Un pas en avant, combien en arrière ?

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Un pas en avant, combien en arrière ?
Didier Touzeau (Rédacteur en chef)
N
ous avons pris connaissance du projet d’arrêté en application de l’article L162-4-2 du
code de la Sécurité sociale (amendement parlementaire de la loi de santé publique) qui
remet en cause la liberté de primo-prescrire les traitements de substitution aux opiacés
par l’imposition de la signature préalable d’un protocole obligatoire sous forme d’un “contrat”
impliquant, outre le patient et le prescripteur, le médecin-conseil, comportant des obligations et
mettant en jeu les prestations de l’assurance maladie. Ce “protocole” (si des aménagements ne sont
pas trouvés ou s’il n’est pas purement et simplement abandonné) conduirait, par son caractère obligatoire et préalable, à assimiler tous les patients bénéficiant de traitement de substitution à des
Le papillon blanc,
Anne de Colbert Christophorov. délinquants ou à des sujets incontrôlables, sous prétexte qu’environ 10 % d’entre eux ne suivraient pas régulièrement
leur traitement. Le protocole pourrait encadrer aussi la prescription d’autres médicaments psychotropes dont la liste
n’est pas encore fixée.
Rappelons que les médicaments de substitution aux opiacés ne sont ni des drogues ni des produits à visée compassionnelle :
• Ils soignent les toxicomanes qui retrouvent une stabilité si les contraintes qui leur sont imposées ne sont pas incompatibles avec une vie normale.
• Ils servent d’étayage à des prises en charge où c’est souvent la composante d’insertion sociale (logement, formation,
emploi) qui fait défaut.
C’est donc cette dernière qu’il faudrait renforcer et non l’onéreuse bureaucratie complexifiant les prescriptions…
Et il n’y a pas qu’à l’Assemblée nationale que se manifestent des incompréhensions comme le montre la lettre ouverte
adressé par notre ami G.H. Menelotte* président de l’association Réseau de microstructures (RMS) au Pr Serge
Lesourd (faculté de psychologie et des sciences de l’éducation de Strasbourg) :
Lettre ouverte
editorial
“Je tiens à vous faire part de ma vive émotion devant les propos qui ont été tenus lors de la réunion du séminaire de
recherche. Ils visaient, entre autres, les médecins, les psychologues et les travailleurs sociaux intervenant dans le cadre
des activités du Réseau de microstructures médicales d’Alsace (RMS).
Ainsi le Dr Hoibian s’en est-il pris de façon infamante aux médecins qui prescrivaient des traitements de substitution
en les traitant devant votre large public de ‘médecins dealers’ sans que cela ait occasionné de votre part la moindre
réaction. De même, a-t-il été affirmé que les entretiens avec les psychologues et les travailleurs sociaux intervenant en
microstructure étaient imposés aux patients sous addiction qui venaient y consulter.
Je vous rappelle que la conférence de consensus sur les traitements de substitution qui s’est tenue à Lyon en juin 2004
a défini de manière précise les recommandations que doit suivre tout médecin autorisé à prescrire de tels traitements
et que les médecins du réseau RMS s’y conforment avec la plus grande attention.
De même, la loi sur les réseaux de santé du 4 mars 2002 définit-elle les conditions dans lesquelles tout patient entrant
dans l’un de ces réseaux se voit informé de ses droits et des types de suivis qui lui sont proposés. Il reçoit la charte du
réseau et donne son agrément aux soins proposés par la signature d’un document d’information.
La probité des médecins, des psychologues et des travailleurs sociaux du RMS ayant été publiquement mise en question dans votre séminaire, je vous fais part de ma plus vive protestation devant cette grave atteinte à une pratique de
soins reconnue pour sa pertinence et son efficacité. C’est devant un public de près de deux cents personnes que ces
propos ont été tenus, la grande majorité étant composée par vos étudiants. La recherche peut faire des erreurs mais elle
n’autorise pas la diffamation et se disqualifie quand elle prend appui sur des contre-vérités.
Il est loin en effet le temps où la pratique médicale dans le domaine qualifié alors de ‘toxicomanie’ relevait du dressage de ceux que l’on considérait comme des malades délinquants. Les médecins qui se sont lancés dans l’expérience des
microstructures médicales travaillent, dans leur cabinet de consultation, avec des psychologues et des travailleurs
sociaux pour donner à leur exercice de la médecine ses lettres de noblesse dans un champ qui a, jusque-là, été trop
longtemps déserté ou réduit à des prescriptions morales. Aujourd’hui cette nouvelle pratique qui a commencé en Alsace
a fait ses preuves et elle s’étend à de nouvelles régions en France, en Provence et à Reims où de nouveaux réseaux de
microstructures se créent. Je ne doute pas que vous saurez rectifier devant ce même public ces propos qui témoignent
d’une passion des plus suspectes et datant d’un autre âge. Nous en sommes aujourd’hui à l’ère de la raison pratique où,
contre tout esprit ségrégatif, la personne qui utilise des substances psychoactives est considérée comme un sujet.”
Georges-Henri Menelotte
* Le réseau des microstructures médicales est un réseau de santé qui a été créé en Alsace en juillet 2003. Il réunit
une vingtaine de microstructures réparties dans la région. Dans chacune, le médecin généraliste suit ses patients
ayant une ou des addictions avec un psychologue et un travailleur social qui viennent dans son cabinet pour leurs
entretiens et accompagnements. Les entretiens psychologiques et sociaux sont proposés préalablement au patient
qui les accepte ou pas selon les termes de la loi.
Le Courrier des addictions (7), n° 1, janvier-février-mars 2005
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