Le patient alcoolisé : un fléau oublié des urgences

publicité
mise au point
Mise au point
Le patient alcoolisé : un fléau oublié des urgences
F. Poncet* et A. Feral
Pourquoi viennent-ils
aux urgences ?
T
Le patient alcoolisé
arrivant aux urgences
n’est donc pas souvent
considéré comme souffrant, ni même comme
présentant un problème
médical. C’est seulement quelqu’un qui a
trop bu, soit parce qu’il
faisait la fête – et dans
ce cas, l’ivresse est
souvent banalisée et le
retour à domicile rapide –, soit parce que
c’est un “alcoolique”,
un “ivrogne”, un “habitué des urgences”,
quelqu’un qui est responsable de son état et
qui vient perturber le
service, occuper un lit, voire qui coûte
de l’argent à la société. Bref, il faut s’en
débarrasser au plus vite.
Il faut reconnaître que la prise en charge
de ces patients ayant régulièrement des
troubles du comportement est souvent
problématique dans des locaux non
adaptés et par des équipes non formées.
L’attitude de rejet des équipes devant ces
patients bruyants et encombrants est
favorisée par des habitudes ou des traditions de pensée encore bien vivaces en
France à propos du traitement de l’alcoolisme. Dans le grand public, comme
trop souvent encore dans les milieux
médicaux, la prise en charge thérapeutique est considérée avec méfiance et
scepticisme, supposée vouée à l’échec (il
suffit de voir chez un même patient le
nombre d’hospitalisations à répétition
pour sevrage) et parfois même vécue
comme inutile et coûtant cher à la société.
out médecin, tout généraliste, tout service d’urgences a
été confronté au cas du patient alcoolisé et aux problèmes que posent les troubles plus ou moins graves de la
conscience et du comportement induits par l’état d’ivresse.
L’ivresse éthylique aiguë est cliniquement retrouvée chez
environ 10 à 15 % des patients admis dans les services
d’accueil et d’urgences en France.
Ces chiffres sont éloquents sur l’ampleur du problème et le
peu de réponses que ces patients trouvent dans nos services
d’urgences (72 % ne sont pas hospitalisés et repartent sans
proposition d’aide ou de suivi). Rien d’étonnant à ce que
bon nombre d’entre eux passent en vain et reviennent
régulièrement, attendant peut-être une aide que nous n’avons
pas pu ou pas su leur apporter.
Les motifs d’admission sont
des plus variés. Le patient
peut être adressé par :
• le médecin généraliste
qui est souvent en première
ligne ;
• la police, suite à un scandale, une violence, un état
d’agitation sur la voie
publique, chez des particuliers ou à domicile :
“Dès qu’il y a violence,
c’est plutôt la police” ;
• les pompiers, lorsque le
patient est étendu sur la
voie publique, ou lorsqu’il a une petite
plaie, suite à une chute ou une rixe :
“Dès que ça saigne, ce sont plutôt les
pompiers” ;
• la famille ou les proches, débordés ou
excédés par une situation souvent difficile et complexe. Dans ces cas-là, le
patient n’est pas toujours coopérant ;
• le patient peut venir de lui-même,
parce qu’il se sent mal ou parce que,
brutalement, il a décidé à 23 heures de
faire un sevrage en urgence !
Mais, dans de nombreux cas, l’alcoolisation aiguë n’est pas le premier diagnostic
retenu. Fréquemment, l’admission est
motivée par un traumatisme crânien (la
moitié d’entre-eux sont associés à une
prise d’alcool), une intoxication médicamenteuse volontaire (l’alcoolémie est
positive dans la moitié des cas), un bilan
* CHS Sainte-Marie, Clermont-Ferrand.
traumatique après une rixe, une agression (l’alcoolémie est positive dans 80 %
des cas), ou encore un malaise, une
chute, une sensation vertigineuse.
Quelles sont les attitudes
des soignants ?
L’attitude des soignants est en partie
dépendante de la place de la consommation de boissons alcooliques inscrite dans
la tradition culturelle française. Sa valeur
initiatique de convivialité, donc d’intégration, fait en premier lieu de la prise
d’alcool un comportement social. Cette
image positive de l’alcool et de ses effets
rend difficile, pour les soignants comme
pour l’entourage familial et le patient luimême, la distinction entre l’usage social
adapté et une relation pathologique à l’alcool.
Act. Méd. Int. - Psychiatrie (18) n° 10, décembre 2001
319
mise au point
Mise au point
L’attitude permissive ou complaisante visà-vis de l’ivresse est également fréquemment rencontrée, notamment chez les
patients jeunes. L’ivresse est alors considérée comme synonyme de fête, et toute
éventuelle relation pathologique à l’alcool
est exclue.
Qu’est l’intoxication éthylique
aiguë (IEA) ?
Malgré le côté bien banal de cet état, le
bilan médical est important parce que,
même si on a tendance à l’oublier, l’alcool éthylique est un toxique. Les troubles du comportement et de la vigilance
qui résultent de son ingestion aiguë se
traduisent dans le langage courant, mais
aussi dans le milieu médical, par le mot
“ivresse”. La banalisation de ce terme
expose au risque de n’induire aucune
démarche anamnestique, clinique et
thérapeutique, parce que le mot
“ivresse” n’a aucune signif ication de
gravité. Ce terme, trop populaire, voire
assimilé à un état plutôt agréable, devrait
être banni du langage médical.
L’ingestion aiguë d’alcool éthylique est
une intoxication aiguë. Elle devrait donc
être prise en charge et assimilée dans
l’esprit des soignants du service d’urgences comme toute autre intoxication.
La désignation d’intoxication éthylique
aiguë (IEA) semble mieux convenir.
Critères diagnostiques et de gravité
de l’IEA
Le diagnostic est souvent simple.
Le DSM-IV décrit les signes de l’intoxication alcoolique – F 10.0x –
(tableau I).
Reconnaître la gravité actuelle ou potentielle d’une intoxication éthylique aiguë,
est une étape indispensable qui conditionne la prise en charge.
Act. Méd. Int. - Psychiatrie (18) n° 10, décembre 2001
Tableau I.
A. Ingestion récente d’alcool.
B. Changements inadaptés, comportementaux ou
psychologiques cliniquement significatifs – exemple : comportement sexuel ou agressif inapproprié,
labilité de l’humeur, altération du fonctionnement
social ou professionnel qui se sont développés pendant ou peu après l’ingestion d’alcool.
C. Au moins un des signes suivants, se développant
pendant ou peu après la consommation d’alcool :
– 1. Discours bredouillant.
– 2. Incoordination motrice.
– 3. Démarche ébrieuse.
– 4. Nystagmus.
– 5. Altération de l’attention ou de la mémoire.
– 6. Stupeur ou coma.
D. Les symptômes ne sont pas dus à une affection
médicale générale et ne sont pas mieux expliqués
par un autre trouble mental.
L’intoxication elle-même
Dans sa forme comateuse, le risque est
surtout celui de la survenue d’une insuffisance respiratoire aiguë.
Dans les formes compliquées : excitomotrices, délirantes ou hallucinatoires, le
patient peut devenir dangereux pour luimême et pour les autres.
Une complication possible
Elle est toujours à rechercher. Le patient
alcoolisé est un patient à risque, car le
diagnostic des complications est rendu
difficile du fait même de l’état d’intoxication éthylique aiguë. L’examen et la
surveillance sont donc des étapes essentielles, car le risque vital peut être en jeu.
Les complications les plus fréquentes à
rechercher lors de la prise en charge initiale sont les suivantes :
• une inhalation ;
• une crise convulsive généralisée. Si on
note une absence de réveil au bout de
30 minutes, il faut penser à une hémorragie intracrânienne ;
• une hypoglycémie. Bien que rare, elle est
classiquement décrite chez l’alcoolique
chronique et dénutri. Elle doit toujours être
éliminée par la glycémie capillaire ;
320
• l’acidocétose alcoolique ;
• les complications digestives, notamment l’hépatite alcoolique aiguë ;
• une rhabdomyolyse.
La ou les comorbidités somatiques
et/ou psychiatriques associées
Une autre affection est également à
rechercher en raison du pronostic vital
pouvant être en jeu et de sa fréquence :
50 à 60 % des intoxications éthyliques
aiguës admises dans un service d’urgences sont associées à un autre état
pathologique. Il peut s’agir :
• d’un traumatisme crânien. Sa recherche
sera faite à l’anamnèse (si besoin avec
l’aide des proches) et à l’examen clinique : plaie du cuir chevelu, hématome
périorbitaire. La surveillance doit être
particulièrement étroite en raison du
risque de complication ;
• d’un polytraumatisme ou d’un traumatisme isolé, soit des membres, soit viscéral. Le taux d’accidents de la voie
publique chez les patients alcoolisés est
important, ainsi que les chutes ou les
accidents du travail ;
• d’une autre intoxication. Les intoxications médicamenteuses volontaires sont
fréquemment associées à une prise d’alcool
qui potentialise les effets des toxiques ;
• d’une infection. En cas de fièvre, on
recherchera en premier lieu une infection pulmonaire.
On ne soulignera jamais assez le contraste entre le rejet dont ces patients,
passant pour la énième fois, font trop
souvent l’objet dans nos services, qu’ils
perturbent, et le risque de méconnaître
une complication grave de leur état en
sous-estimant la situation.
Les formes psychiatriques
L’intoxication éthylique aiguë peut s’accompagner d’aspects cliniques psychiatriques.
Ils sont éventuellement différents selon
qu’ils sont observés chez un sujet non
mise au point
Mise au point
buveur excessif, non alcoolo-dépendant
ou chez un sujet ayant une relation
pathologique à l’alcool.
L’IEA résulte de l’action d’une dose
importante d’alcool sur le système
nerveux avec un effet stimulant direct
qui précède un effet dépresseur, éventuellement hypnotique.
Les manifestations liées à l’état
alcoolique sont très dépendantes de :
– la dose d’alcool ingérée ;
– la rapidité avec laquelle la dose a été
absorbée ;
– la susceptibilité individuelle du sujet.
C’est la raison pour laquelle il est illusoire de faire une corrélation entre les
troubles cliniques observés et les taux
d’alcoolémie.
L’IEA simple
L’intoxication éthylique aiguë dite “simple” entraîne des modif ications psychologiques plus ou moins vives :
• la phase d’excitation psychomotrice
s’accompagne d’une désinhibition, d’une
impression d’aisance, de brio, d’euphorie
avec une logorrhée et une incoordination
motrice. Ensuite, cette facilité de contact
et d’échanges peut laisser place à une
morosité, un spleen, une irritabilité ;
• la phase dite d’“ébriété” entraîne un
état d’obnubilation intellectuelle : la
pensée s’embrouille, la mémoire est
imprécise, les propos sont incohérents. Il
s’agit d’un état confusionnel. La phase
d’ébriété s’accompagne fréquemment de
troubles des conduites instinctuelles,
émotionnelles : le sujet passe du rire aux
larmes, les sollicitations érotiques sont
fréquentes, ainsi que les attitudes provocantes ou des mouvements de colère.
L’incoordination motrice est majeure.
Ces deux phases précèdent le coma qui
est un coma calme avec aréflexie et
hypoesthésie. L’odeur de l’haleine, caractéristique, est un guide précieux pour
le diagnostic.
Les IEA compliquées
À côté de l’IEA simple, on décrit classiquement les IEA dites “pathologiques”.
Elles surviennent le plus souvent, mais
pas exclusivement, chez les sujets ayant
une relation pathologique avec l’alcool.
Il existe classiquement différentes formes :
• les IEA excitomotrices : ces imprégnations alcooliques aiguës sont des formes
agitées, avec impulsions verbales, motrices, des décharges clastiques, une agressivité qui ne trouve aucun frein, des gestes
destructeurs, saccageurs. Le passage à
l’acte va fréquemment jusqu’aux coups et
blessures, parfois jusqu’au meurtre :
– l’alcool est un facteur criminogène ;
– le Surmoi est soluble dans l’alcool ;
– l’alcool facilite le passage à l’acte antisocial.
On pense aux jeunes qui recherchent un
effet d’excitation dans l’alcool, qui
facilite leurs actions, leurs délits, surtout
en bande ; et, souvent, l’alcool est associé à d’autres toxiques (LSD, cocaïne,
héroïne, etc.).
Ces “ivresses” sont marquées par la violence et l’incidence médico-légale.
• Les IEA avec troubles de l’humeur :
elles sont soit d’allure maniaque, soit
d’allure dépressive.
Aux symptômes d’intoxication alcoolique
aiguë peuvent s’ajouter soit une euphorie,
une logorrhée avec des idées de grandeur,
de toute-puissance, une agitation et un discours familier, soit des symptômes
dépressifs. Le risque de passage à l’acte
suicidaire est toujours à craindre.
• Les IEA délirantes : elles se présentent
fréquemment sous la forme d’un état
délirant aigu à type de persécution, de
jalousie ou encore mégalomaniaque ou
d’autodépréciation délirante. Il ne faut
jamais minimiser la possibilité d’une
dangerosité vis-à-vis d’autrui ou d’un
passage à l’acte suicidaire.
• L’IEA hallucinatoire : cette forme
pathologique est la plus rare. Elle com-
Act. Méd. Int. - Psychiatrie (18) n° 10, décembre 2001
321
porte principalement des hallucinations
visuelles, le plus souvent terrifiantes,
allant de distorsions cauchemardesques
de la réalité à un véritable état hallucinatoire. Ce tableau clinique est à différencier du delirium tremens.
Le danger de ces formes d’IEA, s’accompagnant d’aspects cliniques psychiatriques, réside donc principalement dans
la dangerosité du patient vis-à-vis de luimême et/ou vis-à-vis des autres. Ces
risques sont d’autant plus importants que
l’intoxication éthylique survient chez un
sujet ayant des troubles de la personnalité
ou une pathologie psychiatrique associée.
L’alcoolisation aiguë peut venir révéler un
état dépressif constitué. L’action dépressiogène de l’alcool risque d’aggraver le
trouble de l’humeur préexistant et faciliter
un passage à l’acte suicidaire. Certains
patients déprimés prennent de l’alcool
pour se donner le “courage d’en finir”.
Dans les grandes séries de suicides
accomplis, on retrouve une alcoolisation
chronique dans 25 % des cas. Parmi les
causes de décès chez les alcooliques, le
suicide est retrouvé dans 5 à 25 % des cas.
Ainsi, le risque est grand que des patients
alcoolisés et/ou violents ne soient admis
au sein des urgences, et les médecins
sont de plus en plus confrontés à la prise
en charge de ces patients, ce d’autant
qu’il existe en outre, pour ces patients,
un contexte de crise, c’est-à-dire une situation interactive conflictuelle impliquant le sujet et son environnement. Ces
patients sont donc conduits à l’hôpital
dans une démarche autant sanitaire que
sécuritaire. Outre la dimension des soins,
avec la triple évaluation médico-psychosociale, se pose la dimension plus
médico-légale, avec les aspects déontologiques, législatifs, voire éthiques.
Après évaluation de la situation et en
tenant toujours compte du discours de la
famille, ces situations de violence peuvent nécessiter l’hospitalisation sous
contrainte, sous le mode de l’hospitalisation sur demande d’un tiers (HDT) ou de
mise au point
Mise au point
l’hospitalisation d’office (HO), qui a le
mérite de ne pas impliquer la famille
Les hospitalisations sous contrainte de
ces patients, initiées au domicile ou par
les urgences, sont croissantes. Cette psychiatrisation de la dangerosité alcoolique
ne se fait pas sans poser de problèmes,
notamment quant à la demande de soins
et à l’adhésion du sujet, si nécessaire, au
projet thérapeutique. L’urgence, ici, n’est
pas alcoolique au sens du sevrage, mais
elle est d’ordre médical, psychiatrique,
social. Il s’agit de briser un cercle
vicieux, une évolution, d’entendre les
souffrances, les difficultés. Alors, l’art du
médecin consiste à profiter de ce passage,
de cette hospitalisation, même avec obligation, pour susciter une prise de conscience et aboutir à la démarche de soins.
Dans toute intoxication éthylique aiguë,
il est bien évidemment indispensable de
réaliser un examen clinique complet
ainsi qu’un bilan biologique :
• Les examens biologiques : dans ce
cadre de gravité, c’est la glycémie qui
est l’examen complémentaire nécessaire.
L’ionogramme est également réalisé, et il
serait souhaitable pour le diagnostic et la
prise en charge ultérieure d’effectuer un
bilan hépatique avec transaminases,
gamma GT et CDT (Transferrine Carboxy
Deficient). Ce dosage devrait se développer dans l’avenir si ses résultats prometteurs venaient à se confirmer (plus sensible et plus spécifıque que les gamma GT).
Ce bilan aidera au diagnostic éventuel
d’alcoolo-dépendance ou d’abus d’alcool.
Il pourra également être communiqué au
médecin traitant pour aider au diagnostic
et à la prise en charge dans le cas d’une
relation pathologique à l’alcool.
L’alcoolémie ou l’éthylométrie (qui n’introduit pas de délai) sont habituellement
réalisées.
• Les examens paracliniques : le scanner
cérébral reste l’examen essentiel et ses
indications en urgence à bien connaître si
l’on ne veut pas passer à côté d’une com-
Act. Méd. Int. - Psychiatrie (18) n° 10, décembre 2001
plication neurologique, hémorragique, en
particulier à la suite d’un traumatisme
crânien récent ou semi-récent. Les principales indications comportent les troubles de la conscience durables, un signe
de localisation (déf icit focalisé), des
crises partielles ou secondaires, un état
de mal, une lésion traumatique et des
signes infectieux associés.
Pour résumer...
Garder toujours une alcoolisation aiguë dès lors
qu’une des conditions suivantes est remplie :
– fonction de relation perturbée ;
– et/ou existence de complications ;
– et/ou existence de lésions associées ;
– et/ou alcoolémie > 3 g/l ;
– et/ou absence de surveillance fiable à domicile
ou lieu d’habitation éloigné d’un centre hospitalier ;
– et/ou toute EA pathologique ;
– et/ou existence d’une pathologie psychiatrique
associée.
Quelles sont les prises
en charge des aspects
psychiatriques de l’IEA ?
Les IEA avec troubles du comportement
et symptômes d’allure psychiatrique sont
celles qui perturbent particulièrement les
services d’urgences et sont de prise en
charge souvent difficile.
Examen médical complet
Nous n’insisterons jamais assez sur l’importance de l’examen clinique, même
chez un patient venu aux urgences pour
les mêmes raisons le jour précédent.
Beaucoup de troubles attribués à l’alcoolisation aiguë peuvent être liés à une autre
cause ou à une complication (traumatique,
infectieuse, vasculaire, métabolique, etc.).
Règles de prudence
Pour un sujet alcoolisé conduit dans un
service d’urgences de gré ou de force, la
322
période d’observation doit se poursuivre
jusqu’à ce que soient dissipés les troubles somato-psychiques. Les manifestations peuvent être différées, on ne connaît pas la tolérance individuelle (les
phases d’ébriété puis de paralysie et de
sommeil peuvent encore survenir).
Bien que sa réalisation ne soit pas toujours
aisée quand le patient est agité, non
coopérant, un bilan associant ionogramme,
glycémie et alcoolémie devrait toujours
être réalisé, ce qui n’est pas systématiquement le cas, notamment dans le cadre des
IPM (Ivresse publique manifeste).
Les prescriptions médicamenteuses
Dans tous les cas, le traitement préventif
du delirium tremens doit être débuté
sans délai.
La prise en charge et les critères de
choix thérapeutiques s’établiront en
référence aux conférences de consensus
(mars 1999 - mars 2001).
Il faut expliquer au patient l’importance
d’une hydratation maximale. La voie per
os est privilégiée, mais la voie intraveineuse est rapidement utilisée dès que
le sujet ne peut pas boire.
On mettra en place un traitement associant
vitaminothérapie (vitamines B1 et B6).
Dans l’IEA simple, le meilleur traitement associe repos au calme et réhydratation sous surveillance.
Dans les IEA pathologiques, il est nécessaire de calmer l’agitation. Si une prise en
charge ferme, mais sécurisante et rassurante dans le calme, ne suffit pas, un
traitement médicamenteux sera nécessaire, si possible per os, sinon en intramusculaire.
• Les benzodiazépines seront utilisées
par rapport à leur efficacité, notamment
dans la prévention des crises épileptiques et du delirium et pour contrôler
les symptômes du manque (Séresta® 50,
Tranxène® 50).
• Les neuroleptiques seront préférés en
cas de troubles sévères, notamment du
mise au point
Mise au point
comportement ou d’hallucinations. On
choisira ceux à potentiel épileptogène le
moins important, seul ou en association
aux benzodiazépines (Loxapac®, Tiapridal® per os ou en i.m.).
Pour éviter des complications parfois
graves, une surveillance dans des conditions de calme et confort sera faite en association aux moyens pharmacologiques et à
une relation de proximité et de soutien.
La façon dont les soignants abordent le
patient détermine pour une part non
négligeable l’escalade ou l’apaisement
de la violence.
Le recours à l’isolement doit être exceptionnel, ainsi que la contention, qui peuvent majorer l’anxiété et l’agressivité.
L’admission du patient alcoolisé dans le
cadre de l’ivresse publique manifeste
(IPM), c’est-à-dire amené par la police
avec un départ rapide vers une chambre
de dégrisement, avec un certif icat de
non-hospitalisation, est une situation particulièrement problématique car réalisée
dans des conditions difficiles (patient
souvent violent encadré de policiers).
Ces situations sont cause de nombreux
procès contre les médecins. Certains proposent de terminer la rédaction du certificat par la formule suivante :
Tableau II. Dépendance à une substance.
Mode d’utilisation inadaptée d’une substance conduisant à une altération du fonctionnement ou à une souffrance, cliniquement significative, caractérisée par la présence de trois (ou plus) des manifestations suivantes,
à un moment quelconque d’une période continue de 12 mois :
Quelle mise en route
d’un traitement alcoologique ?
La situation de crise de l’ivresse peut
être le révélateur d’une alcoolodépendance ou d’une consommation
abusive, qui doivent être repérées afin de
proposer une prise en charge adaptée. À
défaut d’un véritable problème d’alcool,
une ivresse doit être l’occasion d’une
prévention avec, notamment, une information sur l’alcool et ses méfaits.
Le patient qui sort, ou pire, qui fugue
des urgences après (ou même avant)
avoir “décuité” dans un “coin du service”, sans qu’il ait eu la moindre
écoute, sans évaluation de son rapport à
l’alcool, est un patient qui passe en vain
et qui risque fort de revenir.
L’observation du patient alcoolisé est un
moment important qui peut être décisif
dans l’adhérence ou non à une éventuelle
prise en charge. Cette situation de crise
place face à face un sujet alcoolisé,
presque toujours non demandeur de
soins, parfois agité, et un médecin auquel
il incombera de prendre rapidement des
décisions d’urgence, d’ordre médical ou
médico-légal.
Toutefois, la survenue de modifications
inquiétantes de l’aspect de cette personne et, notamment, d’une détérioration de l’état de conscience doit la faire
soumettre immédiatement à un nouvel
examen médical.
En plus des risques médicaux accentués
par des conditions de surveillance souvent dramatiques, il est tout à fait regrettable, par ailleurs, que ces sujets échappent à toute filière de soins.
Dans tous les cas, le moment de l’hospitalisation d’une ivresse devrait être
1. Tolérance, définie par l’un des symptômes suivants :
a. besoin de quantités notablement plus fortes de la substance pour obtenir une intoxication ou l’effet désiré ;
b. effet notablement diminué en cas d’utilisation continue d’une même quantité de la substance.
2. Sevrage caractérisé par l’une ou l’autre des manifestations suivantes :
a. syndrome de sevrage caractéristique de la substance ;
b. la même substance (ou une substance très proche) est prise pour soulager ou éviter les symptômes de sevrage.
3. La substance est souvent prise en quantité plus importante ou pendant une période plus prolongée que prévu.
4. Il y a un désir persistant, ou des efforts infructueux, pour diminuer ou contrôler l’utilisation de la substance.
5. Beaucoup de temps est passé à des activités nécessaires pour obtenir la substance (exemple : consultation de
nombreux médecins ou déplacement sur de longues distances), à utiliser le produit (exemple : fumer sans discontinuer), ou à récupérer de ses effets.
6. Des activités sociales, professionnelles ou de loisirs importantes sont abandonnées ou réduites à cause de
l’utilisation de la substance.
8. L’utilisation de la substance est poursuivie bien que la personne sache avoir un problème psychologique ou physique
persistant ou récurrent susceptible d’avoir été causé ou exacerbé par la substance (exemple : poursuite de la prise de
boissons alcoolisées, bien que le sujet reconnaisse l’aggravation d’un ulcère du fait de la consommation d’alcool).
Tableau III. Abus d’une substance.
Act. Méd. Int. - Psychiatrie (18) n° 10, décembre 2001
A. Mode d’utilisation inadéquat d’une substance conduisant à une altération du fonctionnement ou à une souffrance cliniquement significative, caractérisée par la présence d’au moins une des manifestations suivantes au
cours d’une période de 12 mois :
1. Utilisation répétée d’une substance conduisant à l’incapacité de remplir des obligations majeures, au travail, à l’école,
ou à la maison (exemple : absences répétées ou mauvaises performances au travail du fait de l’utilisation de la substance, absences, exclusions temporaires ou définitives de l’école, négligence des enfants ou des tâches ménagères).
2. Utilisation répétée d’une substance dans des situations où cela est physiquement dangereux (exemple : lors de
la conduite d’une voiture ou en faisant fonctionner une machine, alors qu’on est sous l’influence d’une substance).
3. Problèmes judiciaires répétés liés à l’utilisation d’une substance (exemple : arrestations pour comportement
anormal en rapport avec l’utilisation de la substance).
4. Utilisation de la substance malgré des problèmes interpersonnels ou sociaux, persistants ou récurrents, causés
ou exacerbés par les effets de la substance (exemple : disputes avec le conjoint à propos des conséquences de
l’intoxication, bagarres).
B. Les symptômes n’ont jamais atteint, pour cette substance, les critères de la “dépendance à une substance”.
323
mise au point
Mise au point
l’occasion d’une rencontre utile. C’est
pourquoi le médecin doit avoir des compétences de rapidité et d’efficacité et parfaitement connaître la structure de l’accueil et les filières de soins spécialisées
en alcoologie pour une bonne cohérence
du système. La création de réseaux d’alcoologie et leur bonne connaissance par
les intervenants des urgences sont des
éléments primordiaux si l’on veut
apporter une aide efficace à ces patients.
Premier maillon d’une prise en charge
au long cours, il s’agit d’éviter que cette
rencontre ne soit source d’un malentendu initial.
Cette rencontre fugace place le médecin
face à un patient qu’il ne connaît pas, en
état de souffrance aiguë, et qui ne sait pas
la plupart du temps exprimer une
demande. Pourtant l’écoute (et l’accompagnement) de ces patients est primordiale,
l’urgence d’un coma éthylique, d’un delirium tremens est reconnue par tous, mais
l’urgence subjective, elle, est souvent niée.
Le rejet de patients qui souffrent, dont
l’ivresse, voire la violence, sont les seuls
modes d’expression pendant ce moment
de crise, ne fait qu’accentuer leur désespoir. Même s’ils perturbent le service
d’urgences, le but des soignants ne doit
pas être avant tout de les faire sortir rapidement, mais bien de pratiquer une clinique humaine et de bien savoir que cet
état d’urgence n’est qu’un temps cloisonné dans l’histoire du patient.
L’ivresse doit être l’occasion d’une
surveillance médicale avant tout, mais
aussi, afin d’éviter qu’ils ne passent et
repassent en vain, l’occasion d’un bilan
psychosocial complet et surtout un
moment d’écoute.
Il faut souvent répondre à un patient qui
appelle au secours explicitement ou
implicitement : c’est aussi une urgence.
Sa demande peut recouvrir une dépression, annoncer une alcoolisation
prochaine, révéler une relation pathologique à l’alcool.
Act. Méd. Int. - Psychiatrie (18) n° 10, décembre 2001
La période d’observation est suivie
d’une phase d’évaluation où l’intoxication éthylique aiguë sera intégrée dans
l’histoire du patient, afin d’évaluer sa
relation à l’alcool.
Cette période d’écoute indispensable
doit être l’occasion d’un bilan complet
médico-psycho-social af in que ces
patients ne repassent plus en vain.
Toute personne accueillie pour une intoxication éthylique aiguë au service des
urgences doit bénéficier d’un entretien
spécialisé apportant au minimum une
information simple et didactique et, selon
les cas, une prise en charge avec ou sans
orientation. Il est important de souligner
que cet entretien sera réalisé après la prise
en compte par l’équipe de l’ensemble des
problèmes aigus qui peuvent se poser,
d’où l’intérêt d’une réflexion médicopsycho-sociale. À cette réflexion seront
toujours associés familles et tiers concernés. Cette mission est dévolue à
l’équipe hospitalière d’alcoologie de liaison en collaboration avec l’équipe du service et/ou les psychiatres des urgences.
Cette équipe d’alcoologie a pour rôle :
• En direction des patients : de mettre
en place les outils de la prise en charge
spécifique. Aux urgences, elle propose,
entre autres, des stratégies de prévention
primaire et secondaire.
• En direction des soignants : de contribuer à une sensibilisation à l’alcoologie, voire une à formation.
Bien sûr, cette intervention visant à
engager un patient vers un projet
thérapeutique au-delà de son séjour aux
urgences, il y a nécessité d’une base
alcoologique solide dans l’établissement,
c’est-à-dire d’une unité de soins de courte
durée et/ou de soins de suite. Son intégration dans l’organisation hospitalière doit
être effective ; il en va de même en ce qui
concerne celle dans le dispositif d’alcoologie local et avec les autres acteurs
sanitaires et sociaux agissant en réseau.
Ainsi, par exemple, dans le Puy-de-Dôme,
l’organisation se fait avec les secteurs psy-
324
chiatriques, le CCAA (ex-CHAA), les
unités fonctionnelles d’alcoologie (CHU
et CHS) et le réseau PARAD (réseau de
soins pour patients en difficulté avec l’alcool, à risque, abuseurs, dépendants). Ce
réseau de soins expérimental, correspondant au cahier des charges du conseil
d’orientation des filières et réseaux
(comité Soubie), répond à la nécessité de
prendre en charge tous les aspects : médical, social, économique de cette pathologie. Cela engage un partenariat et une
coordination entre public/privé, hospitalier/ville, hospitalier/ambulatoire.
Conclusion
Une alcoolémie positive, ce n’est pas
banal.
L’intoxication éthylique aiguë est une
situation d’urgence médicale et psychiatrique qui doit conduire à un bilan complet pour mise en place d’un suivi. La
création d’unités d’hospitalisation de
très courte durée va dans le sens d’une
meilleure prise en charge car elle permet
l’introduction du facteur temps, indispensable à la réalisation d’un bilan
global. Les unités fonctionnelles d’alcoologie de liaison, plus mobiles, ont un
capital de prise en charge de ces patients
et de formation des équipes, tant dans
les services d’urgences que dans tout
autre service de l’établissement.
Dépister est une chose, mais il faut poursuivre dans le sens d’une information et
d’une articulation avec les urgentistes de
façon à agir avant l’alcoolo-dépendance
et l’abus, et à établir un protocole (même
léger) permettant au patient d’avoir une
aide.
La collaboration est donc primordiale
entre les médecins généralistes, le service d’urgences, les centres d’alcoologie, les mouvements d’anciens buveurs
et les autres partenaires. Le développement de “réseaux alcool” est essentiel
pour la prise en charge de ces patients.
Téléchargement