D O S S I E R Le cancer du sein est-il plus grave avant 35 ans ? Is breast cancer worsening before 35? ● L. Zelek* L e pronostic péjoratif des cancers du sein de la femme jeune est une notion assez largement répandue et étayée par plusieurs études, l’une des plus marquantes ayant été publiée en 1993 par l’Institut Curie (1). L’idée que l’âge < 35 ans soit un facteur indépendant de mauvais pronostic a conduit les experts de la conférence de Saint-Gall à l’inclure dans la définition du groupe à haut risque de rechute dès 1998. Pourtant, dans d’autres séries, dont notamment celle du Guy’s Hospital (2), c’est le grade qui est une variable indépendante à laquelle un âge jeune est simplement associé (incidence accrue des tumeurs de haut grade chez les patientes les plus jeunes) ! Il est amusant de faire le parallèle avec l’évolution des concepts en oncologie gériatrique où il est admis désormais que l’âge n’est pas en soi une indication à une prise en charge thérapeutique donnée mais que la décision doit se faire à partir du comportement biologique de la tumeur et en particulier de son hormonosensibilité. L’âge en revanche peut être une limitation de certains traitements, tels que la chimiothérapie chez les patientes les plus âgées ou, dans le cas qui ici nous intéresse, l’hormonothérapie chez les patientes les plus jeunes, surtout si celle-ci doit comporter une suppression ovarienne. La faible incidence des tumeurs de la femme de moins de 35 ans complique par ailleurs leur étude et les recommandations se font essentiellement sur la base de séries rétrospectives de taille modeste. À titre d’exemple, dans la base de données du SEER comportant 77 368 patientes, celles âgées de 20 à 29 ans ne représentent que 1 % de l’effectif ; pour l’American College of Surgery, 0,8 % des patientes atteintes de cancer du sein ont moins de 30 ans. En d’autres termes, l’incidence du cancer du sein dans la tranche d’âge 26-35 ans n’est que de 1/10000 (3). Enfin, il faut souligner que les séries disponibles comportent une proportion non négligeable de patientes atteintes de mutations BRCA 1 ou 2 qui ne sont pas clairement identifiées et dont l’histoire naturelle est dans une certaine mesure différente de celles des autres tumeurs. Dans une série récente, la proportion de patientes mutées est évaluée à 9,4 % des femmes de moins de 35 ans non sélectionnées, à comparer aux 12 % observés chez les femmes de moins de 45 ans ayant un parent au premier degré atteint (4). Quatre séries ont été publiées depuis 2000 qui seront détaillées ici. * Service d’oncologie, CHU Henri-Mondor, Créteil. 8 La série du M.D. Anderson (5) comporte 185 patientes de moins de 30 ans suivies dans cette institution entre 1985 et 1995, et appariées à des patientes de plus de 30 ans au cours de la même période. Cette étude retrouve une survie inférieure à celle de la base de données nationale, mais la différence n’est pas significative pour tous les stades ; la survie à 5 ans varie de 87 % pour les stades I à 16 % pour les stades IV. Le nombre élevé de stades IV semble pouvoir être expliqué par un biais de recrutement. Comme souvent dans les études américaines, les tumeurs ne sont pas gradées, ce qui limite considérablement la portée des travaux publiés. L’équipe britannique du Guy’s Hospital a publié en 2001 (3) une série de 15 cas de cancers survenant avant l’âge de 25 ans ; malgré sa taille, quelques enseignements peuvent en être tirés. Par ailleurs, cette population de patientes parmi les plus jeunes n’avait jusqu’à présent jamais été individualisée. L’âge médian est de 24 ans et les cas ont été appariés à des témoins de 2635 ans dans un ratio 1 : 3. La taille tumorale médiane est de 20 mm et deux tiers des patientes sont N–. Le pronostic péjoratif semble lié au grade élevé et à la négativité des récepteurs hormonaux. Il n’y a cependant pas de différence évidente entre les patientes de moins de 25 ans et les témoins, ce qui va dans le sens des précédents travaux de cette équipe. La fréquence du retard diagnostique mérite d’être soulignée : il a pu atteindre 2 ans chez certaines patientes ! Dans les séries récentes, celle de l’Instituto Europeo di Oncologia de Milan (6) est sans doute celle qui mérite la plus grande attention. Elle comporte 185 patientes isolées à partir d’une série de 1 427 patientes âgées de moins de 50 ans. Elle se caractérise par la quantité de variables prises en compte : ER, PR, invasions vasculaire et lymphatique, grade, index de prolifération, statut Her-2, pTNM, taille pathologique et nombre de ganglions axillaires envahis. Les différences significatives portent sur l’agressivité tumorale et l’hormonosensiblité : il y a davantage de tumeurs avec récepteurs hormonaux négatifs (38,8 versus 21,6 % de RE–, 49,1 versus 35,3 % de RP–), de tumeurs avec indice de prolifération élevé (62,2 % versus 53 %), d’emboles vasculaires ou lymphatiques (48,6 versus 37,3 %) et de grades 3 (61,9 versus 37,4 %). Il ne semble pas y avoir de différence concernant la positivité de Her-2, mais celle-ci n’a pu être étudiée que sur les cas les plus récents. En tout état de cause, il n’y pas de différence significative en termes de stade ou de masse tumorale (pTNM, nombre de N+). Cette série va donc dans le sens d’une proportion accrue de tumeurs agressives chez les La Lettre du Sénologue - n° 22 - octobre/novembre/décembre 2003 femmes jeunes sans que l’âge apparaisse clairement comme un facteur pronostique indépendant et infirme l’idée selon laquelle les tumeurs des femmes jeunes se présenteraient avec un stade plus avancé. Enfin, elle montre que la proportion de tumeurs possiblement hormonosensibles demeure non négligeable. La question de l’hormonothérapie chez ces patientes demeure ouverte, mais il existe des arguments indirects montrant que la suppression hormonale peut avoir son utilité (7). Le cas particulier des formes in situ mérite d’être détaillé, ce d’autant plus que les traitements conservateurs se sont considérablement développés au cours des dix dernières années. Rappelons que les patientes les plus jeunes semblent également être les plus à risque de récidive locale en cas de traitement conservateur d’un cancer invasif (8). Dans la série de Vicini (9) concernant des in situ, 146 patientes ont été traitées de façon homogène avec une chirurgie conservatrice (suivie d’une reprise dans 64 % des cas) et d’une irradiation du sein (avec complément sur le lit d’exérèse dans 94 % des cas). Si le taux de rechutes locales est globalement de 12,4 %, il atteint 26,1 % avant 45 ans versus 8,6 % après. Les patientes les plus jeunes ont une maladie plus extensive et le risque de rechute est corrélé au volume de tissu enlevé lors de la reprise. Il faut souligner que les patientes jeunes ont davantage de rechutes invasives. Enfin, l’âge est significativement associé au risque de rechute locale, qu’il soit considéré comme une variable continue ou discrète (c’est-à-dire < 45 ans versus > 45 ans) ; en d’autres termes plus simplistes : plus on est jeune, plus le risque augmente. Le même auteur a repris l’ensemble de la littérature sur les carcinomes in situ de la femme jeune en 2002 (10) : d’une façon générale, on retrouve plus de formes de mauvais pronostic, plus de rechutes locales et parmi celles-ci, plus de rechutes invasives. Un traitement conservateur n’est cependant pas systématiquement contre-indiqué sous réserve d’une sélection et d’une évaluation rigoureuses des patientes ainsi que de la qualité de la chirurgie avec une mention particulière concernant les marges. L’atelier sénologique de Saint-André Pathologie mammaire avant 50 ans En conclusion, s’il est clair qu’une proportion importante de femmes de moins de 35 ans atteintes de cancer du sein présente des facteurs de mauvais pronostic, il est pour l’instant difficile d’affirmer avec certitude que l’âge est un facteur pronostique indépendant. L’espoir réside dans les nouvelles techniques d’étude génomique qui nous permettront peut-être d’individualiser dans les cancers du sein de la femme jeune des entités indépendantes. ■ R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S 1. De La Rochefordière A, Asselian B, Camapna F et al. Age as a prognostic factor in premenopausal breast carcinoma. Lancet 1993 ; 341 : 1039-43. 2. Richards MA, Gregory WM, Smith P et al. Age as a prognostic factor in premenopausal breast cancer. Lancet 1993 ; 341 : 1484-5. 3. Kothari AS, Beechey-Newman N, D’arrigo C et al. Breast carcinoma in women age 25 years or less. Cancer 2002 ; 94 (3) : 606-14. 4. Malone KE, Daling JR, Neal C et al. Frequency of BRCA1/BRCA2 mutations in a population-based sample of young breast carcinoma cases. Cancer 2000 ; 88 (6) : 1393-402. 5. Xiong Q, Valero V, Kau V, Kau SW, Taylor S, Smith TL et al. Female patients with breast carcinoma age 30 years and younger have a poor prognosis : the M.D. Anderson Cancer Center experience. Cancer 2001 ; 92 (10) : 2523-8. 6. Colleoni M, Rotmensz N, Robertson C et al. Very young women (< 35 years) with operable breast cancer : features of disease at presentation. Ann Oncol 2002 ; 13 (2) : 273-9. 7. Aebi S, Gelber S, Castiglione-Gertsch M et al. Is chemotherapy alone adequate for young women with oestrogen-receptor-positive breast cancer ? Lancet 2000 ; 355 (9218) : 1869-74. 8. Fourquet A, Campana F, Zafrani B et al. Prognostic factors of breast recurrence in the conservative management of early breast cancer : a 25-year followup. Int J Radiat Oncol Biol Phys 1989 ; 17 (4) : 719-25. 9. Vicini FA, Kestin LL, Goldstein NS et al. Impact of young age on outcome in patients with ductal carcinoma-in-situ treated with breast-conserving therapy. J Clin Oncol 2000 ; 18 (2) : 296-306. 10. Vicini FA, Recht A. Age at diagnosis and outcome for women with ductal carcinoma-in-situ of the breast: a critical review of the literature. J Clin Oncol 2002 ; 20 (11) : 2736-44. Samedi 3 avril 2004 Lieu : amphithéâtre Vital-Carles, hôpital Saint-André, CHU de Bordeaux. Organisation : M. Boisserie-Lacroix, H. Trillaud. Intervenants : N. Boudon, G. Boutet, J. Desforges-Grenier, E. Dos Santos, C. Hocké, E. Netter, J.L. Pagès, M. Rabreau. Exposés et atelier pratiques par petits groupes. Programme et inscriptions : Mme C. Derobert, secrétariat de radiologie, hôpital Saint-André, 1, rue Jean-Burguet, 33075 Bordeaux. Tél. : 05 56 79 58 00 - Fax : 05 56 79 47 64. E-mail : [email protected] La Lettre du Sénologue - n° 22 - octobre/novembre/décembre 2003 9