Ohadata D-10-36

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Ohadata D-10-36
Pourquoi la République Démocratique du Congo (RDC)
devait adhérer à l’OHADA ?
“ Critique prospective de la démarche d’adhésion de la RDC à
l’OHADA ”
par
Ghislain BAMUANGAYI KALUKUIMBI,
Avocat au Barreau de Kinshasa (RDC) et Chercheur indépendant
Revue congolaise de droit et des affaires, N° 2, janvier-mars 2010, p. 81
INTRODUCTION
Le Parlement de la République Démocratique du Congo (RDC) a adopté la loi autorisant la
ratification du Traité de l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires
(OHADA), le 14 décembre 2009, et la Cour Suprême de Justice a déclaré cette loi conforme à
la Constitution congolaise du 18 février 2006, par décision du 05 février 2010, jugeant ainsi
toute révision constitutionnelle inutile en vue de l’adhésion à l’OHADA. Le Président de la
République a promulgué l’Ordonnance-loi portant ratification du Traité OHADA par la RDC,
le 11 février 2010.
Au départ, une opposition farouche s’était levée sur fond de défense de la souveraineté de
l’Etat congolais et d’une appréhension de domination juridique et économique des pays
francophones de l’Afrique de l’Ouest1. La contestation a failli porter ses fruits au Parlement et
renvoyer l’adhésion aux calendes grecques2.
Le vrai débat national sur l’intérêt de l’adhésion, la procédure à suivre, les questions
incidentes et les conséquences, pourtant commencé au Sénat puis à l’Assemblée Nationale, ne
s’est pas poursuivi. L’intérêt politique semble avoir prévalu dans la décision définitive
parlementaire d’autoriser l’adhésion. Un compromis politique a été trouvé, sans une réelle
conviction sur les arguments en faveur de l’adhésion, confrontés aux arguments contre, en
considération de la prééminence d’une certaine « urgence » sur les conséquences, peut-être
négatives, de la discussion approfondie sur l’adhésion à l’OHADA par la classe politique et
par les intellectuels congolais.
1
2
Le site OHADA.com avait relayé quelques arguments de l’opposition à l’adhésion de la RDC en date du
13/10/2009 (http://fr.mg41.mail.yahoo.com/dc/launch.gx=I&.rand=7664r81fm8gqn), suite à deux articles de
presse, le premier du journal Le Potentiel de la RDC et le second de Congo Indépendant apparaissant sur
internet. Le séminaire organisé les 9 et 10/12/2008 sur l’importance de la ratification par la RDC du Traité
OHADA par la Commission des Relations Etrangères du Sénat avait, aux cours des débats, permis de relever
les oppositions.
Le Sénat congolais, le 12/11/2009, avait délibéré et rejeté le projet de loi autorisant l’adhésion à l’OHADA,
tandis que l’Assemblée Nationale, le 14/12/2009, l’avait adopté. Suite à une rencontre de la Commission
mixte Sénat et Assemblée Nationale, le Parlement avait en date du 15/12/2009, adopté finalement le projet de
loi.
L’OHADA, pour se réaliser, a certainement besoin de chaque pays africain, son ambition
étant de favoriser le développement de l’Afrique et d’atteindre un vaste, attrayant et important
système juridique d’un marché économique continental. La RDC est, sans aucun doute, d’un
intérêt majeur pour la promotion de l’OHADA, au moment où la gouvernance nationale, dans
ses secteurs juridique, judiciaire et économique, y compris celle projetée dans le proche
avenir, la contraignent au réalisme et à l’humilité dans le recours à une institution
communautaire comme l’OHADA.
Cette Organisation est unique en Afrique par rapport à sa compétence d’unification du droit
des affaires et d’examen des litiges de droit privé, et tout aussi originale dans le monde quant
à certains principes juridiques. Elle est une belle opportunité pour la RDC, mais qui aura
besoin de la détermination, du sérieux et d’un ferme engagement des Congolais pour être le
facteur favorisant du développement de leur pays. Sans pareil esprit, son adhésion sera une
complaisance nuisible à l’économie nationale et à la culture juridique d’un pays, pendant que
d’autres pays, des multinationales, des institutions financières internationales, des avocats et
des entreprises d’ailleurs en tireront le maximum de profit à son détriment. L’adhésion à
l’OHADA est une bonne chose, mais la manière de le faire doit garantir l’intérêt du pays et de
son peuple.
Les enjeux de l’adhésion de la RDC sont à apprécier à la lumière de l’importance que
prendrait le marché OHADA avec l’adhésion d’un pays aux dimensions d’un sous-continent,
comptant environ 65.000.000 d’habitants3, cohabitant avec neuf pays voisins, regorgeant de
richesses naturelles immenses et s’étendant du centre au sud du continent, avec une extension
vers l’Est proche de l’Océan Indien et une sortie à l’Ouest sur l’Océan Atlantique.
La présente réflexion va s’articuler autour de deux points, à savoir les arguments soulevés
contre l’adhésion de la RDC à l’OHADA (I) et les enjeux que représente son adhésion sur le
plan géostratégique (II).
I.- LES ARGUMENTS CONTRE L’ADHESION DE LA RDC A L’OHADA
Pourquoi évoquer les arguments balayés, en définitive, par le vote favorable du Parlement ? Il
s’agit de gagner les sceptiques à la cause de l’OHADA, mais aussi de tenir compte des
arguments des sceptiques et des opposants.
Les mêmes débats ont lieu dans d’autres pays africains non encore membres, et qui hésitent à
s’engager sur la voie de l’OHADA.
Les arguments contre l’adhésion étaient en résumé les suivants :
• l’influence du droit français alors que la RDC est régie par un droit d’essence belge ;
• l’inadaptation et l’incompatibilité du Traité OHADA à certaines réalités fondamentales de
certains pays d’Afrique ;
• la restriction de la compétence de la Cour Suprême de Justice sur les questions relevant du
droit des affaires au profit d’une juridiction « étrangère » ;
3
Jean Pierre GUENGANT, chercheur en démographie de l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD)
basé à Ouagadougou (Burkina Faso), le 25 janvier 2010, estimant à 65 millions la population de la RDC,
indique que l’accroissement annuel y est de deux millions d’habitants. D’après ses études, la population
congolaise
atteindrait
d’ici
2050,
le
chiffre
de
100
millions
d’habitants.
(http://www.casafree.com/modules/news/article.php?storyid=18300, consulté le 26/01/2010).
• la crainte pour certains indépendants comme les avocats, les consultants en matière de
société et les experts comptables, de perdre le marché congolais des affaires au profit des
professionnels des pays déjà membres de l’OHADA ;
• les difficultés de vulgariser le droit OHADA sur l’ensemble du pays au regard de ses
dimensions ;
• le possible effacement du franc congolais par la domination du franc CFA dans l’espace
OHADA ;
• un possible conflit de compétence en matière de cassation entre la Cour Suprême de Justice
et la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage ;
• un changement brusque et brutal des règles dans le domaine des affaires ;
• l’inadéquation entre plusieurs dispositions du droit interne et le droit OHADA, nécessitant
une harmonisation interne ;
• une certaine incompatibilité d’appartenir à la fois à la SADC4, à la CEEAC5, à la
COMESA6 et à l’OHADA ;
• l’incompréhensible application immédiate et directe des textes OHADA ;
• l’éloignement du siège de la CCJA ;
• le risque de modifier la Constitution en vue d’intégrer le juge communautaire OHADA
dans l’ordre judiciaire et de conformer l’adhésion aux dispositions constitutionnelles.
Il ne s’agira pas d’examiner techniquement tous ces arguments, quelques-unes de ces
considérations seulement feront l’objet de la présente réflexion.
A. Le besoin d’harmoniser les vues et les textes au niveau communautaire et national
Plusieurs critiques ont été émises en vue de revisiter les textes de l’OHADA7. La révision du
Traité OHADA au Québec le 17 octobre 2008 est un signe de grande ouverture et de
croissance de l’Organisation, qui a intégré les critiques en procédant à une évaluation 15 ans
après sa création.
La vocation continentale de l’OHADA l’oblige à s’auto-évaluer sans complaisance, après un
travail remarquable de législation et de jurisprudence dans le domaine du droit des affaires, à
un niveau élevé d’Organisation communautaire de 16 Etats. Les conditions de législation et
d’administration de la justice vont-elles rester les mêmes avec 20, 25 ou 30 Etats, que
lorsqu’ils étaient 14 ou 16 ? La localisation actuelle des institutions plus au Nord-Ouest ne
pourrait-elle pas être une faiblesse du système, avec un élargissement plus accru vers le centre
4
5
6
7
Communauté pour le Développement de l’Afrique Australe, qui regroupe l’Afrique du Sud, l’Angola, le
Botswana, l’Ile Maurice, le Lesotho, Madagascar, le Malawi, le Mozambique, la Namibie, la République
Démocratique du Congo, les Seychelles, le Swaziland, la Tanzanie, la Zambie et le Zimbabwe.
Communauté Economique des Etats d’Afrique Centrale, qui regroupe l’Angola, le Burundi, le Cameroun, le
Centrafrique, le Congo (Brazzaville), le Gabon, la Guinée Equatoriale, la République Démocratique du
Congo, Sao Tomé et Principe et le Tchad.
Marché Commun de l’Afrique de l’Est et de l’Afrique Australe, qui regroupe le Burundi, les Comores,
Djibouti, l’Egypte, l’Erythrée, l’Ethiopie, le Kenya, l’Ile Maurice, la Libye, Madagascar, le Malawi, la
République Démocratique du Congo, le Rwanda, les Seychelles, le Soudan, le Swaziland, l’Ouganda, la
Zambie et le Zimbabwe.
Jean YADO TOE en a fait une critique pertinente dans un article, « La problématique actuelle de
l’harmonisation du droit des affaires par l’OHADA », publié dans la Revue de Droit Uniforme, UNIDROIT,
2008, pp. 23-37.
et le sud du continent ? N’est-il pas temps d’établir une relation structurée et intime entre
l’OHADA et les formations universitaires à tous les niveaux d’études ? Les questions sont
nombreuses. L’important est de garder l’ouverture, la capacité d’adaptation et de
réajustement, sans se départir des objectifs principaux de l’Organisation ou de s’empêtrer
dans des modifications intempestives susceptibles de faire perdre les acquis ou de briser les
équilibres essentiels obtenus au niveau institutionnel et jurisprudentiel.
Pour le cas particulier de la RDC, ses dimensions quant à la vulgarisation des textes OHADA,
à l’adaptation des structures et à la formation d’un personnel approprié, ainsi que le niveau
très élevé de dysfonctionnement de ses appareils administratif et judiciaire, sont a priori en
incompatibilité avec l’exigence du Traité OHADA à mettre en vigueur ses textes dans les 60
jours qui suivront le dépôt de l’instrument d’adhésion par le chef de l’Etat.
Mais, le dernier alinéa de l’article 53 du Traité OHADA offre la possibilité de retarder le
dépôt de l’instrument d’adhésion auprès du Gouvernement du Sénégal, dépositaire du Traité
OHADA. Cela pourrait être un temps favorable de préparation d’une naissance désirée. Le
moment d’implanter les structures appropriées, de vulgariser les Actes uniformes et le Traité
lui-même sur toute l’étendue du pays, de conformer certaines dispositions du droit interne au
droit OHADA, de repenser les contenus des cours et le programme de formation universitaire
dans les facultés de droit et d’économie, de former le personnel administratif, les avocats et
les magistrats.
Attendre le dépôt des instruments de ratification pour commencer ce travail d’adaptation et
d’harmonisation, au motif que le droit national est encore d’application, serait une erreur
stratégique8. Les structures, les normes et les comportements actuels sont inadaptés aux
exigences d’une économie moderne et ils sont inefficaces pour le développement. Il ne
faudrait pas attendre l’avènement de l’OHADA pour les changer.
Dans le travail préparatoire, qui aura la vocation de résoudre par la même occasion des
problèmes importants de développement et de progrès du pays, il y a lieu d’épingler les cas
suivants :
B. Le besoin de définir le système économique
L’OHADA est née et évolue dans le contexte de l’économie de marché de l’après deuxième
guerre mondiale, fondée à la fois sur le libéralisme et sur l’interventionnisme des pouvoirs
publics dans le but de garantir la concurrence, l’équilibre du marché et la liberté
d’entreprendre et d’agir des opérateurs économiques. Le droit économique est au centre du
libéralisme économique pour promouvoir la propriété privée et la liberté du commerce, pour
réaliser et protéger le profit résultant de l’exploitation du capital et pour restreindre au
maximum la possibilité des pouvoirs publics d’intervenir comme agent économique dans la
production, le transport et la commercialisation des biens et services.
L’OHADA est, dans la mouvance du capitalisme, au service de l’entreprise pour donner à
cette dernière sa pleine forme d’action. Postulant que le développement de l’Afrique est
fonction de la protection de l’entreprise, à laquelle l’Organisation communautaire tend à
aménager un environnement juridique et judiciaire favorable, le Traité OHADA, dans son
préambule, stipule : « Persuadés que la réalisation de ces objectifs suppose la mise en place
dans leurs Etats d’un Droit des Affaires harmonisé, simple, moderne et adapté, afin de
faciliter l’activité des entreprises ; Conscients qu’il est essentiel que ce droit soit appliqué
8
Lire MASSAMBA MAKELA Roger, Modalités d’adhésion de la RDC à l’OHADA, vol. 1, Rapport final de
consultation, 2005, disponible sur
www.copirep.org/.../Modalit%E9s%20d’adh%E9sion%20RDC%20OHADA.doc consulté le 27/01/2010.
avec diligence, dans les conditions propres à garantir la sécurité juridique des activités
économiques, afin de favoriser l’essor de celles-ci et d’encourager l’investissement. »
Dans le même temps, les pays développés favorisent l’économie libérale en Afrique, en
contradiction flagrante avec leurs importantes interventions financières sous forme de
subventions destinées à garantir les actifs des sociétés, à influer sur le niveau de production
des produits agricoles et pour sauver des entreprises non compétitives, violant ainsi les règles
de la concurrence et de l’équilibre du marché.
L’OHADA devra tenir compte de ces contradictions dans l’harmonisation du droit africain.
La RDC, qui évolue dans les mêmes contradictions par une tendance au libéralisme à outrance
de son économie, à l’encouragement des monopoles de fait pour de nombreux produits et à
l’aveuglement par le laisser-faire, sous pression de l’extérieur et des intérêts étrangers, alors
que les réalités sociales et économiques l’invitent davantage à venir au secours des entreprises
malades et de préserver l’intérêt du pays par la présence d’agents économiques, a l’obligation
de définir clairement et souverainement les options fondamentales de son économie.
L’application du droit OHADA pourrait donc être handicapée en RDC, si le pouvoir politique
n’anticipe pas avec une politique économique nettement définie par des principes directeurs
fondés à la fois sur l’intérêt national, sur les besoins internes d’un marché commun africain et
sur l’ambition de jouer un grand rôle dans le développement du continent.
En fait, la promotion de l’OHADA en RDC sera garantie par la capacité des pouvoirs
politiques congolais à définir et à préserver les intérêts économiques du Congo. L’OHADA
est un véhicule, dont les routes doivent être préalablement tracées à l’intérieur de chaque Etat
par lui-même. Une situation de flou économique, de tâtonnement dans les choix économiques,
d’attention prioritaire aux intérêts étrangers, d’inféodation de l’économie aux intérêts des
individus, sera la source d’incompréhension avec l’Organisation communautaire et de
difficultés d’exécution des décisions venant des organes de celle-ci.
C. Une législation économique, des structures adaptées aux besoins de développement
Le droit OHADA, par son caractère obligatoire et supranational, établit un ordre public
communautaire, alors qu’il n’a pas vocation à harmoniser le droit public interne des Etats. Par
contre, il fait de nombreux renvois au droit interne. Par exemple, le droit communautaire
laisse à chaque Etat partie la tâche de déterminer les sanctions relatives aux incriminations
qu’elle prévoit (article 5 du Traité OHADA), ainsi que les biens et droits insaisissables
(articles 50 et 51 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de
recouvrement et des voies d’exécution).
Il convient, au regard du besoin de modernisation des normes et des structures, d’avoir un
droit économique pénal moderne, des règles de procédure civile aptes à créer les conditions de
justice et d’équilibre des parties devant le juge, un droit économique incitateur et favorable à
l’investissement, un droit protecteur de l’environnement et des mesures de sécurité des
citoyens et de leurs biens. Il ne faut pas attendre l’application du droit OHADA pour instaurer
un climat serein et favorable aux affaires.
Le rapprochement du justiciable de son juge ou l’administré de l’administration publique est
une nécessité actuelle d’extrême urgence en RDC. Le droit écrit a eu du mal à évincer
certaines coutumes dépassées, à cause de l’absence de tribunaux, de la police et des autorités
civiles dans les zones rurales, qui constituent, par ailleurs, la majorité du territoire congolais et
comprennent environ 65 % de la population. Par conséquent, la fameuse « civilisation », celle
du droit écrit, est une fiction pour le plus grand nombre d’Africains, puisque le cas de la RDC
est semblable à celui de la majorité des pays africains.
Il est impérieux, dès maintenant, d’installer, particulièrement dans les zones rurales, les
tribunaux de paix, les tribunaux de commerce, les tribunaux de grande instance et les cours
d’appel partout où la loi a prévu de les installer. Le nombre de juristes déjà formés par le pays
est amplement suffisant pour une pareille organisation territoriale de la justice.
La véritable force du droit OHADA sera dans son application effective partout où il est appelé
à intervenir. Chaque juge national, quel que soit le degré auquel il se trouve, est un juge
communautaire toutes les fois qu’il doit appliquer le droit OHADA. Par conséquent, il
convient d’installer les juridictions et les greffes de commerce aux lieux où le droit OHADA
devra être d’application, et d’informatiser déjà les greffes.
D. Les conditions matérielles et financières des magistrats et des agents de
l’administration publique
La corruption et la concussion sont parmi les causes du sous-développement du Congo et de
l’Afrique, tout comme les maux à la base de la création de l’OHADA.
Tout le beau et bon droit OHADA sera inefficace si les magistrats et les agents de
l’administration publique, qui sont au commencement de l’application de ce droit, demeurent
dans leurs conditions actuelles de laissés-pour-compte. La sanction de leurs méfaits restera
toujours théorique dans un système qui fonctionne et survit de la même manière, puisque dans
tous les appareils et circuits de l’Etat, le virus de la corruption se meut sans peine.
A cause de la corruption, la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage pourrait ne pas être
saisie ou quand elle le sera, des pièces essentielles pourraient être soustraites ou les dossiers
pourraient être constitués de faux jugements, d’arrêts falsifiés, de fausses pièces, de pièces
certifiées conformes à des originaux inexistants ou d’autres forfaits de ce genre.
Ces situations, si elles n’étaient pas maîtrisées, pourraient mettre à mal l’administration de la
justice par la CCJA et par les juges communautaires locaux. Le piège risquerait de se refermer
sur le système OHADA et le conduire à un droit médiocre.
La rémunération des magistrats, des greffiers, des huissiers, d’autres agents des parquets, des
cours et des tribunaux devra être améliorée. Les codes de discipline des fonctionnaires et des
magistrats devront être modernisés, la formation continue devra leur être assurée pour
augmenter leurs capacités, l’ignorance et l’incompétence étant des facteurs qui favorisent la
corruption.
Le gouvernement pourrait se donner le temps nécessaire pour les préparatifs de cette
révolution juridique et judiciaire en RDC. Un délai de deux ans, au regard de la dimension du
pays, de la lenteur de l’administration publique et des problèmes qui lui sont propres, des
tensions armées dans certaines zones du pays, pourrait s’avérer raisonnable9.
1) Les questions liées à la souveraineté de l’Etat congolais
L’essentiel du principe de la souveraineté, compris de façon générale comme le droit exclusif
d’exercer l’autorité politique (législatif, judiciaire et exécutif) sur une zone géographique ou
9
Dans le même sens, lire l’article commun de Boris MATOR et Sébastien THOUVENOT, « Les perspectives
et modalités d’adhésion de nouveaux Etats à l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du droit des
Affaires (OHADA) : l’exemple de la RDC », in Revue de Droit des Affaires internationales, n° 4 – 2005,
pp 535-539. Ils y exposent l’importance pour l’Afrique et pour l’OHADA de l’adhésion de la RDC et les
expériences de certains pays membres qui ont observé un délai de réflexion et de préparation avant le dépôt de
l’instrument d’adhésion.
un groupe de peuples10, connaît de plus en plus une limitation avec l’émergence
d’Organisations internationales, le phénomène de la mondialisation et l’organisation d’un
ordre public international à travers des traités et des conventions internationales.
La souveraineté absolue de l’Etat se dilue devant les évidences d’une nécessité de protection
accrue des personnes, des biens et de certaines valeurs. La recherche d’intérêts sécuritaires,
juridiques, économiques, sociaux et mêmes politiques dans un cadre communautaire ou
associatif, a relativisé la souveraineté de l’Etat. L’Union Africaine, la Communauté
Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), l’Union Economique et Monétaire
Ouest Africaine (UEMOA) ou l’Union Européenne et tant d’autres procèdent de cet ordre, et
les Etats les constituant n’en sont pas moins souverains. Il y a une limite volontaire de l’Etat à
son autorité suprême pour répondre à des impératifs auxquels, seul, dans sa sphère de
souveraineté, il ne pourrait faire face.
Sans le droit pris en tant que principe essentiel et fondement primordial de l’action de l’Etat,
la souveraineté est une pure et inutile fiction. C’est là que la souveraineté, au regard de la
complexité des conflits armés, de la pauvreté, des méthodes singulières de conquête et
d’exercice du pouvoir, des rapports tendus et hypocrites entre pays voisins, de la mauvaise
gestion d’immenses richesses naturelles et de l’exploitation aventuriste des matières
premières par des multinationales, devient une caricature d’autorité étatique dans de
nombreux pays d’Afrique. Au lieu que le transfert d’une partie de la souveraineté ou la
limitation partielle de celle-ci se fasse au profit d’Organisations capables d’être de valables
prolongements de l’Etat, ils se font de fait au profit de quelques individus ou groupuscules,
d’affairistes nationaux et internationaux, qui utilisent le pouvoir d’Etat à leurs fins propres, au
grand mépris des règles de droit. On ne peut pas parler de la souveraineté de l’Etat, en
l’absence de la primauté du droit, puisque le peuple, titulaire originaire de la souveraineté, est
soumis au pouvoir d’intérêts privés et l’Etat n’a qu’une autorité théorique sur lui et sur son
espace géographique.
La RDC a plus à gagner dans l’OHADA qu’en restant en-dehors, pour une souveraineté déjà
trop compromise et fragilisée par sa situation politique, sociale, géostratégique et
économique. Son adhésion à cette Organisation lui offre, à coup sûr, une opportunité de
relever la cote de sa souveraineté et de la consolider. Les faiblesses du système OHADA ont
très peu de nocivité pour la RDC, qui tirerait d’énormes bénéfices de son adhésion.
La RDC, en vertu de toutes ses Constitutions, partage en partie sa souveraineté dans plusieurs
Organisations internationales depuis son indépendance (ONU, OUA11, Union africaine,
CEPGL12, CEEAC, SADC, etc.). Chacune d’elle a sa spécificité, fonctionnant sur le principe
de la spécialité des Organisations internationales, et l’OHADA ne sera ni la dernière ni de
trop, alors que son intérêt pour le pays est manifeste.
L’adhésion à l’OHADA est l’occasion, la meilleure en ce moment de crise multiforme,
d’assainir le marché des affaires par des textes juridiques adaptés et performants et de
compléter l’architecture institutionnelle de la lutte contre l’économie parallèle et trop libérale
(puisque non soumise au contrôle des pouvoirs publics). Elle offre un espace plus grand et
mieux étoffé juridiquement pour encadrer les investissements, pour soutenir l’Etat congolais
10
11
12
Définition de Wikipedia :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Souverainet%C3 %A9#D.C3.A9finition_juridique,
consulté le 20 janvier 2010.
Organisation de l’Unité Africaine, remplacée par l’Union Africaine.
Communauté Economique des Pays des Grands Lacs, qui regroupe le Burundi, la République Démocratique
du Congo et le Rwanda.
dans une coopération Sud/Sud et pour rendre plus attrayant un marché économique de la
RDC.
Etant un système de droit des affaires, l’OHADA deviendra la garantie, l’assurance de la
primauté du droit dans le domaine particulier des affaires, si l’Etat congolais accepte de jouer
pleinement le jeu en assurant lui-même la primauté du droit à l’intérieur du pays, suivant ses
compétences propres. Le droit international est supérieur au droit interne, mais sa force trouve
sa source dans ce dernier.
2) La peur du brusque changement de culture juridique et judiciaire
Avec l’adhésion à l’OHADA, certains expriment leur peur du changement de culture
juridique et judiciaire. Pourtant, après l’indépendance, la nécessité de réformer le droit
congolais pour l’adapter aux coutumes et réalités congolaises, avait été ressentie.
La Commission de réforme du droit congolais n’a pas réussi, malgré son expertise avérée, à
produire une ossature juridique valable du secteur des affaires, par manque de moyens et
d’impulsion politique nécessaires.
Des lois importantes ont été promulguées, par exemple, pour la création des tribunaux de
commerce, pour l’assainissement des secteurs des mines et du bois, mais elles n’ont pas
permis un changement qualitatif de l’environnement juridique et judiciaire décrié.
L’OHADA peut servir à provoquer un chambardement positif, un électrochoc thérapeutique
indispensable.
Quelques illustrations du blocage du système juridique et judiciaire congolais dans des
domaines clefs sont les suivantes :
L’arbitrage, mode moderne de résolution des conflits de droit privé
La RDC, bien qu’avec des dispositions un peu rudimentaires sur l’arbitrage dans le Code de
Procédure Civile, méconnaît presque totalement, dans la pratique, la procédure arbitrale. Les
insuffisances de la justice traditionnelle peuvent pourtant être comblées en grande partie avec
l’arbitrage.
Les efforts de la Fédération des Entreprises du Congo de promouvoir l’arbitrage dans la
résolution des conflits entre ses membres et la création d’un Centre d’Arbitrage à Kinshasa ne
semblent pas déterminer les Congolais à opter davantage pour l’arbitrage, malgré les
nombreuses et habituelles déceptions qu’ils connaissent devant le juge traditionnel. L’une des
raisons en est le manque d’information des personnes qui concluent des contrats, souvent sans
avoir au préalable consulté un avocat, et qui soit suffisamment au fait de l’arbitrage.
L’environnement juridique de l’investissement économique
Lorsque l’on parle d’investissement économique privé, il faut entendre par là, entre autres et
principalement, de la Constitution, de l’organisation, du fonctionnement et de l’activité
économique des entreprises privées. Et pourtant, dans ce domaine important de
l’investissement, il y a absence d’une législation appropriée sur les sociétés commerciales. Le
droit congolais des sociétés, avec quelques articles de l’époque coloniale, continue à se
nourrir par analogie du droit belge et du droit français sur les sociétés commerciales, en
considérant ces droits comme constitutifs de principes généraux de droit en RDC, un pays
indépendant depuis bientôt cinquante ans, au moment où les droits belge et français évoluent
suivant la dynamique des réalités propres aux sociétés belge et française13.
Alors que le droit commercial colonial belge, encore d’application, ne rassure plus par son
inadaptation, son vieillissement et son éparpillement dans plusieurs textes, les commerçants
ont beaucoup de difficultés à obtenir le paiement de leurs opérations, surtout lorsque leur
partenaire est une personne morale publique, l’Etat et ses subdivisions. Un climat général
d’insolvabilité des débiteurs semble peser sur les affaires dans de nombreux pays africains,
par un système de paiement inadéquat et par le maintien sur le marché, d’entreprises déjà en
faillite, qui ont perdu la totalité de leur capital social.
Le droit OHADA, avec son organisation des sûretés, des procédures simplifiées de
recouvrement et des voies d’exécution et des procédures collectives d’apurement du passif,
apporte un début de réponse encourageante à cette situation.
3) L’application immédiate et directe du droit OHADA
Un thème, parmi les plus discutés au sujet de l’OHADA, est l’application immédiate et
directe de ses Actes uniformes au niveau national, nonobstant toute disposition contraire de
droit interne, antérieure ou postérieure (article 10 du Traité OHADA).
Cette technique d’application du droit communautaire est capitale pour la solidité de la
communauté. Elle est la force de l’Organisation à l’intérieur de chaque Etat membre.
Adhérer à l’OHADA, c’est intégrer les objectifs de sécurité juridique et judiciaire de ce droit
communautaire, lorsque le droit et les organes internes n’ont pas pu l’assurer.
4) La modification de la Constitution avant la ratification
L’adhésion de la RDC à l’OHADA devait-elle passer par la modification de la Constitution ?
Sur cette question, il y a eu plusieurs craintes. La crainte de voir la jeune Constitution, à peine
votée par référendum, connaître une modification. Le coût et le temps de la modification de la
Constitution étaient-ils à la portée du Trésor public ? L’acceptation de la compétence de la
Cour Commune de Justice et d’Arbitrage n’était-elle pas une façon de porter atteinte à
l’indépendance du pouvoir judiciaire, de sorte que la révision de la Constitution aurait été une
violation de son article 220 qui proscrit ce genre de révision ?
Une analyse objective de la question aurait dû aboutir à l’évidence de la révision. Deux
constitutionnalistes ont écrit : « La Constitution n’est plus de nos jours considérée comme un
texte sacré et intangible, même dans les Etats pluralistes, héritiers de la philosophie des
Lumières. Bien au contraire, nombreux sont ceux qui estiment qu’en adaptant la Constitution
à l’évolution de la situation politique par des révisions, non pas fréquentes mais suffisamment
espacées, on accroît considérablement ses chances de durée. »14
La Constitution a rendu facultative la consultation de la Cour Constitutionnelle pour
déterminer si le Traité proposé à la ratification ou à l’approbation est contraire à la
Constitution. Pour accélérer l’adhésion de la RDC à l’OHADA, dans une précipitation
injustifiée cherchant à contourner les obstacles au lieu de les affronter et d’y trouver des
13
14
Lukombe NGHENDA, Droit congolais des sociétés commerciales, PUC, 1999, un grand doctrinaire congolais
en matière des sociétés commerciales, expose très abondamment sur ces principes généraux de droit, qu’il
soutient comme pour suppléer aux lacunes du droit congolais.
Pierre PACTET et Ferdinand MELIN-SOUCRAMANIEN, Droit constitutionnel, Dalloz, Paris, 2007, p. 69.
solutions, certains juristes ont proposé d’éviter de consulter la Cour Suprême de Justice, qui
siège aussi comme juge de la constitutionnalité15.
Pourtant, pour une démarche rassurante et apaisée, la sagesse indiquait de consulter la Cour
Constitutionnelle, au regard d’éventuelles objections que la lecture moins passionnée de la
Constitution et du droit OHADA peut soulever.
C’est ce que le gouvernement de la RDC s’est résolu à faire en sollicitant l’avis de la Cour
Suprême de Justice, avant la promulgation de la loi autorisant la ratification du Traité de
l’OHADA votée par le Parlement. Et cet avis a été favorable.
E. L’interdiction constitutionnelle de créer des tribunaux extraordinaires ou
d’exception sous quelque dénomination que ce soit
La Constitution congolaise du 18 février 2006, adoptée par référendum, suite à des
compromis politiques, comporte des dispositions qu’il fallait examiner sans passion.
Aux termes de l’article 149 de la Constitution : « Le pouvoir judiciaire est indépendant du
pouvoir législatif et du pouvoir exécutif. Il est dévolu aux cours et tribunaux qui sont : la
Cour Constitutionnelle, la Cour de Cassation, le Conseil d’Etat, la Haute Cour militaire, les
cours et tribunaux civils et militaires, ainsi que les parquets rattachés à ces juridictions. La
justice est rendue sur l’ensemble du territoire national au nom du peuple. Les arrêts et les
jugements ainsi que les ordonnances des cours et tribunaux sont exécutés au nom du
Président de la République. Il ne peut être créé des Tribunaux extraordinaires ou
d’exception sous quelque dénomination que ce soit. La loi peut créer des juridictions
spécialisées. »
Cette disposition constitutionnelle définit le pouvoir judiciaire par une énumération stricte et
exhaustive des institutions judiciaires auxquelles est dévolu le pouvoir de dire le droit.
La CCJA serait-elle une juridiction extraordinaire ou d’exception ? Si oui, c’est en violation
de cette disposition constitutionnelle.
Fallait-il tenir compte de l’alinéa 2 de l’article 149 de la Constitution, qui autorise la création
par la loi de juridictions spécialisées, pour introduire la CCJA dans l’ordre judiciaire
congolais, au risque de méconnaître la supériorité du Traité OHADA aux lois du pays et de
recréer par une loi, une Cour déjà existante en vertu d’un traité ?
La Cour Constitutionnelle devait apporter à ces questions, des réponses justes et opposables à
tous.
F. La détermination constitutionnelle des juridictions de l’ordre judiciaire sous
l’autorité de la Cour Suprême de Justice
L’article 153 de la Constitution détermine les juridictions de l’ordre judiciaire et affirme le
pouvoir de cassation sans limite de la Cour Suprême de Justice, sans possibilité de partager
cette compétence avec une autre juridiction : « Il est institué un ordre de juridictions
judiciaires, composé des cours et tribunaux civils et militaires placés sous le contrôle de la
Cour de Cassation. Sans préjudice des autres compétences qui lui sont reconnues par la
présente Constitution ou par les lois de la République, la Cour de Cassation connaît des
15
La proposition de ne pas consulter la Cour Constitutionnelle, fondée sur l’analyse selon laquelle l’adhésion à
l’OHADA peut se réaliser sans une révision constitutionnelle, est abondamment traitée dans le rapport final
de la consultation du professeur Massamba MAKELA, cité ci-haut.
pourvois en cassation formés contre les arrêts et jugements rendus en dernier ressort par les
cours et tribunaux civils et militaires. »
Sans aucun doute, la liste des institutions judiciaires admises et appelées à fonctionner en
RDC changera avec l’adhésion à l’OHADA et le pouvoir de cassation de la Cour Suprême de
Justice sera limité, sans que la Loi fondamentale, qui définit et organise le pouvoir judiciaire,
ne soit modifiée.
Pourtant, l’article 215 de la Constitution ne consacre la supériorité des traités qu’aux lois et
non à la Constitution, fondement essentiel de la souveraineté du pays. Encore que cette
supériorité n’est pas absolue. Sa relativité est basée sur la réciprocité dans l’application par
l’autre Etat partie au Traité.
Le fait que les cours et tribunaux de l’ordre judiciaire aient leur source dans la Constitution,
que le pouvoir de cassation soit expressément réservé à la Cour Suprême de Justice, que cette
dernière soit placée au-dessus de toutes les juridictions de l’ordre judiciaire et que le Traité
OHADA n’ait pas de force supérieure à la Constitution, auraient dû conduire à la modification
des articles 149 et 153 de la Constitution.
G. Les particularités de la Constitution de la RDC
L’argument selon lequel les 16 Etats membres de l’OHADA n’ont pas procédé à la révision
de leurs constitutions est faible et inapproprié, puisqu’il n’est pas établi que les 16
constitutions ont des dispositions similaires à celle de la RDC, qui a été adoptée dans des
conditions particulières et à un moment tumultueux de la vie politique, suite au dialogue
intercongolais.
C’est une constitution voulue expressément rigide et protectrice du pouvoir judiciaire pour
éviter les abus de révision des régimes passés, ainsi que les dérives dictatoriales qui ont
amené l’institution de juridictions extraordinaires et exceptionnelles non conformes à l’esprit
de justice.
Dans l’optique du bannissement des juridictions extraordinaires et exceptionnelles,
l’article 225 de la Constitution a dissout la Cour de Sûreté de l’Etat, tout en interdisant
l’institution d’autres juges extraordinaires de l’ordre judiciaire en-dehors de ceux qui sont
institués par la Constitution.
« Il ne peut être créé des Tribunaux extraordinaires ou d’exception sous quelque
dénomination que ce soit. » (Article 149, alinéa 5 de la Constitution). Cette disposition était
absente de la Constitution de la transition et elle n’existe dans aucune constitution des 16
Etats membres de l’OHADA. Le concept « tribunal » utilisé, ici, a le sens de juridiction.
L’article 217 de la Constitution, qui autorise l’abandon partiel ou total de souveraineté en vue
de promouvoir l’unité africaine, ne pouvait être la raison de ne pas recourir à la révision
constitutionnelle, puisque, tout en reconnaissant ce principe, la Constitution prévoit, en
certains cas, la révision, et indique à son article 216, le cas de révision préalable à
l’approbation ou à la ratification d’un traité.
La décision du Conseil Constitutionnel du Sénégal du 16 décembre 1993, qui a jugé
constitutionnelle l’adhésion du Sénégal à l’OHADA sans devoir réviser la Constitution, en
vertu de la même disposition relative à l’abandon partiel ou total de souveraineté au profit de
l’unité africaine, semble faire jurisprudence pour les tenants du refus de la révision de la
Constitution. Non seulement il s’agit d’une décision isolée sur le continent, mais aussi elle
peut être conforme à la Constitution sénégalaise et être contredite par les dispositions de la
constitution d’un autre pays africain.
Les pays européens ont connu ce cas et la jurisprudence constante du Conseil Constitutionnel
français est bien résumée par Pierre PACTET et Ferdinand MELIN, en ces termes éloquents :
« Il suffit donc de rappeler que, dans son dernier état, la jurisprudence du Conseil
constitutionnel se fondant sur l’alinéa 14 du Préambule de la Constitution de 1946 et sur la
règle Pacta sunt servanda, valide les transferts de compétence – souvent, en réalité, des
transferts de souveraineté – déjà intervenus et rappelle pour l’avenir qu’une convention ou
une décision communautaire contraire à la Constitution ou portant atteinte aux conditions
essentielles d’exercice de la souveraineté nationale ne peut être ratifiée (lorsqu’elle y est
soumise) qu’après que la Constitution ait été révisée et mise en conformité. »16
Le préambule de la Constitution française de 1946, intégré dans la Constitution de 1958,
comprend une disposition semblable à celle des constitutions des pays africains sur l’abandon
de souveraineté au profit de l’unité africaine, lorsqu’elle affirme : « Sous réserve de
réciprocité, la France consent aux limitations de souveraineté nécessaires à l’organisation et
à la défense de la paix »17.
H. Le respect de la souveraineté du peuple congolais
L’adhésion à l’OHADA, une décision capitale valant abandon d’une part importante de la
souveraineté nationale, à savoir le pouvoir législatif dans le domaine économique et le
pouvoir judiciaire, aurait pu se faire par référendum.
L’article 2 du Traité semble limiter le pouvoir législatif de l’OHADA à quelques matières
devant faire l’objet d’Actes uniformes, mais ajoute aussi toute autre matière que le Conseil
des Ministres déciderait, à l’unanimité, d’y inclure, conformément à l’objet du Traité. C’est
un pouvoir très large, imprécis et laissé à la détermination d’un organe communautaire, qui
apprécie ce qui peut faire partie ou non du domaine du droit des affaires. Il est plausible que
ce pouvoir sera étendu à certaines autres matières du droit public comme la fiscalité, les
douanes, la propriété foncière et les conditions d’exploitation des mines, des terres, des
hydrocarbures et des cours d’eau.
Par ailleurs, l’article 10 du Traité OHADA, n’admettant aucune « disposition contraire de
droit interne », affirme la supériorité du droit uniforme OHADA, un droit dérivé, sur les
dispositions constitutionnelles, qui sont dans la hiérarchie des normes juridiques, au-dessus du
droit interne18. La Constitution n’énonçant que la supériorité du droit international aux lois, la
Constitution, loi fondamentale, n’est pas soumise au droit international, raison pour laquelle
elle doit être révisée si elle est en contradiction avec un instrument international auquel l’Etat
congolais est appelé à adhérer ou qu’il doit approuver.
Le référendum aurait pu donner un plus grand crédit à l’Organisation communautaire, par
l’implication directe des peuples à son existence et par un engagement du peuple dans le
16
17
18
Pierre PACTET et Ferdinand MELIN, op. cit., p. 579, qui citent les décisions du Conseil constitutionnel
suivantes : Décision n° 92-308 DC du 9 avril sur le Traité de Maastricht du 7 février 1992 de l’Union
européenne et Décision n° 97-394 DC du 2 octobre 1997 sur le Traité d’Amsterdam.
http://www.elysee.fr/elysee/francais/les_institutions/les_textes_fondateurs/le_preambule_de_1a
_constitution_du_27_octobre_1946/le_preambule_de_la_constitution_du_27_octobre_1946.21059.html.
P. MOUDOUDOU, « Réflexions sur les fonctions de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de
l’OHADA », Revue EDJA, n° 64, janvier–février–mars 2005, pp. 7-24 et Traité OHADA et Actes uniformes
annotés, 3ème édition, Juriscope, 2008, page 16 : « En toute hypothèse, le droit OHADA l’emporte sur toute
disposition nationale. Il entraîne l’obligation pour les autorités nationales, d’interpréter tout le droit national
en conformité avec les Actes uniformes, et le cas échéant, de réparer les conséquences dommageables de leur
irrespect ».
transfert d’une partie importante de son pouvoir. Le pouvoir constituant devrait décider de la
réorganisation du pouvoir de l’Etat.
L’article 217 cité ci-dessus est à combiner avec l’article 5 de la Constitution, qui consacre la
souveraineté, laquelle appartient au peuple : « La souveraineté nationale appartient au peuple.
Tout pouvoir émane du peuple qui l’exerce directement par voie de référendum ou d’élections
et indirectement par ses représentants. Aucune fraction du peuple ni aucun individu ne peut
s’en attribuer l’exercice. » Le Traité OHADA modifie assez considérablement le pouvoir du
peuple de légiférer et de rendre la justice par les organes qu’il s’est lui-même choisi par
référendum, pour qu’il soit constitutionnellement indiqué de revenir à lui, titulaire originaire
du pouvoir, en vue de l’abandon de sa souveraineté.
Puisque la Constitution n’a prévu que le référendum pour l’introduction des engagements
internationaux dans l’ordonnancement juridique de l’Etat congolais, la révision
constitutionnelle par référendum, conformément à l’article 218 de la Constitution, était la
manière d’adhérer au Traité OHADA dans le respect de la souveraineté du peuple congolais.
C’est-à-dire la révision constitutionnelle par voie référendaire.
Les conflits de compétence entre les institutions judiciaires et entre le Traité et la Constitution
seront inévitables, sans la révision constitutionnelle.
La révision de la Constitution en vue de l’intégration de la CCJA et de la reconnaissance de sa
compétence de cassation était à opérer pour donner plus de force et de crédit à cette institution
internationale. Mais la Cour Suprême de Justice a jugé que ce n’était pas nécessaire.
1.- La Cour Suprême de Justice aux cotés de la Cour Commune de Justice et
d’Arbitrage
La vie communautaire a ses exigences, parfois désagréables pour certaines institutions
internes, mais indispensables dans la poursuite des objectifs communautaires, à travers
lesquels le pays trouve son compte et sa force internationale.
A voir le nombre insuffisant de magistrats de la Cour Suprême de Justice, le temps
(excessivement long) que cette juridiction met pour rendre ses décisions et les conditions
intellectuelles, professionnelles et morales requises pour y être membre, il y a lieu de
reconnaître que la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA) vient à point nommé. Audelà de la nécessité de réorganiser cette Cour commune en vue de la rapprocher du justiciable
de chaque pays membre, par l’organisation de son greffe au niveau national, l’OHADA
viendra alléger la tâche de la Cour Suprême de Justice et suppléer certaines de ses carences
actuelles.
L’OHADA aura intérêt à instaurer un mécanisme de collaboration administrative et judiciaire
entre les Cours suprêmes nationales et la CCJA, susceptible aussi d’alléger la tâche de cette
dernière, qui risque d’être submergée et excessivement éloignée des justiciables.
Les avocats congolais devront reconnaître la révolution que leur apporte l’OHADA dans
l’exercice de leur profession, puisqu’ils pourront tous, sans être inscrits au très sélectif
Barreau près la Cour Suprême de Justice, exercer leur profession en cassation devant la Cour
Commune de Justice et d’Arbitrage. L’article 23 du Règlement de la Cour Commune de
Justice et d’Arbitrage, libérateur et créateur d’une prestation à laquelle la grande majorité
d’avocats ne pouvait accéder, est éloquent : « Le ministère d’avocat est obligatoire devant la
Cour. Est admis à exercer ce ministère toute personne pouvant se présenter en qualité
d’avocat devant une juridiction de l’un des Etats Parties au Traité. »
2.- L’influence du droit français, du français et du franc CFA
Certains se sont préoccupés de l’influence du droit français ou belge et de l’usage du français.
S’il est vrai que l’OHADA est née sous l’influence du droit civiliste français et dans la
mouvance de la promotion de la zone franc CFA, l’OHADA a su se donner des principes
directeurs capables d’intégrer la Common Law et des innovations authentiquement africaines.
Aujourd’hui, l’OHADA comprend aussi des pays d’expression lusophone (Guinée Bissau) et
hispanophone (Guinée Equatoriale, également francophone), en plus du Cameroun à la fois
francophone et anglophone.
Le 17 octobre 2008, l’OHADA a démontré sa capacité d’adaptation en adoptant, en plus du
français, l’anglais, l’espagnol et le portugais comme langues de travail. Les autres monnaies y
ont obtenu, en cette occasion de modification du Traité OHADA, une convertibilité pratique.
Le droit OHADA est en train de s’inscrire, avec le projet d’Acte uniforme sur le droit des
contrats, dans la ligne des principes juridiques UNIDROIT, un mélange pratique de règles de
différents systèmes juridiques pour faciliter les échanges commerciaux et pour sécuriser les
intérêts de toutes les parties engagées dans le commerce juridique. Les Actes uniformes
OHADA offrent, en plusieurs de leurs dispositions, une originalité remarquable adaptée aux
pays africains.
Et il faut noter que la RD Congo, la France, la Belgique et les pays de la zone franc CFA sont
de la même famille juridique romano-germanique, que le droit belge est d’inspiration
française. Le droit belge, s’il est devenu un héritage encombrant pour la RD Congo
(l’abandon du code civil, livre 1er et la promulgation du nouveau code de la famille en sont
une illustration), a connu en Belgique des mutations importantes avec l’influence des règles
communautaires européennes et des conventions internationales dans de nombreux domaines.
Le droit belge connaît des adaptations suite à des situations nouvelles et des défis que le
peuple belge est appelé à relever pour son unité nationale, pour son affirmation dans la
mondialisation, pour la consolidation de sa démocratie, pour son développement.
Il n’y a donc aucun intérêt à maintenir aujourd’hui en vie, des normes dépassées et inadaptées,
pour le simple plaisir de garder un lien affectif avec la Belgique, même lorsqu’elles bloquent
la pensée collective, freinent le décollage de l’économie.
Heureux et plus compréhensible devra être le souci de la présence dans le système OHADA,
des coutumes africaines des affaires, si elles existent. Des principes juridiques
authentiquement africains et des langues internationales parlées par plusieurs peuples
d’Afrique, comme le swahili, l’arabe, le wolof et le kikongo.
L’OHADA étant une initiative prometteuse africaine, bien que née dans des circonstances
précises de l’influence française, ne demeure pas moins sous le pilotage et la responsabilité
des Africains.
II.- LES ENJEUX DE L’ADHESION DE LA RDC A L’OHADA SUR LE PLAN
GEOSTRATEGIQUE
La RDC est à la recherche d’un souffle nouveau et d’une autre manière de gérer ses affaires.
L’OHADA est un train en marche vers l’avenir de l’Afrique, et la RDC, appelée à y jouer un
rôle majeur pour l’unification du droit africain des affaires et pour contribuer à l’intégration
de l’économie africaine dans le marché mondial, doit avoir l’ambition à la mesure de sa taille
et des problèmes de fond qui freinent son développement. Le Congo a besoin de ce saut
qualitatif, qui pourra apporter la révolution juridique et judiciaire dont elle a besoin. En cours
de route, ensemble avec les autres Etats membres, la RDC sera en mesure d’influencer de
l’intérieur, des changements notables et utiles.
L’adhésion de la RDC à l’OHADA est un enjeu réel dans le rapprochement d’Organisations
diverses de plusieurs régions d’Afrique. Vers l’Ouest et le Nord de l’Afrique avec l’OHADA,
au Centre avec la CEEAC, vers le Sud avec la SADC, vers l’Est et le Nord du continent avec
la COMESA. Ce pays peut être la charnière de l’unité de toutes ces Organisations, favorisant
ainsi la formation d’un vaste marché juridique et économique unifié en Afrique.
La vocation africaine du Congo se dessine clairement par la visualisation synoptique de ces
Organisations régionales africaines, et se formalise nettement dans l’OHADA du fait de la
primauté du droit communautaire qui y est consacré.
Le rôle de cheville du développement de l’Afrique appartient à la RDC qui, tirée vers le Sud
par la SADC et vers l’Est par la CEPGL et la COMESA, maintenue au centre par la CEEAC,
est maintenant tirée vers l’Ouest et le Nord du continent par l’OHADA, et cette dernière a
vocation à s’étendre sur tout le continent.
Le Congo est réellement grand et capable d’être la gâchette de l’Afrique prédite par Frantz
Fanon, s’il sait prendre conscience de sa vocation naturelle d’être le cœur de la vie de
l’Afrique par sa forêt, ses richesses minérales, ses cours d’eau, ses climats, sa terre riche, sa
diversité culturelle, ses dimensions, ses montagnes, ses volcans, sa faune et sa population
dynamique.
Deux pays frontaliers de la RDC, la République Centrafricaine et le Congo (Brazzaville), sont
déjà membres de l’OHADA. L’Angola, le Burundi et le Rwanda manifestent leur intérêt pour
l’OHADA19. Une toile d’affaires va se constituer autour du Congo. Il convient donc de
prendre conscience de ces atouts pour que l’adhésion à l’OHADA ne devienne pas un fardeau
insupportable pour la RDC et son peuple. Ce pays a un rôle de premier plan à jouer du fait de
son importance géostratégique au centre du continent, de ses immenses richesses naturelles,
de sa vaste étendue géographique, de ses barreaux forts de 5.500 avocats environ, de ses deux
grandes universités officielles capables de former des centaines de juristes par an, et du
dynamisme de sa population. A lui seul, le Congo a plus de la moitié20 de toute la population
des 16 Etats membres de l’OHADA réunis, devenant, par conséquent la partie potentielle la
plus importante du marché OHADA.
CONCLUSION
L’OHADA a besoin de la RDC, et le contraire est plus que patent. Les doutes et les
hésitations qui ont eu lieu doivent continuer à alimenter le débat pour mieux comprendre les
options, pour proposer les corrections nécessaires et pour prendre conscience des enjeux et de
l’importance du défi d’une révolution juridique et judiciaire.
Plusieurs matières importantes du droit des affaires restent à organiser, et la RDC pourra y
prendre part, apporter son expérience propre et moderne, particulièrement dans les domaines
du droit des investissements, du droit minier et du droit de la forêt. A son tour, elle pourra
profiter de l’apport des pays anglophones sur la Common Law et d’autres principes juridiques
pratiques et utiles à l’évolution du droit privé.
La RDC est la bienvenue dans l’OHADA pour imprimer sa vocation africaine et pour être le
véritable cœur du développement de l’Afrique, au moment où cette Organisation
communautaire se présente comme l’occasion de libérer le système juridique et judiciaire de
la RD Congo.
19
20
Information du site www.ohada.com.
Le site de la Revue du Commerce International évalue à 105 millions le nombre d’habitants dans l’espace
OHADA des 16 Etats membres (http://www.revue-du-commerce-international.info/droitint/droit-ohada).
L’OHADA étant une expérience intéressante en Afrique, de la primauté du droit dans le
domaine des affaires, la force du droit uniforme ne sera une réalité que lorsque dans chaque
pays membre, l’Etat de droit sera le souci primordial des gouvernants.
__________
Revue Congolaise de Droit et des Affaires n° 2, Janvier–Février–Mars 2010, p. 81.
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