M I S E A U P O I N T Le syndrome hépato-pulmonaire ● F. Chabot*, V. Robert*, J.M. Polu* POINTS FORTS ● Le syndrome hépato-pulmonaire (SHP) est défini par une triade associant hypertension portale, augmentation du gradient alvéolo-artériel d’oxygène et dilatations vasculaires pulmonaires dont la pathogénie serait liée à un déséquilibre entre facteurs vasodilatateurs et vasoconstricteurs. ● L’hypoxémie est multifactorielle avec une hétérogénéité régionale des rapports ventilation/perfusion, parfois des shunts intrapulmonaires et un défaut de “diffusion-perfusion”. ● Les signes évocateurs de SHP sont une dyspnée d’effort, une hypoxémie avec alcalose ventilatoire, une platypnée avec orthodéoxie, parfois un trouble de diffusion sans syndrome obstructif ni restrictif. L’échocardiographie de contraste est l’examen de choix pour le diagnostic des dilatations vasculaires. ● L’inefficacité des traitements médicaux fait discuter la transplantation hépatique en cas d’hypoxémie sévère (PaO2 inférieure à 50 mmHg) améliorée sous 100 % d’O2 (PaO2 supérieure à 400 mmHg). A u cours de la cirrhose, la mise en évidence d’une hypoxémie est fréquente. Elle peut relever de multiples causes, comme une pathologie bronchopulmonaire ou cardiaque associée, ou plus rarement d’anomalies vasculaires pulmonaires liées à l’hypertension portale, s’intégrant dans le cadre d’un syndrome hépatopulmonaire (SHP). Porter le diagnostic de SHP est important, car sa sévérité intervient dans l’indication de transplantation hépatique. DÉFINITION Le SHP associe une hypertension portale, une augmentation du gradient alvéolo-artériel d’oxygène (O2) et des dilatations vasculaires pulmonaires. L’hypertension portale est le plus souvent secondaire à une cirrhose. La fréquence du SHP au cours de la cirrhose (environ 20 %) est corrélée à la sévérité de l’hépatopathie (1). Les mécanismes des anomalies vasculaires pulmonaires du SHP, multifactoriels et de pathogénie complexe (2, 3), sont dominés par une vasodilatation pulmonaire, potentiellement réversible. Leur connaissance guide le choix des examens complémentaires et du traitement (2, 4). PHYSIOPATHOLOGIE DE L’HYPOXÉMIE Différents mécanismes sont à l’origine d’une augmentation du gradient alvéolo-artériel d’O2 : hétérogénéité des rapports ventilation-perfusion ( ), shunts et troubles de la diffusion (1, 2, 3). Leur importance respective a été précisée par la technique d’élimination des gaz inertes. * Service des maladies respiratoires et réanimation respiratoire, CHU NancyBrabois, Vandœuvre-lès-Nancy. La Lettre du Pneumologue - Vol. II - n° 5 - octobre 1999 L’hétérogénéité des rapports est secondaire à une inadaptation des débits sanguins à la ventilation régionale, liée à une anomalie du tonus vasculaire due essentiellement aux dilatations vasculaires intrapulmonaires (2). L’hypoxémie qui en résulte est habituellement modérée, grâce à l’effet protecteur de facteurs extrapulmonaires (déplacement vers la droite de la courbe de dissociation de l’hémoglobine, augmentation du débit cardiaque et de la ventilation minute). Les shunts. Les shunts porto-pulmonaires et pleuro-pulmonaires sont rares et ont un retentissement fonctionnel négligeable par rapport à celui des shunts intrapulmonaires. Expérimentalement, il existe une dilatation extrême des capillaires pulmonaires et, dans une moindre mesure, une néoangiogenèse (5), mais la mise en évidence anatomique de shunts intrapulmonaires est exceptionnelle chez l’homme. Sur le plan morphologique, l’angiographie pulmonaire permet d’individualiser deux types de lésions, des dilatations artériolaires distales diffuses (type 1 selon Krowka) et/ou exceptionnellement des anastomoses artério-veineuses localisées, de gros calibre (type 2) (2). La technique d’élimination des gaz inertes, réservée à quelques centres, est la méthode de référence pour évaluer le retentissement fonctionnel. En pratique clinique, la quantification des shunts est obtenue par la scintigraphie ou, mieux, par le cathétérisme cardiaque droit réalisé sous 100 % d’O2. L’hypoxémie induite par des shunts intrapulmonaires est plus sévère que celle due à l’inhomogénéité des rapports . En fait, ces deux mécanismes sont souvent intriqués, parfois associés à des anomalies évoquant des troubles de la diffusion (2, 3). La coexistence d’anomalies vasculaires et d’altérations du transfert du CO a conduit au concept de “défaut de diffusionperfusion” (2). Les dilatations vasculaires augmentent la dis169 M I S E A U tance de diffusion de l’oxygène entre l’alvéole et le centre du capillaire. En air ambiant, la PO2 alvéolaire (PAO2) est estimée à 150 mmHg (figure 1). Le gradient de pression alvéolo-capillaire n’est pas suffisant pour permettre une diffusion de l’oxygène jusqu’au centre du capillaire et donc pour oxygéner complètement le sang veineux mêlé. L’hypoxémie est accentuée par l’augmentation du débit cardiaque, caractéristique du syndrome hyperkinétique de la cirrhose, qui diminue le temps de contact capillaire. Sous 100 % d’O2, la PAO2 est supérieure à 600 mmHg et deviendrait suffisante pour permettre aux molécules d’O 2 d’atteindre le centre du capillaire. La réponse à l’oxygène dépendrait de l’étendue des dilatations vasculaires (2). L’orthodéoxie, ou baisse de la PaO2 lors du passage en orthostatisme, est due à la répartition préférentielle du débit sanguin dans les vaisseaux dilatés, prédominant aux bases pulmonaires (2). Au total, l’hypoxémie du SHP associe à des degrés divers une hétérogénéité régionale des rapports , des shunts intrapulmonaires et un défaut de “diffusion-perfusion” (2, 3). Diamètre capillaire 8-15 µ Capillaire normal PAO2 = 150 mmHg Dilatation capillaire PAO2 = 150 mmHg Dilatation capillaire PAO2 = 650 mmHg Alvéole Alvéole Alvéole O I N T némie, fréquente au cours de la cirrhose, active l’iNOS, et favoriserait une synthèse accrue de NO qui pourrait être à l’origine de la vasodilatation générale avec état hyperkinétique observée au cours de la cirrhose. La compréhension de la pathogénie des dilatations vasculaires intrapulmonaires a été facilitée par la mise au point d’un modèle expérimental de SHP. Dans ce modèle, il existe une baisse de la vasoconstriction à la phényléphrine. Cette dernière est restaurée par un prétraitement avec un inhibiteur de la NOS, suggérant que l’hyporéactivité vasculaire pulmonaire à la phényléphrine résulte d’une augmentation de la production de NO (7). Plusieurs observations sont en faveur d’une hyperproduction de NO chez l’homme également. La concentration de NO exhalé au cours du SHP est corrélée au gradient alvéolo-artériel d’O2. Chez un patient atteint de SHP, la PaO2 et le taux de NO expiré se sont normalisés après transplantation hépatique. Dans un autre cas, l’administration intraveineuse de bleu de méthylène, un oxydant qui bloque l’action du NO, a corrigé transitoirement l’hypoxémie et le shunt, en position couchée et assise. Le rôle d’autres médiateurs vasoactifs ou angiogéniques comme l’endothéline 1 est vraisemblable. Les constatations rapportées lors du traitement de certaines cardiopathies congénitales suggèrent qu’un facteur hépatique présent normalement dans le sang veineux hépatique intervient dans l’angiogenèse pulmonaire (6). MANIFESTATIONS CLINIQUES { PaO2 = 90 15-100 µ PaO2 < 60 PaO2 > 500 Figure 1. Concept de “diffusion-perfusion”. Le gradient de pression alvéolo-artériel d’O2 (PAO2–PaO2) est représenté par les flèches. En air ambiant, il est insuffisant pour permettre une diffusion de l’oxygène jusqu’au centre du capillaire dilaté et pour oxygéner normalement le sang veineux. Sous 100 % d’O2 , il permet aux molécules d’oxygène d’atteindre le centre du capillaire. Adapté de Lange et Stoller (2). MÉCANISMES DES ANOMALIES VASCULAIRES PULMONAIRES La réversibilité fréquente des anomalies du tonus vasculaire après transplantation hépatique suggère un trouble fonctionnel (5, 6). Le mécanisme de la perte du tonus vasculaire pulmonaire est inconnu, peut-être lié à un excès de production de médiateurs vasodilatateurs ou de facteurs angiogéniques (6), à un défaut d’épuration hépatique d’un vasodilatateur pulmonaire ou à une métabolisation hépatique de vasoconstricteurs. Le rôle de la prostacycline, suspecté expérimentalement, n’a pas été confirmé chez l’homme (2). Le NO a un rôle majeur dans la vasodilatation du SHP. Il est synthétisé par l’intermédiaire de la NO synthétase (NOS). Il existe plusieurs isoenzymes de la NOS, dont la NOS inductible, ou iNOS, et la NOS constitutive, ou cNOS. L’endotoxi170 P Les signes respiratoires évocateurs de SHP sont une dyspnée d’effort et une platypnée, qui est une aggravation de la dyspnée lors du passage en orthostatisme. Un hippocratisme digital et une cyanose sont parfois observés quand l’hypoxémie est sévère. Dans 80 % des cas, les symptômes respiratoires sont découverts chez un patient présentant une hypertension portale ou une hépatopathie connues. Les angiomes stellaires sont particulièrement fréquents. EXAMENS COMPLÉMENTAIRES (tableau I) L’hypoxémie est associée à une alcalose ventilatoire chronique et fréquemment à une baisse du coefficient de transfert du CO, sans trouble ventilatoire obstructif ni restrictif. L’orthodéoxie est très évocatrice d’un SHP. L’hypoxémie, aggravée par l’effort, s’améliore sous 100 % d’O2 en l’absence de malformations artério-veineuses de gros calibre (2). La radiographie thoracique, habituellement normale, peut mettre en évidence un syndrome interstitiel basal minime lié à une augmentation de la trame vasculaire pulmonaire, ou exceptionnellement des fistules artério-veineuses (6). La dilatation des vaisseaux intrapulmonaires est constante au cours du SHP. La scintigraphie de perfusion permet d’affirmer la présence d’un shunt (sans en préciser le siège) par la détection d’une radioactivité extrapulmonaire (2). L’échocardiographie de contraste est la technique de référence dans le dépistage des shunts droits-gauches (2). Les microbulles, injectées dans une veine périphérique, sont normalement La Lettre du Pneumologue - Vol. II - n° 5 - octobre 1999 absorbées lors de leur passage pulmonaire. La distinction entre shunt intracardiaque et shunt intrapulmonaire est basée sur leur délai d’apparition dans les cavités cardiaques gauches. Dans les shunts intracardiaques, les microbulles apparaissent un à trois battements après leur passage dans les cavités droites ; un délai de quatre à six systoles suggère l’existence d’un shunt intrapulmonaire. L’utilisation de la voie transœsophagienne sensibilise la technique et précise la provenance des microbulles (habituellement veines lobaires inférieures). Une échocardiographie de contraste normale exclut quasiment le diagnostic de SHP (2). Le développement de l’échocardiographie a réduit les indications de l’angiographie pulmonaire, méthode invasive qui individualise des lésions de type 1 et/ou exceptionnellement de type 2 (2), qui peuvent aussi être mises en évidence par l’angioscanner. Tableau I. Diagnostic et traitement du SHP. Contexte PaO2 RP EFR Scintigraphie de perfusion Échocardiographie de contraste PaO2 (100 % O2) hypertension portale, dyspnée d’effort hypoxémie, orthodéoxie fréquente normale habituellement volumes et débits normaux, TCO abaissé shunt D-G (fixation extrapulmonaire) shunt D-G intrapulmonaire > 400 mmHg ➪ transplantation hépatique ? < 150 mmHg ➪ angiographie pulmonaire ➪ embolisation si fistule artérioveineuse La pose d’un shunt portosystémique intrahépatique (TIPS) a été exceptionnellement associée à la régression d’une hypoxémie sévère, mais ce succès, inexpliqué, n’a pas été confirmé (9). L’angiographie pulmonaire permet la mise en évidence et l’embolisation de fistules artérioveineuses. Elle est proposée quand la PaO2 est inférieure à 150 mmHg sous 100 % d’O2, car elle révèle parfois des fistules artérioveineuses qui peuvent être embolisées (4). La transplantation hépatique corrige parfois l’hypoxémie (4, 10). Le SHP peut être une indication de transplantation hépatique en cas d’hypoxémie sévère, inférieure à 50 mmHg (2, 4, 10). La mortalité postopératoire est corrélée à la sévérité de l’hypoxémie (4, 10). Le taux de succès de la transplantation hépatique est plus élevé quand la PaO2 préopératoire est supérieure à 400 mmHg sous 100 % d’O2, valeur seuil proposée pour retenir l’indication d’une transplantation hépatique (4). L’intérêt de la transplantation hépatique n’est pas établi chez les patients très hypoxémiques, avec une faible réponse sous 100 % d’O2. Dans cette situation, l’indication est discutée au cas par cas selon les résultats de l’angiographie (4). CONCLUSION Au cours du SHP, les dilatations vasculaires pulmonaires sont à l’origine d’une hypoxémie dont la sévérité peut altérer le pronostic vital. L’hypoxémie peut être une indication de transplantation hépatique, seul traitement efficace actuellement. ■ TRAITEMENT R La valeur de la PaO2, en air ambiant et sous 100 % d’O2, guide les choix thérapeutiques (4) (tableau I). L’oxygénothérapie a une efficacité variable selon l’importance des lésions vasculaires. La persistance d’une hypoxémie sévère sous O2 traduit habituellement un shunt important. Les données physiopathologiques, encore incomplètes, ne permettent pas actuellement de proposer un traitement pharmacologique efficace. L’objectif est une correction de l’hypoxémie par la restauration d’un tonus vasculaire pulmonaire normal avec l’utilisation d’antagonistes de vasodilatateurs, de vasoconstricteurs pulmonaires, ou en diminuant les taux plasmatiques de médiateurs présents en excès au cours du SHP (6). Il n’y a pas d’amélioration significative avec les inhibiteurs des prostaglandines (indométacine), les analogues de la somatostatine, le bismésilate d’almitrine, les sympathomimétiques (isoprénaline) ou les bêtabloquants (propranolol), les antagonistes des estrogènes (tamoxifène) ou les échanges plasmatiques (2). Dans un cas de lymphadénopathie immuno-angioblastique, le SHP a guéri après traitement étiologique de la maladie auto-immune (8). Toutefois, l’amélioration d’un SHP sous traitement médical est exceptionnelle (2). É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S 1. Moller S., Hillinger J. et coll. Arterial hypoxaemia in cirrhosis : fact or fiction ? Gut 1998 ; 42 : 868-74. 2. Lange P.A., Stoller J.K. The hepatopulmonary syndrome. Ann Intern Med 1995 ; 122 : 521-9. 3. Robert V., Chabot F. et coll. Syndrome hépatopulmonaire : physiopathologie des anomalies des échanges gazeux. Rev Mal Respir 1999 : sous presse. 4. Krowka M.J., Porayko M.K. et coll. 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