Jean Palussière1 Roberto Luigi Cazzato1 Xavier Buy1 Vittorio Catena1 Marc Debled2 Christine Tunon de Lara3 IEC Les techniques de thermo-ablation tumorale percutanée consistent à détruire une tumeur en la brûlant ou en la congelant. Le traitement des tumeurs du sein par ces techniques est récent, il est actuellement réservé aux patientes pour lesquelles la chirurgie est contre-indiquée. Les résultats probants qui ont été obtenus permettront probablement d’élargir ses indications dans l’avenir. l Mots clés : tumeurs du sein ; ablation percutanée ; radiofréquence ; cryothérapie. 1 Institut Bergonié Département d’imagerie 229, cours de l’Argonne 33076 Bordeaux France <[email protected]> <[email protected]> <[email protected]> <[email protected]> 2 Institut Bergonié Département d’oncologie 229, cours de l’Argonne 33076 Bordeaux France <[email protected]> 3 Institut Bergonié Département de chirurgie 229, cours de l’Argonne 33076 Bordeaux France <[email protected]> Remerciements et autres mentions : Financement : aucun. Liens d’intérêts : les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt en rapport avec l’article. Tirés à part : J. Palussière RÉSUMÉ ABSTRACT Image-guided percutaneous ablation has been developed to treat tumours using temperature modification. When applied to breast tumours, this technique is mainly considered for women who are not surgical candidates. The favourable results obtained so far are likely to broaden the indication for this technique in the future. Key words: breast cancer; radiofrequency ablation; cryoablation; percutaneous ablation. l L es techniques de thermoablation tumorale percutanée consistent à détruire une tumeur, sans la réséquer, par des modifications de température sous le guidage et le contrôle de l’imagerie. Un dispositif est introduit dans la tumeur et permet de la chauffer ou au contraire de la congeler [1]. Ces traitements existent depuis 20 ans et ont été progressivement évalués. Très rapidement, ils se sont imposés comme une alternative thérapeutique, notamment à la chirurgie, apportant de nouvelles solutions aux patients, et sont couramment discutés en réunion pluridisciplinaire. Beaucoup de tumeurs hépatiques, pulmonaires, rénales, osseuses sont traitées de cette façon. Le traitement des tumeurs du sein par ces techniques est plus récent, il est proposé aux patientes pour lesquelles la chirurgie est contreindiquée. En effet, le traitement conservateur (chirurgie et radiothérapie) reste actuellement le traitement prioritaire du cancer du sein non métastatique [2] : il offre un excellent pronostic aux patientes. Les moyens physiques susceptibles d’augmenter la température au sein d’un tissu sont multiples [1] : ondes de radiofréquence (RF), micro-ondes, ultrasons, laser. Quelle que soit la méthode d’ablation employée, il faut s’assurer que le statut tumoral – récepteurs hormonaux, HER2, etc. – a bien été identifié au préalable lors de la biopsie. Le guidage lors de l’intervention est crucial afin de positionner correctement la source de température au milieu de la tumeur. Pour la RF et la cryothérapie, c’est l’échographie et/ou le scanner qui sont utilisés. Les ultrasons focalisés peuvent être couplés à l’IRM. Le guidage du faisceau ultrasonore par IRM permet de localiser de petites tumeurs. De plus, l’IRM permet en Pour citer cet article : Palussière J, Cazzato RL, Buy X, Catena V, Debled M, Tunon de Lara C. La thermo-ablation appliquée aux cancers du sein. Innov Ther Oncol 2015 ; 1 : 59-63. doi : 10.1684/ito.2015.0011 Innovations & Thérapeutiques en Oncologie l vol. 1 – n8 2, nov-déc 2015 59 doi: 10.1684/ito.2015.0011 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. Image-guided percutaneous ablation of breast cancer Innovations en cours La thermo-ablation appliquée aux cancers du sein IEC Innovations en cours J. Palussière, et al. temps réel de mesurer la température avec une grande précision (0,1 8C) [3, 4] et de piloter l’application du faisceau ultrasonore. la plus fiable. Dans le cas d’une contre-indication à l’IRM, le scanner avec injection de produit de contraste est utilisé. Radiofréquence Le suivi à long terme n’a été que peu évalué, toutefois deux études [9, 10] montrent une efficacité prolongée, avec peu de récidives dans la zone d’ablation. Les récidives à distance sont extra-mammaires [10] ou intra-mammaires en dehors de la zone d’ablation [9]. Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. Technique On appelle RF des courants électromagnétiques de 300 à 500 kHz de fréquence. Ces courants induisent dans les tissus une élévation thermique, jusqu’à 100 8C, par agitation ionique. Environ 20 minutes sont nécessaires pour coaguler une tumeur de 3 cm de diamètre. Le traitement est arrêté lorsque le tissu est coagulé, le courant ne pouvant plus circuler, faute de mouvements ioniques. Les principaux obstacles de la RF sont la taille tumorale et l’emplacement de la lésion. Au-delà de 4 cm de diamètre, il est difficile d’obtenir une coagulation de tout le volume tumoral. La proximité des vaisseaux joue un rôle dans la transmission de la chaleur : dans des vaisseaux de plus de 4 mm de diamètre, le flux sanguin refroidit par convection et limite l’extension de la nécrose de coagulation, d’où le risque d’un traitement incomplet. L’efficacité de la RF est excellente pour des tumeurs de moins de 3 cm, avec une grande reproductibilité des lésions thermiques. Dans le sein, la présence de la graisse facilite la diffusion thermique. Indications et résultats Une revue récente de la littérature [5] regroupe 30 publications concernant 641 patientes. Les critères de sélection dépendent des patientes elles-mêmes, du type tumoral, et de critères d’imagerie. La plupart des études proposent d’exclure les carcinomes lobulaires infiltrants et les carcinomes canalaires in situ (CCIS) purs. Les tumeurs avec des limites floues, avec des microcalcifications extensives sont des contre-indications pour certains [6, 7], de même que les tumeurs de plus de 3 cm de diamètre. Les tumeurs situées à moins de 1 cm de la peau exposent au risque de brûlure cutanée. Dans les premières publications, la RF était effectuée avant la chirurgie. Le contrôle histologique de la zone d’ablation par différentes méthodes a montré un taux intéressant et prometteur d’ablation complète. Puis, la RF a été proposée à des patientes âgées pour lesquelles la chirurgie était contre-indiquée ou refusant la chirurgie [8, 9]. Le traitement est effectué sous anesthésie locale avec une sédation ou un bloc intercostal. En effet, le chauffage est douloureux et il est difficile d’intervenir sous anesthésie locale seule. Chez les patientes âgées de plus de 70 ans, il a été démontré que la RF est efficace avec peu de complications [9]. Dans ces situations où l’ablathermie n’est pas suivie d’une chirurgie, le contrôle de la zone d’ablation doit être strict, continu, afin de dépister un traitement incomplet ou une rechute. L’IRM avec injection de produit de contraste est la méthode 60 Complications La tolérance de la RF est excellente et la plupart des complications sont superficielles, cutanées : brûlures, ecchymoses et complications esthétiques (rétractions cutanées). Des cas isolés d’infection et de mastite ont été rapportés [11, 12]. Pour limiter le risque de brûlure, des artifices ont été proposés : il est possible d’injecter du sérum glucosé 5 % sous la peau pour l’éloigner du chauffage [13]. Il est aussi possible de rafraîchir la peau avec des packs de glace pendant l’intervention afin de limiter les risques de brûlure lors du traitement des tumeurs superficielles [9]. Quelques études ont évalué les résultats esthétiques et la satisfaction des patientes [13, 14]. Oura et al. [13] rapportent que, pour 83 % des patientes (43/52), le résultat esthétique était excellent. Un facteur limitant est la présence d’une masse correspondant à la cicatrice d’ablation, faite de nécrose graisseuse et tumorale. Cette masse de consistance dure n’est pas douloureuse, elle peut déformer légèrement le sein. Une information préalable du médecin opérateur est nécessaire pour avertir la patiente de cette évolution, afin que cette masse ne soit pas prise pour une poursuite évolutive de la maladie. Enfin, des cas de déformation du mamelon ont été décrits [9] et peuvent induire un préjudice esthétique. Cryothérapie Technique La congélation se produit grâce à la circulation d’argon sous pression dans une sonde placée dans la tumeur. L’effet Joule-Thomson décrit que la température décroît lorsque le gaz subit une expansion. À partir de -20 8C, la mort cellulaire intervient par destruction des membranes cellulaires et dénaturation des protéines. Pour parvenir à une destruction la plus complète possible, il importe de créer un choc thermique avec plusieurs phases : une congélation, puis une phase de décongélation et de nouveau une congélation. Un tel procédé dure environ 30 minutes et permet de détruire des volumes variables en fonction du nombre de sondes utilisées. Indications et résultats Par rapport à la RF, il y a eu moins d’études publiées. Une revue récente [15] a identifié sept articles mentionnant Innovations & Thérapeutiques en Oncologie l vol. 1 – n8 2, nov-déc 2015 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. A B C D (A) IRM ; (B) calcification visible au centre de la tumeur ; (C) sondes de cryothérapie en place dans la tumeur (flèche bleue) ; (D) les sondes ont été retirées et le glaçon a couvert la tumeur qui devient hypodense (flèche blanche). Figure 1. Carcinome canalaire infiltrant chez une patiente de 84 ans. Figure 1. Infiltrating ductal carcinoma in an 84-year-old patient. 161 patientes et 176 tumeurs traitées (de diamètre moyen 15 mm). Les indications et les limites sont les mêmes que celles de la RF. Toutefois, un des avantages de la cryothérapie est de pouvoir surveiller par l’imagerie l’extension du glaçon, ce qui diminue les risques de brûlure des organes sensibles (peau, muscle). Mais chez les patientes âgées, le glaçon est mal visualisé en raison du contenu majoritairement graisseux de la glande. La prédominance de la graisse est d’ailleurs un facteur limitant de l’efficacité de la cryothérapie. La graisse est un isolant thermique pour le froid, c’est une des explications de la moins bonne efficacité de la cryothérapie par rapport à la RF. Le taux moyen de contrôle local est IEC Innovations en cours La thermo-ablation appliquée aux cancers du sein de 73 % [15], alors qu’il est de 85 % pour la RF [5]. Pour limiter cet inconvénient et obtenir le meilleur contrôle local possible, l’utilisation de plusieurs sondes de cryothérapie afin d’amplifier la zone de destruction est souhaitable (figure 1A-D) [16]. Les mesures de protection de la peau pendant la congélation sont efficaces (réchauffement cutané avec des packs d’eau tiède, ou injection de sérum sous-cutané pour éloigner la peau) et autorisent à traiter des tumeurs situées à moins de 1 cm de la peau. La congélation est moins douloureuse que le chauffage ; à la différence de la RF, la cryothérapie est réalisable sous anesthésie locale seule. Innovations & Thérapeutiques en Oncologie l vol. 1 – n8 2, nov-déc 2015 61 IEC Innovations en cours J. Palussière, et al. Complications Le traitement est très bien supporté avec peu de complications. Comme pour la RF, le risque est principalement cutané. Les conséquences esthétiques sont les mêmes qu’après la RF ; toutefois, la zone d’ablation est moins dure qu’après un chauffage. En moyenne, 99 % des procédures chez 57 patientes ont été considérées comme satisfaisantes [15]. Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. Ultrasons focalisés Technique Cette technologie est en cours de développement. Elle offre des avantages par son caractère non invasif, ne nécessitant aucune introduction d’aiguille. Les faisceaux ultrasonores peuvent détruire des cellules par nécrose de coagulation à des températures de 558C à 60 8C. Ils permettent de déposer de l’énergie thermique dans des organes superficiels ou profonds, avec une précision spatiale submillimétrique. C’est seulement depuis quelques années que les applications cliniques sont devenues possibles, grâce au développement de sondes ultrasonores de haute puissance en réseau et des méthodes non invasives de monitoring (IRM) [17]. L’IRM fournit des images anatomiques de haute résolution avec un contraste excellent dans les tissus mous et permet ainsi une identification exacte du volume cible. L’autre intérêt fondamental du couplage IRM est la possibilité de réaliser l’asservissement automatique spatial et temporel de la dose thermique délivrée, grâce à un calcul de thermométrie obtenu quasiment en temps réel et indépendamment de la nature du tissu, pour des valeurs échelonnées de 378C à 100 8C. Il est possible d’obtenir une précision de 1 8C pour une résolution spatiale de 1 mm et une résolution temporelle d’une seconde. Grâce aux outils de contrôle, une dose thermique uniforme et létale peut être distribuée dans une large région cible, de l’ordre de plusieurs centimètres. Deux systèmes d’ultrasons focalisés (High Intensity Focused Ultrasounds [HIFU]) guidés par IRM sont actuellement commercialisés : l’un associe un transducteur ultrasonore, ExAblate1, de la société Insightec (Haïfa, Israël) à une IRM General Electric (GE, Milwaukee, États-Unis) ; l’autre, Sonalieve1, produit par Philips (Eindhoven, Pays-Bas) est compatible avec les IRM du même constructeur. Indications et résultats Ces développements technologiques associés à des méthodes de traitement sophistiquées ont permis d’envisager de traiter de façon non invasive des régions, telles que le cerveau [18]. Des tumeurs hépatiques, rénales, utérines et des métastases osseuses commencent à être traitées par cette technique [19, 20]. La prostate est l’organe pour lequel le recul clinique est le plus important (près de 15 ans). Pour traiter le carcinome prostatique, deux 62 machines sont disponibles : Ablatherm1 (EDAP-TMS, Lyon, France) et Sonablate1 (Sonacare, Charlotte, États-Unis). Elles fonctionnent sans contrôle IRM. Un échographe intégré permet la localisation et l’imagerie de la prostate. Le système endorectal combine une sonde d’imagerie et le transducteur de traitement qui émet les ultrasons focalisés. Les résultats montrent [21] que ce type de traitement est efficace dans le traitement des carcinomes prostatiques localisés, avec une faible morbidité. En détaillant la littérature médicale, moins de dix équipes dans le monde travaillent actuellement sur l’application de cette technique au traitement des cancers du sein. À la suite de la prise en charge de tumeurs bénignes, les premières études ont confirmé tout son intérêt dans le traitement des tumeurs malignes. La première publication date de 2001 [22]. En 2003, Wu et al. [23] ont traité 23 patientes présentant des cancers classés T1-2, N0-2, M0. La procédure, longue de 80 minutes en moyenne, effectuée sans guidage IRM, mais sous contrôle échographique, était réalisée une à deux semaines avant la mastectomie. L’analyse histologique a montré la destruction par nécrose de coagulation de toutes les cellules tumorales. Une des patientes a présenté une brûlure cutanée. Gianfelice et al. [24], en utilisant le système ExAblate-GE, ont démontré eux aussi l’efficacité de la technique chez 17 patientes pour des tumeurs inférieures à 3,5 cm. Les mêmes auteurs ont aussi traité, par cette méthode, 24 patientes en cas de contreindication ou de refus de la chirurgie [25]. En dehors d’une brûlure cutanée résolutive sous traitement local, aucun effet secondaire important n’a été rapporté. Pour 79 % des patientes, la méthode a été considérée comme un succès. Une revue des différentes publications fait le point sur ce sujet [26] : l’HIFU permet de nécroser les tumeurs mammaires, mais la destruction tumorale contrôlée en histologie est souvent incomplète. Conclusion En dehors des risques faibles liés à l’induction anesthésique, les complications immédiates de la chirurgie sont peu nombreuses : hématomes, abcès. À distance sur le sein, c’est le préjudice esthétique qui peut dominer en cas de cicatrices disgracieuses, ou de déformation du sein. Un traitement non chirurgical pourrait donc être d’intérêt. Les nouvelles techniques d’imagerie réalisées dans le bilan des lésions mammaires localisées montrent très fréquemment d’autres images qui complexifient grandement la prise en charge et conduisent à envisager de plus en plus souvent des mastectomies pour des bi- ou plurifocalités, des tumorectomies multiples entraînant trop de complications esthétiques. L’utilisation des techniques de destruction tumorale par ablathermie pourrait certainement permettre d’envisager différemment la prise en charge de ces patientes. Pour l’instant, elles ont montré leur efficacité chez les patientes âgées non opérables. L’HIFU est une technique très prometteuse mais qui demande encore à être évaluée et améliorée. Innovations & Thérapeutiques en Oncologie l vol. 1 – n8 2, nov-déc 2015 10. Noguchi M, Motoyoshi A, Earashi M, et al. Long-term outcome of breast cancer patients treated with radiofrequency ablation. Eur J Surg Oncol 2012 ; 38 : 1036-42. Take home messages La destruction percutanée par thermo-ablation est une alternative possible au traitement chirurgical des tumeurs du sein. Ce type de traitement est surtout proposé aux patientes âgées. Des tumeurs de moins de 3 cm, sans signes d’extension ganglionnaire clinique peuvent être traitées par ces techniques. Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. Le traitement est possible sous anesthésie locale, surtout avec la cryothérapie. La zone d’ablation qui englobe la tumeur est palpable en postopératoire. Les patientes doivent être averties qu’il s’agit d’une réaction normale et attendue. 11. Khatri VP, McGahan JP, Ramsamooj R, et al. A phase II trial of image-guided radiofrequency ablation of small invasive breast carcinomas: use of saline-cooled tip electrode. Ann Surg Oncol 2007 ; 14 : 1644-52. 12. Wiksell H, Lofgren L, Schassburger KU, et al. 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