Sclérose en plaques et hormones sexuelles

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DOSSIER THÉMATIQUE
Neuro-gynécologie
Sclérose en plaques
et hormones sexuelles
Multiple sclerosis in relation to cyclical hormone changes
C. Bricaire*
L
a sclérose en plaques (SEP) est une maladie
auto-immune spécifique du système nerveux
central (SNC), qui aboutit à une réponse inflammatoire chronique responsable d’une démyélinisation et d’une dégénérescence des axones.
La phase initiale est marquée par des poussées suivies
de rémissions partielles ou totales. Elle succède en
général à une évolution sur un mode continu d’aggravation progressive aboutissant à des déficits neurologiques irréversibles. C’est principalement une
maladie de la femme jeune avec une prévalence
élevée dans la troisième décennie et des répercussions lourdes sur les plans social et économique.
Dans les pays occidentaux, la SEP touche un adulte
jeune sur 1 000 et le sex-ratio femmes/­hommes est
supérieur à 2.
Plusieurs arguments suggèrent une influence du
genre (masculin ou féminin) et des hormones
sexuelles dans le déclenchement et l’évolution de la
SEP : la prédominance féminine, la variabilité clinique
selon le cycle menstruel et, surtout, l’influence de
la grossesse sur le nombre de poussées.
Déclenchement de la SEP
* Service d’endocrinologie et de médecine de la reproduction, hôpital de la
Pitié-Salpêtrière, Paris.
Le risque de développer une SEP commence à la
puberté, mais le pic d’installation de la SEP est postpubertaire, l’âge moyen de début des premières
poussées se situant autour de 28 à 30 ans.
La relation entre l’utilisation de contraceptifs oraux
et le risque de déclencher une SEP a été examinée
dans 4 larges études épidémiologiques prospectives (1).Il ressort de ces études que la contraception
orale ne semble pas aggraver la maladie ni favoriser
son déclenchement.
Plus récemment, P. Holmqvist et al. ont montré,
à partir des données du registre national suédois
204 | La Lettre du Neurologue • Vol. XVI - n° 6 - juin 2012 incluant 10 000 patientes, que l’utilisation d’une
contraception orale instituée avant l’apparition de
toute symptomatologie est capable de retarder l’âge
d’apparition des premières poussées de SEP : plus la
durée d’utilisation de la contraception est longue,
plus la survenue de la SEP est retardée. Cette étude
montre, par ailleurs, une corrélation positive entre le
nombre de grossesses menées à terme et le décalage
des premières manifestations de la SEP (2).
Évolution de la SEP
Le genre masculin ou féminin affecte la sévérité
de la SEP. Ainsi, chez les hommes, la prévalence de
la SEP à évolution d’emblée progressive continue
– aboutissant rapidement à une incapacité – est
plus forte et son pronostic est plus défavorable. À
l’inverse, le sex-ratio homme/femme est de 4/1 dans
la forme bénigne de la SEP.
Le cycle menstruel pourrait jouer un rôle sur la symptomatologie de la SEP. Ainsi, A. Zordrager et al. (3) ont
rapporté des fluctuations des symptômes selon les
phases du cycle menstruel, avec notamment leur aggravation pendant la période menstruelle correspondant
à la chute du taux des hormones. Il faut préciser que
ces études sont de type rétrospectif et portent sur des
effectifs réduits. Certains auteurs ont essayé d’établir
une corrélation au cours du cycle menstruel entre le
taux de stéroïdes circulants et la présence de lésions
cérébrales fixant le gadolinium à l’IRM.
Plus récemment, dans une étude prospective,
P. Holmqvist et al. (4) ont observé une aggravation
du score de sévérité des symptômes de la SEP chez
des femmes sous contraceptifs oraux au cours de la
semaine d’arrêt thérapeutique.
L’influence de la ménopause et du traitement
hormonal substitutif a été très peu étudiée et aucune
Points forts
Mots-clés
»» L’influence des hormones sexuelles sur l’évolution de la sclérose en plaques (SEP) est illustrée par l’effet
bénéfique de la grossesse : réduction nette des poussées au troisième trimestre de la grossesse, lorsque
les taux des stéroïdes sexuels sont maximaux, et aggravation en post-partum correspondant à la chute
du taux plasmatique de ces hormones.
»» Une fluctuation des symptômes de la SEP pourrait suivre les phases du cycle menstruel, mais cela
demande à être confirmé par d’autres études. Dès lors, de nouvelles stratégies thérapeutiques pourraient
être envisagées.
Sclérose en plaques
Hormones sexuelles
Grossesse
Contraception orale
Rôle de l’immunité
dans la SEP
Évolution
par poussées
étude ne permet une évaluation objective. La SEP
évolue le plus souvent à ce stade sous une forme
chronique continue.
Rôle de la grossesse
Les observations concernant l’influence de la
grossesse sur l’évolution de la SEP sont beaucoup
plus convaincantes : la majorité des études montre
une réduction très nette de la fréquence des
poussées dès le premier trimestre et de façon encore
plus remarquable lors du troisième trimestre. Dans
l’étude européenne PRIMS (PRegnancy In Multiple
Sclerosis), conduite de façon prospective, la réduction
des poussées est de 70 % lors des 3 derniers mois
de gestation par rapport à l’année précédant la
grossesse (5). En revanche, on constate une recrudescence du risque de poussées immédiatement
après l’accouchement.
La diminution des poussées de SEP du troisième
trimestre correspond aux taux maximaux des stéroïdes
et l’aggravation immédiatement après l’accouchement à l’effondrement des sécrétions hormonales.
Une étude hollandaise a montré chez 2 patientes
enceintes suivies par des IRM cérébrales pendant
leur grossesse que l’amélioration des signes cliniques
s’accompagnait d’une extinction des signaux
d’activité en fin de grossesse (6).
L’étude PRIMS ne montre pas d’influence de l’allaitement sur l’évolution de la SEP.
Comment agissent les hormones
sexuelles sur la SEP ?
Les chercheurs disposent d’un modèle animal
expérimental de la SEP : l’encéphalomyélite aiguë
auto-immune (EAE) de la souris. L’administration
d’estrogènes chez ces souris est capable de retarder le
développement de l’EAE ou d’en diminuer la sévérité
clinique. Ce modèle animal a permis une meilleure
approche de la compréhension des mécanismes des
hormones sexuelles sur la SEP.
La progestérone et les estrogènes semblent avoir
un rôle à la fois sur le système immunitaire et sur
le SNC.
◆◆ Rôle sur le système immunitaire
La SEP est une maladie auto-immune spécifique du
SNC impliquant le rôle des lymphocytes CD4 auxilliaires Th (T helper). Dans cette pathologie, l’activation
Accouchement
Post-partum
Grossesse
Traitement
(stéroïde
versus placebo)
Inclusion
Randomisation
26
36
2
4
8
Highlights
»» The influence of sexual
hormones on the clinical course
of the multiple sclerosis is wellproved by the improvement
provided by the pregnancy:
during the third trimester of
pregnancy, there is a strong
remission when the plasma
levels of steroids are very high
and, at the opposite, in the
postpartum there is an incresae
of the flareups when the
plasma level of sexual steroids
decrease. Some studies, otherwise, show a fluctuation of the
signs of the multiple sclerosis
during the different phases of
the menstrual cycle: this has to
be confirmed by other sudies
but it seems very intersting.
Keywords
Multiple sclerosis
Cyclical hormone
Pregnancy
Oral contraceptive
The role of immune system in
multiple sclerosis
Clinical course with flareups
and remission
Suivi en ouvert
et en aveugle
12
16
20
24
Semaines
Appel téléphonique
Examen clinique
*
*
*
*
IRM
*
*
prise de sang
*
*
*
*
*
*
*
*
*
*
*
*
Figure. Essai européen POPART’MUS (7).
La Lettre du Neurologue • Vol. XVI - n° 6 - juin 2012 | 205
DOSSIER THÉMATIQUE
Neuro-gynécologie
Sclérose en plaques et hormones sexuelles
des lymphocytes Th1, responsables de la sécrétion
d’interleukines pro-inflammatoires, prédomine,
tandis que la réponse immune de type humoral Th2
est inhibée, avec une diminution des sécrétions d’anticorps et de cytokines anti-inflammatoires. Il en résulte
une réponse inflammatoire chronique aboutissant à
un processus de démyélinisation.
La progestérone et les estrogènes pourraient
exercer un effet bénéfique en modulant les excès
du système immunitaire, qui s’est emballé pour
attaquer le SNC de ces patientes : diminution
de l’activation des lymphocytes T de type Th1 et
augmentation des réponses anti-inflammatoires
de type Th2.
◆◆ Rôle sur le SNC
Les estrogènes et la progestérone pourraient avoir
un effet direct trophique sur le SNC : réparation des
zones de démyélinisation permettant la récupération
de vitesses de conduction satisfaisantes de l’influx
nerveux.
Conclusion
Il semble donc exister cliniquement une relation
entre les hormones sexuelles et la SEP. La prédo-
minance féminine, la variabilité clinique selon le
cycle menstruel ou les cycles sous contraception
et, surtout, l’influence de la grossesse confirment
cette relation.
Certaines stratégies thérapeutiques utilisant les
hormones sexuelles sont déjà en cours.
Un essai clinique multicentrique européen visant à
prévenir les poussées du post-partum immédiat par
l’administration d’un traitement estroprogestatif
dès l’accouchement est actuellement en cours. Cet
essai, dont les résultats seront connus en 2014, est
conduit dans plusieurs centres à travers l’Europe et
coordonné grâce au réseau européen EDMUS sur la
SEP (European Database for multiple Sclerosis). Il
prévoit d’inclure 300 femmes atteintes de SEP, qui,
après consentement éclairé, recevront un traitement
continu par des hormones ou par un placebo pendant
les 3 mois suivant leur accouchement, suivi d’une
période d’observation sans traitement de 3 mois.
Ce traitement associe un progestatif, l’acétate de
nomégestrol, avec du 17 β-estradiol cutané. Une
surveillance clinique et une IRM cérébrale sont
prévues à intervalles réguliers (figure, p. 205) [7].
Une réflexion sur le type et le mode d’administration
des contraceptifs oraux, éventuellement sur un mode
continu pour éviter les fluctuations des symptômes,
pourrait être également envisagée.
■
Références bibliographiques
1. Alonso A, Clark CJ. Oral contraceptives and the risk of
multiple sclerosis: a review of the epidemiologic evidence.
J Neurol Sci 2009;286:73-5.
2. Holmqvist P, Hammar M, Landtblom AM et al. Age at
onset of multiple sclerosis is correlated to use of combined
oral contraceptives and childbirth before diagnosis. Fertil
Steril 2010;94:2835-7.
3. Zordrager A, De Keyser J. Menstrually related worsening of
symptoms in multiple sclerosis. J Neurol Sci 1997;149:95-7.
4. Holmqvist P, Hammar M, Landtblom AM et al. Symptoms of multiple sclerosis in women in relation to cyclical
hormone changes. Eur J Contracept Reprod Health Care
2009;14:365-70.
5. Bernardi S, Grasso MG, Bertollini R et al. The influence of
pregnancy on relapses in multiple sclerosis: a cohort study.
Acta Neurol Scand 1991;84(5):403-6.
206 | La Lettre du Neurologue • Vol. XVI - n° 6 - juin 2012 6. van Walderveen MA, Tas MW, Barkhof F et al. Magnetic
resonance evaluation of disease activity during pregnancy
in multiple sclerosis. Neurology 1994;44:327-9.
7. Vukusic S, Ionescu I, El-Etr M et al. The prevention of postpartum relapses with progestin and estradiol in multiple
sclerosis (POPART’MUS) trial: rationale, objectives and state
of advancement. J Neurol Sci 2009;286:114-8.
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