mise au point Mise au point Le patient alcoolisé : un fléau oublié des urgences F. Poncet* et A. Feral Pourquoi viennent-ils aux urgences ? T Le patient alcoolisé arrivant aux urgences n’est donc pas souvent considéré comme souffrant, ni même comme présentant un problème médical. C’est seulement quelqu’un qui a trop bu, soit parce qu’il faisait la fête – et dans ce cas, l’ivresse est souvent banalisée et le retour à domicile rapide –, soit parce que c’est un “alcoolique”, un “ivrogne”, un “habitué des urgences”, quelqu’un qui est responsable de son état et qui vient perturber le service, occuper un lit, voire qui coûte de l’argent à la société. Bref, il faut s’en débarrasser au plus vite. Il faut reconnaître que la prise en charge de ces patients ayant régulièrement des troubles du comportement est souvent problématique dans des locaux non adaptés et par des équipes non formées. L’attitude de rejet des équipes devant ces patients bruyants et encombrants est favorisée par des habitudes ou des traditions de pensée encore bien vivaces en France à propos du traitement de l’alcoolisme. Dans le grand public, comme trop souvent encore dans les milieux médicaux, la prise en charge thérapeutique est considérée avec méfiance et scepticisme, supposée vouée à l’échec (il suffit de voir chez un même patient le nombre d’hospitalisations à répétition pour sevrage) et parfois même vécue comme inutile et coûtant cher à la société. out médecin, tout généraliste, tout service d’urgences a été confronté au cas du patient alcoolisé et aux problèmes que posent les troubles plus ou moins graves de la conscience et du comportement induits par l’état d’ivresse. L’ivresse éthylique aiguë est cliniquement retrouvée chez environ 10 à 15 % des patients admis dans les services d’accueil et d’urgences en France. Ces chiffres sont éloquents sur l’ampleur du problème et le peu de réponses que ces patients trouvent dans nos services d’urgences (72 % ne sont pas hospitalisés et repartent sans proposition d’aide ou de suivi). Rien d’étonnant à ce que bon nombre d’entre eux passent en vain et reviennent régulièrement, attendant peut-être une aide que nous n’avons pas pu ou pas su leur apporter. Les motifs d’admission sont des plus variés. Le patient peut être adressé par : • le médecin généraliste qui est souvent en première ligne ; • la police, suite à un scandale, une violence, un état d’agitation sur la voie publique, chez des particuliers ou à domicile : “Dès qu’il y a violence, c’est plutôt la police” ; • les pompiers, lorsque le patient est étendu sur la voie publique, ou lorsqu’il a une petite plaie, suite à une chute ou une rixe : “Dès que ça saigne, ce sont plutôt les pompiers” ; • la famille ou les proches, débordés ou excédés par une situation souvent difficile et complexe. Dans ces cas-là, le patient n’est pas toujours coopérant ; • le patient peut venir de lui-même, parce qu’il se sent mal ou parce que, brutalement, il a décidé à 23 heures de faire un sevrage en urgence ! Mais, dans de nombreux cas, l’alcoolisation aiguë n’est pas le premier diagnostic retenu. Fréquemment, l’admission est motivée par un traumatisme crânien (la moitié d’entre-eux sont associés à une prise d’alcool), une intoxication médicamenteuse volontaire (l’alcoolémie est positive dans la moitié des cas), un bilan * CHS Sainte-Marie, Clermont-Ferrand. traumatique après une rixe, une agression (l’alcoolémie est positive dans 80 % des cas), ou encore un malaise, une chute, une sensation vertigineuse. Quelles sont les attitudes des soignants ? L’attitude des soignants est en partie dépendante de la place de la consommation de boissons alcooliques inscrite dans la tradition culturelle française. Sa valeur initiatique de convivialité, donc d’intégration, fait en premier lieu de la prise d’alcool un comportement social. Cette image positive de l’alcool et de ses effets rend difficile, pour les soignants comme pour l’entourage familial et le patient luimême, la distinction entre l’usage social adapté et une relation pathologique à l’alcool. Act. Méd. Int. - Psychiatrie (18) n° 10, décembre 2001 319 mise au point Mise au point L’attitude permissive ou complaisante visà-vis de l’ivresse est également fréquemment rencontrée, notamment chez les patients jeunes. L’ivresse est alors considérée comme synonyme de fête, et toute éventuelle relation pathologique à l’alcool est exclue. Qu’est l’intoxication éthylique aiguë (IEA) ? Malgré le côté bien banal de cet état, le bilan médical est important parce que, même si on a tendance à l’oublier, l’alcool éthylique est un toxique. Les troubles du comportement et de la vigilance qui résultent de son ingestion aiguë se traduisent dans le langage courant, mais aussi dans le milieu médical, par le mot “ivresse”. La banalisation de ce terme expose au risque de n’induire aucune démarche anamnestique, clinique et thérapeutique, parce que le mot “ivresse” n’a aucune signif ication de gravité. Ce terme, trop populaire, voire assimilé à un état plutôt agréable, devrait être banni du langage médical. L’ingestion aiguë d’alcool éthylique est une intoxication aiguë. Elle devrait donc être prise en charge et assimilée dans l’esprit des soignants du service d’urgences comme toute autre intoxication. La désignation d’intoxication éthylique aiguë (IEA) semble mieux convenir. Critères diagnostiques et de gravité de l’IEA Le diagnostic est souvent simple. Le DSM-IV décrit les signes de l’intoxication alcoolique – F 10.0x – (tableau I). Reconnaître la gravité actuelle ou potentielle d’une intoxication éthylique aiguë, est une étape indispensable qui conditionne la prise en charge. Act. Méd. Int. - Psychiatrie (18) n° 10, décembre 2001 Tableau I. A. Ingestion récente d’alcool. B. Changements inadaptés, comportementaux ou psychologiques cliniquement significatifs – exemple : comportement sexuel ou agressif inapproprié, labilité de l’humeur, altération du fonctionnement social ou professionnel qui se sont développés pendant ou peu après l’ingestion d’alcool. C. Au moins un des signes suivants, se développant pendant ou peu après la consommation d’alcool : – 1. Discours bredouillant. – 2. Incoordination motrice. – 3. Démarche ébrieuse. – 4. Nystagmus. – 5. Altération de l’attention ou de la mémoire. – 6. Stupeur ou coma. D. Les symptômes ne sont pas dus à une affection médicale générale et ne sont pas mieux expliqués par un autre trouble mental. L’intoxication elle-même Dans sa forme comateuse, le risque est surtout celui de la survenue d’une insuffisance respiratoire aiguë. Dans les formes compliquées : excitomotrices, délirantes ou hallucinatoires, le patient peut devenir dangereux pour luimême et pour les autres. Une complication possible Elle est toujours à rechercher. Le patient alcoolisé est un patient à risque, car le diagnostic des complications est rendu difficile du fait même de l’état d’intoxication éthylique aiguë. L’examen et la surveillance sont donc des étapes essentielles, car le risque vital peut être en jeu. Les complications les plus fréquentes à rechercher lors de la prise en charge initiale sont les suivantes : • une inhalation ; • une crise convulsive généralisée. Si on note une absence de réveil au bout de 30 minutes, il faut penser à une hémorragie intracrânienne ; • une hypoglycémie. Bien que rare, elle est classiquement décrite chez l’alcoolique chronique et dénutri. Elle doit toujours être éliminée par la glycémie capillaire ; 320 • l’acidocétose alcoolique ; • les complications digestives, notamment l’hépatite alcoolique aiguë ; • une rhabdomyolyse. La ou les comorbidités somatiques et/ou psychiatriques associées Une autre affection est également à rechercher en raison du pronostic vital pouvant être en jeu et de sa fréquence : 50 à 60 % des intoxications éthyliques aiguës admises dans un service d’urgences sont associées à un autre état pathologique. Il peut s’agir : • d’un traumatisme crânien. Sa recherche sera faite à l’anamnèse (si besoin avec l’aide des proches) et à l’examen clinique : plaie du cuir chevelu, hématome périorbitaire. La surveillance doit être particulièrement étroite en raison du risque de complication ; • d’un polytraumatisme ou d’un traumatisme isolé, soit des membres, soit viscéral. Le taux d’accidents de la voie publique chez les patients alcoolisés est important, ainsi que les chutes ou les accidents du travail ; • d’une autre intoxication. Les intoxications médicamenteuses volontaires sont fréquemment associées à une prise d’alcool qui potentialise les effets des toxiques ; • d’une infection. En cas de fièvre, on recherchera en premier lieu une infection pulmonaire. On ne soulignera jamais assez le contraste entre le rejet dont ces patients, passant pour la énième fois, font trop souvent l’objet dans nos services, qu’ils perturbent, et le risque de méconnaître une complication grave de leur état en sous-estimant la situation. Les formes psychiatriques L’intoxication éthylique aiguë peut s’accompagner d’aspects cliniques psychiatriques. Ils sont éventuellement différents selon qu’ils sont observés chez un sujet non mise au point Mise au point buveur excessif, non alcoolo-dépendant ou chez un sujet ayant une relation pathologique à l’alcool. L’IEA résulte de l’action d’une dose importante d’alcool sur le système nerveux avec un effet stimulant direct qui précède un effet dépresseur, éventuellement hypnotique. Les manifestations liées à l’état alcoolique sont très dépendantes de : – la dose d’alcool ingérée ; – la rapidité avec laquelle la dose a été absorbée ; – la susceptibilité individuelle du sujet. C’est la raison pour laquelle il est illusoire de faire une corrélation entre les troubles cliniques observés et les taux d’alcoolémie. L’IEA simple L’intoxication éthylique aiguë dite “simple” entraîne des modif ications psychologiques plus ou moins vives : • la phase d’excitation psychomotrice s’accompagne d’une désinhibition, d’une impression d’aisance, de brio, d’euphorie avec une logorrhée et une incoordination motrice. Ensuite, cette facilité de contact et d’échanges peut laisser place à une morosité, un spleen, une irritabilité ; • la phase dite d’“ébriété” entraîne un état d’obnubilation intellectuelle : la pensée s’embrouille, la mémoire est imprécise, les propos sont incohérents. Il s’agit d’un état confusionnel. La phase d’ébriété s’accompagne fréquemment de troubles des conduites instinctuelles, émotionnelles : le sujet passe du rire aux larmes, les sollicitations érotiques sont fréquentes, ainsi que les attitudes provocantes ou des mouvements de colère. L’incoordination motrice est majeure. Ces deux phases précèdent le coma qui est un coma calme avec aréflexie et hypoesthésie. L’odeur de l’haleine, caractéristique, est un guide précieux pour le diagnostic. Les IEA compliquées À côté de l’IEA simple, on décrit classiquement les IEA dites “pathologiques”. Elles surviennent le plus souvent, mais pas exclusivement, chez les sujets ayant une relation pathologique avec l’alcool. Il existe classiquement différentes formes : • les IEA excitomotrices : ces imprégnations alcooliques aiguës sont des formes agitées, avec impulsions verbales, motrices, des décharges clastiques, une agressivité qui ne trouve aucun frein, des gestes destructeurs, saccageurs. Le passage à l’acte va fréquemment jusqu’aux coups et blessures, parfois jusqu’au meurtre : – l’alcool est un facteur criminogène ; – le Surmoi est soluble dans l’alcool ; – l’alcool facilite le passage à l’acte antisocial. On pense aux jeunes qui recherchent un effet d’excitation dans l’alcool, qui facilite leurs actions, leurs délits, surtout en bande ; et, souvent, l’alcool est associé à d’autres toxiques (LSD, cocaïne, héroïne, etc.). Ces “ivresses” sont marquées par la violence et l’incidence médico-légale. • Les IEA avec troubles de l’humeur : elles sont soit d’allure maniaque, soit d’allure dépressive. Aux symptômes d’intoxication alcoolique aiguë peuvent s’ajouter soit une euphorie, une logorrhée avec des idées de grandeur, de toute-puissance, une agitation et un discours familier, soit des symptômes dépressifs. Le risque de passage à l’acte suicidaire est toujours à craindre. • Les IEA délirantes : elles se présentent fréquemment sous la forme d’un état délirant aigu à type de persécution, de jalousie ou encore mégalomaniaque ou d’autodépréciation délirante. Il ne faut jamais minimiser la possibilité d’une dangerosité vis-à-vis d’autrui ou d’un passage à l’acte suicidaire. • L’IEA hallucinatoire : cette forme pathologique est la plus rare. Elle com- Act. Méd. Int. - Psychiatrie (18) n° 10, décembre 2001 321 porte principalement des hallucinations visuelles, le plus souvent terrifiantes, allant de distorsions cauchemardesques de la réalité à un véritable état hallucinatoire. Ce tableau clinique est à différencier du delirium tremens. Le danger de ces formes d’IEA, s’accompagnant d’aspects cliniques psychiatriques, réside donc principalement dans la dangerosité du patient vis-à-vis de luimême et/ou vis-à-vis des autres. Ces risques sont d’autant plus importants que l’intoxication éthylique survient chez un sujet ayant des troubles de la personnalité ou une pathologie psychiatrique associée. L’alcoolisation aiguë peut venir révéler un état dépressif constitué. L’action dépressiogène de l’alcool risque d’aggraver le trouble de l’humeur préexistant et faciliter un passage à l’acte suicidaire. Certains patients déprimés prennent de l’alcool pour se donner le “courage d’en finir”. Dans les grandes séries de suicides accomplis, on retrouve une alcoolisation chronique dans 25 % des cas. Parmi les causes de décès chez les alcooliques, le suicide est retrouvé dans 5 à 25 % des cas. Ainsi, le risque est grand que des patients alcoolisés et/ou violents ne soient admis au sein des urgences, et les médecins sont de plus en plus confrontés à la prise en charge de ces patients, ce d’autant qu’il existe en outre, pour ces patients, un contexte de crise, c’est-à-dire une situation interactive conflictuelle impliquant le sujet et son environnement. Ces patients sont donc conduits à l’hôpital dans une démarche autant sanitaire que sécuritaire. Outre la dimension des soins, avec la triple évaluation médico-psychosociale, se pose la dimension plus médico-légale, avec les aspects déontologiques, législatifs, voire éthiques. Après évaluation de la situation et en tenant toujours compte du discours de la famille, ces situations de violence peuvent nécessiter l’hospitalisation sous contrainte, sous le mode de l’hospitalisation sur demande d’un tiers (HDT) ou de mise au point Mise au point l’hospitalisation d’office (HO), qui a le mérite de ne pas impliquer la famille Les hospitalisations sous contrainte de ces patients, initiées au domicile ou par les urgences, sont croissantes. Cette psychiatrisation de la dangerosité alcoolique ne se fait pas sans poser de problèmes, notamment quant à la demande de soins et à l’adhésion du sujet, si nécessaire, au projet thérapeutique. L’urgence, ici, n’est pas alcoolique au sens du sevrage, mais elle est d’ordre médical, psychiatrique, social. Il s’agit de briser un cercle vicieux, une évolution, d’entendre les souffrances, les difficultés. Alors, l’art du médecin consiste à profiter de ce passage, de cette hospitalisation, même avec obligation, pour susciter une prise de conscience et aboutir à la démarche de soins. Dans toute intoxication éthylique aiguë, il est bien évidemment indispensable de réaliser un examen clinique complet ainsi qu’un bilan biologique : • Les examens biologiques : dans ce cadre de gravité, c’est la glycémie qui est l’examen complémentaire nécessaire. L’ionogramme est également réalisé, et il serait souhaitable pour le diagnostic et la prise en charge ultérieure d’effectuer un bilan hépatique avec transaminases, gamma GT et CDT (Transferrine Carboxy Deficient). Ce dosage devrait se développer dans l’avenir si ses résultats prometteurs venaient à se confirmer (plus sensible et plus spécifıque que les gamma GT). Ce bilan aidera au diagnostic éventuel d’alcoolo-dépendance ou d’abus d’alcool. Il pourra également être communiqué au médecin traitant pour aider au diagnostic et à la prise en charge dans le cas d’une relation pathologique à l’alcool. L’alcoolémie ou l’éthylométrie (qui n’introduit pas de délai) sont habituellement réalisées. • Les examens paracliniques : le scanner cérébral reste l’examen essentiel et ses indications en urgence à bien connaître si l’on ne veut pas passer à côté d’une com- Act. Méd. Int. - Psychiatrie (18) n° 10, décembre 2001 plication neurologique, hémorragique, en particulier à la suite d’un traumatisme crânien récent ou semi-récent. Les principales indications comportent les troubles de la conscience durables, un signe de localisation (déf icit focalisé), des crises partielles ou secondaires, un état de mal, une lésion traumatique et des signes infectieux associés. Pour résumer... Garder toujours une alcoolisation aiguë dès lors qu’une des conditions suivantes est remplie : – fonction de relation perturbée ; – et/ou existence de complications ; – et/ou existence de lésions associées ; – et/ou alcoolémie > 3 g/l ; – et/ou absence de surveillance fiable à domicile ou lieu d’habitation éloigné d’un centre hospitalier ; – et/ou toute EA pathologique ; – et/ou existence d’une pathologie psychiatrique associée. Quelles sont les prises en charge des aspects psychiatriques de l’IEA ? Les IEA avec troubles du comportement et symptômes d’allure psychiatrique sont celles qui perturbent particulièrement les services d’urgences et sont de prise en charge souvent difficile. Examen médical complet Nous n’insisterons jamais assez sur l’importance de l’examen clinique, même chez un patient venu aux urgences pour les mêmes raisons le jour précédent. Beaucoup de troubles attribués à l’alcoolisation aiguë peuvent être liés à une autre cause ou à une complication (traumatique, infectieuse, vasculaire, métabolique, etc.). Règles de prudence Pour un sujet alcoolisé conduit dans un service d’urgences de gré ou de force, la 322 période d’observation doit se poursuivre jusqu’à ce que soient dissipés les troubles somato-psychiques. Les manifestations peuvent être différées, on ne connaît pas la tolérance individuelle (les phases d’ébriété puis de paralysie et de sommeil peuvent encore survenir). Bien que sa réalisation ne soit pas toujours aisée quand le patient est agité, non coopérant, un bilan associant ionogramme, glycémie et alcoolémie devrait toujours être réalisé, ce qui n’est pas systématiquement le cas, notamment dans le cadre des IPM (Ivresse publique manifeste). Les prescriptions médicamenteuses Dans tous les cas, le traitement préventif du delirium tremens doit être débuté sans délai. La prise en charge et les critères de choix thérapeutiques s’établiront en référence aux conférences de consensus (mars 1999 - mars 2001). Il faut expliquer au patient l’importance d’une hydratation maximale. La voie per os est privilégiée, mais la voie intraveineuse est rapidement utilisée dès que le sujet ne peut pas boire. On mettra en place un traitement associant vitaminothérapie (vitamines B1 et B6). Dans l’IEA simple, le meilleur traitement associe repos au calme et réhydratation sous surveillance. Dans les IEA pathologiques, il est nécessaire de calmer l’agitation. Si une prise en charge ferme, mais sécurisante et rassurante dans le calme, ne suffit pas, un traitement médicamenteux sera nécessaire, si possible per os, sinon en intramusculaire. • Les benzodiazépines seront utilisées par rapport à leur efficacité, notamment dans la prévention des crises épileptiques et du delirium et pour contrôler les symptômes du manque (Séresta® 50, Tranxène® 50). • Les neuroleptiques seront préférés en cas de troubles sévères, notamment du mise au point Mise au point comportement ou d’hallucinations. On choisira ceux à potentiel épileptogène le moins important, seul ou en association aux benzodiazépines (Loxapac®, Tiapridal® per os ou en i.m.). Pour éviter des complications parfois graves, une surveillance dans des conditions de calme et confort sera faite en association aux moyens pharmacologiques et à une relation de proximité et de soutien. La façon dont les soignants abordent le patient détermine pour une part non négligeable l’escalade ou l’apaisement de la violence. Le recours à l’isolement doit être exceptionnel, ainsi que la contention, qui peuvent majorer l’anxiété et l’agressivité. L’admission du patient alcoolisé dans le cadre de l’ivresse publique manifeste (IPM), c’est-à-dire amené par la police avec un départ rapide vers une chambre de dégrisement, avec un certif icat de non-hospitalisation, est une situation particulièrement problématique car réalisée dans des conditions difficiles (patient souvent violent encadré de policiers). Ces situations sont cause de nombreux procès contre les médecins. Certains proposent de terminer la rédaction du certificat par la formule suivante : Tableau II. Dépendance à une substance. Mode d’utilisation inadaptée d’une substance conduisant à une altération du fonctionnement ou à une souffrance, cliniquement significative, caractérisée par la présence de trois (ou plus) des manifestations suivantes, à un moment quelconque d’une période continue de 12 mois : Quelle mise en route d’un traitement alcoologique ? La situation de crise de l’ivresse peut être le révélateur d’une alcoolodépendance ou d’une consommation abusive, qui doivent être repérées afin de proposer une prise en charge adaptée. À défaut d’un véritable problème d’alcool, une ivresse doit être l’occasion d’une prévention avec, notamment, une information sur l’alcool et ses méfaits. Le patient qui sort, ou pire, qui fugue des urgences après (ou même avant) avoir “décuité” dans un “coin du service”, sans qu’il ait eu la moindre écoute, sans évaluation de son rapport à l’alcool, est un patient qui passe en vain et qui risque fort de revenir. L’observation du patient alcoolisé est un moment important qui peut être décisif dans l’adhérence ou non à une éventuelle prise en charge. Cette situation de crise place face à face un sujet alcoolisé, presque toujours non demandeur de soins, parfois agité, et un médecin auquel il incombera de prendre rapidement des décisions d’urgence, d’ordre médical ou médico-légal. Toutefois, la survenue de modifications inquiétantes de l’aspect de cette personne et, notamment, d’une détérioration de l’état de conscience doit la faire soumettre immédiatement à un nouvel examen médical. En plus des risques médicaux accentués par des conditions de surveillance souvent dramatiques, il est tout à fait regrettable, par ailleurs, que ces sujets échappent à toute filière de soins. Dans tous les cas, le moment de l’hospitalisation d’une ivresse devrait être 1. Tolérance, définie par l’un des symptômes suivants : a. besoin de quantités notablement plus fortes de la substance pour obtenir une intoxication ou l’effet désiré ; b. effet notablement diminué en cas d’utilisation continue d’une même quantité de la substance. 2. Sevrage caractérisé par l’une ou l’autre des manifestations suivantes : a. syndrome de sevrage caractéristique de la substance ; b. la même substance (ou une substance très proche) est prise pour soulager ou éviter les symptômes de sevrage. 3. La substance est souvent prise en quantité plus importante ou pendant une période plus prolongée que prévu. 4. Il y a un désir persistant, ou des efforts infructueux, pour diminuer ou contrôler l’utilisation de la substance. 5. Beaucoup de temps est passé à des activités nécessaires pour obtenir la substance (exemple : consultation de nombreux médecins ou déplacement sur de longues distances), à utiliser le produit (exemple : fumer sans discontinuer), ou à récupérer de ses effets. 6. Des activités sociales, professionnelles ou de loisirs importantes sont abandonnées ou réduites à cause de l’utilisation de la substance. 8. L’utilisation de la substance est poursuivie bien que la personne sache avoir un problème psychologique ou physique persistant ou récurrent susceptible d’avoir été causé ou exacerbé par la substance (exemple : poursuite de la prise de boissons alcoolisées, bien que le sujet reconnaisse l’aggravation d’un ulcère du fait de la consommation d’alcool). Tableau III. Abus d’une substance. Act. Méd. Int. - Psychiatrie (18) n° 10, décembre 2001 A. Mode d’utilisation inadéquat d’une substance conduisant à une altération du fonctionnement ou à une souffrance cliniquement significative, caractérisée par la présence d’au moins une des manifestations suivantes au cours d’une période de 12 mois : 1. Utilisation répétée d’une substance conduisant à l’incapacité de remplir des obligations majeures, au travail, à l’école, ou à la maison (exemple : absences répétées ou mauvaises performances au travail du fait de l’utilisation de la substance, absences, exclusions temporaires ou définitives de l’école, négligence des enfants ou des tâches ménagères). 2. Utilisation répétée d’une substance dans des situations où cela est physiquement dangereux (exemple : lors de la conduite d’une voiture ou en faisant fonctionner une machine, alors qu’on est sous l’influence d’une substance). 3. Problèmes judiciaires répétés liés à l’utilisation d’une substance (exemple : arrestations pour comportement anormal en rapport avec l’utilisation de la substance). 4. Utilisation de la substance malgré des problèmes interpersonnels ou sociaux, persistants ou récurrents, causés ou exacerbés par les effets de la substance (exemple : disputes avec le conjoint à propos des conséquences de l’intoxication, bagarres). B. Les symptômes n’ont jamais atteint, pour cette substance, les critères de la “dépendance à une substance”. 323 mise au point Mise au point l’occasion d’une rencontre utile. C’est pourquoi le médecin doit avoir des compétences de rapidité et d’efficacité et parfaitement connaître la structure de l’accueil et les filières de soins spécialisées en alcoologie pour une bonne cohérence du système. La création de réseaux d’alcoologie et leur bonne connaissance par les intervenants des urgences sont des éléments primordiaux si l’on veut apporter une aide efficace à ces patients. Premier maillon d’une prise en charge au long cours, il s’agit d’éviter que cette rencontre ne soit source d’un malentendu initial. Cette rencontre fugace place le médecin face à un patient qu’il ne connaît pas, en état de souffrance aiguë, et qui ne sait pas la plupart du temps exprimer une demande. Pourtant l’écoute (et l’accompagnement) de ces patients est primordiale, l’urgence d’un coma éthylique, d’un delirium tremens est reconnue par tous, mais l’urgence subjective, elle, est souvent niée. Le rejet de patients qui souffrent, dont l’ivresse, voire la violence, sont les seuls modes d’expression pendant ce moment de crise, ne fait qu’accentuer leur désespoir. Même s’ils perturbent le service d’urgences, le but des soignants ne doit pas être avant tout de les faire sortir rapidement, mais bien de pratiquer une clinique humaine et de bien savoir que cet état d’urgence n’est qu’un temps cloisonné dans l’histoire du patient. L’ivresse doit être l’occasion d’une surveillance médicale avant tout, mais aussi, afin d’éviter qu’ils ne passent et repassent en vain, l’occasion d’un bilan psychosocial complet et surtout un moment d’écoute. Il faut souvent répondre à un patient qui appelle au secours explicitement ou implicitement : c’est aussi une urgence. Sa demande peut recouvrir une dépression, annoncer une alcoolisation prochaine, révéler une relation pathologique à l’alcool. Act. Méd. Int. - Psychiatrie (18) n° 10, décembre 2001 La période d’observation est suivie d’une phase d’évaluation où l’intoxication éthylique aiguë sera intégrée dans l’histoire du patient, afin d’évaluer sa relation à l’alcool. Cette période d’écoute indispensable doit être l’occasion d’un bilan complet médico-psycho-social af in que ces patients ne repassent plus en vain. Toute personne accueillie pour une intoxication éthylique aiguë au service des urgences doit bénéficier d’un entretien spécialisé apportant au minimum une information simple et didactique et, selon les cas, une prise en charge avec ou sans orientation. Il est important de souligner que cet entretien sera réalisé après la prise en compte par l’équipe de l’ensemble des problèmes aigus qui peuvent se poser, d’où l’intérêt d’une réflexion médicopsycho-sociale. À cette réflexion seront toujours associés familles et tiers concernés. Cette mission est dévolue à l’équipe hospitalière d’alcoologie de liaison en collaboration avec l’équipe du service et/ou les psychiatres des urgences. Cette équipe d’alcoologie a pour rôle : • En direction des patients : de mettre en place les outils de la prise en charge spécifique. Aux urgences, elle propose, entre autres, des stratégies de prévention primaire et secondaire. • En direction des soignants : de contribuer à une sensibilisation à l’alcoologie, voire une à formation. Bien sûr, cette intervention visant à engager un patient vers un projet thérapeutique au-delà de son séjour aux urgences, il y a nécessité d’une base alcoologique solide dans l’établissement, c’est-à-dire d’une unité de soins de courte durée et/ou de soins de suite. Son intégration dans l’organisation hospitalière doit être effective ; il en va de même en ce qui concerne celle dans le dispositif d’alcoologie local et avec les autres acteurs sanitaires et sociaux agissant en réseau. Ainsi, par exemple, dans le Puy-de-Dôme, l’organisation se fait avec les secteurs psy- 324 chiatriques, le CCAA (ex-CHAA), les unités fonctionnelles d’alcoologie (CHU et CHS) et le réseau PARAD (réseau de soins pour patients en difficulté avec l’alcool, à risque, abuseurs, dépendants). Ce réseau de soins expérimental, correspondant au cahier des charges du conseil d’orientation des filières et réseaux (comité Soubie), répond à la nécessité de prendre en charge tous les aspects : médical, social, économique de cette pathologie. Cela engage un partenariat et une coordination entre public/privé, hospitalier/ville, hospitalier/ambulatoire. Conclusion Une alcoolémie positive, ce n’est pas banal. L’intoxication éthylique aiguë est une situation d’urgence médicale et psychiatrique qui doit conduire à un bilan complet pour mise en place d’un suivi. La création d’unités d’hospitalisation de très courte durée va dans le sens d’une meilleure prise en charge car elle permet l’introduction du facteur temps, indispensable à la réalisation d’un bilan global. Les unités fonctionnelles d’alcoologie de liaison, plus mobiles, ont un capital de prise en charge de ces patients et de formation des équipes, tant dans les services d’urgences que dans tout autre service de l’établissement. Dépister est une chose, mais il faut poursuivre dans le sens d’une information et d’une articulation avec les urgentistes de façon à agir avant l’alcoolo-dépendance et l’abus, et à établir un protocole (même léger) permettant au patient d’avoir une aide. La collaboration est donc primordiale entre les médecins généralistes, le service d’urgences, les centres d’alcoologie, les mouvements d’anciens buveurs et les autres partenaires. Le développement de “réseaux alcool” est essentiel pour la prise en charge de ces patients.