les cancers digestifs

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« Voyage au cœur de la cellule avec
les cancers digestifs »
> SOMMAIRE
Introduction
p. 2
[Une étape décisive]
Savoir qui est concerné
pour mieux prévenir
p. 4
[Où en est-on ?]
Le traitement des tumeurs
p. 4
[Le prochain palier]
Des traitements ciblés
p. 5
Témoignages
p. 7
Les réponses à vos questions
p. 8
Propos recueillis à l’occasion d’un débat grand
public organisé par la Fondation Recherche
Médicale dans le cadre des Journées de la
Fondation Recherche Médicale, le mardi
14 septembre 2004, à l’ESC de Toulouse.
Débat animé par Laurent Romejko, animateur de
France 2 et parrainé par Thierry Lhermitte.
Document disponible sur le site de la Fondation
Recherche Médicale www.frm.org
Publication : octobre 2004
Crédits photos : Fondation Recherche Médicale
Avec la participation de :
> Dr Rosine Guimbaud,
Maître de conférences et praticien hospitalier au CHU de Toulouse
et à l’Institut Claudius Regaud (Centre National de Lutte Contre le
Cancer, CNLCC).
> Pr Roland Bugat,
Responsable du département médical de l’Institut Claudius
Regaud (CNLCC), Directeur de l'UPRES EA 3035 «
Pharmacologie clinique expérimentale des médicaments
anticancéreux », membre de la mission interministérielle de lutte
contre le cancer.
> Pr Louis Buscail,
Praticien hospitalier dans le service de gastro-entérologie et
nutrition du CHU Rangueil-Larrey, responsable du groupe de
recherche « altérations moléculaires et thérapie génique du cancer
pancréatique et du carcinome hépato-cellulaire » au sein de l'unité
U 531.
> Pr Georges Delsol,
Directeur de l'U 563 Inserm, centre de physiopathologie Toulouse
Purpan (CPTP), département d’oncogenèse et signalisation dans
les cellules hématopoïétiques, responsable du Cancéropole SudOuest, membre du Conseil Scientifique de la Fondation Recherche
Médicale.
Journées de la Fondation Recherche Médicale l Les cancers digestifs l www.frm.org
1
Introduction
> Pierre Joly,
Président de la Fondation Recherche
Médicale.
Quelle est l’origine de la Fondation Recherche
Médicale ? En 1947, les 132 grands
« patrons » de la recherche biomédicale
française avaient adressé à l’Etat une pétition
lui demandant un minimum de moyens afin de
reprendre les recherches biomédicales
interrompues par la guerre. Après 10 ans, la
création de l’Inserm a été la réponse de l’Etat.
Treize des 132 « patrons », certainement les
plus actifs, dont le jeune Pr Bernard, ont
estimé que cela s’avérait insuffisant et ont créé
la Fondation Recherche Médicale : une
fondation privée permettant à l’argent des
particuliers d’irriguer la recherche publique.
Les résultats ont été exceptionnels. La
Fondation est la seule à être compétente dans
tous les domaines de la médecine. Elle
subventionne les recherches portant non
seulement sur les maladies les plus
médiatisées, mais également les autres
maladies, qui sont responsables de 70 % des
décès.
> François Chollet,
Adjoint au maire de Toulouse
Tous les milieux sont attentifs à l’action de la
Fondation Recherche Médicale, qu’il s’agisse
du public ou des professionnels. Quel directeur
de laboratoire n’a pas été, un jour, en contact
avec la Fondation et n’a pas bénéficié de son
engagement permanent au service de la
recherche ? La ville de Toulouse remercie la
Fondation Recherche Médicale et est
extrêmement sensible à cette initiative pour la
diffusion du savoir : il est important de faire
partager les découvertes des chercheurs, en
particulier dans le domaine du cancer. Ce
thème est majeur pour le Grand Toulouse,
dans la mesure où Philippe Douste-Blazy
promeut la reconversion du site de l’Anglade,
blessé par l’explosion de septembre 2001,
autour d’un grand pôle de recherche, de
développement et de soin axé sur le cancer.
> Pr Georges Delsol,
Directeur de l'unité Inserm U.563, centre de
physiopathologie Toulouse Purpan (CPTP),
département d’oncogenèse et signalisation
dans les cellules hématopoïétiques,
responsable du Cancéropole Sud-Ouest,
membre du Conseil Scientifique de la
Fondation Recherche Médicale.
La Fondation Recherche Médicale soutient, en
France, un chercheur sur deux pour des
recherches touchant tous les domaines de la
pathologie : maladies cardio-vasculaires,
infectieuses, neurologiques, et toutes les
recherches sur le cancer.
Chaque année, 16 millions d’euros aident des
chercheurs à travailler sur leurs projets de
recherche ou à se rendre dans des
laboratoires étrangers. Parmi ces domaines de
recherche, le cancer occupe une place
privilégiée puisque 25 % des aides financent
des programmes de recherche sur le cancer.
Le Conseil scientifique de la Fondation
Recherche Médicale est constitué de vingt six
membres aux compétences très diverses. Ils
sont élus et non pas nommés comme dans le
cas des associations caritatives. Ils n’ont, par
ailleurs, pas le droit de déposer de demande,
ce qui diminue le risque d’auto-distribution. La
Fondation Recherche Médicale soutient des
projets très divers, allant de la recherche
fondamentale à la recherche clinique et à
l’innovation thérapeutique. Il est essentiel de
soutenir la recherche fondamentale, et je
citerai l’exemple des anticorps monoclonaux.
En 1975, deux chercheurs britanniques Kohler
et Milstein ont essayé de faire fusionner deux
cellules dans un tube à essai afin de leur faire
sécréter un type donné d’anticorps. A cette
époque, tout le monde s’est demandé à quoi la
fusion de deux cellules pouvait bien servir. Les
anticorps monoclonaux ainsi produits ont été
utiles dans le diagnostic et le traitement des
cancers : grâce à cette recherche
fondamentale, dont le résultat était
imprévisible, nous avons aujourd’hui obtenu
des médicaments. L’utilisation de certains de
ces anticorps est aujourd’hui en évaluation
dans le traitement du cancer du côlon.
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2
> Pr Jacques Bazex,
Représentant du Comité régional de la
Fondation Recherche Médicale
Inexistant pendant quelques années, le Comité
régional Midi-Pyrénées vient d’être recréé et
revitalisé avec l’aide de la ville de Toulouse, de
la Communauté municipale de Santé, des
présidents d’université, des doyens des
facultés et de la structure hospitalière. Le
Comité, restreint – car encore récent –, est
composé de du Pr Louis Douste-Blazy, qui
nous a assurés de son aide dans la
constitution de notre projet et de ses premiers
pas, de Monsieur Sutra, ingénieur agronome,
de Monsieur Buscail et d’une secrétaire qui
consacre son peu de temps disponible à nous
aider. Ce Comité naissant et plein d’énergie
attend beauc oup d’aide de la part du public, et
également des nombreuses entreprises de la
région Midi-Pyrénées : certaines ont déjà fait
savoir qu’elles lui apporteraient leur soutien.
Le Comité a plusieurs ambitions : une
transparence absolue sur la destination des
dons et l’accès des grands laboratoires aux
citoyens et aux donateurs, afin qu’ils
comprennent en quoi consiste la recherche.
L’association de la recherche privée et de la
recherche publique est indispensable. La
recherche privée peut, par sa souplesse et sa
disponibilité, être d’un grand soutien à la
recherche publique. Cette dynamisation
permettra de rendre les laboratoires plus
performants, ce qui contribue à la richesse
d’une région. La Mairie de Toulouse, la
Communauté Municipale de Santé et les
Universités qui nous soutiennent vont tout à
fait dans ce sens.
Monsieur le Président de l’Université a invité à
ce débat deux médecins ukrainiens en visite à
Toulouse pour quelques jours.
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3
[Une étape décisive]
Savoir qui est concerné
pour mieux prévenir
> Dr Rosine Guimbaud,
Maître de conférences et praticien hospitalier
au CHU de Toulouse et à l’Institut Claudius
Regaud (Centre national de lutte contre le
cancer, CNLCC).
Les causes et la prévention des cancers
digestifs
Les cancers digestifs sont très fréquents et
posent un véritable problème de santé
publique. Le cancer du côlon, par exemple, qui
représente plus de la moitié des cancers
digestifs, touche une personne sur trente en
France. Chaque année, un cancer du côlon est
diagnostiqué chez 36 000
personnes, et 150 000 à
200 000 personnes en
France ont été ou sont
traitées. Ce taux montre
bien que nous sommes a
priori tous concernés par ce
problème, même si nous ne
le sommes pas au même
niveau. Tout d’abord, nous naissons avec un
potentiel génétique différent les uns des
autres. En ce qui concerne le cancer du côlon
par exemple, on distingue trois groupes à
risques dans la population : le groupe
concerné par le risque de base ; un groupe
intermédiaire de personnes qui, en raison de
leurs antécédents familiaux ou personnels, ont
un risque plus élevé que le risque de base ; et
les personnes présentant un risque génétique
très fort. Dès la naissance, nous appartenons
donc à des groupes à risques différents. Au
cours de la vie, des phénomènes acquis tels
que l’alimentation, la consommation de tabac,
l’exposition à des rayonnements pourront
augmenter le risque de développer telle ou
telle pathologie. A l’heure actuelle, on ne peut
pas intervenir directement sur son statut
génétique, mais on peut par contre le faire sur
des facteurs environnementaux.
Y a-t-il une hérédité dans les cancers
digestifs ?
Cette hérédité existe mais ne fait pas tout. Elle
a été démontrée notamment dans le cancer du
côlon. Cette hérédité n’est pas obligatoire,
mais certaines personnes sont génétiquement
prédisposées à développer des cancers du
côlon. Cependant, la majorité des cancers du
côlon est développée par des personnes qui
ne sont précisément pas génétiquement
prédisposées.
Face à une personne ayant développé une
maladie du type tumeur du côlon, le rôle du
médecin est de déterminer si cette personne
présente un risque particulier qui justifierait
une prise en charge spécifique. Si cette
personne doit être placée dans la catégorie
des « personnes à hauts risques », ceci peut
avoir des retentissements en termes de suivi et
de prise en charge de sa famille. Si cette
personne a développé un cancer du côlon
dans le cadre du risque de base de la
population générale, la prise en charge sera
« classique » et ne justifiera pas un dépistage
ou un retentissement spécifique sur sa famille.
Lorsque la personne indique que des membres
de sa famille ont souffert de la même maladie,
il est souvent évident qu’elle développe une
maladie en raison d’un risque génétique et le
diagnostic de prédisposition génétique est
facilement réalisable. Si le risque génétique est
moins évident, les médecins disposent de
certains indices qui permettent de penser
qu’un terrain génétique a peut-être provoqué
cette maladie. L’un des premiers indices est
l’âge du malade. L’âge moyen des personnes
qui développent un cancer du côlon est en
effet de 70 ans : plus le cas survient jeune,
plus la question d’un terrain génétique sousjacent doit se poser.
[Où en est -on ?]
Le traitement des tumeurs
> Pr Roland Bugat,
Responsable du département médical de
l’Institut Claudius Regaud (CNLCC), Directeur
de l'UPRES EA 3035 « Pharmacologie clinique
expérimentale des médicaments
anticancéreux », membre de la mission
interministérielle de lutte contre le cancer.
Ces pratiques évoluent quotidiennement, en
raison de leur environnement technique et de
la maîtrise des effets secondaires qu’elles sont
supposées engendrer et qui contribuent à
donner une mauvaise réputation aux maladies
cancéreuses. Historiquement, le premier
traitement des cancers digestifs a été la
chirurgie, qui reste encore aujourd’hui la pierre
angulaire du contrôle absolu des cancers
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4
digestifs. La radiothérapie est également très
évolutive : on sait traiter de manière de plus en
plus ciblée des parties anatomiques très bien
définies grâce aux progrès réalisés dans les
domaines de
l’informatique et de
l’imagerie. Cependant,
les développements les
plus actuels du
traitement concernent
les molécules et les
médicaments de la
chimiothérapie.
Les progrès touchent
non seulement les
évolutions technologiques, mais également la
manière dont la médecine s’organise pour
mieux les utiliser au service des patients.
Lorsque l’on parle de « recette
thérapeutique », associant chirurgie,
radiothérapie ou chimiothérapie, on fait
souvent l’économie de définir de manière
équitable avec le patient l’objectif
thérapeutique visé. L’une des bonnes
utilisations du traitement des cancers se réfère
à cette volonté actuelle de nous organiser de
manière pluridisciplinaire, afin d’affiner les
indications thérapeutiques et d’utiliser de
manière optimale les ressources dont nous
disposons.
Les évolutions des techniques de chirurgie
On relève d’importants progrès techniques en
matière de chirurgie : les traitements
chirurgicaux des cancers et notamment des
tumeurs digestives sont moins agressifs
qu’auparavant. On pratique également
davantage de chirurgie conservatrice d’organe
ou de fonction. Ceci est particulièrement vrai
pour les cancers du rectum par exemple, qui
jusqu’au siècle dernier était la plupart du temps
enlevé, avec toutes les contraintes que la
poche pouvait avoir sur la vie des patients.
Actuellement, les ablations du rectum qui
s’avèrent indispensables représentent moins
de 10 % de la chirurgie réalisée au niveau du
rectum. Cette chirurgie conservatrice
s’applique également pour les cancers de
l’œsophage : l’œsophage est reconstruit à
partir d’une portion "tubulisée" de l’estomac.
Les grands progrès réalisés dans la maîtrise
des techniques chirurgicales garantissent à la
fois un meilleur pronostic du cancer, et une
meilleure qualité de vie.
Les techniques de radiothérapie
L’appareil digestif est composé d’un tube et de
deux glandes (foie et pancréas). Ce sont les
cancers des deux extrémités du tube qui sont
candidats à des techniques d’irradiation
(cancers de l’œsophage, du rectum et de
l’anus).
Les évolutions des techniques de
chimiothérapie
La chimiothérapie (la médecine
médicamenteuse) a très mauvaise réputation
car son efficacité est au prix d’effets
secondaires indésirables. Les médicaments
cytotoxiques tuent en effet aveuglement toutes
les cellules qui se divisent, c’est-à-dire qui
travaillent pour assurer leur descendance. Or
les cellules normales, aussi bien que les
cellules cancéreuses « anarchiques »,
possèdent cette capacité de se diviser. Aussi,
les effets secondaires des chimiothérapies
conventionnelles sont liés au préjudice subis
par les tissus qui ont une activité cellulaire
importante : moelle des os (diminution des
taux de globules), cellules de l’intestin grêle
(troubles digestifs importants). Les
thérapeutiques dites ciblées, n’entraînent pas
ces effets secondaires.
[Le palier suivant]
Des traitements ciblés
> Pr Louis Buscail,
Praticien hospitalier dans le service de gastroentérologie et nutrition du CHU RangueilLarrey, responsable du groupe de recherche
« altérations moléculaires et thérapie génique
du cancer pancréatique et du carcinome
hépato-cellulaire » au sein de l'unité U 531.
Le processus de cancérisation de la cellule
La cellule normale interagit avec les autres
cellules, vieillit puis au bout d’un certain temps
meurt et est remplacée par une autre cellule.
Si l’horloge interne de la cellule est déficiente,
des mécanismes de réparation interviennent.
Au contraire, la cellule cancéreuse est «
insurrectionnelle » : des perturbations multiples
l’incitent à se diviser de manière totalement
anarchique, et elle se dote de récepteurs
(molécules situées à la surface de la cellule)
notamment sensibles aux facteurs de
croissance. Ceci lui permet de proliférer et
d’échapper à la régulation cellulaire. Tous ces
récepteurs constituent des cibles, et la cellule
se débarrasse de tout ce qui peut la gêner en
tendant vers une relative autonomie. Cette
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5
autonomie n’est pas totale car la cellule
cancéreuse a besoin de se nourrir. Aussi,
développe-t-elle ses propres vaisseaux, afin de
se nourrir et de progresser ailleurs dans
l’organisme. L’insurrection échappe à la «
police », en attaquant certains systèmes de
défense : les anticorps ne peuvent plus
détruire ces cellules tumorales.
Pistes de développement de thérapies
ciblées
Tout ceci constitue des terrains d’étude pour
les thérapies ciblées, qui visent précisément
les cellules tumorales, au contraire de la
chimiothérapie. On peut par exemple cibler les
facteurs de croissance : des anticorps
monoclonaux peuvent bloquer les récepteurs
des facteurs de croissance à la surface des
cellules, et de ce fait
mettre en suspend la
prolifération des
cellules. D’autres
anticorps
monoclonaux peuvent
bloquer les facteurs de
croissance situés sur
les vaisseaux
sanguins, réduisant
ainsi l’irrigation
sanguine de la tumeur
et donc sa croissance. Enfin, il est également
possible de détruire directement la cellule
tumorale avec des anticorps ou d’autres
protéines, selon des principes de
chimiothérapie ciblée. Les anticorps ou les
protéines peuvent également porter des radio-
isotopes, ayant ainsi un effet de radiothérapie
au niveau local. Une fois qu’ils sont fixés sur
une zone spécifique de la tumeur, ils libèrent
leur produit radioactif et tuent la cellule
tumorale. On parle également de thérapie
génique dans le traitement des tumeurs, mais
cette approche est encore du domaine de la
recherche. Le principe est d’agir directement
au niveau du noyau de la cellule tumorale, en
utilisant l’ADN (à l’origine de la production des
protéines) comme un médicament et en
l’intégrant dans ces cellules tumorales ; ceci
permettrait de tuer la cellule ou de la
sensibiliser à la chimiothérapie.
La chimiothérapie reste donc importante, et les
évolutions futures portent sur les traitements
qui l’accompagnent afin d’améliorer sa
tolérance et surtout d’obtenir un effet additif et
ciblé. Les essais en cours portent sur des
thérapeutiques ciblées sur les gènes tumoraux
ou les récepteurs aux facteurs de croissance.
Laurent Romejko – La Fondation Recherche
Médicale a-t-elle contribué à l’avancée de vos
travaux à un moment ou à un autre de votre
carrière ? Désolé, mais cette réponse est celle
de Louis Buscail
Pr Louis Buscail – A titre personnel, j’ai
effectivement bénéficié du soutien de la
Fondation Recherche Médicale. Des
chercheurs de mon équipe bénéficient
régulièrement du soutien financier de la
Fondation pour réaliser leurs travaux de thèse.
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6
Témoignages
> Madame Emerit – « On m’a diagnostiqué un
cancer du côlon à l’âge de 37 ans. Le fait, qu’en
plus de mon jeune âge, mon grand-père soit
décédé à 32 ans a permis d’identifier un terrain
génétique familial. Après le traitement de
chimiothérapie que j’ai suivi, l’objectif a été de
prévenir toutes les personnes de ma famille
sujettes au développement de ce cancer.
Actuellement, mon frère et mon père passent
des tests afin de savoir s’ils ont aussi un risque
majeur de développer ce type de cancer. Un
test ADN est réalisé sur un prélèvement
sanguin, indolore et rapide, qui donne un
résultat positif ou négatif.
> Laurent Romejko – Faut-il réorienter l’hygiène
de vie, revoir ses habitudes alimentaires ?
> Dr Rosine Guimbaud – Ceci est valable pour
tous les cancers, dont le cancer du côlon. Dans
le cas particulier de Madame Emerit, l’impact
génétique est tellement fort qu’il prédomine par
rapport à tous les conseils que l’on peut
donner, et justifie en lui-même une surveillance
spécifique. Le cas d’un terrain génétique à haut
risque ne concerne que 5 %, au maximum, des
personnes qui développent des cancers du
côlon.
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Les réponses
à vos questions
« L’alimentation est-elle impliquée dans la
survenue des cancers digestifs ? Peut-elle
servir à les prévenir ? »
> Dr Rosine Guimbaud – Bien entendu. Les
deux fléaux les plus importants, responsables
de la moitié des cancers en France, sont
l’alcool et le tabac, même s’il ne s’agit pas à
proprement parler d’alimentation. Cet impact
direct vaut également pour les cancers
digestifs : par exemple, le cancer de
l’œsophage est directement provoqué par le
mélange de consommation d’alcool et de tabac.
Il n’y a pas de recette miracle, mais des règles
d’alimentation claires existent, même si elles ne
sont pas très précises : manger
quotidiennement cinq portions de fruits et/ou de
légumes (une pomme représentant une
portion); limiter l’apport de graisses saturées ;
limiter l’excès pondéral ; éviter la sédentarité et
avoir une activité physique. Ces règles
d’hygiène valent aussi bien dans la prévention
du cancer du côlon que dans les problèmes
cardiovasculaires, et sont bonnes pour la ligne
et le moral. Les recommandations ne sont
cependant pas plus nombreuses.
« Les stress est-il un facteur favorisant ?
Certains articles indiquent que les édulcorants
de synthèse ont un effet cancérigène : est-ce
vrai ? »
> Dr Rosine Guimbaud – La question du stress
est souvent posée, mais nous n’avons
malheureusement pas d’éléments de réponse.
Il n’a pas été démontré que le stress était
directement impliqué dans le déclenchement
des cancers. Toutefois, le fait de ne pas avoir
pu le démontrer ne signifie pas que cela est
faux. On connaît de nombreux exemples de
personnes qui ont développé un cancer après
avoir subi un stress, et d’autres exemples de
personnes stressées qui au contraire n’ont
jamais développé de cancer.
En ce qui concerne les édulcorants de
synthèse, je n’ai pas de réponse particulière.
Tout a été dit sur divers composés
alimentaires : lorsque l’on décompose
l’alimentation, on trouve des éléments très
bénéfiques ou péjoratifs, et là encore les
preuves ne sont pas suffisantes pour affirmer
les effets délétères ou bénéfiques de ces
composés.
« Dans le doute concernant les édulcorants de
synthèse, faut-il s’abstenir de les
consommer ? »
> Dr Rosine Guimbaud – Le principe de
précaution nous amènerait à éliminer un grand
nombre de composés alimentaires. A mon
sens, il n’y a pas suffisamment d’arguments
envers un effet délétère pour exclure les
édulcorants de synthèse. Je pense que l’on
peut s’en passer dans la vie quotidienne, mais il
s’agit d’un autre débat.
« Même si l’association tabac / alcool intervient,
y a-t-il un terrain génétique dans le cancer de
l’œsophage ? Mon père et mon frère sont
décédés de cette maladie, j’ai moi-même eu un
cancer de l’œsophage, et ma fille de 32 ans a
souffert d’un polype oesophagien. »
> Dr Rosine Guimbaud – Vous reflétez
l’exception : 90 % des cas de cancer de
l’œsophage peuvent s’expliquer par une
association d’alcool et de tabac. Dans 10 % des
cas, on ne trouve aucune intoxication de ce
type. On ne sait pas actuellement quels sont les
facteurs de risque dans ces cas précis. Ces
facteurs pourraient être d’origine virale, ou bien
génétique : ils n’ont pas été identifiés.
« Quels sont les signes avant-coureurs du
cancer du côlon ? »
> Dr Rosine Guimbaud – Il s’agit de diagnostic
précoce. De nombreux cancers du côlon sont
diagnostiqués alors qu’il n’y a eu aucun signe
particulier. Toutefois, certains signes doivent
obligatoirement déclencher la recherche d’une
pathologie du côlon, comme l’émission de sang
dans les selles, qu’il ne faut jamais rattacher à
la présence d’hémorroïdes. Un premier bilan
est nécessaire afin de savoir si ce sang ne
provient pas d’une lésion, d’une tumeur
bénigne ou maligne. Les autres signes sont la
survenue de troubles du transit chez quelqu’un
qui avait un transit régulier et qui souffre de
constipation, de diarrhées, ou d’une alternance
des deux. Des douleurs abdominales tenaces
nécessitent à partir d’un certain âge de faire un
bilan à la recherche d’une tumeur dans le
côlon. Enfin, des signes plus généraux :
douleurs, amaigrissement fatigue, peuvent
révéler une maladie qui a déjà donné des
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métastases (e.g. dans le foie). L’équivalent
biologique du saignement dans les selles est la
survenue d’une anémie, qui doit toujours faire
rechercher la présence d’une tumeur digestive,
notamment du côlon.
« Pour quelles raisons les cellules cancéreuses
sont-elles aussi fortes : elles se créent des
réseaux, elles prolifèrent… ? »
> Pr Louis Buscail – Elles sont si solides et
prolifèrent si bien parce qu’elles se sont
débarrassées de tout ce qui les contraignait, et
se sont dotées d’une formidable machinerie de
survie. Il existe un déterminisme, génétique ou
non, qui fait qu’à un moment donné, des
cellules échapperont à la surveillance
immunologique ou bénéficieront de l’action
d’agents externes ou de carcinogènes.
L’horloge cellulaire s’enrayera donc en raison
de l’apparition ou de la disparition de certains
gènes. Dans la plupart des cas, l’organisme
élimine ces cellules cancéreuses. Parfois
cependant, l’arrivée d’un facteur carcinogène
va les renforcer et leur permettre de se
reproduire.
Quel est le mécanisme initial ? Voici quelques
années, une équipe américaine a mené des
études intéressantes sur la reconstruction du
chemin du cancer. Ils ont introduit dans une
cellule humaine normale des gènes qui sont
bien exprimés, ou au contraire qui disparaissent
au cours du cancer. Lorsqu’ils ont introduit ces
gènes simultanément, rien ne s’est passé. Ils
les ont ensuite introduits selon des séquences
temporelles bien particulières, et ont identifié
douze séquences qui transformaient la cellule
normale en cellule cancéreuse. A l’échelle de
l’organisme, ces séquences prennent plusieurs
mois ou plusieurs années.
> Pr Georges Delsol – Une cellule cancéreuse
est une cellule normale qui a essayé de
s’adapter à un nouvel environnement riche en
carcinogènes, tout comme en cas d’infections
les bactéries résistantes sont celles qui
réussissent à s’adapter à tous les antibiotiques.
L’adaptation est une très grande propriété du
vivant.
« Pour quelles raisons la médecine du travail
ou la médecine générale ne dépiste-t-elle pas
plus tôt ces cancers ? J’avais subi deux tests
Hémoccult® en 2003 (dont le deuxième en
septembre 2003) qui n’avaient rien donné, et on
m’a détecté en décembre 2003 un polype à
opérer. »
> Dr Rosine Guimbaud – Nous ne sommes plus
dans le cadre de la prévention, qui consiste à
éviter que la maladie ne se développe, mais
dans celui du dépistage, qui consiste à
diagnostiquer des maladies avant l’apparition
de signes. Cette question est très importante et
se trouve sous les feux de l’actualité. Le cancer
du côlon est une maladie fréquente,
potentiellement grave, mais curable dès lors
que le diagnostic est établi. Cette maladie
justifierait effectivement d’un dépistage de
masse systématique, qui s’adresse à
l’ensemble de la population ne présentant pas
forcément de symptômes, comme ceci est fait
pour le cancer du sein ou du col utérin chez la
femme. Le Pr Bugat pourra peut-être en dire un
mot dans le cadre du Plan Cancer, dont un des
objectifs est de développer le dépistage et la
prévention. Plusieurs départements français ont
instauré un dépistage systématique de la
population générale s’adressant à tous les
sujets âgés de 50 à 75 ans.
Quel est le test utilisé ? On ne peut pas réaliser
de coloscopies sur toute la population, aussi
est-il nécessaire de trouver des examens plus
simples et fiables : l’Hémoccult® en est un. Un
Hémoccult® négatif n’est pas une fin en soi,
aussi est-il recommandé d’en réaliser un tous
les deux ans. Ceci n’est intéressant que lorsque
l’on est dans le cadre d’un dépistage de masse
organisé.
« Il semble que les affections du rectum soient
bien distinguées de celles du côlon. Existe-t-il
un dépistage du cancer du rectum distinct de
celui du côlon ? Mon père étant décédé d’un
cancer du rectum, je m’interroge sur un
éventuel dépistage dans mon cas. »
> Pr Roland Bugat – Il y a trois éléments de
réponse. Le premier est que la distinction
côlon/rectum existe, mais qu’il s’agit de la
même maladie lors de l’examen au
microscope : les tumeurs du côlon et celles du
rectum ne se différencient pas au microscope.
Toutefois, en ce qui concerne le dépistage, il
est plus facile d’explorer l’ampoule rectale, plus
proche de l’anus, que d’explorer le côlon. Le
troisième élément de réponse repose sur le fait
que l’histoire naturelle du cancer du côlon n’est
pas superposable à celle du cancer du rectum.
Tous les cancers évoluent de manière
centrifuge, d’un épicentre vers une périphérie.
Le deuxième stade d’extension correspond aux
barrières ganglionnaires autour de la tumeur.
Le troisième stade de l’extension centrifuge est
le passage de cellules anormales par voie
sanguine, les métastases, qui vont coloniser les
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organes à distance. La mauvaise réputation
des cancers vient du non-contrôle
thérapeutique de la maladie métastatique dès
lors qu’elle est déclarée. Le rectum et le côlon
donnent des métastases dans le foie, mais le
rectum, à la différence du côlon, peut produire
plus fréquemment des récidives locorégionales.
C’est la raison pour laquelle on utilise
fréquemment la radiothérapie dans le
traitement des cancers du rectum.
> Dr Rosine Guimbaud – Il faut assimiler le
cancer du rectum et celui du côlon en termes
de facteurs de risque et de recommandation de
dépistage. Toute personne dont un parent au
premier degré a développé un de ces deux
cancers est estimée présenter un risque plus
élevé que la population générale. Elle doit être
surveillée à partir de 50 ans via un dépistage
reposant sur des examens endoscopiques
(coloscopies). Toutefois, le fait que le parent ait
développé un cancer dans le côlon droit ou le
rectum ne signifie pas que la personne risque
davantage un cancer dans le côlon droit ou le
rectum.
« L’aspirine à petite dose est-elle véritablement
une chimio-prévention ? Dans le doute, peut-on
prendre de l’aspirine ? »
> Dr Rosine Guimbaud – Cette voie est
porteuse de nombreux espoirs, mais nous
n’avons encore aucune démonstration absolue
de l’efficacité de l’aspirine dans la prévention du
cancer du côlon. De nombreux arguments
favorables ont été obtenus sur l’animal, dans
des études pré-cliniques et des études
cliniques. Des études sont en cours
actuellement et produiront des résultats dans
les années à venir. Aujourd’hui, on ne peut pas
recommander la prise systématique d’aspirine
pour prévenir le risque de cancer du côlon.
L’aspirine n’est pas non plus exempte de toute
complication et nécessite un suivi médical. Elle
peut, même à petite dose, générer des
saignements. Il faut avoir des conduites basées
sur des preuves avant de donner des
recommandations.
« Une rectocolite chronique peut -elle dégénérer
en cancer du côlon ? »
> Dr Rosine Guimbaud – Oui. Cela fait partie
des facteurs de risques. Parmi les trois groupes
à risques concernés par le cancer du côlon, le
groupe intermédiaire (situé entre le groupe
sujet au risque de base et le groupe
génétiquement très marqué) concerne
notamment des personnes ayant des
rectocolites hémorragiques. Les rectocolites
hémorragiques font le lit des cancers
lorsqu’elles touchent l’ensemble du côlon et
qu’elles existent depuis plus de 20 ans. Toute
rectocolite hémorragique évoluant vers une
pancolite (atteinte complète du côlon évoluant
depuis plus de 20 ans) doit être attentivement
surveillée par des coloscopies régulières.
« Le fait d’avoir eu un cancer de l’estomac ou
un polype à l’œsophage augmente-t-il le risque
de développer un cancer du côlon ? »
> Dr Rosine Guimbaud – Des liens existent
mais ils sont liés aux facteurs de risques
environnementaux. Par exemple, si l’on a
développé une tumeur de l’œsophage par une
surconsommation de tabac et d’alcool, on a
effectivement plus de risque de développer un
autre cancer. Mais en dehors de l’exposition à
ces facteurs de risque, il n’y a pas d’association
entre les différents cancers digestifs : le fait
d’avoir eu un cancer de l’œsophage ou de
l’estomac n’augmente pas la probabilité d’avoir
un cancer du côlon, et réciproquement.
Un point particulier concerne les groupes
génétiquement à risque. Ils ont un risque élevé
de développer une tumeur du côlon, mais
également un risque plus élevé que la moyenne
de développer des tumeurs du corps de l’utérus
pour les femmes. Cela nécessite une
surveillance particulière. En dehors de ce cas
particulier, la découverte d’une tumeur digestive
n’implique pas la recherche d’une autre tumeur
extra-digestive.
« La prise de médicaments à long terme qui
aggravent les problèmes de transit est-elle
corrélée à l’apparition de cancer du côlon ? »
> Dr Rosine Guimbaud – Il n’y a aucune
corrélation entre les troubles du transit (e.g.
constipation chronique) et le risque de cancer
du côlon, que ces troubles digestifs résultent
d’une propension naturelle ou d’une prise
médicamenteuse du type antidépresseur.
« Une œsophagite chronique due à un reflux
gastro-œsophagien (RGO) a-t-elle des risques
de cancérisation, et si oui une protection par
des anti-sécrétoires peut -elle suffire à le
prévenir ? »
> Dr Rosine Guimbaud – Une œsophagite
chronique a des risques de cancérisation, mais
sous différentes conditions toutefois. Si un
Journées de la Fondation Recherche Médicale l Les cancers digestifs l www.frm.org
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reflux entraîne une œsophagite chronique qui
est suffisamment forte pour provoquer des
ulcérations et d’importants remaniements
d’inflammation, de cicatrisation, si ceci n’est
pas contrôlé par le traitement médical, et s’il y a
un phénomène de cicatrisation entraînant une
colonisation de l’œsophage par de la
muqueuse qui remonte de l’estomac, on se
trouve devant un endobrachyoesophage. Un
endobrachyoesophage étendu peut
éventuellement dégénérer en cancer de
l’œsophage (adénocarcinome de l’œsophage).
> Pr Louis Buscail – Les médicaments dont on
dispose et qui inhibent la sécrétion
œsophagienne sont efficaces pour stopper
cette sécrétion acide et guérir l’œsophagite. Le
traitement de cette œsophagite est donc
efficace et met à l’abri de complications
ultérieures. Les médicaments ne font
cependant pas régresser
l’endobrachyoesophage (colonisation de la
muqueuse gastrique au niveau de l’œsophage
qui peut se produire car le reflux est ancien et
qu’une partie de la muqueuse est remontée
progressivement dans l’œsophage) mais
peuvent en limiter l’extension, tout en
nécessitant une surveillance. Si le reflux gastroœsophagien ne peut pas être traité par des
médicaments, on peut avoir recours à la
chirurgie.
« Les nouvelles méthodes d’investigation via
l’imagerie 3D permettent-elles d’éviter les
coloscopies classiques ? »
> Pr Louis Buscail – La coloscopie virtuelle est
réalisée au moyen d’une imagerie scanner
permettant de visualiser la lumière du côlon en
réalisant des coupes scannographiques
reconstruites en trois dimensions. Cet examen
se fait sans anesthésie mais nécessite une
préparation quasiment identique à celle de la
coloscopie. Cette technique est encore en
évaluation : même si l’examen donne une
bonne résolution, certains polypes ne sont pas
détectés ou sont confondus avec la présence
de selles si la préparation n’est pas optimale.
Par ailleurs, si des lésions sont détectées ou si
le médecin a un doute, il faut, au final, réaliser
une coloscopie. Cette technique, séduisante
car moins invasive, s’est développée aux USA
où la population se rend dans les centres de
santé pour réaliser un « check-up ». En France,
la politique est différente et il faut attendre
l’évaluation de cette technique pour la
généraliser et l’appliquer à un éventuel
dépistage.
« J’ai eu un polype cancéreux qui a été opéré,
et deux contrôles par coloscopie ont été
effectués 6 mois et un an après. La prochaine
est prévue trois ans après l’opération. Y a-t-il
des risques d’apparition de nouveaux
polypes ? »
> Dr Rosine Guimbaud – Toute personne ayant
eu un polype risque potentiellement d’en
développer un nouveau. Aussi, toute personne
traitée par voie naturelle (endoscopie) ou par
chirurgie doit être surveillée par des
coloscopies. Le rythme des coloscopies met à
l’abri d’un diagnostic trop tardif : la vitesse
d’évolution et de formation d’un polype est
connue. A partir du moment où on peut le voir,
il lui faut environ 8 à 10 ans pour qu’il devienne
une grosse tumeur. Un rythme de contrôle à
trois ou à cinq ans permettra de diagnostiquer
l’éventuelle apparition d’un nouveau polype,
mais à un stade suffisamment précoce pour
qu’il puisse être enlevé par voie endoscopique.
« Quelle est la fréquence des coloscopies dans
un but de prévention ? »
> Dr Rosine Guimbaud – Les recommandations
actuelles sont les suivantes. Si l’on a des
symptômes, il faut pratiquer une coloscopie. Si
l’on est dans le cadre d’un dépistage, tout
dépend à quel groupe de risque l’on appartient.
S’il s’agit d’un groupe à risque génétique fort, la
première coloscopie intervient entre 20 et 25
ans, et les suivantes ont lieu tous les deux ans.
S’il s’agit d’un groupe à risque intermédiaire,
lorsqu’un parent (père, mère, frère, sœur ou
enfant) de la personne a eu un cancer du côlon
ou que la personne a eu un important polype, il
faut commencer à faire une coloscopie de
dépistage dès 50 ans et la répéter tous les 5
ans. Si le parent a développé un cancer à un
âge plus jeune que celui de 50 ans, la première
coloscopie a lieu 5 ans avant l’âge de survenue
chez ce parent. En ce qui concerne les
personnes à risque de base, il n’y a pas de
recommandation de dépistage par coloscopie.
Actuellement, on met en place des dépistages
de masse à partir de 50 ans sur la détection de
sang dans les selles par le test Hémoccult®.
Les objectifs d’un dépistage de masse ne sont
pas les mêmes que ceux d’un dépistage
individuel.
« Après une chirurgie et une chimiothérapie,
comment peut-on surveiller efficacement un
cancer du côlon ? »
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> Pr Roland Bugat – Les experts se réunissent
régulièrement pour établir des conférences de
consensus, afin de faire le point sur l’état de la
connaissance médicale et de pouvoir apporter
à la population les meilleures données du
moment. Un site Internet (www.anaes.fr,
rubrique « Publications ») donne par exemple
accès à une conférence de consensus dédiée à
ce sujet : comment suivre un cancer du côlon
de manière optimale du point de vue des
intérêts de la personne soignée ? Les patients
souhaitent être suivis, tout en voulant s’éloigner
du souvenir que leur ont laissé le diagnostic et
leur parcours thérapeutique. Le rapport au suivi
est donc ambigu. De ce point de vue, les
soignants au sens large doivent procéder avec
tact, selon la doctrine du « ni trop, ni trop peu ».
Un excès de suivi peut être anxiogène, et en
termes de rendement médical, il n’est pas du
tout assuré que cela soit très utile.
Lorsqu’on traite un cancer dans un but curatif,
le suivi reflète le souhait que rien ne se passe.
Les examens dont nous disposons sont de plus
en plus sophistiqués : imagerie 3D, scanner,
IRM, PETScan. Des personnes m’ont demandé
si le PETScan était opérationnel à Toulouse. La
réponse est affirmative, mais est-il vraiment
nécessaire de faire appel à cette technologie à
chaque fois qu’un cancer est suivi ? C’est dans
le climat de confiance d’une relation établie
dans la durée que les bonnes indications se
discutent avec les personnes soignées.
« Quelles que soient la précision et l’habileté
des chirurgiens, il est possible que quelques
paquets de cellules restent à proximité de la
zone enlevée. Lorsque le processus de
cicatrisation intervient, en mettant notamment
en œuvre la sécrétion de facteurs de
croissance, ces paquets de cellule restants ne
profitent -ils pas de cette situation ? »
> Pr Roland Bugat – Cette question est au
cœur de la réflexion menée sur les bonnes
indications thérapeutiques et la bonne
séquence de ces indications. Une chirurgie
carcinologiquement efficace et qui vise un
traitement curatif, ne laisse en toute hypothèse,
pas d’agrégat cellulaire dans le lit opératoire.
Parmi les spécialistes de la cancérologie et du
traitement du cancer, l’anatomopathologiste,
qui est celui qui – comme le Pr Delsol –
examine la pièce opératoire (partie enlevée lors
de l’opération) au microscope et est le juge
arbitre impitoyable. Opérer est une chose
essentielle, maîtriser une technique opératoire
et les suites qui en découlent en est une
deuxième. Le troisième élément, essentiel est
l’analyse au microscope de la pièce opératoire.
Lorsqu’une tumeur est à un stade locorégional
suffisamment important pour mettre en difficulté
la maîtrise technique des chirurgiens, des
actions thérapeutiques visant à réduire le
volume tumoral peuvent précéder l’acte
opératoire. Ces actions peuvent ralentir la
vitesse de prolifération anarchique des cellules
cancéreuses tout en facilitant la dissection « en
bloc » de la tumeur.
> Pr Georges Delsol – Cela se produit
malheureusement plus souvent que nous ne le
souhaiterions. Par exemple, la pièce opératoire
issue d’une opération du cancer du côlon est
adressée au laboratoire d’anatomopathologie
qui évalue l’extension de la tumeur. Il y a la
tumeur primitive, d’où peuvent s’échapper des
cellules malignes pour donner des métastases.
Toutefois, ces cellules tumorales sont tout
d’abord arrêtées par les ganglions
lymphatiques, dans lesquels elles prolifèrent.
Lors de l’examen de la pièce opératoire,
l’anatomopathologiste s’attache à retrouver ces
ganglions colonisés par les cellules tumorales.
Son compte rendu précise donc la présence ou
l’absence de ces métastases au sein des
ganglions qui ont été enlevés. Selon le nombre
de ganglions atteints, il y aura ou non une
chimiothérapie complémentaire.
« Les patients ayant subi une chirurgie suite à
un cancer du côlon se plaignent de
perturbations du fonctionnement intestinal :
comment peut-on aider le côlon à reprendre
ses fonctions naturelles ? »
> Pr Roland Bugat – L’indicateur de progrès
thérapeutique le plus significatif est « la survie
globale ». Il ne s’agit pas de la guérison, mais
de la durée de vie à partir du traitement, que le
patient ait été guéri ou qu’il soit toujours porteur
de la maladie. Au prorata de nos progrès
thérapeutiques et des gains comptabilisés en
termes de survie globale, la philosophie du Plan
Cancer est de ne pas se satisfaire de cette
quantité de vie supplémentaire. Nous devons
en effet nous préoccuper de la qualité de ce «
gain de vie » induit par les progrès
thérapeutiques. Cette question est très
importante et ne fait pas toujours suffisamment
écho dans les équipes soignantes. D’une
manière générale, les soignants tendent à
minimiser les effets secondaires induits par les
thérapeutiques.
Comment faire pour améliorer la qualité de vie
des patients ? La chirurgie pour un cancer du
côlon (en dehors des cas de polypose familiale)
Journées de la Fondation Recherche Médicale l Les cancers digestifs l www.frm.org
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ne doit pas dépasser l’hémicolectomie (ablation
de la moitié du côlon). Les conséquences
fonctionnelles et les difficultés mécaniques
induites par ce sacrifice anatomique sont
faibles. Les conséquences sont toutes autres
dans le cas du cancer du rectum. En effet, ses
fonctions physiologiques sont importantes : il
s’agit d’un réservoir dont la partie la plus distale
est contrôlée par un sphincter, qui permet d’être
« continent ». Plus une chirurgie conservatrice
du rectum se fait à proximité de ce sphincter,
plus les suites fonctionnelles peuvent être
importantes. Des recommandations hygiénodiététiques doivent être données de façon à
minimiser les conséquences liées à la réduction
de la capacité du réservoir. Des techniques de
rééducation de la fonction sphinctérienne
existent (électrostimulation, etc.). Les soignants
doivent impérativement être à l’écoute de
l’ensemble de ces manifestations
fonctionnelles, car la vraie définition de la
guérison est à ce prix. La guérison n’est pas
seulement un chiffre statistique, mais
également une qualité de vie, dont les patients
soignés sont les mieux placés pour témoigner.
« Après avoir subi des radiations, certaines de
mes fonctions ne fonctionnent plus : érection,
incontinence…. On m’a dit que certains
organes reprendraient leur fonction. »
> Pr Roland Bugat – Votre témoignage est
courageux. C’est une vision nouvelle de la
manière de poser le débat entre soignants et
soignés. Je suis très heureux, et mes collègues
le sont probablement aussi, de participer à ce
type d’échange grâce à l’initiative de la FRM.
Certains leaders d’opinion dans le milieu
médical considèrent encore que ces sujets sont
tabous. Le prix à payer de certains parcours
thérapeutiques induit des privations ou des
déficits fonctionnels. Mieux vaut en avoir parlé
avant l’intervention, que d’être conduit à en
faire le constat tardif. Ce que le Plan Cancer
appelle le « programme personnalisé de soins
» doit faire l’objet d’un échange, mais pas dans
une dimension contentieuse et assurantielle de
la relation soignant-soigné. Nous ne devons
pas forcément calquer nos comportements sur
ceux des Nord-Américains. Peu de gens
acceptent de monter dans un avion sans avoir
d’explications sur leur destination. La démarche
du projet thérapeutique en cancérologie est la
même : la feuille de route doit être partagée. En
ce qui concerne la reprise de fonction de vos
organes, ceci entre dans la relation personnelle
que vous avez avec vos soignants, aussi je
vous invite à en parler avec les médecins qui
vous suivent.
« Vous parlez de prévention et de traitement,
mais l’aspect psychologique est également
important. La prise en charge psychologique à
l’annonce d’un diagnostic se pratique de plus
en plus, et la qualité de la relation entre le
patient et le médecin est très importante. La
prise en compte de tous ces éléments ne peut
qu’améliorer les soins. »
> Pr Roland Bugat – Globalement, cette
demande est formulée par les patients, et a été
suffisamment forte pour faire partie du Plan
Cancer. Dans le cadre de ce Plan, le
recrutement d’onco-psychologues dans les
équipes soignantes est prévu. Cependant, un
onco-psychologue ne pourra pas venir en aide
à chaque patient, aussi faut -il réfléchir sur
l’utilisation des ressources dans le dispositif
collectif.
« Je suis en rémission d’u n cancer de l’intestin
et du foie. Un bon moral aide à mieux tolérer la
chirurgie et les traitements. »
> Pr Georges Delsol – En ce qui concerne la
relation entre le psychisme et le cancer, deux
études américaines ont montré que les femmes
ayant été traitées pour un cancer du sein et
persuadées qu’elles ont été guéries ont un bien
meilleur pronostic que les femmes qui ont des
difficultés à assumer le fait d’avoir eu un cancer
et qui « dépriment ». Le moral est donc très
important lorsque l’on a eu un cancer.
« Le malade garde un bon moral parce qu’il est
bien entouré. L’accompagnement
psychologique est important pour la famille,
pourtant il est rarement mis en œuvre. La
famille s’interroge beaucoup, et doit en même
temps laisser à la personne malade
suffisamment de recul pour aborder
l’éventualité de sa mort. »
> Pr Louis Buscail – La famille est là pour
entourer le patient. Outre l’annonce,
l’information et le suivi du patient, la famille doit
effectivement être informée et conseillée sur la
manière dont elle doit répondre aux questions
et aux problèmes des patients. Il n’est pas
toujours facile de décrypter comment certains
membres de la famille vont réagir. Un des rôles
du personnel soignant est d’identifier
rapidement quels membres de la famille vont
pouvoir assurer au mieux ce suivi.
« Le fait que les malades en sachent quasiment
autant que les soignants vous stimule-t-il ou au
Journées de la Fondation Recherche Médicale l Les cancers digestifs l www.frm.org
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contraire vous encombre-t-il ? Dans le premier
cas, cela vous aide-t-il à être optimiste pour
traiter les malades ? »
> Dr Rosine Guimbaud – Le fait que le niveau
de connaissances générales ait augmenté nous
aide et nous stimule. Il est vrai que
l’accessibilité aux informations est aisée : il
s’agit de bien en faire le tri. Les médecins ont
une formation critique qui leur permet de faire
ce tri, ce qui n’est pas toujours le cas des
malades.
« Je suis en traitement depuis un an contre un
cancer du côlon avec métastases hépatiques et
osseuses. Au-delà du personnel médical, qui
s’investit beaucoup dans les centres, le
personnel d’accueil et les brancardiers font un
travail remarquable. Toutefois, la recherche de
profit de certaines associations discrédite le
travail de la recherche médicale et provoque
une baisse des dons. »
« La curiethérapie est-elle utilisée pour le
traitement du cancer du côlon ou du rectum ? »
> Pr Roland Bugat – Le vrai sujet de votre
question est : quelle est la bonne indication
pour une curiethérapie ? La maîtrise technique
de cette thérapie, qui tire son nom de Pierre et
Marie Curie, ne pose pas de problème. En
quelques mots, l’idée a émergé d’une
application médicale de la qualité radioactive de
certaines substances (e.g. radium). Une aiguille
contenant des substances radioactives est
introduite dans une zone où se trouve une
tumeur. Elle délivre de la radioactivité, qui par
son effet biologique, détruit la tumeur. A la
différence de la radiothérapie externe (cobalt,
accélérateurs de particules), la source
radioactive, au lieu d’être scellée dans une
grosse machine, est introduite à l’intérieur d’une
partie anatomique, soit dans la tumeur ellemême, soit dans une région anatomique qui se
prête bien à une application de curiethérapie
(par exemple le vagin pour un cancer du col de
l’utérus).
Le problème concerne essentiellement les
indications. Pour qu’une curiethérapie soit
efficace, l’enveloppe qui circonscrit la zone où
la radioactivité est délivrée doit être supérieure
à la limite périphérique de la tumeur. Si cela
n’est pas le cas, on laisse une partie de la
tumeur en dehors de la zone irradiée. La
curiethérapie s’applique donc à des tumeurs
accessibles et de petite taille.
« La radiofréquence est de plus en plus
pratiquée : qu’en pensez -vous ? »
> Pr Louis Buscail – La radiofréquence est
essentiellement utilisée pour traiter les tumeurs
hépatiques. L’intérêt de ce traitement vient du
fait qu’on peut l’utiliser soit sans chirurgie soit
en parallèle à la chirurgie, ce qui permet un
repérage précis de la tumeur.
« Que pensez -vous de
l’électrochimiothérapie ? »
> Pr Louis Buscail – L’électrochimiothérapie
consiste à déstabiliser la cellule tumorale afin
de la rendre plus sensible à la chimiothérapie.
Ces traitements ont été réalisés chez le cheval
pour des lésions superficielles. Chez l’homme,
il faut pouvoir déterminer la sensibilité des
cellules tumorales à la chimiothérapie. Ce
traitement fait cependant partie des pistes
futures.
« Quels sont les nouveaux processus de
dépistage et de traitement du cancer du
pancréas ? »
> Pr Louis Buscail – Ce cancer est
fréquemment dévastateur car diagnostiqué à un
stade tardif et donc difficile à traiter. Le seul
traitement actuel est la chirurgie, qui n’est
malheureusement pas possible dans tous les
cas. Pour mettre en place un dépistage quel
qu’il soit, il faut identifier des facteurs de
risques, et avoir des examens simples
applicables à un dépistage de masse. Dans le
cas du cancer du pancréas, il n’y a ni facteurs
de risques, ni population à risque, ni moyens de
dépistage de masse (marqueurs accessibles
via prise de sang, etc.). L’imagerie permet
toutefois de diagnostiquer et de prendre en
charge les patients atteints d’un cancer du
pancréas de manière plus précoce. Il existe une
forme familiale du cancer du pancréas, dont le
gène n’est pas identifié. On propose aux
familles concernées d’être suivies par
imagerie : c’est le seul cas où l’on propose un
dépistage. Le seul moyen de dépister consiste
à essayer d’identifier le cancer à un stade
précoce.
« J’ai entendu parler d’un traitement par
injection de molécules, à l’essai, qui
empêcherait les cellules cancéreuses de
donner de mauvaises informations et donc de
proliférer. »
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> Pr Louis Buscail – Ceci doit rejoindre les
traitements dont j’ai parlé et qui portent sur des
cibles bien particulières des cellules
cancéreuses (facteurs de croissance ou
antigènes spécifiques de la cellule tumorale).
Ces traitements empêchent effectivement la
cellule tumorale de proliférer ou de migrer. Des
essais cliniques sont en cours en France.
> Pr Roland Bugat –Pour effleurer le débat des
essais thérapeutiques et de l’inventaire des
molécules en devenir (qui n’ont pas encore le
statut de médicament, parce que leurs effets
sont insuffisamment évalués), nous partageons
le souci d’une égalité d’accès à l’innovation. Du
point de vue de « l’usager » et du patient, la
question est de savoir si le dispositif actuel
donne accès, au moment où l’on en a besoin, à
ce type de nouveautés supposées porteuses
d’espoir. Il ne faut pas considérer comme une
injustice le fait qu’un nouveau traitement soit
utilisé outre-Atlantique mais pas en France.
L’accès de chacun aux développements les
plus actuels de la connaissance dans ses
applications thérapeutiques est une réalité. En
ce qui concerne l’utilisation de ces molécules et
la nécessité d’évaluer leur efficacité et leurs
effets secondaires, une loi nous impose
d’encadrer leur prescription par des études
dites contrôlées. C’est le domaine de la
recherche clinique.
Tous les médicaments en développement, les
anticorps monoclonaux dirigés contre,
l’epithelial growth factor (EGF), les anticorps ou
les petites molécules ayant pour cible le
mécanisme intime de la néoangiogénèse
(capacité des cellules tumorales à fabriquer de
nouveaux vaisseaux sanguins), qui seront de
pratique quotidienne dans quelques années – si
l’on a suffisamment d’argent pour les payer –,
sont accessibles en France. Nous avons bien
accès à l’innovation thérapeutique en France,
mais nous l’organisons peut-être de manière
plus performante.
.
Les Journées de la Fondation Recherche Médicale 2004 ont été organisées avec le précieux
soutien de l'AG2R, l'Assistance Publique-Hôpitaux de Paris, la Matmut, Femme Actuelle, France 5,
France Inter, Pleine Vie, Top Santé et La Vie.
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