient
légèrement plus faibles que celles préconisées. Toutefois
la bonne tolérance clinique du traitement et les résultats
pharmacocinétiques ont amené le clinicien à réaliser une
pleine dose de 5-FU en perfusion continue dès la quatrième cure de Folfox. Deux patients (patients 2 et 3)
ont développé une toxicité hématologique de grade 3
et grade 4 motivant l’arrêt de la cure. Pour ces patients
aucun traitement à base de 5-FU ou de capécitabine n’a
été réintroduit. Pour le patient 2, le 5-FU a été arrêté
définitivement après la première cure de 5-FU suite à
une neutropénie de grade 4, un relais par carboplatine
associé à de la radiothérapie a par la suite été instauré.
Pour le patient 3, le traitement par 5-FU a également
été arrêté définitivement suite à une pancytopénie fébrile
apparue après la première cure de 5 -FU dans le cadre
d’un protocole 5-FU/cisplatine associé à la radiothérapie.
Ce patient a ensuite été traité par docetaxel. Pour ces deux
patients le diagnostic d’un déficit en activité DPD avait été
J Pharm Clin, vol. 32 n◦ 3, septembre 2013
Tolérance du 5-fluorouracile et déficit en dihydropyrimidine déshydrogénase
Tableau 1. Protocoles et nombre de cures, recommandations d’adaptation de dose, suivi des recommandations et tolérance.
Recommandations
Suivi
Labo Angers
recommandation
dation pour
pour C1
pour C1
cures suivantes
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Protocole
Patient (nombre de cures)
Suivi recomman-
Bolus
Continu
Bolus
Continu
Bolus
Continu
Effets
indésirables
tolérance
1
Folfox 4 infuseur (20)
-50 %
-50 %
Oui
Oui
Oui
Oui§
Asthénie non gradée, bonne
tolérance
2
Fufol (1)
NA
NA
NA
NA
NA
NA
Toxicité digestive non gradée,
neutropénie G4
3
CDDP-5FU Rx (1)
NA
NA
NA
NA
NA
NA
Neutropénie G2, thrombopénie
G3, anémie G2, pancytopénie
fébrile
Lv5Fu2 CPT 11 infuseur (3)
-50 %
Non*
Lv5Fu2 CPT 11
Bevacizumab infuseur (44)
4
Folfox 4 infuseur simplifié (7)
Non*
-50 %
Adaptation
pharmacocinétique
Oui
Oui
Oui
Oui
Lv5Fu2 simplifié infuseur (3)
Oui
Mitomycine + Capécitabine (2)
Oui
Non (-40 %) NA
NA
Bonne tolérance
5
CMF (1)
NA
-70 %
NA
Anémie G2
6
Folfox 4 (12)
0%
-50 %
Non (-30 %) Non (-30 %) Non (-30 %) Oui
Thrombopénie G2
Folfiri-Avastin (5)
-30 %
-30 %
Non (-50 %) Non (-50 %) Non (-50 %) Non*
Nausées/vomissements G2,
asthénie G2, diarrhées G1
Lv5Fu2- Avastin(4)
-30 %
Adaptation
pharmacocinétique
Non (-50 %) Oui
Non (-50 %) Oui
Bonne tolérance
Folfox 4 infuseur (6)
-50 %
-50 %
Oui
Oui
Oui
Non*
Folfox 4 (6)
-50 %
Adaptation
pharmacocinétique
Oui
Oui
Oui
Oui
Oui
Oui
Oui
Oui
Bonne tolérance
7
8
Lv5Fu2 (4)
9
Lv5Fu2 simplifié (9)
Bonne tolérance
-50 %
-100 %
Adaptation
pharmacocinétique
10
CDDP 5-Fu RX (2)
NA
-30 %
NA
Non (-50 %) NA
Oui
Bonne tolérance
11
Capecitabine+ RX (2)
NA
-30 %
NA
Oui
Oui
Bonne tolérance
NA
NA : non applicable
* : non suivi des propositions d’adaptation de dose : doses plus faibles prescrites que celles proposées avec augmentation plus progressive.
§ : propositions d’adaptation de dose retrouvées uniquement pour la 1re cure. Pour les cures suivantes : augmentation progressive de la dose sur 6 cures
puis stabilisation.
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157
M. Touleimat, et al.
90
80
84
77
75
Pourcentage
70
60
53
50
40
30
20
10
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0
Bolus
(1re cure)
Dose en continu
(1re cure)
Bolus
(cures suivantes)
Dose en continu
(cures suivantes)
Figure 1. Taux de suivi des recommandations d’adaptation des doses de 5-FU
par les cliniciens.
réalisé a posteriori. Les recommandations du laboratoire
d’oncopharmacogéntique étaient de ne pas administrer de
bolus de 5-FU et de diminuer la dose de 5-FU en perfusion
continue de 50 % à la première cure.
La figure 1 présente les taux de suivi des
propositions d’adaptation de dose du laboratoire
d’oncopharmacogénétique par les cliniciens. Les adaptations de doses des bolus de 5-FU ont été plus suivies que
les adaptations de doses du 5-FU en perfusion continue,
a fortiori lorsqu’il s’agissait des cures suivantes (84 %
de suivi pour les bolus versus 53 % de suivi pour les
perfusions continues). Le suivi des recommandations des
doses de 5-FU en perfusion continue était plus élevé pour
la première cure (75 %) que pour les cures qui suivaient
(53 %). À l’inverse le suivi des recommandations de doses
de 5-FU en bolus était moins élevé pour la première cure
(77 %) que pour les cures qui suivaient (84 %).
Pour trois patients (patients 4, 7 et 8), les doses de
5-FU prescrites par le médecin étaient plus faibles que
celles préconisées par le laboratoire.
Discussion
Cette étude a montré que le traitement par 5-FU et/ou
capécitabine était bien toléré chez des patients ayant un
déficit en activité enzymatique DPD, dès lors que des
adaptations de doses avaient été réalisées. Au CHRU de
Brest, la recherche d’un déficit d’activité de la DPD des
patients est réalisée chez tous les patients de l’ICH suivis
par les médecins oncologues spécialisés en gastroentérologie. Le 5-FU est, en effet, utilisé, à forte dose, dans
la plupart des protocoles de chimiothérapie des cancers
digestifs (Folfox, Fufol, Lv5Fu, Folfiri) [28]. De ce fait, les
patients traités par de tels protocoles sont plus à risque
de développer des toxicités liées au 5-FU. La recherche
d’un déficit d’activité de la DPD n’est pas systématique
158
dans les autres spécialités d’oncologie, ce qui explique le
faible nombre de patients, dans cette étude, traités pour
un cancer du sein ou un cancer ORL, malgré l’utilisation
du 5-FU dans les protocoles de traitements de ces
cancers.
Nous avons observé un bon suivi, par les cliniciens,
des propositions d’adaptation de doses de 5-FU. Le suivi
des adaptations de doses pour les bolus de 5-FU était
plus important que pour les doses en perfusion continue, car les bolus génèrent plus d’effets indésirables que
les perfusions continues [29]. Le suivi des propositions
d’adaptation était également plus important pour les premières cures que pour les cures suivantes. Le fait que les
cliniciens ne suivent pas toujours strictement les adaptations de doses de 5-FU proposées par le laboratoire
d’oncopharmacogénétique peut s’expliquer par le jugement clinique du médecin qui reste essentiel dans la
décision thérapeutique. On peut, toutefois, comprendre
que les cliniciens soient plus à même de suivre les recommandations du laboratoire d’oncopharmacogénétique
chez un patient porteur d’un déficit d’activité de la DPD et
vierge de tout traitement par 5-FU. Chez les patients porteurs d’un déficit partiel en DPD ou présentant un profil
de toxicité important, le suivi pharmacocinétique, permet,
en complément d’un suivi clinique, d’optimiser les doses
de 5-FU. Cette approche permet chez les patients qui
tolèrent bien le traitement d’augmenter les doses de 5-FU
progressivement et d’optimiser la thérapeutique [24]. Un
patient (patient 8) a même pu bénéficier durant neuf cures
sur un total de douze cures d’une pleine dose de 5-FU en
perfusion continue. Ce patient a été revu en consultation
28 mois après l’arrêt de sa chimiothérapie, il ne présentait
pas de signes évolutifs de son cancer du côlon.
Sur les 11 patients de notre étude, deux patients ont
développé une toxicité de grades 3 et 4. Il s’agissait de
patients pour lesquels aucune adaptation posologique
n’avait été réalisée (en raison de l’absence de recherche
d’un déficit d’activité de la DPD). Cela illustre l’intérêt de
cette approche pharmacocinétique d’adaptation de dose
chez les patients porteurs d’un déficit enzymatique en
DPD. L’absence de recherche d’un déficit enzymatique
en DPD a, d’une part, induit une toxicité qui aurait pu
être évitée et, d’autre part, entraîné l’arrêt du 5-FU dont
on connaît l’importance dans la prise en charge de ces
pathologies.
Nos résultats sont en phase avec ceux décrits dans la
littérature scientifique. En effet, Gamelin et al. ont montré, dans une étude de phase III, que les patients qui
bénéficiaient d’un suivi de la pharmacocinétique du 5-FU
avaient des taux de réponses objectives significativement
supérieurs et présentaient moins d’effets indésirables que
ceux qui ne bénéficiaient pas d’un tel traitement. En ce qui
concerne la survie globale, la même tendance était observée sans, toutefois, que les seuils de significativité n’aient
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Tolérance du 5-fluorouracile et déficit en dihydropyrimidine déshydrogénase
été atteints [25]. Par ailleurs, dans cette étude, les auteurs
ont montré que les patients qui bénéficiaient d’un suivi de
la pharmacocinétique du 5-FU recevaient, en moyenne,
des doses de 5-FU plus importantes que les patients qui
n’en bénéficiaient pas.
La méthodologie rétrospective et la taille de
l’échantillon ont été les principales limites de notre étude
et ne nous ont pas permis d’évaluer la tolérance du traitement. Par ailleurs, l’imputabilité des effets indésirables au
5-FU n’a pas été possible car les patients recevaient dans
leurs protocoles d’autres médicaments anticancéreux (ex :
carboplatine, irinotecan).
Conclusion
Il n’existe actuellement aucune recommandation officielle
de la part des autorités de santé concernant la recherche
d’un déficit enzymatique en DPD avant un traitement à
base de fluoropyrimidines. Cependant, des travaux scientifiques montrent l’intérêt d’une telle recherche associée
à un suivi pharmacocinétique afin d’éviter des effets
indésirables graves chez les patients porteurs d’une telle
mutation [24, 25]. Cette étude a permis de confirmer
l’intérêt d’une telle stratégie. La plupart des patients ont,
en effet, bien toléré le 5-FU, malgré le fait qu’ils étaient à
risque majeur de toxicité. Une étude médico-économique
rétrospective a montré que la recherche du déficit enzymatique en DPD permettait de diminuer l’incidence des
toxicités de grade 3-4 et d’éviter les décès associés au
5-FU. De plus, cette étude a montré que le coût de la
recherche systématique de ce déficit enzymatique était
inférieur au coût de la prise en charge des toxicités dues
au 5-FU qu’elle permettait d’éviter [30].
Ces résultats valident donc la pertinence de la
recherche systématique de ce déficit enzymatique dans
la pratique clinique quotidienne.
Remerciements : Nous remercions le docteur M. BoisdronCelle et le laboratoire d’oncopharmacogénétique du
Centre régional de lutte contre le cancer Paul Papin à
Angers pour leur collaboration.
Liens d’intérêts : aucun.
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