Alain Touraine A vrai dire, j'aimerais revenir aux thèmes généraux qui ont été abordés ce matin, et d'abord j'aimerais partir de la remarque, plus qu'une remarque un jugement, portée par Jorge Castañeda quand il disait " au Mexique, il ne s'est rien passé, malgré des bouleversements économiques, sociaux, etc. ". Parce que je pense que ceci commande très largement les analyses que nous pouvons faire aujourd'hui parce que je crois que le cas du Mexique n'a rien de particulier, j'ai envie de dire il ne se passe rien nulle part, et c'est un point de départ que je trouve absolument indispensable. Je voudrais faire une comparaison, même si elle est un peu trop globale, mais nous vivons beaucoup d'entre nous, et en tout cas moimême, dans une vision du monde qui s'est formée comme presque tous les aspects de notre vision du monde à la fin du dix-neuvième siècle. A ce moment-là, nous étions dominés par l'image d'un capitalisme libéral ou, si je me place à l'extrême fin du dix-neuvième siècle, ce qu'on appelait pas encore globalisation on l'appelait encore impérialisme, mais ça voulait dire exactement la même chose. C'est-à-dire que l'on insistait sur la domination du capital financier. Et par conséquent le processus de changement social nous est apparu à tous, vers 1890-1910, on a tous pensé que face à ce triomphe de l'économie sauvage, appelons-la dominante, que les processus de changements sociaux seraient dominés par des acteurs sociaux et idéologiques. Ensuite, il s'est passé beaucoup de choses, mais il ne s'est pratiquement rien passé de positif depuis cette époque-là en dehors des effets de cette vision : révolutions de 1905 ou de 1917, mouvements de libération nationale, mouvements ouvriers réformateurs ou social-démocratisants. Mais nous avons vécu avec l'idée que, face à la domination de l'économie, notre travail aux gens des sciences sociales, c'était le politico-idéologique, c'est-à-dire l'introduction d'acteurs luttant contre une domination économique au nom de visions de l'histoire, valeurs morales, exigences d'identité nationale, peu importe. Autrement dit, mouvements de classes, mouvements nationaux, mouvements de femmes moins importants, mais quand même déjà important en Angleterre et aux Etats-Unis, tout ça appartient à la même génération. Et aujourd'hui je dirai que nous nous trouvons, et je pense qu'il est essentiel au moins d'essayer de s'en rendre compte, dans une situation exactement opposée. C'est-à-dire que ce qui se passe en cette fin de vingtième siècle, ce n'est pas une réaction à une domination économique, c'est la réaction à International Conference Democratic Transitions in Latin America and in Eastern Europe: Rupture and Continuity 4-6 March 1996, Paris, France l'épuisement ou à la crise d'un type d'Etat, de politique et d'idéologie. Je veux dire le phénomène que nous vivons est la crise et l'épuisement de ce qu'on peut appeler l'État-mobilisateur, démocratique ou non-démocratique, communiste ou social-démocrate, nationaliste ou national-populaire comme on dit en Amérique latine et comme on pourrait dire en Inde, etc. Et par conséquent la situation que nous visons, c'est que le seul acteur réel, le seul acteur visible, c'est l'économie, ou je dirai l'ajuste, l'ajustement structurel. Donc, nous sommes dans une situation, je le dis parce que ça va m'amener directement à interroger des expressions comme " transition " ou " démocratie ", je ne suis d'aucune manière certain que nous vivons une transition ou un passage à la démocratie. je dirai plus volontiers que nous vivons pour le meilleur ou pour le pire l'épuisement d'un certain système de contrôle social de l'économie, et nous entrons dans une période qui est peutêtre une transition, j'ai tendance à le croire, mais qui est la transition libérale, définie par un faible contrôle social de l'économie, entre le type de système de contrôle social que nous avons connu et d'autres que nous allons connaître et qui peut-être sont déjà observables aujourd'hui. Autrement dit, avant tout, crise de certains systèmes de contrôle social de l'économie, peut-être aussi le moment de la great transformation polyannienne avec l'attente polyannienne de la reprise d'un contrôle social de l'économie. Nous sommes dans cette situation-là où, je dirai, la démocratie n'a rien à voir là-dedans. Quelqu'un a dit ce matin qu'il avait de grands doutes sur l'existence de sociétés démocratiques, j'ai les plus grands doutes. Je dirai, j'y reviendrai dans un instant, j'ai le sentiment qu'on assiste d'abord à un affaiblissement du contrôle social de l'économie qui peut aller de pair avec la rupture d'un Etat autoritaire et donc une certaine libéralisation, qui peut aller aussi de pair avec la crise de systèmes très démocratisants du type scandinave ou autres, disons européen-occidental d'une manière générale, et le triomphe d'une économie non contrôlée avec augmentation des inégalités sociales, augmentation de l'exclusion, dualisation des sociétés. Bref, je ne vois pas de démocratie làdedans, je vois une première chose, je le répète, ce sera mon raisonnement, je vois une première dimension qui est celle-là, je ne veux pas la libération, ce qui aurait l'air positif, mais le non-contrôle des activités économiques par des autorités, des forces ou des mécanismes de décision, appelons-les sociopolitiques. Deuxième idée, j'ai été frappé en lisant les papiers de cette conférence, et je dirai presque dans l'esprit même de cette conférence, par quelque chose d'autre qui m'a semblé un grand progrès. Au fond, il y a trois ou quatre ans, une 2 International Conference Democratic Transitions in Latin America and in Eastern Europe: Rupture and Continuity 4-6 March 1996, Paris, France réunion comme celle-ci, je suis sûr qu'il y en a eu des tas, aurait probablement trouvé que la transition vers la démocratie, la transition vers l'économie de marché, tout ça c'est la même chose. Or au fond l'idée que je retire de la lecture des papiers de cette conférence qui traite de ce problème directement, c'est cette idée qui peut prendre une forme cynique, mais qui est une forme en tout cas fort intelligente qui est de dire : et si la chute des régimes autoritaires, et donc la libéralisation, supposait une absence d'acteurs sociaux, une absence de société civile dirait Arato dans un sens où je partage tout à fait ses idées. Ça, c'est la vision je dirai cynique mais qui est une vision très respectable parce que elle dit : Attention! L'action, l'intervention de forces sociales, et en particulier de majorités dominées, des peuples, est peut-être non pas du tout liée à la chute de l'autoritarisme, mais n'est pas contradictoire, c'en est une autre dimension. C'est ce que je pense. Je pense que nous avons à faire dans ce que nous appelons démocratisation à deux phénomènes qui sont fondamentalement opposés l'un à l'autre : l'un qui est la diminution du contrôle social et politique de l'économie, appelons ça si vous voulez la libéralisation, et l'autre qui est l'intervention d'acteurs sociaux et politiques dans le but de faire respecter, de faire avancer leurs intérêts et leurs droits qui étaient écrasés ou dominés dans un régime autoritaire. Alors voilà l'idée qui me semble, après ma lecture, s'être imposée à moi, c'est que, en tant que commentateur, nous avons affaire aujourd'hui dans les cas régionaux auxquels nous nous intéressons particulièrement - l'Europe centrale et secondairement orientale, et l'Amérique latine, et plus particulièrement, mais pas uniquement l'Amérique du Sud - , la question posée est : Quelle est la relation, de quoi dépend l'importance relative de ces deux aspects, c'est-à-dire la montée d'acteurs sociaux ou, inversement, la perte de contrôle politico-social organisée de l'économie? Ce qui amène à faire une hypothèse assez simple qui est que, si les deux phénomènes sont différents, il peut y avoir deux processus fondamentalement différents : l'un qui est que le phénomène de transformation ou de libéralisation de l'économie comes first, et l'autre qu'il y a d'une manière ou d'une autre une intervention d'acteurs sociaux, cela a déjà été évoqué ce matin par plusieurs auteurs, en particulier par Arato. Alors j'ajouterai ceci en reprenant ma remarque initiale : non seulement il y a ces deux grands types, mais il y a aussi une sorte de bifurcation plus élémentaire qui consiste à savoir si l'ancien système est encore capable de se maintenir ou d'essayer de se transformer ou si il est en état d'écroulement. Et c'est seulement s'il est en état d'écroulement que, à ce moment-là, se pose la question de savoir si le processus sera commandé par 3 International Conference Democratic Transitions in Latin America and in Eastern Europe: Rupture and Continuity 4-6 March 1996, Paris, France l'économie ou commandé par des forces sociales. Et alors il me semble que, en réfléchissant aux différents cas nationaux qui ont déjà été évoqués et qui le seront, on est amené à dire ceci : là où le processus de libéralisation commence, on va vraisemblablement avoir dans ce cas-là, je dirai, une démocratisation par institutionnalisation forte des mécanismes de décision politique mais avec participation sociale faible, j'allais dire une forme sans contenu ; dans l'autre cas, quand il y a initiative socio-politique d'un type ou d'un autre, je pense que la priorité apparaîtra comme étant donnée, pour prendre une formule un peu générale, à la recherche d'une plus forte participation sociale, plus précisément d'une plus forte participation populaire ou disons, pour prendre un mot qui est peut-être meilleur, une meilleure représentation sociale avec éventuellement une certaine faiblesse ou une non-consolidation des formes institutionnelles. C'est dire, et je ne veux pas devenir systématique parce que c'est toujours très artificiel et arbitraire, mais il me semble que nous avons de manière très visible, à la fois en Amérique latine et en Europe post-communiste, dans d'autres régions probablement aussi, je n'en sais rien, nous avons un peu tous ces cas. Je prends rapidement l'Amérique latine. Ce que Castañeda disait, c'est ici un système politique en crise, mais une crise qui n'est pas réglée, c'est le cas du Mexique, c'est le cas du Venezuela. Et même je dirai, lorsque la crise est beaucoup plus fondamentale, lorsqu'elle est totale, lorsqu'il y a non pas crise mais décomposition totale du système politique ce qui est sans aucun doute le cas de la Colombie, on est bien dans cette situation d'une crise non résolue, je veux dire que tout ce qui se passe est commandé par la non-capacité institutionnelle du système. Et je dirai que, sous des formes très différentes, une telle situation est une situation où l'économie est entièrement dépendante de la situation politique. Il me semble impossible qu'il y ait transformation économique et transformation par là-même d'un système politique sur de nouvelles bases à partir de cette crise non résolue. D'où ce que nous dit Castañeda, et je répète que le Mexique est le cas des trois pays que je viens d'évoquer le moins tragique, même s'il est déjà suffisamment négatif, mais le degré de décomposition est beaucoup plus avancé au Venezuela, et quant à la Colombie, je n'ose pas en parler en détails devant ou à côté de Daniel Pécaut, mais nous partageons exactement le même jugement sur ce pays. A partir de là, ce qui m'intéresse, c'est d'essayer de voir ce qui se passe, et d'essayer de comparer ce qui se passe lorsque les mécanismes font partie d'une crise politique. Prenons le cas de l'Argentine. Ici ce qui me frappe, conformément à l'hypothèse que je faisais tout à l'heure sous une forme générale, 4 International Conference Democratic Transitions in Latin America and in Eastern Europe: Rupture and Continuity 4-6 March 1996, Paris, France c'est que nous avons eu une mobilisation d'acteurs relativement importante, que ce soit des acteurs de type militaire, que ce soit des acteurs de type syndical, rappelez-vous toutes les grèves générales de la CGT comme d'ailleurs je pourrai prendre le cas de l'Equateur, etc., et des institutions qui sont une consolidation institutionnelle dont je n'ai pas besoin de vous dire qu'elle est faible, et une capacité d'entrer dans le nouveau système économique qui est extrêmement faible puisque l'affaire se termine par la catastrophe économique de l'hyperinflation qui liquide Alfonsin et son gouvernement, mais qui ne liquide pas les institutions démocratiques. Donc si vous voulez voilà un exemple et exactement de l'autre côté, évidemment, le cas du Chili où la réforme économique précède la transformation. Je ne veux pas entrer dans des conversations avec, en particulier, mon ami Manuel Antonio Garretón, mais, en tout cas, depuis 1983-84, je ne crois pas personnellement qu'il y ait eu un aspect créateur à l'époque des Chicago boys, mais, en tout cas, après d'ailleurs les événements politiques et sociaux de 1983-84, il y a une transformation de l'économie qui sera, grosso modo, continuée pendant plusieurs années. A ce moment-là, qu'est-ce que nous observons? Nous observons ce que vous savez tous, c'est au fond le raisonnement qui a d'ailleurs été exercé par des sociologues au moment du plébiscite, lesquels ont dit aux hommes politiques qui les ont suivis : " si vous faites une politique de revanche, c'est-à-dire gauche contre droite, classe contre classe, le peuple contre etc, etc., vous allez perdre. Il faut que vous donniez la priorité au thème de la réconciliation, c'est-à-dire la priorité à la construction institutionnelle sans la participation sociale ". Ce que les Chiliens ont fait, ce qui leur a permis de gagner, et on a toute raison de penser qu'il n'aurait sans doute pas gagner sans ça quand on voit l'importance des forces d'appui, direct ou indirect, qui restent à l'ancien régime. Et j'observe que dans ce pays qui réussit extraordinairement, mieux que tout autre, sa transformation économique, qui réussit mieux que tout autre ce qu'on pourrait appelet, là concrètement, le retour à la démocratie, il y a en même temps, ce dont tout le monde parle, une absence de participation, une absence de conscience d'une transformation sociale, et, comme nous le savons en termes objectifs, ce pays qui s'est énormément enrichi, a diminué de manière extrêmement importante la proportion des pauvres, mais a néanmoins augmenté les inégalités sociales. Par conséquent, Argentine et Chili, vous êtes dans une situation exactement opposée de consolidation institutionnelle forte ou faible et de formation d'acteurs sociaux, fort ou faibles, et en sens inverse. Et je prendrai comme cas extrême un cas pour lequel j'ai beaucoup de sympathie, parce que c'est un pays dont on ne parle pas beaucoup et en général en termes 5 International Conference Democratic Transitions in Latin America and in Eastern Europe: Rupture and Continuity 4-6 March 1996, Paris, France peu positifs, c'est le cas de la Bolivie. La Bolivie est le type même, peut-être le cas unique, en tout sur le continent sud, d'un pays où la crise a été une crise politique qui a abouti à l'hyperinflation, où le politique commande, et vous le savez, tout au moins ceux qui s'intéresse à l'Amérique latine, on assiste à ce phénomène extraordinaire qui est la création d'un Reichstaat, d'un État de droit, dans un pays où les mécanismes politiques étaient limités à trois villes. Aujourd'hui, grâce à l'incorporation du mando indigène dans les pouvoirs locaux, on assiste, pas toujours avec un succès fou, à la création d'un État de droit. Donc, ici, vous avez un des rares cas d'un processus de changement qui est un processus à dominante ou, à facteur central, politique. Evidemment, c'était le pays le plus pauvre de l'Amérique du Sud, et avec le plus d'exclusion sociale et ethnique, qui demeure, alors que sur le plan de l'insertion dans l'économie mondiale, la Bolivie a surtout des problèmes étant donné le chapaje. Mais cela me semble important de monter combien dans cette espèce de typologie le cas de la Bolivie s'en éloigne. Mais évidemment le cas le plus complexe est le cas du Brésil, mais peutêtre que parce que c'est un pays tellement important, il est difficile de lui trouver une formulation exacte. Néanmoins, au total, parce qu'il y a eu une continuité jusqu'à une date très récente du modèle économique, vu que le Brésil a été le seul pays à maintenir un modèle nationaliste extrêmement longtemps, ce n'est pas l'économie qui a commandé, mais le politique, en bien et en mal, et avec le maintien, j'allais dire à la tchèque, d'un certain modèle intermédiaire, mais, je dirai, là encore une stabilisation institutionnelle moyenne et un degré de formation d'acteurs sociaux moyen non négligeable. Je ne parle du temps lointain de la création d'un syndicalisme moderne en 1977-78, mais la phase, après distenção et abertura, c'est quand même la création de la CUT représente avec ce qui s'est passé à São Paulo, avec beaucoup d'aspects du PT, et fin 1970, début 1980, avec les communautés de base, il y a un degré de mobilisation qui est lié toujours à cette relative prédominance. Alors nous pouvons discuter pour savoir quelle est l'orientation du gouvernement actuel, mais cette orientation est caractéristique de ça. Alors je ne veux pas prendre trop de votre temps, mais je voudrai simplement dire que, si nous considérons les pays de l'Europe post-communiste, nous avons des situations aussi opposées. Je veux dire que quand je parlais du Chili où, si l'on peut dire, l'économique a précédé le politique, c'est évidemment à la Hongrie qu'on pense, étant donné que la réforme économique a commencé en 1968 et que les capitaux étrangers sont arrivés en Hongrie bien avant les autres 6 International Conference Democratic Transitions in Latin America and in Eastern Europe: Rupture and Continuity 4-6 March 1996, Paris, France pays, comme cela peut se voir physiquement parlant à Budapest. Et ce qui est intéressant c'est que, dans cette situation, la Hongrie dont on ne peut pas dire que la vie politique ait été particulièrement brillante, on n'a rarement vu autant de médiocrité politique que dans la Hongrie contemporaine, et bien malgré ça le système politique est resté extraordinairement solide et, comme on l'a dit récemment, le problème national (Slovénie, Voïvidine, Transylvanie) qui était extraordinairement difficile à résoudre, ça a extraordinairement bien résisté, et nous voyons une capacité du système de se défendre contre l'extrême-droite nationaliste. Mais, en revanche, j'ai la même admiration que Arato pour le mouvement des chauffeurs de taxi qui est un mouvement tout à fait important, j'ai une grande admiration pour le mouvement de défense des tsiganes, un mouvement anti-raciste très efficace et remarquable, mais tout cela veut dire quand même que les acteurs sociaux restent d'une extraordinaire faiblesse, alors que le système politique reste fort, c'est un cas que je prends évidemment en ce sens-là. Dans le cas tout à fait inverse, là où le politique a commandé, je dirai que là il faudrait penser, pas forcément en bien, aux pays baltes et à la Slovaquie, je n'ai pas besoin de dire que je laisse de côté aux systèmes politiques en crise, crise non réglée comme la Roumanie, crise politique réglée comme la Russie mais elle n'est pas sortie de cette crise. Et de même que j'hésitais sur la cas plus complexe du Brésil, ma dernière remarque sera pour dire que ce qui est intéressant dans le cas polonais, pays où la mobilisation politique, sociale et intellectuelle était essentielle, mais la sortie du régime autoritaire s'est faite à l'inverse. C'est-à-dire que la table-ronde, c'est exactement le contraire, c'est un accord tardif au sommet dont le résultat est une extrême stabilisation, puisque le système politique polonais a résisté à la poussée des catholiques de droite et au retour des communistes sans se casser, ce qui tout de même assez remarquable, avec en plus la personnalité de Walesa qui ne facilitait pas les choses. Et, inversement, un degré de formation d'acteurs sociaux et intellectuels extrêmement bas, et, aujourd'hui, la scène intellectuelle apparaît socialement et intellectuellement comme plus proche d'une situation chilienne, c'est-à-dire d'une situation où le développement économique et la stabilisation institutionnelle sont fortes. Je pense d'ailleurs, et je m'empresse de le dire, qu'il ne serait pas du tout difficile d'appliquer ce genre d'analyse à l'Europe occidentale et d'étudier aussi dans le cas de l'Europe occidentale les crises de la démocratie qui sont rarement des crises d'affaiblissement du système institutionnel, même en Italie, mais qui sont considérablement crise de représentation, crise de participation, crise de formation des acteurs sociaux, ce pays-ci étant d'ailleurs un excellent exemple, ni 7 International Conference Democratic Transitions in Latin America and in Eastern Europe: Rupture and Continuity 4-6 March 1996, Paris, France meilleur ni pire que l'Italie, l'Espagne, la Grande-Bretagne et beaucoup d'autres [coupure provoquée par la fin de la cassette]. Il y a deux tendances, je ne dis pas que c'est le contraire, ce serait tout à fait ridicule, je veux dire que la logique qui pousse d'un côté et la logique qui pousse de l'autre sont des logiques qu'il faut combiner, mais qui sont opposées, et qu'il y a donc une logique de la démocratie qui n'est pas simplement l'extension du libéralisme, du champ économique au champ politique. Et je dirai, et c'est ma dernière remarque, je vous amenais dans un passé relativement lointain, mais je terminerai volontiers en disant que ce qui est intéressant pour la prochaine conférence que vous organiserez, c'est que je pense que dans les très peu d'années qui viennent, dans les années qui viennent, nous allons maintenant que nous sommes en plein règne de l'économie assister à la réapparition de processus de changement social dirigé d'en bas et non bas d'en haut, c'est-à-dire à la réapparition de mouvements sociaux, politiques et intellectuels. Et je pense que il est intéressant, et j'y pensais ce matin en envoyant un article sur les élections d'hier au El País qui me l'avait demandé, et je pense en effet, et je terminerai là-dessus en disant à Monsieur Asnar qu'il en profite vite parce qu'il n'est pas là pour longtemps, et ce sont les premiers commentaires de notre ami Felipe sur le redémarrage d'un mouvement social et intellectuel, chose à laquelle on assiste, sous des formes diverses, un peu en Grande-Bretagne, de manière confuse en Italie, de manière contradictoire en France, de manière un peu plus claire en Espagne. Et je pense que pour des pays d'Amérique latine comme pour des pays d'Europe centrale ou orientale, la question devient maintenant une question relativement urgente, car je répète que pour la période historique qui commence ce n'est plus comment entre-t-on dans la transition libérale, mais comment en sort-on. 8