Stratégie diagnostique 01/08/02 15:17 Page 20 Stratégie diagnostique Stratégie diagnostique et thérapeutique devant un amaigrissement chez le sidéen J.C. Melchior* a dénutrition a été, depuis une dizaine d’années, reconnue comme une des complications majeures du sida (1). Le wasting syndrome est défini par une perte de poids involontaire, supérieure à 10 % par rapport au poids de référence, associée à asthénie et/ou fièvre, et ce en l’absence de cause identifiée autre que le VIH (1). La prise en considération de cette dénutrition est d’une grande importance. L’amélioration des traitements antirétroviraux et de la prophylaxie des infections opportunistes allonge la survie des patients et fait passer à l’état chronique les séquelles de l’infection virale de l’immunodépression. La dénutrition retentit lourdement sur la qualité de vie et sur les capacités fonctionnelles des malades, mais aussi sur leur survie. En effet, indépendamment de l’immunodépression, la dénutrition est corrélée à un raccourcissement de la survie (2). Il a été clairement démontré que, sous certaines conditions, le traitement de la dénutrition permet un allongement significatif de la survie des patients sidéens, et ce en l’absence de traitement efficace de la réplication virale (3). Dans ces conditions, il paraît légitime qu’une stratégie diagnostique et thérapeutique bien structurée fasse partie intégrante de la bonne prise en charge médicale d’un patient sidéen qui présente un amaigrissement. Épidémiologie et physiopathologie trice d’une infection opportuniste ou d’un autre événement morbide secondaire. Cela amène à analyser les mécanismes de la perte de poids. L’amaigrissement au cours de l’infection par le VIH est sous-tendue par un certain nombre d’anomalies métaboliques : augmentation chronique mais modérée de la dépense énergétique de repos (6), augmentation du turn-over protéique (7), augmentation de la synthèse hépatique de novo et de l’oxydation des lipides (8), alors qu’une augmentation de la sensibilité à l’insuline est généralement L La dénutrition a été reconnue aux ÉtatsUnis comme la deuxième complication de la maladie. Elle est au premier plan chez 20 % des malades au moment du diagnostic du sida (4). Sa fréquence augmente au cours de l’évolution de l’immunodépression, pour toucher 70 à 80 % des malades à un stade plus avancé. Il a été démontré depuis peu qu’une perte de poids récente de plus de 5 % est le plus souvent annoncia- observée (9). Au cours des infections secondaires, les perturbations métaboliques sont plus classiques : augmentation plus marquée de la dépense énergétique de repos, hypercatabolisme protéique prédominant et insulinorésistance (10). À ces perturbations métaboliques peuvent s’associer d’autres mécanismes qui contribuent à l’amaigrissement : malabsorption digestive, parfois flagrante, mais qui peut être sournoise et peu parlante, anorexie de mécanisme variable, qui constitue en fait la principale étiologie de l’amaigrissement au cours du sida. Stratégie diagnostique devant un amaigrissement La stratégie diagnostique devant un amaigrissement doit tenir compte du stade de la maladie et des traitements. Devant un amaigrissement progressif à un stade peu avancé de l’immunodépression, on pourra penser à un wasting syndrome. À l’opposé, un amaigrissement rapide doit faire penser à une infection secondaire débutante (11). L’interrogatoire et l’examen clinique doivent rechercher une diarrhée, analyser la courbe thermique, rechercher un syndrome inflammatoire et faire pratiquer quelques examens complémentaires orientés par la clinique. Une diarrhée isolée peut être, en première intention, explorée par un examen parasitologique des selles, ainsi que par une coproculture. Si la diarrhée est associée à un amaigrissement et à une immunodépression (CD4 < 200/mm3), la recherche d’une malabsorption s’impose (stéatorrhée, test au ∆xylose, calorimétrie fécale). L’insuffisance de la prise alimentaire étant le premier facteur de l’amaigrissement des patients sidéens (12), l’anorexie doit être systématiquement recherchée, non seulement par l’interrogatoire, mais aussi et surtout devant un amaigrissement installé par un interrogatoire alimentaire quantifié réalisé par une diététicienne entraînée. En effet, bien souvent, une évaluation appro- 20 Act. Méd. Int. - Métabolismes - Hormones - Nutrition, Volume IV, n°1, février 2000 Stratégie diagnostique 01/08/02 15:17 ximative conclut trop rapidement à tort. L’évaluation des ingestas est fondamentale. Elle fait partie de l’évaluation de l’état nutritionnel qui permettra de poser les indications thérapeutiques. Celle-ci peut et devrait être complétée par une mesure de la composition corporelle (impédancemétrie au lit du malade), qui aide à préciser le type de dénutrition dont souffre le malade et qui permettra de suivre sa correction sous l’effet du traitement. Dans certains cas un peu particuliers, la mesure de la dépense énergétique de repos permet non seulement de préciser les besoins des malades, mais peut, en outre, aider à trancher sur l’existence d’une infection opportuniste à diffusion systémique (13). Au total, la stratégie diagnostique devant un amaigrissement chez un patient sidéen est simple et, après évaluation de la dénutrition elle-même, peut se résumer à la recherche de trois points : – recherche et quantification d’une anorexie ; – recherche d’une malabsorption digestive ; – recherche directe ou indirecte d’une infection secondaire associée à un hypermétabolisme. Stratégie thérapeutique La première des thérapeutiques nutritionnelles au cours de l’infection par le VIH repose sur la prise en charge diététique et les conseils nutritionnels, auxquels peut être adjointe une prescription de suppléments diététiques oraux (14). Cette approche thérapeutique exige du temps et de la patience, car elle doit en permanence remotiver le malade dont les efforts n’arrivent pas toujours à venir à bout de son anorexie, même débutante. Ce n’est qu’à un stade précoce que cette thérapeutique peut espérer donner des résultats. Les stimulants de l’appétit sont, en France, réduits à l’utilisation de progestatifs à forte dose (400 mg à 1 g par jour de médroxyprogestérone) (15). Il peut leur être adjoint Page 21 un traitement par androgènes à visée anabolisante, qui permettra de s’opposer à la castration pharmacologique de la prescription de progestatifs chez l’homme. Les androgènes peuvent également compenser une diminution de la sécrétion naturelle de testostérone chez le malade dénutri dont la perte de masse maigre est prédominante. Le plus puissant et le plus efficace des traitements anabolisants est, sans doute, l’hormone de croissance recombinante, maintenant largement utilisée aux États-Unis, avec des résultats sur la reprise de masse maigre et sur les capacités physiques tout à fait significatifs (16). Ce traitement n’est pas encore utilisable en Europe, en raison de son prix qui en constitue un facteur limitant. Les anticytokines, pentoxyfilline, thalidomide, anticorps anti-IL6 pourraient avoir une place à la frontière des traitements immunomodulateurs et modulateurs de l’inflammation. La nutrition artificielle a une place dans les situations où la dénutrition est réelle. Elle sera entérale chaque fois que l’état du tube digestif le permettra (17). En revanche, l’existence d’une diarrhée chronique et/ou d’une malabsorption justifieront le recours à la nutrition parentérale (18). Ces deux dernières thérapeutiques peuvent être mises en route à l’hôpital, mais il sera souvent utile de les poursuivre au domicile pour obtenir une véritable réhabitlitation nutritionnelle, qui prend souvent plusieurs semaines. Des structures véritablement entraînées à ce type de traitement et à ce type de malades sont alors indispensables en termes de sécurité et de qualité de traitement. La prise en charge de la dénutrition au cours des infections secondaires pose quelques problèmes particuliers. Il s’agit tout d’abord de situtations où la dénutrition est non seulement fréquente, mais où l’amaigrissement est rapide et difficile à limiter. Dans ces situations, les premiers traitements de la dénutrition consiste en un traitement rapide et efficace de l’infection causale, encore faut-il l’avoir dignostiquée (19). Le malade est souvent hospitalisé durant les épisodes infectieux secondaires, aussi est-il tentant d’en profiter pour le faire bénéficier d’une nutrition artificielle. En raison des perturbations métaboliques propres aux infections aiguës secondaires, l’efficacité de la nutrition artificielle est souvent limitée dans ces situations. Au contraire, lorsque l’infection sera contrôlée, la nutrition artificielle est souvent d’une efficacité spectaculaire (20). Conclusion Le chemin est long, de la prévention de l’amaigrissement chez le sujet séropositif asymptomatique à la nutrition artificielle en fin de vie. Dans tous les cas, savoir accompagner le malade dans sa longue route, et surtout savoir l’aider à se remoti- Tableau. Choix thérapeutique de la dénutrition au cours de l’infection par le VIH. Ingesta (% besoins) Poids (% idéal) Diarrhée Traitements anabolisants Suppléments diététiques Traitements orexigènes Nutrition entérale Nutrition parentérale 80 < 80 < 80 < 80 90-100 90-100 < 90 < 90 0 0 0 à ++ +++ si perte de masse cellulaire si perte de masse cellulaire ±? ±? Act. Méd. Int. - Métabolismes - Hormones - Nutrition, Volume IV, n°1, février 2000 21 Stratégie diagnostique 01/08/02 15:17 Page 22 Stratégie diagnostique ver pour qu’il reste un partenaire actif de sa prise en charge est une des difficicultés et un enjeu pour chaque thérapeute (21). Il faut aussi, au fur et à mesure que la maladie avance, savoir garder la confiance du malade pour lui imposer des traitements de plus en plus lourds qui doivent toujours être au bénéfice d’une qualité de vie que seul le malade est en droit de juger acceptable ou non. ■ Références 1. Centers for disease control. Classification system for human T-lymphotropic virus type 1 lymphodenopathy-associated virus infections. MMWR 1985 ; 35 : 334-9. 2. Kotler D.P., Tierney A.R., Wang J., Pierson R.E. Magnitude of body cell mass depletion and the timing of death from wasting in AIDS. Am J Clin Nutr 1989 ; 50 : 444-7. 3. Melchior J.C., Gelas P., Carbonnel F. et coll. Improved survival by home total parenteral nutrition in AIDS patients : follow-up of a controlled randomized prospective trial. AIDS 1998 ; 12 (3) : 336-7. 4. Nahlen B.L., Chu S.Y., Nwanyanwu R.L., Berkelman R.L., Martinez S.A., Rullan J.V. HIV wasting syndrome in the United States. AIDS 1993 ; 17 : 183-8. 5. 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