Le patient alcoolisé : un "client" si présent et si oublié des

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Le patient alcoolisé : un “client”
si présent et si oublié des Urgences
F. Poncet, A. Feral*
Tout médecin, tout généraliste, tout service d’urgences a été confronté
au cas du patient alcoolisé et aux problèmes que posent les troubles
plus ou moins graves de la conscience et du comportement induits
par l’état d’ivresse. L’ivresse éthylique aiguë est cliniquement retrouvée chez environ 10 à 15 % des patients admis dans les services
d’accueil et d’urgences en France. Ces chiffres sont éloquents.
Soixante deux pour cent ne sont-ils pas hospitalisés et ne repartent-il
pas sans proposition d’aide et de suivi ? L’ampleur du problème
et le peu de réponses que ces patients trouvent dans nos services
d’urgences sont patents. Rien d’étonnant à ce que bon nombre
d’entre eux passent en vain et reviennent régulièrement, attendant
peut-être une aide que nous n’avons pas pu, ou pas su, leur apporter.
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Pourquoi viennent-ils
aux urgences ?
Les motifs d’admission sont des plus variés.
Le patient peut être adressé par :
• le médecin généraliste, qui est souvent en
première ligne ;
• la police, suite à un scandale, une violence, un état d’agitation sur la voie
publique, chez des particuliers ou à domicile : “dès qu’il y a violence, c’est plutôt la
police” ;
• les pompiers, lorsque le patient est étendu
sur la voie publique, ou lorsqu’il a une petite
plaie, suite à une chute ou une rixe : “dès
que ça saigne, ce sont plutôt les pompiers” ;
• la famille ou les proches, débordés ou
excédés par une situation souvent difficile
et complexe. Dans ces cas-là, le patient
n’est pas toujours coopérant ;
• le patient peut venir de lui-même, parce
qu’il se sent mal ou parce que, brutalement, il a décidé à 23 heures de faire un
sevrage en urgence !
Mais, dans de nombreux cas, l’alcoolisation
aiguë n’est pas le premier diagnostic retenu.
* CHS Sainte-Marie, Clermont-Ferrand.
Fréquemment, l’admission est motivée par
un traumatisme crânien (la moitié d’entre
eux sont associés à une prise d’alcool), une
intoxication médicamenteuse volontaire
(l’alcoolémie est positive dans la moitié des
cas), un bilan traumatique après une rixe, une
agression (l’alcoolémie est positive dans
80 % des cas), ou encore un malaise, une
chute, une sensation vertigineuse.
Quelles sont les attitudes
des soignants ?
L’attitude des soignants est en partie dépendante de la place de la consommation de
boissons alcooliques inscrite dans la tradition culturelle française. Sa valeur initiatique de convivialité, donc d’intégration,
fait en premier lieu de la prise d’alcool un
comportement social. Cette image positive
de l’alcool et de ses effets rend difficile,
pour les soignants comme pour l’entourage
familial et le patient lui-même, la distinction entre l’usage social adapté et une relation pathologique à l’alcool.
Le patient alcoolisé arrivant aux urgences
n’est donc pas souvent considéré comme
souffrant, ni même comme présentant un
problème médical. C’est seulement
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quelqu’un qui a trop bu, soit parce qu’il faisait la fête – et dans ce cas, l’ivresse est souvent banalisée et le retour au domicile rapide –, soit parce que c’est un alcoolique, un
ivrogne, un habitué des urgences, quelqu’un
qui est responsable de son état et qui vient
perturber le service, occuper un lit, voire qui
coûte de l’argent à la société. Bref, il faut
s’en débarrasser au plus vite.
Il faut reconnaître que la prise en charge
de ces patients ayant régulièrement des
troubles du comportement est souvent
problématique dans des locaux non adaptés et par des équipes non formées.
L’attitude de rejet des équipes devant ces
patients bruyants et encombrants est
favorisée par des habitudes ou des traditions
de pensée encore bien vivaces en France à
propos du traitement de l’alcoolisme. Dans
le grand public, comme trop souvent encore
dans les milieux médicaux, la prise en
charge thérapeutique est considérée avec
méfiance et scepticisme, supposée vouée à
l’échec (il suffit de voir chez un même
patient le nombre d’hospitalisations à répétition pour sevrage) et parfois même vécue
comme inutile et coûtant cher à la société.
L’attitude permissive ou complaisante vis-àvis de l’ivresse est également fréquemment
rencontrée, notamment chez les patients
jeunes. L’ivresse est alors considérée comme
synonyme de fête, et toute éventuelle relation
pathologique à l’alcool est exclue.
Comment définir l’intoxication
éthylique aiguë (IEA) ?
Malgré le côté bien banal de cet état, le
bilan médical est important parce que,
même si on a tendance à l’oublier, l’alcool
éthylique est un toxique. Les troubles du
comportement et de la vigilance qui résultent de son ingestion aiguë se traduisent
dans le langage courant, mais aussi dans le
milieu médical, par le mot ivresse. La
banalisation de ce terme expose au risque
de n’induire aucune démarche anamnestique, clinique et thérapeutique, parce que
le mot ivresse n’a aucune signification de
gravité. Ce terme, trop populaire, voire
assimilé à un état plutôt agréable, devrait
être banni du langage médical.
L’ingestion aiguë d’alcool éthylique est
une intoxication aiguë. Elle devrait donc
être prise en charge et assimilée dans l’esprit
des soignants du service des urgences
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comme toute autre intoxication. La désignation d’intoxication éthylique aiguë
(IEA) semble mieux convenir.
• Critères diagnostiques
et de gravité de l’IEA
Le diagnostic est souvent simple.
Le DSM IV décrit les signes de l’intoxication alcoolique (tableau I).
Reconnaître la gravité actuelle ou potentielle d’une intoxication éthylique aiguë,
est une étape indispensable qui conditionne la prise en charge.
• L’intoxication elle-même
Dans sa forme comateuse, le risque est
surtout celui de la survenue d’une insuffisance respiratoire aiguë.
Dans les formes avec complications :
excito-motrices, délirantes ou hallucinatoires, le patient peut devenir dangereux
pour lui-même et pour les autres.
Tableau I.
A. Ingestion récente d’alcool.
B. Changements inadaptés, comportementaux ou
psychologiques cliniquement significatifs – exemple :
comportement sexuel ou agressif inapproprié, labilité de l’humeur, altérations du fonctionnement social
ou professionnel qui se sont développées pendant
ou peu après l’ingestion d’alcool.
C. Au moins un des signes suivants, se développant
pendant ou peu après la consommation d’alcool :
– 1. Discours bredouillant.
– 2. Incoordination motrice.
– 3. Démarche ébrieuse.
– 4. Nystagmus.
– 5. Altération de l’attention ou de la mémoire.
– 6. Stupeur ou coma.
D. Les symptômes ne sont pas dus à une affection
médicale générale et ne sont pas mieux expliqués
par un autre trouble mental.
• d’un traumatisme crânien. Sa recherche
sera faite par l’anamnèse (si besoin avec
l’aide des proches) et à l’examen clinique :
plaie du cuir chevelu, hématome périorbitaire. La surveillance doit être particulièrement étroite en raison du risque de complication ;
• d’un polytraumatisme ou d’un traumatisme isolé, soit des membres, soit viscéral.
Le taux d’accidents de la voie publique chez
les patients alcoolisés est important, ainsi
que les chutes ou les accidents du travail ;
• d’une autre intoxication. Les intoxications
médicamenteuses volontaires sont fréquemment associées à une prise d’alcool qui potentialise les effets des toxiques ;
• d’une infection. En cas de f ièvre, on
recherchera en premier lieu une infection
pulmonaire.
On ne soulignera jamais assez le contraste entre le rejet dont ces patients, passant pour la énième fois, font trop souvent l’objet dans nos services qu’ils
perturbent, et le risque de méconnaître
une complication grave de leur état en
sous-estimant la situation.
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Rechercher une complication
Elle est toujours à rechercher. Le patient
alcoolisé est un patient à risque, car le
diagnostic des complications est rendu difficile du fait même de l’état d’intoxication
éthylique aiguë. L’examen et la surveillance sont donc des étapes essentielles, car
le risque vital peut être en jeu.
Les complications les plus fréquentes à
rechercher lors de la prise en charge initiale sont les suivantes :
• une inhalation ;
• une crise convulsive généralisée. Si on
note une absence de réveil au bout de
30 minutes, il faut penser à une hémorragie intracrânienne ;
• une hypoglycémie. Bien que rare, elle est
classiquement décrite chez l’alcoolique
chronique et dénutri. Elle doit toujours être
éliminée par la glycémie capillaire ;
• l’acidocétose alcoolique ;
• les complications digestives, notamment
l’hépatite alcoolique aiguë ;
• une rhabdomyolyse.
Une autre affection somatique et/ou psychiatrique doit aussi être recherchée car
elle peut mettre en jeu le pronostic vital, ce
qui est fréquent : 50 à 60 % des intoxications éthyliques aiguës admises dans un
service d’urgences sont associées à un
autre état pathologique. Il peut s’agir :
• Formes psychiatriques
L’intoxication éthylique aiguë peut s’accompagner d’aspects cliniques psychiatriques.
Ils sont éventuellement différents selon
qu’ils sont observés chez un sujet non
buveur excessif, non alcoolo-dépendant ou
chez un sujet ayant une relation pathologique à l’alcool.
L’IEA résulte de l’action d’une dose importante d’alcool sur le système nerveux avec
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un effet stimulant direct qui précède un effet
dépresseur, éventuellement hypnotique.
Les manifestations liées à l’état alcoolique
sont très dépendantes de :
– la dose d’alcool ingérée ;
– la rapidité à laquelle la dose a été
absorbée ;
– la susceptibilité individuelle du sujet.
C’est la raison pour laquelle il est illusoire
de faire une corrélation entre les troubles
cliniques observés et les taux d’alcoolémie.
• IEA simple
L’intoxication éthylique aiguë dite “simple” entraîne des modif ications psychologiques plus ou moins vives :
• la phase d’excitation psychomotrice s’accompagne d’une désinhibition, d’une
impression d’aisance, de brio, d’euphorie
avec une logorrhée et une incoordination
motrice. Ensuite, cette facilité de contact et
d’échanges peut laisser place à une
morosité, un spleen, une irritabilité ;
• la phase dite “d’ébriété” entraîne un état
d’obnubilation intellectuelle : la pensée
s’embrouille, la mémoire est imprécise, les
propos sont incohérents. Il s’agit d’un état
confusionnel. La phase d’ébriété s’accompagne fréquemment de troubles des conduites
instinctuelles, émotionnelles : le sujet passe
du rire aux larmes, les sollicitations érotiques
sont fréquentes, ainsi que les attitudes provocantes ou des mouvements de colère. L’incoordination motrice est majeure.
Ces deux phases précèdent le coma qui est un
coma calme avec aréflexie et hypoesthésie.
L’odeur de l’haleine, caractéristique, est un
guide précieux pour le diagnostic.
• IEA compliquées
À côté de l’IEA simple, on décrit classiquement les IEA dites “pathologiques”.
Elles surviennent le plus souvent, mais pas
exclusivement, chez les sujets ayant
une relation pathologique avec l’alcool.
Il existe classiquement différentes formes :
• les IEA excitomotrices : ces imprégnations
alcooliques aiguës sont des formes agitées,
avec impulsions verbales, motrices, des
décharges clastiques, une agressivité qui ne
trouve aucun frein, des gestes destructeurs,
saccageurs. Le passage à l’acte va fréquemment jusqu’aux coups et blessures, parfois
jusqu’au meurtre :
– l’alcool est un facteur criminogène ;
– le surmoi est soluble dans l’alcool ;
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– l’alcool facilite le passage à l’acte antisocial.
On pense aux jeunes qui recherchent un
effet d’excitation dans l’alcool, qui facilite
leurs actions, leurs délits, surtout en bande ;
et, souvent, l’alcool est associé à d’autres
toxiques (LSD, cocaïne, héroïne, etc.).
Ces “ivresses” sont marquées par la violence et l’incidence médico-légale.
• Les IEA avec troubles de l’humeur : elles
sont soit d’allure maniaque, soit d’allure
dépressive.
Aux symptômes d’intoxication alcoolique
aiguë peuvent s’ajouter soit une euphorie,
une logorrhée avec des idées de grandeur, de
toute-puissance, une agitation et un discours
familier, soit des symptômes dépressifs. Le
risque de passage à l’acte suicidaire est toujours à craindre.
• Les IEA délirantes : elles se présentent
fréquemment sous la forme d’un état délirant
aigu à type de persécution, de jalousie ou
encore mégalomaniaque ou d’autodépréciation délirante. Il ne faut jamais minimiser la
possibilité d’une dangerosité vis-à-vis
d’autrui ou d’un passage à l’acte suicidaire.
• L’IEA hallucinatoire : cette forme
pathologique est la plus rare. Elle comporte principalement des hallucinations
visuelles, le plus souvent terrif iantes,
allant de distorsions cauchemardesques de
la réalité à un véritable état hallucinatoire.
Ce tableau clinique est à différencier du
delirium tremens.
Le danger de ces formes d’IEA, s’accompagnant d’aspects cliniques psychiatriques,
réside donc principalement dans la dangerosité du patient vis-à-vis de lui-même
et/ou vis-à-vis des autres. Ces risques sont
d’autant plus importants que l’intoxication
éthylique survient chez un sujet ayant des
troubles de la personnalité ou une pathologie psychiatrique associée. L’alcoolisation
aiguë peut venir révéler un état dépressif
constitué. L’action dépressiogène de l’alcool risque d’aggraver le trouble de
l’humeur préexistant et faciliter un passage
à l’acte suicidaire. Certains patients
déprimés prennent de l’alcool pour se donner le “courage d’en finir”.
Dans les grandes séries de suicides accomplis, on retrouve une alcoolisation
chronique dans 25 % des cas. Parmi les
causes de décès chez les alcooliques, le
suicide est retrouvé dans 5 à 25 % des cas.
Ainsi, le risque est grand que des patients
alcoolisés et/ou violents ne soient pas admis
au sein des urgences. Les médecins sont de
plus en plus souvent confrontés à la prise en
charge de ces patients, ce d’autant qu’il existe,
pour ces patients, un contexte de crise, c’est-àdire une situation interactive conflictuelle
impliquant le sujet et son environnement. Ce
qui guide la conduite de ces patients à l’hôpital est, en effet, autant une démarche sanitaire
que sécuritaire. Le médecin et l’équipe
soignante vont donc avoir affaire, outre aux
soins appropriés à délivrer à ces patients, à
l’évaluation médico-psycho-sociale de ceuxci, et aussi aux modifications médico-légales
et aux dimensions déontologiques voire
éthiques de ces prises en charge.
Après évaluation de la situation et en tenant
toujours compte du discours de la famille,
ces situations de violence peuvent nécessiter l’hospitalisation sous contrainte, sous
le mode de l’hospitalisation sur demande
d’un tiers (HDT) ou de l’hospitalisation
d’office (HO), qui a le mérite de ne pas
impliquer la famille.
Le nombre d’hospitalisations sous contrainte de ces patients, initiées au domicile
ou par les urgences, est croissant. Cette psychiatrisation de la dangerosité alcoolique ne
se fait pas sans poser de problèmes, notamment quant à la demande de soins et à l’adhésion du sujet, si nécessaire, au projet
thérapeutique. L’urgence, ici, n’est pas
“alcoolique” au sens du sevrage, mais elle
est d’ordre médical, psychiatrique, social. Il
s’agit de briser un cercle vicieux, une évolution, d’entendre les souffrances, les difficultés du patient. Alors, l’art du médecin
consiste à profiter de ce passage, de cette
hospitalisation, même avec obligation, pour
susciter une prise de conscience et aboutir à
la démarche de soins.
Bilans préliminaires
indispensables
Dans toute intoxication éthylique aiguë, il
est bien évidemment indispensable de
réaliser un examen clinique complet ainsi
qu’un bilan biologique :
• Examens biologiques : dans ce cadre de
gravité, c’est la glycémie qui est l’examen
complémentaire nécessaire.
L’ionogramme est également réalisé, et il
serait souhaitable pour le diagnostic et la
prise en charge ultérieure d’effectuer un
bilan hépatique avec transaminases, gamma
GT et CDT (Transferrine Carboxy Defi-
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cient). Ce dosage devrait se développer dans
l’avenir si ses résultats prometteurs venaient
à se confirmer (plus sensible et plus
spécifıque que les gamma GT).
Ce bilan aidera au diagnostic éventuel d’alcoolo-dépendance ou d’abus d’alcool. Il
pourra également être communiqué au
médecin traitant pour aider au diagnostic et
à la prise en charge dans le cas d’une relation pathologique à l’alcool.
L’alcoolémie ou l’éthylométrie (qui n’introduit pas de délai) sont habituellement
réalisées.
• Examens paracliniques : le scanner
cérébral reste l’examen essentiel et ses indications en urgence à bien connaître si l’on
ne veut pas passer sont à côté d’une complication neurologique, hémorragique en particulier à la suite d’un traumatisme crânien
récent ou semi-récent. Les principales indications comportent les troubles de la conscience durables, un signe de localisation
(déficit focalisé), des crises partielles ou secondaires, un état de mal, une lésion traumatique et des signes infectieux associés.
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Pour résumer...
Garder toujours un patient en alcoolisation aiguë dès
lors qu’une des conditions suivantes est remplie :
– fonction de relation perturbée ;
– et/ou existence de complications ;
– et/ou existence de lésions associées ;
– et/ou alcoolémie > 3 g/l ;
– et/ou absence de surveillance fiable au domicile ou
lieu d’habitation éloigné d’un centre hospitalier ;
– et/ou toute IEA pathologique ;
– et/ou existence d’une pathologie psychiatrique
associée.
Comment prendre en charge les
aspects psychiatriques de l’IEA ?
Les IEA avec troubles du comportement et
symptômes d’allure psychiatrique sont
celles qui perturbent particulièrement les
services d’urgences et sont de prise en
charge souvent difficile.
• Examen médical complet
Nous n’insisterons jamais assez sur l’importance de l’examen clinique, même chez
un patient venu aux urgences pour les
mêmes raisons le jour précédent.
Beaucoup de troubles attribués à l’alcoolisation aiguë peuvent être liés à une autre
cause ou à une complication (traumatique,
infectieuse, vasculaire, métabolique, etc.).
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• Règles de prudence
Pour un sujet alcoolisé conduit dans un
service d’urgences de gré ou de force, la
période d’observation doit se poursuivre
jusqu’à ce que soient dissipés les troubles
somato-psychiques. Les manifestations
peuvent être différées, on ne connaît pas la
tolérance individuelle (les phases d’ébriété
puis de paralysie et de sommeil peuvent
encore survenir).
Bien que sa réalisation ne soit pas toujours
aisée quand le patient est agité, non
coopérant, un bilan associant ionogramme,
glycémie et alcoolémie devrait toujours être
effectué, ce qui n’est pas systématiquement
le cas, notamment dans le cadre des IPM
(ivresse publique manifeste).
• Prescriptions médicamenteuses
Dans tous les cas, le traitement préventif du
delirium tremens doit être débuté sans délai.
La prise en charge et les critères de choix
thérapeutiques s’établiront en référence
aux conférences de consensus (mars 1999mars 2001).
Il faut expliquer au patient l’importance
d’une hydratation maximale. La voie per
os est privilégiée, mais la voie intraveineuse est rapidement utilisée dès que le
sujet ne peut pas boire.
On mettra en place un traitement associant
vitaminothérapie (vitamines B1 et B6).
Dans l’IEA simple, le meilleur traitement
associe repos au calme et réhydratation
sous surveillance.
Dans les IEA pathologiques, il est nécessaire
de calmer l’agitation. Si une prise en charge
ferme, mais sécurisante et rassurante dans le
calme, ne suffit pas, un traitement médicamenteux sera nécessaire, si possible per os,
sinon en intramusculaire.
• Les benzodiazépines seront utilisées par
rapport à leur efficacité, notamment dans
la prévention des crises épileptiques et du
delirium et pour contrôler les symptômes
du manque (Séresta® 50, Tranxène® 50).
• Les neuroleptiques seront préférés en cas de
troubles sévères, notamment du comportement ou d’hallucinations. On choisira ceux à
potentiel épileptogène le moins important,
seul ou en association aux benzodiazépines
(Loxapac®, Tiapridal® per os ou en I.M.).
Pour éviter des complications parfois graves,
une surveillance dans des conditions de
calme et confort sera assurée en association
aux moyens pharmacologiques et à une relation de proximité et de soutien.
La façon dont les soignants abordent le
patient détermine pour une part non
négligeable l’escalade ou l’apaisement de
la violence.
Le recours à l’isolement doit être exceptionnel, ainsi que la contention, qui peuvent majorer l’anxiété et l’agressivité.
La mise en route
d’un traitement alcoologique
La situation de crise de l’ivresse peut être
le révélateur d’une alcoolo-dépendance ou
d’une consommation abusive, qui doivent
être repérées afin de proposer une prise en
charge adaptée. À défaut d’un véritable
problème d’alcool, une ivresse doit être
l’occasion d’une prévention avec, notamment, une information sur l’alcool et ses
méfaits.
Le patient qui sort, ou pire, qui fugue des
urgences après (ou même avant) avoir
“décuité” dans un “coin du service”, sans
avoir eu la moindre écoute, sans évaluation
de son rapport à l’alcool, est un patient qui
passe en vain et risque fort de revenir.
L’observation du patient alcoolisé est un
moment important qui peut être décisif
dans l’adhérence ou non à une éventuelle
prise en charge. Cette situation de crise
place face à face un sujet alcoolisé, presque
toujours non demandeur de soins, parfois
agité, et un médecin à qui il incombera de
prendre rapidement des décisions d’urgence, d’ordre médical ou médico-légal.
L’admission du patient alcoolisé dans le
cadre de l’ivresse publique manifeste
(IPM), c’est-à-dire amené par la police
avec un départ rapide vers une chambre de
dégrisement, avec un certif icat de nonhospitalisation, est une situation particulièrement problématique car réalisée
dans des conditions difficiles (patient souvent violent encadré de policiers). Ces situations sont à l’origine de nombreux
procès contre les médecins. Certains proposent de terminer la rédaction du certificat par la formule suivante : “Toutefois, la
survenue de modifications inquiétantes de
l’aspect de cette personne et, notamment,
d’une détérioration de l’état de conscience
doit la faire soumettre immédiatement à un
nouvel examen médical.”
En plus des risques médicaux accentués
par des conditions de surveillance souvent
dramatiques, il est tout à fait regrettable,
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par ailleurs, que ces sujets échappent à
toute filière de soins.
Le développement des “réseaux
alcool” est essentiel
Dans tous les cas, le moment de l’hospitalisation d’une ivresse devrait être l’occasion
d’une rencontre utile. C’est pourquoi le
médecin doit avoir des compétences de
rapidité et d’efficacité et parfaitement connaître la structure de l’accueil et les filières
de soins spécialisées en alcoologie pour une
bonne cohérence du système. La création de
réseaux d’alcoologie et leur bonne connaissance par les intervenants des urgences sont
des éléments primordiaux si l’on veut
apporter une aide efficace à ces patients.
Premier maillon d’une prise en charge au
long cours, il s’agit d’éviter que cette rencontre ne soit source d’un malentendu initial.
Cette rencontre fugace place le médecin face
à un patient qu’il ne connaît pas, en état de
souffrance aiguë, et qui ne sait pas la plupart
du temps exprimer une demande. Pourtant
l’écoute (et l’accompagnement) de ces
patients est primordiale, l’urgence d’un
coma éthylique, d’un delirium tremens est
reconnue par tous, mais l’urgence subjective, elle, est souvent niée.
Le rejet de patients qui souffrent, dont
l’ivresse, voire la violence, sont les seuls
modes d’expression pendant ce moment de
crise, ne fait qu’accentuer leur désespoir.
Même s’ils perturbent le service d’urgences, le but des soignants ne doit pas
être avant tout de les faire sortir rapidement, mais bien de pratiquer une clinique
humaine et savoir que cet état d’urgence
n’est qu’un temps cloisonné dans l’histoire
du patient.
L’ivresse doit être en priorité l’occasion
d’une surveillance médicale, mais aussi,
afin d’éviter qu’ils ne passent et repassent
en vain, l’occasion pour les patients d’un
bilan psychosocial complet et surtout d’un
moment d’écoute.
Il faut souvent répondre à un patient qui
appelle au secours explicitement ou
implicitement : c’est aussi une urgence. Sa
demande peut recouvrir une dépression,
annoncer une alcoolisation prochaine,
révéler une relation pathologique à l’alcool.
La période d’observation est suivie d’une
phase d’évaluation où l’intoxication
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Sécurité routière : l’alcool sans doute
responsable de 3 000 morts par an !
• E n d i rection des soignants : de contribuer à leur sensibilisation à l’alcoologie,
voire à leur formation.
Bien sûr, cette intervention visant à engager
un patient vers un projet thérapeutique audelà de son séjour aux urgences, nécessite
une base alcoologique solide dans l’établissement, c’est-à-dire l’existence d’une unité de
soins de courte durée et/ou de soins de suite.
Son intégration dans l’organisation hospitalière doit être effective. Il en va de même en
ce qui concerne celle dans le dispositif d’alcoologie local et avec les autres acteurs sanitaires et sociaux agissant en réseau.
Ainsi, par exemple, dans le Puy-de-Dôme,
l’organisation se fait avec les secteurs psychiatriques, le CCAA (ex-CHAA), les unités
fonctionnelles d’alcoologie (CHU et CHS)
et le réseau PARAD (réseau de soins pour
patients en difficulté avec l’alcool, à risque,
abuseurs, dépendants). Ce réseau de soins
expérimental, correspondant au cahier des
charges du conseil d’orientation des filières
et réseaux (comité Soubie), répond à la
nécessité de prendre en charge tous les
aspects : médical, social, économique de
cette pathologie. Cela engage un partenariat
et une coordination entre public/privé,
hospitalier/ville, hospitalier/ambulatoire.
En résumé, une alcoolémie positive, ce n’est
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éthylique aiguë sera intégrée dans l’histoire du patient, afin d’évaluer sa relation à
l’alcool.
Cette période d’écoute indispensable doit
être l’occasion d’un bilan complet médicopsycho-social af in que ces patients ne
repassent plus en vain.
Toute personne accueillie pour une intoxication éthylique aiguë au service des
urgences doit bénéficier d’un entretien spécialisé apportant au minimum une information simple et didactique et, selon les cas,
une prise en charge avec ou sans orientation. Il est important de souligner que cet
entretien sera réalisé après la prise en
compte par l’équipe de l’ensemble des
problèmes aigus qui peuvent se poser, d’où
l’intérêt d’une réflexion médico-psychosociale. À cette réflexion seront toujours
associés familles et tiers concernés. Cette
mission est dévolue à l’équipe hospitalière
d’alcoologie de liaison en collaboration
avec l’équipe du service et/ou les psychiatres des urgences.
Cette équipe d’alcoologie a pour rôle :
• En direction des patients : de mettre en
place les outils de la prise en charge spécifique. Aux urgences, elle propose, entre
autres, des stratégies de prévention primaire et secondaire.
Depuis que le Président de la République a fait de la sécurité routière l’un des grands chantiers de son quinquennat, les mesures envisagées pour faire baisser le nombre de morts sur la route se multiplient. Réduire l’alcoolémie à 0,3 voire 0,2 g/l pour les jeunes conducteurs, ou, plus radicalement, rendre délictueuse toute conduite automobile sous l’emprise de l’alcool sont des mesures envisageables. Il
faut dire que, selon des données récemment publiées, sur 6 920 accidents mortels répertoriés en 2001, 4 326 seulement (soit 62,5 %)
sont documentés avec des informations sur l’alcoolémie du ou des
conducteurs. Parmi ceux-ci, 1 349 (soit 31,2 %) sont des accidents
dans lesquels au moins un des conducteurs avait une alcoolémie positive (ils ont occasionné le décès de 1 554 personnes). La proportion
d’accidents mortels avec alcool reste toutefois relativement constante
depuis 1994 (autour de 30 %), mais connaît de très fortes disparités
d’un département à un autre. Les taux les plus élevés sont atteints en
Pyrénées-Orientales (44,8 %) et dans les Ardennes (40 %), les plus
bas étant relevés en Aveyron(12,8 %) et dans l’Oise (15,9 %). Environ
75 % des décès lors d’accidents avec alcool se sont produits la nuit et
53,2 % les nuits de week-ends. Enfin, si l’on tient compte des 2 600
accidents mortels pour lesquels l’alcoolémie des conducteurs n’était
pas banal. L’intoxication éthylique aiguë est
une situation d’urgence médicale et psychiatrique qui doit conduire à un bilan complet
pour mise en place d’un suivi. La création
d’unités d’hospitalisation de très courte
durée va dans le sens d’une meilleure prise
en charge, car elle permet l’introduction du
facteur temps, indispen-sable à la réalisation
d’un bilan global. Les unités fonctionnelles
d’alcoologie de liaison, plus mobiles, ont un
capital de prise en charge de ces patients et
de formation des équipes, tant dans les services d’urgences que dans tout autre service
de l’établissement.
Dépister est une chose, mais il faut poursuivre dans le sens d’une information et
d’une articulation avec les urgentistes de
façon à agir avant l’alcoolo-dépendance et
l’abus, et à établir un protocole (même
léger) permettant au patient d’avoir une
aide. La collaboration est donc primordiale
entre les médecins généralistes, le service
d’urgences, les centres d’alcoologie, les
mouvements d’anciens buveurs et les
autres partenaires.
Mise s
au
poin t
Article paru dans “les Actualités en
Psychiatrie”, vol 18, n° 10, décembre 2001.
pas connu, on parvient à 2 000 à 3 000 vies sacrifiées à l’alcool !
w w w. s e c u r i t e ro u t i e r e . e q u i p e m e n t . g o u v. f r
(“Accidents” puis “Accidentologie générale”, bilan 2001). Actualités Alcool,
sept/oct 2002 ; n° 9. INPES-L’Assurance maladie.
Quid des traitements antalgiques au long cours
chez des patients douloureux à risque d’addiction ?
L’expérience clinique a montré que l’on pouvait recourir au long
cours aux opiacés pour soigner les douleurs chroniques.
Malheureusement, on n’en connaît pas bien les inconvénients pour les
patients qui ont été ou sont dépendants d’une drogue car on n’a réalisé que très peu d’essais contrôlés à ce sujet. Voilà pourquoi les
auteurs font la synthèse des articles parus sur cette question qu’ils
regroupent en trois grands chapitres : les thérapeutiques opiacées
mises en regard des facteurs de susceptibilité biologique et environnementale d’addiction ; le résumé des essais contrôlés et incontrôlés
sur les thérapies opiacées de la douleur ; l’évaluation critique des traitements antalgiques au long cours, en termes d’efficacité et de risque
d’abus.
Nedeljkovic SS et al. (Boston). Clin J Pain 2002 ; vol. 18 (suppl) : 39S-51S.
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141
F.A.R.
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