D O S S I E R Le cancer du sein de la femme jeune (en dehors de la grossesse) : la chimiothérapie What is the optimal chemotherapy protocol? ● L. Mignot* L e cancer du sein survenant chez la femme jeune présente, dans l’esprit du gynécologue, un problème particulier compte tenu des enjeux médicaux et affectifs majeurs que ce diagnostic engendre. La définition même de cancer du sein de la femme jeune n’est pas univoque : selon les études, une femme “jeune” correspond à une femme de moins de 35 ans, de moins de 40 ans, voire simplement préménopausée. Le cancer du sein de la femme n’est heureusement pas fréquent à cet âge : avec 41 845 nouveaux cas estimés en l’an 2000 en France, le cancer du sein se situe par sa fréquence au 1er rang de tous les cancers : l’âge médian au diagnostic est de 61 ans avec 2 350 cas diagnostiqués avant 40 ans et 788 cas avant 35 ans. L’étiologie du cancer du sein reste largement inconnue, mais de nombreux facteurs de risque génétiques, hormonaux et/ou environnementaux ont été identifiés. L’âge en soi n’est pas un facteur de risque mais il accroît celui de chacun des facteurs reconnus : – la contraception orale augmente probablement modérément le risque de cancer du sein chez les jeunes femmes avant leur première grossesse ; le risque n’est pas accru par le caractère génétique de la maladie ; – un antécédent d’hyperplasie multiplie par 2 le risque de cancer du sein si le diagnostic a été fait avant 50 ans ; – les formes familiales concernent environ 15 à 20 % des cancers du sein : le risque d’avoir un cancer du sein est multiplié par 10 à 15 si la mère et une sœur ont eu un cancer ; il est multiplié par 40 si l’une d’entre elles avait moins de 40 ans au diagnostic. Le jeune âge de survenue d’une tumeur du sein est l’un des critères parfois suffisant pour évoquer une prédisposition génétique qui concerne 5 à 10 % des cas. Plusieurs gènes de prédisposition ont été identifiés : BCRA1 (20 à 40 % des cas) dans le syndrome sein-ovaire, BCRA2 dans les associations cancers chez la femme et chez l’homme et le gène de la protéine p53 dans le syndrome de Li et Fraumeni à transmission autosomique dominante. Chez les femmes jeunes, la question d’une prédisposition génétique se pose avec d’autant plus d’acuité qu’elle peut exister en dehors de tout contexte familial : dans une première série de 80 femmes atteintes de cancer du sein avant 35 ans, des mutations germinales de BRCA1 ont été identifiées après séquençage chez 6 patientes, dont au moins 2 n’avaient pas d’antécédent * Service d’oncologie, hôpital Foch , Suresnes. 18 familial de cancer du sein. Ces données ont été confirmées dans une série de 69 patientes atteintes avant 40 ans, dont 12 portaient une mutation germinale de BRCA1, sans antécédent familial. Les femmes jeunes atteintes de cancer du sein sont donc souvent des membres fondateurs, en étant les premières de la famille à porter une mutation germinale d’un gène de prédisposition, en particulier BRCA1. Les caractéristiques cliniques des cancers mammaires développés sur un terrain de susceptibilité héréditaire sont : une atteinte bilatérale ou multifocale, la possibilité de développer chez une malade des cancers multiples (sein et ovaires), l’existence de parents au premier degré atteints d’un cancer, la survenue à un âge jeune. Le très jeune âge est donc un critère suffisant pour adresser la patiente à une consultation d’oncogénétique qui jugera de l’opportunité d’un diagnostic moléculaire. Le pronostic des cancers du sein de la femme jeune est généralement considéré comme moins bon que celui des femmes plus âgées. Il est difficile de démontrer que l’âge est en lui-même un facteur pronostique indépendant ; ce mauvais pronostic est rattaché avant tout à des caractéristiques biologiques plus généralement agressives du cancer du sein de la femme jeune : une augmentation du taux d’expression de la protéine p53, une diminution de l’expression des récepteurs aux estrogènes, un fort taux de tumeurs de haut grade, une surexpression fréquente du gène Her2Neu. Dans une série rétrospective de la littérature, Chan retrouve, en 1997, 1 176 patientes de moins de 35 ans traitées pour un cancer du sein ; leurs caractéristiques sont les suivantes : – antécédent familial : 28 % ; – récepteur à l’estradiol négatif : 25 % ; – atteinte ganglionnaire histologique : 52 %. Les tumeurs survenant dans le cadre de prédispositions au cancer du sein liées aux gènes BRCA1 ou BRCA2 (c’est-à-dire avec une mutation germinale identifiée) présentent les mêmes fréquences élevées de l’ensemble des caractéristiques décrites cidessus : tumeurs proliférantes, grades histopronostiques élevés, négativité des récepteurs hormonaux. La survie des femmes de moins de 30 ans est à 5, 10 et 30 ans (Lee) inférieure de 10 à 20 % à celles de plus 30 ans. Les auteurs insistent également sur le risque à long terme de cancer controlatéral et de deuxième tumeur primitive. Ces données sont confirmées par celles de la méta-analyse de Peto qui retrouve, chez les patientes traitées par une chimiothérapie type CMF en situation adjuvante, une survie à 10 ans de 62 % chez les femmes de plus de 35 ans et de 49 % chez celles de moins de 35 ans. La Lettre du Sénologue - n° 22 - octobre/novembre/décembre 2003 La majorité des données de la littérature concernant le traitement locorégional évoque une nette augmentation du risque de rechute locale tardive après traitement conservateur (tumorectomie associée à la radiothérapie) chez les femmes de moins de 35 ans : – cancer in situ traité de manière conservatrice : le risque de rechute locale qui est de 12 à 18 % après 40 ans est de 29 à 40 % avant 40 ans ; – cancer infiltrant traité par tumorectomie et radiothérapie : si le risque de rechute locale est de 1 à 60 ans, il est multiplié par 3 entre 40 et 50 ans et par 5 avant 40 ans. Les facteurs habituellement reconnus comme prédictifs d’une rechute locale (taille tumorale, marges d’exérèse, composante in situ, envahissement ganglionnaire axillaire) doivent donc être particulièrement pris en compte chez les femmes jeunes afin que, indépendamment de l’âge, les indications de l’éventuelle mammectomie soient prises, si elle est indiquée, de manière rationnelle. Aucune étude spécifique n’a été réalisée sur les indications de traitement systémique des femmes de moins de 35 ans, mais les résultats des grandes séries montrent que : – le bénéfice de la chimiothérapie adjuvante est plus important chez les femmes de moins de 50 ans (8 %) que plus âgées (3 %). La méta-analyse des principales études randomisées retrouve, chez les femmes de moins de 40 ans, une réduction du risque annuel de décès de 27 % si elles ont une chimiothérapie adjuvante alors que ce bénéfice n’est plus que de 11 % chez les femmes entre 50 et 70 ans ; ce bénéfice est identique, que les patientes aient ou non une atteinte ganglionnaire ; – les anthracyclines doivent maintenant faire partie des protocoles de chimiothérapie adjuvante ; – les chimiothérapies intensives ne semblent pas apporter de bénéfice supplémentaire, même si l’essai français d’intensification, en cas d’atteinte ganglionnaire importante (Pégase 1), démontre une amélioration de la survie sans récidive. Les indications reposent sur les conférences de consensus européennes (Saint-Gall) ou nord-américaines (Bethesda) : toute patiente de moins de 35 ans présentant une tumeur infiltrante du sein doit bénéficier d’une chimiothérapie adjuvante, quelles que soient les autres caractéristiques de sa tumeur. Plusieurs questions restent non résolues notamment l’intérêt des taxanes et de l’anticorps monoclonal anti-HER2neu (Herceptin®) dans cette situation. Le traitement hormonal est plus discuté à cet âge : la principale manipulation hormonale historiquement utilisée a été la “castration” chirurgicale, radique, et plus récemment médicale grâce aux agents agonistes de la LH-RH. Le bénéfice de la suppression de la fonction ovarienne a été démontré de manière formelle dans la méta-analyse chez les patientes non ménopausées dont la tumeur exprime au moins le récepteur aux estrogènes (RE+). Ses indications sont actuellement discutées : La Lettre du Sénologue - n° 22 - octobre/novembre/décembre 2003 – les chimiothérapies induisent fréquemment par elles-mêmes une aménorrhée, mais le risque est lié à l’âge : 5 % environ avant 30 ans, 50 % avant 40 ans, 80 % après 40 ans ; certains auteurs retrouvent un bénéfice supplémentaire si les patientes deviennent aménorrhéiques après chimiothérapie ; – la suppression de la fonction ovarienne donne, dans l’essai Zebra, chez des patientes jeunes hormonosensibles, des résultats identiques à ceux de la chimiothérapie (CMF) : ces données sont très discutées, cette chimiothérapie n’étant plus optimale ; – l’association à la chimiothérapie d’une suppression de la fonction ovarienne chez les patientes jeunes, qui restent réglées et sont hormonosensibles, est défendue par l’International Breast Cancer Study Group ; dans leurs séries, les patientes présentant ces caractéristiques et traitées par chimiothérapie seule, sans hormonothérapie, ont un moins bon pronostic que celles non hormonosensibles, théoriquement plus agressives, traitées par la même chimiothérapie ; seule l’évaluation de la prochaine métaanalyse permettra peut-être de préciser les indications d’une suppression complémentaire de la fonction ovarienne. Le tamoxifène a également été utilisé chez les femmes préménopausées RH+ : – le bénéfice en adjonction de la chimiothérapie dans cette tranche d’âge n’est pas complètement établi ; – le rationnel biologique de l’utilisation du tamoxifène seul chez les femmes préménopausées est complexe : ce produit est un agent agoniste-antagoniste du récepteur aux estrogènes et possède, de ce fait, une part d’effet estrogénique clomifene-like pouvait entraîner des kystes ovariens. Au stade des métastases, la présentation de la maladie des femmes jeunes est souvent une forme agressive, polymétastatique et viscérale : ces patientes requièrent avant tout une prise en charge par polychimiothérapie cytotoxique ; la place des nouvelles thérapeutiques biologiques reste à définir : des essais thérapeutiques spécifiques à cette tranche d’âge sont difficiles à mettre en œuvre. Il faut, en conclusion, souligner la nécessité d’établir des protocoles spécifiques pour les femmes jeunes atteintes d’un cancer du sein : cela débute par l’évaluation de l’IRM dans le dépistage des cancers du sein des femmes jeunes présentant un risque génétique. ■ P O U R E N S A V O I R P L U S . . . 1. Cottu PH. Cancer du sein de la femme jeune. In : Le Sein : du normal au pathologique ; état de l’art. Eska éditeur, 2001 : 1074-83. 2. Dixon JM, Hortobagyi G. Treating young patients with breast cancer. Br Med J 2000 ; 320 : 457-8. 3. Goldhirsch A, Wood WC, Gelber RD et al. Meeting highlights : updated international expert consensus on the primary therapy of early breast cancer. J Clin Oncol 2003 ; 21 (17) : 3357-65. 19