. c oncepts et p ratique L’Herceptin® : un nouveau standard du traitement du cancer de l’estomac ? doi: 10.1684/hpg.2010.0505 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. Hercetpin®: a new standard treatment for gastric carcinoma? Frédérique Maire Hôpital Beaujon, Service de gastroentérologiepancréatologie, 100, boulevard du Général-Leclerc, 92110 Clichy, France e-mail : <[email protected]> Référence Trastuzumab in combination with chemotherapy vs chemotherapy alone for treatment of HER2-positive advanced gastric or gastro-oesophageal junction cancer (ToGA): a phase 3, open-label, randomised controlled trial. Bang YJ, Van Cutsem E, Feyereislova A, et al. Lancet 2010 : 376 : 687-97. a survie des patients ayant un cancer de l’estomac inopérable ne dépasse pas 20 % à cinq ans. Des essais de phases 2 et 3 ont montré qu’une polychimiothérapie à base de 5-FU et de platine permettait d’allonger la survie de ces patients, comparativement à des soins de confort ou à une monochimiothérapie. Des résultats intéressants ont été rapportés en y associant du docétaxel ou de l’épirubicine [1, 2]. L’human epidermal growth factor receptor 2 (HER2 ou ERBB2) est un récepteur impliqué dans la prolifération cellulaire, l’apoptose, l’adhésion, la migration et la différenciation cellulaire. Il est exprimé dans 7 à 34 % des cancers gastriques. Le trastuzumab (Herceptin®) est un anticorps monoclonal inhibant la voie de signalisation médiée par HER2. Chez les patientes ayant un cancer du sein exprimant HER2 (20 à 30 % des cas), le trastuzumab a permis d’observer un allongement significatif de la survie globale. L’évaluation du trastuzumab pour traiter le cancer de l’estomac se justifie par la faible efficacité des chimiothérapies conventionnelles, l’expression d’HER2 dans un tiers des cas, des essais précliniques rapportant un effet antitumoral de cette molécule en association avec la capécitabine ou le cisplatine et sa bonne tolérance. Le but de l’étude de Bang et al. [3], rapportée dans le Lancet, était d’évaluer l’efficacité et la tolérance du trastuzumab en association avec une chimiothérapie par 5-FU et cisplatine L en première ligne de traitement du cancer de l’estomac à un stade avancé. Patients et méthode Cette étude internationale multicentrique était menée dans 24 centres en Asie, Amérique centrale et du Sud et en Europe. Il s’agissait d’une étude ouverte contrôlée randomisée de phase 3, incluant des patients ayant un adénocarcinome de l’estomac ou de la jonction œsogastrique histologiquement prouvé, à un stade localement avancé ou métastatique ou en récidive et exprimant HER2. Cette expression était affirmée par une immunohistochimie (IHC) positive à 3+ ou une fluorescence in situ hybridation (FISH) positive [4]. Les critères d’exclusion étaient, en plus des critères classiquement retenus, une hypertension artérielle non contrôlée, une coronaropathie nécessitant un traitement ou une valvulopathie cardiaque. Randomisation Les patients étaient randomisés, avec un ratio de 1/1, pour recevoir soit du 5-FU (par voie intraveineuse ou de la capécitabine par voie orale) et du cisplatine, soit ce même schéma plus du trastuzumab. Six cycles étaient administrés toutes les trois semaines selon le schéma représenté sur la figure 1. Une stratification était réalisée selon l’index de performance initial, le type de chimiothérapie (5-FU i.v. ou capécitabine), la localisation du cancer primitif et l’extension de la maladie. HEPATO-GASTRO et Oncologie digestive vol. 17 no 6, novembre-décembre 2010 589 Cycle 1 Cycle 2 Bras chimiothérapie seule Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. Bras trastuzumab + chimiothérapie J1 5 8 14 Cycle 6 J21 = J1 Capécitabine 1000 mg/m2 x 2/j PO ou 5FU 800 mg/m2/j IV Cisplatine 80 mg/m2 IV Trastuzumab 8 mg/kg IV Trastuzumab 6 mg/kg IV Capécitabine 1000 mg/m2 x 2/j PO ou 5FU 800 mg/m2/j IV Cisplatine 80 mg/m2 IV Figure 1. Schémas de chimiothérapie dans les deux bras de traitement. Critères d’évaluation 20 % de cardia), l’extension de la maladie (97 % de formes métastatiques), un antécédent de gastrectomie (24 %) et l’expression d’HER2 (95 % de FISH+, quelle que soit l’IHC, et 5 % d’IHC 3+, avec FISH négative ou ininterprétable) (figure 2). Le critère principal était la survie globale. Les critères secondaires étaient la survie sans progression, le temps jusqu’à progression, le taux de réponse, la durée de la réponse et la tolérance du traitement. Analyse statistique Partant de l’hypothèse d’une survie médiane de dix mois avec la chimiothérapie conventionnelle, il fallait inclure 584 patients dans cette étude pour démontrer un bénéfice de survie d’au moins trois mois avec l’adjonction du trastuzumab. D Résultats Randomisation des patients Sur les 3 803 patients éligibles entre septembre 2005 et décembre 2008, l’expression d’HER2 était analysable chez 3 665 et présente chez 810 d’entre eux (22 %). Au final, 584 patients étaient inclus dans cette étude : 294 dans le bras trastuzumab-5-FU-cispaltine et 290 dans le bras 5-FU-cisplatine. Il n’existait pas de différence significative entre les deux bras pour l’âge (59 ans en médiane), le sexe (75 % d’homme), l’index de performance (90 % de 0 à 1), l’origine ethnique, le type de chimiothérapie (capécitabine dans 80 % des cas), la tumeur primitive (80 % d’estomac — de type intestinal dans 75 % des cas — et 590 500 µm Figure 2. Adénocarcinome gastrique immunohistochimie HER2 cotée à 3+. HEPATO-GASTRO et Oncologie digestive vol. 17 no 6, novembre-décembre 2010 Concepts et pratique Suivi des patients Le suivi médian était de 18,6 mois (11-25) dans le bras trastuzumab et de 17,1 mois (9-25) dans le bras conventionnel. La dose cumulée de chimiothérapie, la durée de traitement et la dose-intensité étaient similaires dans les deux bras de traitement. Une deuxième ligne de chimiothérapie était administrée chez respectivement 45 et 42 % des malades des bras trastuzumab et conventionnel. Tolérance Les effets secondaires de grades 3-4 survenaient à une fréquence comparable dans les deux groupes (32 vs 28 % des patients). Les nausées-vomissements, les neutropénies et l’anorexie étaient les effets secondaires le plus souvent observés. Une diarrhée était plus fréquente dans le bras trastuzumab (9 vs 4 %). La mortalité liée au traitement était de 3 et de 1 % respectivement dans les bras trastuzumab et conventionnel. Les effets secondaires cardiaques (ischémie, troubles du rythme, insuffisance cardiaque) étaient rares dans les deux groupes (6 %). Les réactions Autres critères d’évaluation La survie sans progression médiane était de 6,7 mois (6-8) dans le bras trastuzumab et de 5,5 mois (5-6) dans le bras conventionnel (p = 0,000 2) (figure 4). Le délai jusqu’à progression (7,1 vs 5,6 mois), la durée de réponse (6,9 vs 4,8 mois) et le taux de réponse tumorale (47 vs 35 %) étaient significativement supérieurs dans le bras trastuzumab par rapport au bras conventionnel. Le bénéfice du trastuzumab était particulièrement net chez les patients ayant un haut niveau d’expression de HER2 (défini par FISH+/IHC 2+ ou IHC 3+) : la survie médiane 1.0 0.9 A Trastuzumab plus chemotherapy Chemotherapy alone 182 0.9 0.2 4 6 0.3 0.2 5.5 2 4 6.7 6 8 10 12 14 16 18 20 22 24 26 28 30 32 34 Events Median HR (95% CI) overall survival (months) 120 16.0 065 (0.51-0.83) Trastuzumab plus chemotherapy Chemotherapy alone 136 0.9 11.1 0.3 2 0.4 1.0 0.4 0 0.5 Figure 4. Survie sans progression des patients ayant un cancer de l’estomac/cardia exprimant HER2 et recevant soit l’association trastuzumab et chimiothérapie (5-FU-cisplatine), soit la chimiothérapie seule. 0.5 11.1 071 (0.59-0.85) 0.0002 5.5 Time (months) 0.6 0 6.7 0.6 0 0.7 0.1 0.7 0 Survival probability 0.8 Trastuzumab 226 plus chemotherapy Chemotherapy alone 235 0.8 0.1 Events Median HR (95% CI) p value overall survival (months) 167 13.8 074 (0.60-0.91) 0.0046 1.0 Events Median HR (95% CI) p value progression free survival (months) B Survival probability La survie globale médiane était de 13,8 mois (12-16) dans le bras trastuzumab et de 11,1 mois (10-13) dans le bras conventionnel (p = 0,0046) (figure 3), correspondant à une réduction du taux de mortalité de 26 %. L’analyse dans les différents sous-groupes (selon l’âge, le sexe, l’index de performance, le cancer primitif et l’extension de la maladie) confirmait un bénéfice de survie globale dans le bras trastuzumab, significatif ou non selon les effectifs. Survival probability Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. Survie globale était respectivement de 16 et de 11,8 mois dans les bras trastuzumab et conventionnel (figures 5, 6). 0.8 0.6 0.5 0.4 0.3 0.2 0.1 13.8 11.8 0 8 10 12 14 16 18 20 22 24 26 28 30 32 34 36 11.8 0.7 0 2 4 6 16.0 8 10 12 14 16 18 20 22 24 26 28 30 32 .34 36 Time (months) Time (months) Figure 3. Survie globale des patients ayant un cancer de l’estomac/cardia exprimant HER2 et recevant soit l’association trastuzumab et chimiothérapie (5-FU-cisplatine), soit la chimiothérapie seule. Figure 5. Survie globale des patients ayant un cancer de l’estomac/cardia avec un haut niveau d’expression de HER2 (FISH+/ IHC 2+ ou IHC 3+) et recevant soit l’association trastuzumab et chimiothérapie, soit la chimiothérapie seule. HEPATO-GASTRO et Oncologie digestive vol. 17 no 6, novembre-décembre 2010 591 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. HR (95% CI) Number of patients Median overall survival (months) HR (95% CI) 584 13.8 vs 1.1 0.74 (0.60-0.91) IHC 0/FISH positive IHC 1+/FISH positive IHC 2+/FISH positive IHC 3+/FISH positive IHC 3+/FISH negative 61 70 159 256 15 10.6 vs 7.2 8.7 vs 10.2 12.3 vs 10.8 17.9 vs 12.3 17.5 vs 17.7 IHC 0 or 1+/FISH positive IHC 2+/FISH positive or IHC3+ 131 446 10.0 vs 8.7 1.07 (0.70-1.62) 16.0 vs 11.8 0.65 (0.51-0.83) 0.2 0.4 0.6 1 Favours trastuzumab plus chemotherapy 0.92 (0.48-1.76) 1.24 (0.70-2.20) 0.75 (0.51-1.11) 0.58 (0.41-0.81) 0.83 (0.20-3.38) 2 3 4 5 Favours chemotherapy alone Figure 6. Survie globale médiane selon le niveau d’expression d’HER2 chez les patients ayant un cancer de l’estomac/cardia et recevant soit l’association trastuzumab et chimiothérapie, soit la chimiothérapie seule. liées à la perfusion du trastuzumab étaient observées chez 6 % des patients. Commentaires Le trastuzumab est un anticorps monoclonal humanisé recombinant de la classe IgG1 dirigé contre le récepteur 2 du facteur de croissance épidermique humain (HER2). Son mécanisme d’action est aujourd’hui mieux connu. L’anticorps trastuzumab se lie à la région extracellulaire de la protéine HER2, ancrée à la membrane. Cette liaison anticorps-récepteur entraîne l’internalisation du récepteur HER2, bloque sa dimérisation et stimule la formation de tétramère de protéine HER2 : ces trois mécanismes inhibent l’activité kinase et donc la prolifération cellulaire. La demivie du trastuzumab est longue, permettant des injections séparées par des délais d’une à plusieurs semaines. Sa tolérance est bonne, avec principalement une toxicité cardiaque (le plus souvent réversible) et des réactions allergiques dans moins de 10 % des cas. “ La demi-vie du trastuzumab est longue, permettant des injections séparées par des délais d’une à plusieurs semaines ” Cette étude montre que l’adjonction de trastuzumab à une chimiothérapie conventionnelle par 5-FU et cisplatine permet d’augmenter la survie globale des patients ayant un cancer de l’estomac ou du cardia à un stade avancé et exprimant HER2 [3]. Le bénéfice de survie est particulièrement 592 net en cas de haut niveau d’expression de HER2 (c’està-dire FISH+ et IHC 2+ ou IHC 3+, soit 77 % des patients). L’association 5-FU et cisplatine est largement utilisée chez les patients ayant un cancer de l’estomac inopérable. Une méta-analyse a montré que la capécitabine n’était pas inférieure au 5-FU en termes de survie globale et de survie sans progression [5]. Ces dernières années, deux molécules ont montré leur intérêt en association au schéma classique : le docétaxel et l’épirubicine. Ainsi, la survie médiane était de 9,2 mois avec le schéma DCF (docétaxel-5-FU-cisplatine) dans l’étude de Van Custem et al. [1], au prix d’une toxicité hématologique importante. Le schéma ECF (épirubicine5-FU-cisplatine) permettait, quant à lui, d’observer une survie médiane de 9,3 à 11,2 mois dans l’essai REAL2 [2]. Les données de tolérance et d’efficacité de cette étude REAL montraient une équivalence entre le cisplatine et l’oxaliplatine, le 5-FU et la capécitabine. Dans l’étude de Bang et al. [3], la survie globale observée dans le bras chimiothérapie seule (5-FU-cisplatine) était en médiane de 11,1 mois, c’est-à-dire supérieure à celle antérieurement rapportée avec ce schéma. Plusieurs explications sont possibles : – beaucoup de patients (45 %) ont reçu une deuxième ligne de chimiothérapie ; – l’expression de HER2 dans cette population est peutêtre un facteur de bon pronostic comme cela a été suggéré, mais reste controversé [6] ; – enfin, beaucoup de patients dans cette série ont un adénocarcinome gastrique de type intestinal, de meilleur pronostic. Malgré ce résultat dans le bras conventionnel, le bénéfice de l’adjonction du trastuzumab était significatif (13,8 vs 11,1 mois ; p = 0,004 6). HEPATO-GASTRO et Oncologie digestive vol. 17 no 6, novembre-décembre 2010 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. Concepts et pratique Plusieurs limites de cette étude peuvent être notées. Tout d’abord, il s’agissait d’une étude ouverte, ni les patients ni les médecins n’étaient en aveugle quant au bras de traitement. Cependant, le critère principal étant la survie, ce biais a probablement peu d’impact. Par ailleurs, il n’a pas été fait de relecture centralisée de la réponse tumorale. Enfin, les modalités optimales pour rechercher l’expression de HER2 n’étant pas consensuelles lors de l’initiation de cette étude, une nouvelle analyse centralisée a été faite en cours d’étude tenant compte des critères d’Hoffmann et al. [4]. La tolérance du trastuzumab était acceptable dans cette étude ; les principaux effets secondaires étaient une neutropénie, de la diarrhée et des nausées. La toxicité hématologique était moindre qu’avec le schéma DCF. La toxicité cardiaque et les réactions allergiques étaient rares. “ L’adjonction de trastuzumab à la chimiothérapie conventionnelle par 5-FU et cisplatine permet d’améliorer la survie des patients ayant un cancer de l’estomac ou du cardia à un stade avancé et exprimant HER2 Conclusion ” L’adjonction de trastuzumab à la chimiothérapie conventionnelle par 5-FU et cisplatine permet d’améliorer la survie des patients ayant un cancer de l’estomac ou du cardia à un stade avancé et exprimant HER2. Ce bénéfice est particulièrement intéressant en cas de haut niveau d’expression d’HER2, ce qui, dans ce travail, correspond à 77 % des patients exprimant HER2, soit 17 % des patients ayant un cancer de l’estomac. L’association trastuzumab5-FU-cisplatine peut être considérée comme un nouveau standard thérapeutique pour les patients ayant un cancer de l’estomac/cardia à un stade avancé et exprimant HER2. Conflits d’intérêts : aucun. n Références 1. Van Cutsem E, Moiseyenko VM, Tjulandin S, et al. Phase 3 study of docetaxel and cisplatin plus fluorouracil compared with cisplatin and fluorouracil as first-line therapy for advanced gastric cancer: a report of the V325 Study Group. J Clin Oncol 2006 ; 24 : 4991-7. 2. Cunningham D, Starling N, Rao S, et al. Capecitabine and oxaliplatin for advanced esophagogastric cancer. N Engl J Med 2008 ; 358 : 36-46. 3. Bang YJ, Van Cutsem E, Feyereislova A, et al. Trastuzumab in combination with chemotherapy vs chemotherapy alone for treatment of HER2-positive advanced gastric or gastro-oesophageal junction cancer (ToGA): a phase 3, open-label, randomised controlled trial. Lancet 2010 ; 376 : 687-97. 4. Hofmann M, Stoss O, Shi D, et al. Assessment of a HER2 scoring system for gastric cancer: results from a validation study. Histopathology 2008 ; 52 : 797-805. 5. Okines AF, Norman AR, McCloud P, Kang YK, Cunningham D. Metaanalysis of the REAL2 and ML17032 trials: evaluating capecitabine-based combination chemotherapy and infused 5-fluorouracil-based combination chemotherapy for the treatment of advanced oesophago-gastric cancer. Ann Oncol 2009 ; 20 : 1529-34. 6. Gravalos C, Jimeno A. HER2 in gastric cancer: a new prognostic factor and a novel therapeutic target. Ann Oncol 2008 ; 19 : 1523-9. HEPATO-GASTRO et Oncologie digestive vol. 17 no 6, novembre-décembre 2010 593