Cas clinique - C. Le Feuvre C A S 1/04/03 12:26 Page 14 C L I N I Q U E Troubles du rythme ventriculaire chez l’hémodialysé ● M. Cristea, C. Le Feuvre* OBSERVATION Monsieur L., 62 ans, est hospitalisé le 21 août 1998 dans le service de cardiologie pour une coronarographie diagnostique en raison d’un angor récent. Il s’agit d’un patient insuffisant rénal chronique terminal sur glomérulopathie, en dialyse depuis juillet 1998. Ce patient a présenté le 12 août 1998, lors d’une séance de dialyse, des douleurs thoraciques rétrosternales, constrictives et quasi concomitantes, une tachycardie à complexes larges au scope, syncopale, d’arrêt spontané en moins d’une minute. L’épisode s’est reproduit quelques jours plus tard, lors d’une nouvelle séance de dialyse, non accompagné cette fois-ci de douleurs thoraciques. Il n’y a pas eu d’enregistrement ECG des épisodes ni de bande de scope. L’ECG de base inscrit un rythme sinusal à 66/min, des complexes QRS fins, une ischémie sous-épicardique apico-latérale qui n’existait pas sur un ECG effectué deux mois auparavant (figures 1 et 2). L’échographie cardiaque montre une hypokinésie antéro-apicale. La coronarographie retrouve un athérome monotronculaire de l’IVA moyenne (sténose serrée englobant le départ de la troisième diagonale) et, à la ventriculographie, une hypokinésie sévère antéro-apicale, responsable d’une altération de la fraction d’éjection à 53 % (figures 3a et 3b). M. L. a bénéficié en extemporané d’une angioplastie de la bifurcation IVA-diagonale par la technique de kissing balloon (figures 3c et 3d). L’apparition pendant l’inflation d’une douleur thoracique, accompagnée d’un susdécalage d’un segment ST en antérieur, témoigne de la viabilité de la zone hypokinétique. Six heures après l’angioplastie survient une récidive syncopale en post-dialyse, lors de la compression fémorale après le retrait de l’introducteur. La tachycardie s’est réduite en une dizaine de secondes, après un coup de poing sternal. L’enregistrement au scope montre une tachycardie à complexes larges à 210/min, polymorphe (figure 4). Figure 1. ECG 3 mois avant l’hospitalisation : ECG normal. Figure 2. ECG pendant l’hospitalisation : ischémie sous-épicardique apico-latérale. * Hôpital Necker, 75015 Paris. 14 La Lettre du Cardiologue - n° 306 - février 1999 Cas clinique - C. Le Feuvre 1/04/03 12:26 Page 15 C A S C L I N I Q U E 3a 3c Figure 3a. Ventriculographie en OAD : hypokinésie sévère antéro-apicale et FE diminuée à 53 %. Figure 3c. Angioplastie par la technique de kissing balloon de la bifurcation IVA-diagonale. 3b 3d Figure 3b. Coronarographie en OAD : sténose serrée de l’IVA moyenne juste après la troisième diagonale. Figure 3d. Coronarographie en OAD : bon résultat de l’angioplastie avec absence de sténose résiduelle significative. Figure 4. Tachycardie à complexes larges à 210/min, survenant 6 heures après l’angioplastie. Quel serait votre diagnostic ? La Lettre du Cardiologue - n° 306 - février 1999 15 Cas clinique - C. Le Feuvre C A S 1/04/03 12:26 Page 16 C L I N I Q U E Réponse base est le plus souvent spontané. L’ECG intercritique montre un rythme lent, avec un espace QT ou QU allongé au-delà de 600 ms. La survenue d’un trouble du rythme ventriculaire syncopal chez un patient coronarien pourrait initialement faire porter à tort le diagnostic de tachycardie ventriculaire. Il s’agit en fait d’un épisode de torsade de pointe, diagnostic étayé par les points suivants : ❏ l’allongement de l’espace QT sur l’ECG de la figure 2 à 600 ms, ❏ le début d’accès fait suite à une extrasystole ventriculaire de type R/T à couplage tardif (figure 5a), ❏ les ventriculogrammes élargis ont une fréquence à 210/min et la polarité s’inverse régulièrement (figure 4), ❏ il existe sur le plan biologique une hypokaliémie à 3,4 mmol/l et l’historique des ionogrammes sanguins retrouve une déplétion potassique chronique, ❏ l’arrêt spontané du trouble du rythme, ❏ le premier QRS au retour en rythme sinusal a un espace QT très allongé (figure 5b). Le diagnostic de torsade de pointe ne pose habituellement guère de problème. Il se distingue de la tachycardie ventriculaire monomorphe, mais il peut être plus difficile de la distinguer d’une tachycardie ventriculaire polymorphe, avec inversion de la polarité des complexes. Contrairement aux torsades de pointe, la tachycardie ventriculaire est précédée d’extrasystoles ventriculaires initiales à couplage court, l’ECG intercritique montre un QT normal, et le terrain est habituellement différent. Après recharge en potassium et sulfate de magnésium, le trouble du rythme ne se reproduira plus, et le patient quittera le service le 30 août 1998 après un contrôle holter-ECG satisfaisant. DISCUSSION L’expression “torsade de pointe” a été utilisée pour la première fois par Dessertenne en 1966. Il s’agit de complexes d’origine ventriculaire élargis dissociés de l’activité auriculaire, dont la fréquence se situe entre 150 et 240/min, et dont la polarité s’inverse tous les 5 à 10 complexes. Le début de l’accès se fait à l’occasion d’une extrasystole ventriculaire à couplage tardif et est souvent précédé d’un bigéminisme ventriculaire avec les mêmes ESV, monomorphes, à couplage tardif et fixe. Le retour en rythme de Les étiologies habituelles des torsades de pointe regroupent les déplétions potassiques, les bradycardies (BAV complet ou bradycardies supra-ventriculaires, les torsades de pointe étant responsables de 5 à 10 % des syncopes) et les causes médicamenteuses (antiarythmiques classe Ia et substances “quinidine like”). De rares cas ont été observés sous amiodarone (seule ou, plus souvent, associée aux antiarythmiques classe Ia). Les torsades de pointe peuvent également survenir dans le cadre d’un syndrome de QT long congénital (syndrome de Jervell et Lange-Nielsen), qui associe une surdimutité, des syncopes d’effort par torsades de pointe et parfois une anémie, ou le syndrome de Romano et Ward qui associe un QT long et des syncopes d’effort par des torsades de pointe. Sur le plan électrophysiologique, la torsade de pointe serait due à la modification de certains courants participant à la repolarisation, pouvant entraîner un allongement marqué du potentiel d’action et des anomalies électrogéniques (oscillations du potentiel de membrane dans la phase 3, appelées post-dépolarisations précoces). Ces post-dépolarisations précoces sont, comme les torsades de pointe, favorisées par l’hypokaliémie, la bradycardie et les quinidiniques, et sont inhibées par le magnésium. Ces automatismes anormaux pourraient déclencher des circuits de réen- Figure 5a. Initiation de la torsade de pointe avec des extrasystoles ventriculaires à couplage tardif. Figure 5b. Arrêt spontané de la torsade et reprise d’un rythme sinusal avec un intervalle QT à 600 ms. 16 La Lettre du Cardiologue - n° 306 - février 1999 Cas clinique - C. Le Feuvre 1/04/03 12:26 Page 17 C A S trée, de topographies différentes expliquant l’inversion de polarité des complexes ventriculaires. R C L I N I Q U E É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S Le traitement repose sur l’accélération de la fréquence cardiaque sous isoprénaline, puis entraînement électrosystolique à 120/min. Le sulfate de magnésium constitue une alternative intéressante, administré en i.v. directe à une posologie de 1 à 3 g, suivi d’une dose d’entretien de 1 mg/min. Le traitement étiologique comprend l’arrêt du traitement médicamenteux présumé responsable, la correction d’un déficit potassique, l’appareillage d’un BAV. Un trouble du rythme ventriculaire rapide chez un coronarien n’est pas forcément synonyme de tachycardie ventriculaire. Il faut toujours garder à l’esprit la possibilité de la survenue d’une torsade de pointe, surtout lorsqu’il existe des facteurs favorisants (bradycardie, hypokaliémie), car, dans ce contexte, un traitement antiarythmique aggraverait une torsade de pointe. La prévention repose sur le contrôle de kaliémie et la surveillance de l’espace QT sous quinidiniques. 1er Congrès annuel de la Société Française d’Athérosclérose Jeudi 10 juin. Marqueurs prédictifs de l’événement cardiovasculaire ; du gène à l’image (matin). Molécules d’adhésion et transduction du signal dans les cellules vasculaires (après-midi). Vendredi 11 juin. Modulation pharmacologique du métabolisme des lipoprotéines (matin). Mécanismes cellulaires et moléculaires de l’inflammation dans l’athérothrombose (après-midi). Secrétariat scientifique. Dr J. Bonnet et La Lettre du Cardiologue - n° 306 - février 1999 ❏ Le Feuvre C., Jarry G. Torsades de pointe. Le Concours médical 1986 ; 13-12 : 3822-4. ❏ Étienne Y., Blanc J.J. et coll. Effets antiarythmiques du sulfate de magnésium intraveineux dans les torsades de pointe. Arch Mal Cœur 1986 ; 3 : 362-7. CONCLUSION Congrès ❏ Gilgenkrantz J.M., Aliote E., Bruntz J.F. Les torsades de pointe. Ann Cardiol Angéiol 1978 ; 27 (2) : 123-30. ❏ Antzelevitch C., Sicouri S. Clinical relevance of cardiac arrhythmias generated by after depolarisations. J Am Coll Cardiol 1994 ; 23 : 259-77. ❏ Le Feuvre C. Un arrêt cardiaque iatrogène. La Lettre du Cardiologue 1990 ; 154 : 34-7. ❏ Le Marec H., Schott J.J. Les syndromes du QT long congénital. La Lettre du Cardiologue 1997 ; suppl. au n° 278 : 47-50. A.P. Gadeau INSERM U441, avenue du Haut-Lévêque, 33600 Pessac. Tél. : 05 57 89 19 79. Fax : 05 56 36 89 79. Erratum Une erreur s’est glissée dans l’article de S. Laurent “Les bithérapies antihypertensives fixes en première intention” (La Lettre du Cardiologue, n° 304, décembre 1998, p. 8). Dans le paragraphe intitulé “Cahier des charges”, il fallait lire : « Les récentes “recommandations” (guidelines) européennes ont bien défini le cahier des charges du développement de ces bithérapies fixes destinées à une indication de première intention. Il s’agit essentiellement de démontrer soit un niveau d’efficacité similaire à celui obtenu par chaque monocomposant utilisé seul à de plus fortes doses qu’en combinaison, avec une meilleure tolérance, soit un niveau d’efficacité supérieur à celui obtenu par un seul monocomposant, avec une tolérance similaire. » Nous prions le Pr S. Laurent et nos lecteurs de bien vouloir nous en excuser. 17