« Voyage au cœur de la cellule avec les cancers digestifs » > SOMMAIRE Introduction p. 2 [Une étape décisive] Savoir qui est concerné pour mieux prévenir p. 4 [Où en est-on ?] Le traitement des tumeurs p. 4 [Le prochain palier] Des traitements ciblés p. 5 Témoignages p. 7 Les réponses à vos questions p. 8 Propos recueillis à l’occasion d’un débat grand public organisé par la Fondation Recherche Médicale dans le cadre des Journées de la Fondation Recherche Médicale, le mardi 14 septembre 2004, à l’ESC de Toulouse. Débat animé par Laurent Romejko, animateur de France 2 et parrainé par Thierry Lhermitte. Document disponible sur le site de la Fondation Recherche Médicale www.frm.org Publication : octobre 2004 Crédits photos : Fondation Recherche Médicale Avec la participation de : > Dr Rosine Guimbaud, Maître de conférences et praticien hospitalier au CHU de Toulouse et à l’Institut Claudius Regaud (Centre National de Lutte Contre le Cancer, CNLCC). > Pr Roland Bugat, Responsable du département médical de l’Institut Claudius Regaud (CNLCC), Directeur de l'UPRES EA 3035 « Pharmacologie clinique expérimentale des médicaments anticancéreux », membre de la mission interministérielle de lutte contre le cancer. > Pr Louis Buscail, Praticien hospitalier dans le service de gastro-entérologie et nutrition du CHU Rangueil-Larrey, responsable du groupe de recherche « altérations moléculaires et thérapie génique du cancer pancréatique et du carcinome hépato-cellulaire » au sein de l'unité U 531. > Pr Georges Delsol, Directeur de l'U 563 Inserm, centre de physiopathologie Toulouse Purpan (CPTP), département d’oncogenèse et signalisation dans les cellules hématopoïétiques, responsable du Cancéropole SudOuest, membre du Conseil Scientifique de la Fondation Recherche Médicale. Journées de la Fondation Recherche Médicale l Les cancers digestifs l www.frm.org 1 Introduction > Pierre Joly, Président de la Fondation Recherche Médicale. Quelle est l’origine de la Fondation Recherche Médicale ? En 1947, les 132 grands « patrons » de la recherche biomédicale française avaient adressé à l’Etat une pétition lui demandant un minimum de moyens afin de reprendre les recherches biomédicales interrompues par la guerre. Après 10 ans, la création de l’Inserm a été la réponse de l’Etat. Treize des 132 « patrons », certainement les plus actifs, dont le jeune Pr Bernard, ont estimé que cela s’avérait insuffisant et ont créé la Fondation Recherche Médicale : une fondation privée permettant à l’argent des particuliers d’irriguer la recherche publique. Les résultats ont été exceptionnels. La Fondation est la seule à être compétente dans tous les domaines de la médecine. Elle subventionne les recherches portant non seulement sur les maladies les plus médiatisées, mais également les autres maladies, qui sont responsables de 70 % des décès. > François Chollet, Adjoint au maire de Toulouse Tous les milieux sont attentifs à l’action de la Fondation Recherche Médicale, qu’il s’agisse du public ou des professionnels. Quel directeur de laboratoire n’a pas été, un jour, en contact avec la Fondation et n’a pas bénéficié de son engagement permanent au service de la recherche ? La ville de Toulouse remercie la Fondation Recherche Médicale et est extrêmement sensible à cette initiative pour la diffusion du savoir : il est important de faire partager les découvertes des chercheurs, en particulier dans le domaine du cancer. Ce thème est majeur pour le Grand Toulouse, dans la mesure où Philippe Douste-Blazy promeut la reconversion du site de l’Anglade, blessé par l’explosion de septembre 2001, autour d’un grand pôle de recherche, de développement et de soin axé sur le cancer. > Pr Georges Delsol, Directeur de l'unité Inserm U.563, centre de physiopathologie Toulouse Purpan (CPTP), département d’oncogenèse et signalisation dans les cellules hématopoïétiques, responsable du Cancéropole Sud-Ouest, membre du Conseil Scientifique de la Fondation Recherche Médicale. La Fondation Recherche Médicale soutient, en France, un chercheur sur deux pour des recherches touchant tous les domaines de la pathologie : maladies cardio-vasculaires, infectieuses, neurologiques, et toutes les recherches sur le cancer. Chaque année, 16 millions d’euros aident des chercheurs à travailler sur leurs projets de recherche ou à se rendre dans des laboratoires étrangers. Parmi ces domaines de recherche, le cancer occupe une place privilégiée puisque 25 % des aides financent des programmes de recherche sur le cancer. Le Conseil scientifique de la Fondation Recherche Médicale est constitué de vingt six membres aux compétences très diverses. Ils sont élus et non pas nommés comme dans le cas des associations caritatives. Ils n’ont, par ailleurs, pas le droit de déposer de demande, ce qui diminue le risque d’auto-distribution. La Fondation Recherche Médicale soutient des projets très divers, allant de la recherche fondamentale à la recherche clinique et à l’innovation thérapeutique. Il est essentiel de soutenir la recherche fondamentale, et je citerai l’exemple des anticorps monoclonaux. En 1975, deux chercheurs britanniques Kohler et Milstein ont essayé de faire fusionner deux cellules dans un tube à essai afin de leur faire sécréter un type donné d’anticorps. A cette époque, tout le monde s’est demandé à quoi la fusion de deux cellules pouvait bien servir. Les anticorps monoclonaux ainsi produits ont été utiles dans le diagnostic et le traitement des cancers : grâce à cette recherche fondamentale, dont le résultat était imprévisible, nous avons aujourd’hui obtenu des médicaments. L’utilisation de certains de ces anticorps est aujourd’hui en évaluation dans le traitement du cancer du côlon. Journées de la Fondation Recherche Médicale l Les cancers digestifs l www.frm.org 2 > Pr Jacques Bazex, Représentant du Comité régional de la Fondation Recherche Médicale Inexistant pendant quelques années, le Comité régional Midi-Pyrénées vient d’être recréé et revitalisé avec l’aide de la ville de Toulouse, de la Communauté municipale de Santé, des présidents d’université, des doyens des facultés et de la structure hospitalière. Le Comité, restreint – car encore récent –, est composé de du Pr Louis Douste-Blazy, qui nous a assurés de son aide dans la constitution de notre projet et de ses premiers pas, de Monsieur Sutra, ingénieur agronome, de Monsieur Buscail et d’une secrétaire qui consacre son peu de temps disponible à nous aider. Ce Comité naissant et plein d’énergie attend beauc oup d’aide de la part du public, et également des nombreuses entreprises de la région Midi-Pyrénées : certaines ont déjà fait savoir qu’elles lui apporteraient leur soutien. Le Comité a plusieurs ambitions : une transparence absolue sur la destination des dons et l’accès des grands laboratoires aux citoyens et aux donateurs, afin qu’ils comprennent en quoi consiste la recherche. L’association de la recherche privée et de la recherche publique est indispensable. La recherche privée peut, par sa souplesse et sa disponibilité, être d’un grand soutien à la recherche publique. Cette dynamisation permettra de rendre les laboratoires plus performants, ce qui contribue à la richesse d’une région. La Mairie de Toulouse, la Communauté Municipale de Santé et les Universités qui nous soutiennent vont tout à fait dans ce sens. Monsieur le Président de l’Université a invité à ce débat deux médecins ukrainiens en visite à Toulouse pour quelques jours. Journées de la Fondation Recherche Médicale l Les cancers digestifs l www.frm.org 3 [Une étape décisive] Savoir qui est concerné pour mieux prévenir > Dr Rosine Guimbaud, Maître de conférences et praticien hospitalier au CHU de Toulouse et à l’Institut Claudius Regaud (Centre national de lutte contre le cancer, CNLCC). Les causes et la prévention des cancers digestifs Les cancers digestifs sont très fréquents et posent un véritable problème de santé publique. Le cancer du côlon, par exemple, qui représente plus de la moitié des cancers digestifs, touche une personne sur trente en France. Chaque année, un cancer du côlon est diagnostiqué chez 36 000 personnes, et 150 000 à 200 000 personnes en France ont été ou sont traitées. Ce taux montre bien que nous sommes a priori tous concernés par ce problème, même si nous ne le sommes pas au même niveau. Tout d’abord, nous naissons avec un potentiel génétique différent les uns des autres. En ce qui concerne le cancer du côlon par exemple, on distingue trois groupes à risques dans la population : le groupe concerné par le risque de base ; un groupe intermédiaire de personnes qui, en raison de leurs antécédents familiaux ou personnels, ont un risque plus élevé que le risque de base ; et les personnes présentant un risque génétique très fort. Dès la naissance, nous appartenons donc à des groupes à risques différents. Au cours de la vie, des phénomènes acquis tels que l’alimentation, la consommation de tabac, l’exposition à des rayonnements pourront augmenter le risque de développer telle ou telle pathologie. A l’heure actuelle, on ne peut pas intervenir directement sur son statut génétique, mais on peut par contre le faire sur des facteurs environnementaux. Y a-t-il une hérédité dans les cancers digestifs ? Cette hérédité existe mais ne fait pas tout. Elle a été démontrée notamment dans le cancer du côlon. Cette hérédité n’est pas obligatoire, mais certaines personnes sont génétiquement prédisposées à développer des cancers du côlon. Cependant, la majorité des cancers du côlon est développée par des personnes qui ne sont précisément pas génétiquement prédisposées. Face à une personne ayant développé une maladie du type tumeur du côlon, le rôle du médecin est de déterminer si cette personne présente un risque particulier qui justifierait une prise en charge spécifique. Si cette personne doit être placée dans la catégorie des « personnes à hauts risques », ceci peut avoir des retentissements en termes de suivi et de prise en charge de sa famille. Si cette personne a développé un cancer du côlon dans le cadre du risque de base de la population générale, la prise en charge sera « classique » et ne justifiera pas un dépistage ou un retentissement spécifique sur sa famille. Lorsque la personne indique que des membres de sa famille ont souffert de la même maladie, il est souvent évident qu’elle développe une maladie en raison d’un risque génétique et le diagnostic de prédisposition génétique est facilement réalisable. Si le risque génétique est moins évident, les médecins disposent de certains indices qui permettent de penser qu’un terrain génétique a peut-être provoqué cette maladie. L’un des premiers indices est l’âge du malade. L’âge moyen des personnes qui développent un cancer du côlon est en effet de 70 ans : plus le cas survient jeune, plus la question d’un terrain génétique sousjacent doit se poser. [Où en est -on ?] Le traitement des tumeurs > Pr Roland Bugat, Responsable du département médical de l’Institut Claudius Regaud (CNLCC), Directeur de l'UPRES EA 3035 « Pharmacologie clinique expérimentale des médicaments anticancéreux », membre de la mission interministérielle de lutte contre le cancer. Ces pratiques évoluent quotidiennement, en raison de leur environnement technique et de la maîtrise des effets secondaires qu’elles sont supposées engendrer et qui contribuent à donner une mauvaise réputation aux maladies cancéreuses. Historiquement, le premier traitement des cancers digestifs a été la chirurgie, qui reste encore aujourd’hui la pierre angulaire du contrôle absolu des cancers Journées de la Fondation Recherche Médicale l Les cancers digestifs l www.frm.org 4 digestifs. La radiothérapie est également très évolutive : on sait traiter de manière de plus en plus ciblée des parties anatomiques très bien définies grâce aux progrès réalisés dans les domaines de l’informatique et de l’imagerie. Cependant, les développements les plus actuels du traitement concernent les molécules et les médicaments de la chimiothérapie. Les progrès touchent non seulement les évolutions technologiques, mais également la manière dont la médecine s’organise pour mieux les utiliser au service des patients. Lorsque l’on parle de « recette thérapeutique », associant chirurgie, radiothérapie ou chimiothérapie, on fait souvent l’économie de définir de manière équitable avec le patient l’objectif thérapeutique visé. L’une des bonnes utilisations du traitement des cancers se réfère à cette volonté actuelle de nous organiser de manière pluridisciplinaire, afin d’affiner les indications thérapeutiques et d’utiliser de manière optimale les ressources dont nous disposons. Les évolutions des techniques de chirurgie On relève d’importants progrès techniques en matière de chirurgie : les traitements chirurgicaux des cancers et notamment des tumeurs digestives sont moins agressifs qu’auparavant. On pratique également davantage de chirurgie conservatrice d’organe ou de fonction. Ceci est particulièrement vrai pour les cancers du rectum par exemple, qui jusqu’au siècle dernier était la plupart du temps enlevé, avec toutes les contraintes que la poche pouvait avoir sur la vie des patients. Actuellement, les ablations du rectum qui s’avèrent indispensables représentent moins de 10 % de la chirurgie réalisée au niveau du rectum. Cette chirurgie conservatrice s’applique également pour les cancers de l’œsophage : l’œsophage est reconstruit à partir d’une portion "tubulisée" de l’estomac. Les grands progrès réalisés dans la maîtrise des techniques chirurgicales garantissent à la fois un meilleur pronostic du cancer, et une meilleure qualité de vie. Les techniques de radiothérapie L’appareil digestif est composé d’un tube et de deux glandes (foie et pancréas). Ce sont les cancers des deux extrémités du tube qui sont candidats à des techniques d’irradiation (cancers de l’œsophage, du rectum et de l’anus). Les évolutions des techniques de chimiothérapie La chimiothérapie (la médecine médicamenteuse) a très mauvaise réputation car son efficacité est au prix d’effets secondaires indésirables. Les médicaments cytotoxiques tuent en effet aveuglement toutes les cellules qui se divisent, c’est-à-dire qui travaillent pour assurer leur descendance. Or les cellules normales, aussi bien que les cellules cancéreuses « anarchiques », possèdent cette capacité de se diviser. Aussi, les effets secondaires des chimiothérapies conventionnelles sont liés au préjudice subis par les tissus qui ont une activité cellulaire importante : moelle des os (diminution des taux de globules), cellules de l’intestin grêle (troubles digestifs importants). Les thérapeutiques dites ciblées, n’entraînent pas ces effets secondaires. [Le palier suivant] Des traitements ciblés > Pr Louis Buscail, Praticien hospitalier dans le service de gastroentérologie et nutrition du CHU RangueilLarrey, responsable du groupe de recherche « altérations moléculaires et thérapie génique du cancer pancréatique et du carcinome hépato-cellulaire » au sein de l'unité U 531. Le processus de cancérisation de la cellule La cellule normale interagit avec les autres cellules, vieillit puis au bout d’un certain temps meurt et est remplacée par une autre cellule. Si l’horloge interne de la cellule est déficiente, des mécanismes de réparation interviennent. Au contraire, la cellule cancéreuse est « insurrectionnelle » : des perturbations multiples l’incitent à se diviser de manière totalement anarchique, et elle se dote de récepteurs (molécules situées à la surface de la cellule) notamment sensibles aux facteurs de croissance. Ceci lui permet de proliférer et d’échapper à la régulation cellulaire. Tous ces récepteurs constituent des cibles, et la cellule se débarrasse de tout ce qui peut la gêner en tendant vers une relative autonomie. Cette Journées de la Fondation Recherche Médicale l Les cancers digestifs l www.frm.org 5 autonomie n’est pas totale car la cellule cancéreuse a besoin de se nourrir. Aussi, développe-t-elle ses propres vaisseaux, afin de se nourrir et de progresser ailleurs dans l’organisme. L’insurrection échappe à la « police », en attaquant certains systèmes de défense : les anticorps ne peuvent plus détruire ces cellules tumorales. Pistes de développement de thérapies ciblées Tout ceci constitue des terrains d’étude pour les thérapies ciblées, qui visent précisément les cellules tumorales, au contraire de la chimiothérapie. On peut par exemple cibler les facteurs de croissance : des anticorps monoclonaux peuvent bloquer les récepteurs des facteurs de croissance à la surface des cellules, et de ce fait mettre en suspend la prolifération des cellules. D’autres anticorps monoclonaux peuvent bloquer les facteurs de croissance situés sur les vaisseaux sanguins, réduisant ainsi l’irrigation sanguine de la tumeur et donc sa croissance. Enfin, il est également possible de détruire directement la cellule tumorale avec des anticorps ou d’autres protéines, selon des principes de chimiothérapie ciblée. Les anticorps ou les protéines peuvent également porter des radio- isotopes, ayant ainsi un effet de radiothérapie au niveau local. Une fois qu’ils sont fixés sur une zone spécifique de la tumeur, ils libèrent leur produit radioactif et tuent la cellule tumorale. On parle également de thérapie génique dans le traitement des tumeurs, mais cette approche est encore du domaine de la recherche. Le principe est d’agir directement au niveau du noyau de la cellule tumorale, en utilisant l’ADN (à l’origine de la production des protéines) comme un médicament et en l’intégrant dans ces cellules tumorales ; ceci permettrait de tuer la cellule ou de la sensibiliser à la chimiothérapie. La chimiothérapie reste donc importante, et les évolutions futures portent sur les traitements qui l’accompagnent afin d’améliorer sa tolérance et surtout d’obtenir un effet additif et ciblé. Les essais en cours portent sur des thérapeutiques ciblées sur les gènes tumoraux ou les récepteurs aux facteurs de croissance. Laurent Romejko – La Fondation Recherche Médicale a-t-elle contribué à l’avancée de vos travaux à un moment ou à un autre de votre carrière ? Désolé, mais cette réponse est celle de Louis Buscail Pr Louis Buscail – A titre personnel, j’ai effectivement bénéficié du soutien de la Fondation Recherche Médicale. Des chercheurs de mon équipe bénéficient régulièrement du soutien financier de la Fondation pour réaliser leurs travaux de thèse. Journées de la Fondation Recherche Médicale l Les cancers digestifs l www.frm.org 6 Témoignages > Madame Emerit – « On m’a diagnostiqué un cancer du côlon à l’âge de 37 ans. Le fait, qu’en plus de mon jeune âge, mon grand-père soit décédé à 32 ans a permis d’identifier un terrain génétique familial. Après le traitement de chimiothérapie que j’ai suivi, l’objectif a été de prévenir toutes les personnes de ma famille sujettes au développement de ce cancer. Actuellement, mon frère et mon père passent des tests afin de savoir s’ils ont aussi un risque majeur de développer ce type de cancer. Un test ADN est réalisé sur un prélèvement sanguin, indolore et rapide, qui donne un résultat positif ou négatif. > Laurent Romejko – Faut-il réorienter l’hygiène de vie, revoir ses habitudes alimentaires ? > Dr Rosine Guimbaud – Ceci est valable pour tous les cancers, dont le cancer du côlon. Dans le cas particulier de Madame Emerit, l’impact génétique est tellement fort qu’il prédomine par rapport à tous les conseils que l’on peut donner, et justifie en lui-même une surveillance spécifique. Le cas d’un terrain génétique à haut risque ne concerne que 5 %, au maximum, des personnes qui développent des cancers du côlon. Journées de la Fondation Recherche Médicale l Les cancers digestifs l www.frm.org 7 Les réponses à vos questions « L’alimentation est-elle impliquée dans la survenue des cancers digestifs ? Peut-elle servir à les prévenir ? » > Dr Rosine Guimbaud – Bien entendu. Les deux fléaux les plus importants, responsables de la moitié des cancers en France, sont l’alcool et le tabac, même s’il ne s’agit pas à proprement parler d’alimentation. Cet impact direct vaut également pour les cancers digestifs : par exemple, le cancer de l’œsophage est directement provoqué par le mélange de consommation d’alcool et de tabac. Il n’y a pas de recette miracle, mais des règles d’alimentation claires existent, même si elles ne sont pas très précises : manger quotidiennement cinq portions de fruits et/ou de légumes (une pomme représentant une portion); limiter l’apport de graisses saturées ; limiter l’excès pondéral ; éviter la sédentarité et avoir une activité physique. Ces règles d’hygiène valent aussi bien dans la prévention du cancer du côlon que dans les problèmes cardiovasculaires, et sont bonnes pour la ligne et le moral. Les recommandations ne sont cependant pas plus nombreuses. « Les stress est-il un facteur favorisant ? Certains articles indiquent que les édulcorants de synthèse ont un effet cancérigène : est-ce vrai ? » > Dr Rosine Guimbaud – La question du stress est souvent posée, mais nous n’avons malheureusement pas d’éléments de réponse. Il n’a pas été démontré que le stress était directement impliqué dans le déclenchement des cancers. Toutefois, le fait de ne pas avoir pu le démontrer ne signifie pas que cela est faux. On connaît de nombreux exemples de personnes qui ont développé un cancer après avoir subi un stress, et d’autres exemples de personnes stressées qui au contraire n’ont jamais développé de cancer. En ce qui concerne les édulcorants de synthèse, je n’ai pas de réponse particulière. Tout a été dit sur divers composés alimentaires : lorsque l’on décompose l’alimentation, on trouve des éléments très bénéfiques ou péjoratifs, et là encore les preuves ne sont pas suffisantes pour affirmer les effets délétères ou bénéfiques de ces composés. « Dans le doute concernant les édulcorants de synthèse, faut-il s’abstenir de les consommer ? » > Dr Rosine Guimbaud – Le principe de précaution nous amènerait à éliminer un grand nombre de composés alimentaires. A mon sens, il n’y a pas suffisamment d’arguments envers un effet délétère pour exclure les édulcorants de synthèse. Je pense que l’on peut s’en passer dans la vie quotidienne, mais il s’agit d’un autre débat. « Même si l’association tabac / alcool intervient, y a-t-il un terrain génétique dans le cancer de l’œsophage ? Mon père et mon frère sont décédés de cette maladie, j’ai moi-même eu un cancer de l’œsophage, et ma fille de 32 ans a souffert d’un polype oesophagien. » > Dr Rosine Guimbaud – Vous reflétez l’exception : 90 % des cas de cancer de l’œsophage peuvent s’expliquer par une association d’alcool et de tabac. Dans 10 % des cas, on ne trouve aucune intoxication de ce type. On ne sait pas actuellement quels sont les facteurs de risque dans ces cas précis. Ces facteurs pourraient être d’origine virale, ou bien génétique : ils n’ont pas été identifiés. « Quels sont les signes avant-coureurs du cancer du côlon ? » > Dr Rosine Guimbaud – Il s’agit de diagnostic précoce. De nombreux cancers du côlon sont diagnostiqués alors qu’il n’y a eu aucun signe particulier. Toutefois, certains signes doivent obligatoirement déclencher la recherche d’une pathologie du côlon, comme l’émission de sang dans les selles, qu’il ne faut jamais rattacher à la présence d’hémorroïdes. Un premier bilan est nécessaire afin de savoir si ce sang ne provient pas d’une lésion, d’une tumeur bénigne ou maligne. Les autres signes sont la survenue de troubles du transit chez quelqu’un qui avait un transit régulier et qui souffre de constipation, de diarrhées, ou d’une alternance des deux. Des douleurs abdominales tenaces nécessitent à partir d’un certain âge de faire un bilan à la recherche d’une tumeur dans le côlon. Enfin, des signes plus généraux : douleurs, amaigrissement fatigue, peuvent révéler une maladie qui a déjà donné des Journées de la Fondation Recherche Médicale l Les cancers digestifs l www.frm.org 8 métastases (e.g. dans le foie). L’équivalent biologique du saignement dans les selles est la survenue d’une anémie, qui doit toujours faire rechercher la présence d’une tumeur digestive, notamment du côlon. « Pour quelles raisons les cellules cancéreuses sont-elles aussi fortes : elles se créent des réseaux, elles prolifèrent… ? » > Pr Louis Buscail – Elles sont si solides et prolifèrent si bien parce qu’elles se sont débarrassées de tout ce qui les contraignait, et se sont dotées d’une formidable machinerie de survie. Il existe un déterminisme, génétique ou non, qui fait qu’à un moment donné, des cellules échapperont à la surveillance immunologique ou bénéficieront de l’action d’agents externes ou de carcinogènes. L’horloge cellulaire s’enrayera donc en raison de l’apparition ou de la disparition de certains gènes. Dans la plupart des cas, l’organisme élimine ces cellules cancéreuses. Parfois cependant, l’arrivée d’un facteur carcinogène va les renforcer et leur permettre de se reproduire. Quel est le mécanisme initial ? Voici quelques années, une équipe américaine a mené des études intéressantes sur la reconstruction du chemin du cancer. Ils ont introduit dans une cellule humaine normale des gènes qui sont bien exprimés, ou au contraire qui disparaissent au cours du cancer. Lorsqu’ils ont introduit ces gènes simultanément, rien ne s’est passé. Ils les ont ensuite introduits selon des séquences temporelles bien particulières, et ont identifié douze séquences qui transformaient la cellule normale en cellule cancéreuse. A l’échelle de l’organisme, ces séquences prennent plusieurs mois ou plusieurs années. > Pr Georges Delsol – Une cellule cancéreuse est une cellule normale qui a essayé de s’adapter à un nouvel environnement riche en carcinogènes, tout comme en cas d’infections les bactéries résistantes sont celles qui réussissent à s’adapter à tous les antibiotiques. L’adaptation est une très grande propriété du vivant. « Pour quelles raisons la médecine du travail ou la médecine générale ne dépiste-t-elle pas plus tôt ces cancers ? J’avais subi deux tests Hémoccult® en 2003 (dont le deuxième en septembre 2003) qui n’avaient rien donné, et on m’a détecté en décembre 2003 un polype à opérer. » > Dr Rosine Guimbaud – Nous ne sommes plus dans le cadre de la prévention, qui consiste à éviter que la maladie ne se développe, mais dans celui du dépistage, qui consiste à diagnostiquer des maladies avant l’apparition de signes. Cette question est très importante et se trouve sous les feux de l’actualité. Le cancer du côlon est une maladie fréquente, potentiellement grave, mais curable dès lors que le diagnostic est établi. Cette maladie justifierait effectivement d’un dépistage de masse systématique, qui s’adresse à l’ensemble de la population ne présentant pas forcément de symptômes, comme ceci est fait pour le cancer du sein ou du col utérin chez la femme. Le Pr Bugat pourra peut-être en dire un mot dans le cadre du Plan Cancer, dont un des objectifs est de développer le dépistage et la prévention. Plusieurs départements français ont instauré un dépistage systématique de la population générale s’adressant à tous les sujets âgés de 50 à 75 ans. Quel est le test utilisé ? On ne peut pas réaliser de coloscopies sur toute la population, aussi est-il nécessaire de trouver des examens plus simples et fiables : l’Hémoccult® en est un. Un Hémoccult® négatif n’est pas une fin en soi, aussi est-il recommandé d’en réaliser un tous les deux ans. Ceci n’est intéressant que lorsque l’on est dans le cadre d’un dépistage de masse organisé. « Il semble que les affections du rectum soient bien distinguées de celles du côlon. Existe-t-il un dépistage du cancer du rectum distinct de celui du côlon ? Mon père étant décédé d’un cancer du rectum, je m’interroge sur un éventuel dépistage dans mon cas. » > Pr Roland Bugat – Il y a trois éléments de réponse. Le premier est que la distinction côlon/rectum existe, mais qu’il s’agit de la même maladie lors de l’examen au microscope : les tumeurs du côlon et celles du rectum ne se différencient pas au microscope. Toutefois, en ce qui concerne le dépistage, il est plus facile d’explorer l’ampoule rectale, plus proche de l’anus, que d’explorer le côlon. Le troisième élément de réponse repose sur le fait que l’histoire naturelle du cancer du côlon n’est pas superposable à celle du cancer du rectum. Tous les cancers évoluent de manière centrifuge, d’un épicentre vers une périphérie. Le deuxième stade d’extension correspond aux barrières ganglionnaires autour de la tumeur. Le troisième stade de l’extension centrifuge est le passage de cellules anormales par voie sanguine, les métastases, qui vont coloniser les Journées de la Fondation Recherche Médicale l Les cancers digestifs l www.frm.org 9 organes à distance. La mauvaise réputation des cancers vient du non-contrôle thérapeutique de la maladie métastatique dès lors qu’elle est déclarée. Le rectum et le côlon donnent des métastases dans le foie, mais le rectum, à la différence du côlon, peut produire plus fréquemment des récidives locorégionales. C’est la raison pour laquelle on utilise fréquemment la radiothérapie dans le traitement des cancers du rectum. > Dr Rosine Guimbaud – Il faut assimiler le cancer du rectum et celui du côlon en termes de facteurs de risque et de recommandation de dépistage. Toute personne dont un parent au premier degré a développé un de ces deux cancers est estimée présenter un risque plus élevé que la population générale. Elle doit être surveillée à partir de 50 ans via un dépistage reposant sur des examens endoscopiques (coloscopies). Toutefois, le fait que le parent ait développé un cancer dans le côlon droit ou le rectum ne signifie pas que la personne risque davantage un cancer dans le côlon droit ou le rectum. « L’aspirine à petite dose est-elle véritablement une chimio-prévention ? Dans le doute, peut-on prendre de l’aspirine ? » > Dr Rosine Guimbaud – Cette voie est porteuse de nombreux espoirs, mais nous n’avons encore aucune démonstration absolue de l’efficacité de l’aspirine dans la prévention du cancer du côlon. De nombreux arguments favorables ont été obtenus sur l’animal, dans des études pré-cliniques et des études cliniques. Des études sont en cours actuellement et produiront des résultats dans les années à venir. Aujourd’hui, on ne peut pas recommander la prise systématique d’aspirine pour prévenir le risque de cancer du côlon. L’aspirine n’est pas non plus exempte de toute complication et nécessite un suivi médical. Elle peut, même à petite dose, générer des saignements. Il faut avoir des conduites basées sur des preuves avant de donner des recommandations. « Une rectocolite chronique peut -elle dégénérer en cancer du côlon ? » > Dr Rosine Guimbaud – Oui. Cela fait partie des facteurs de risques. Parmi les trois groupes à risques concernés par le cancer du côlon, le groupe intermédiaire (situé entre le groupe sujet au risque de base et le groupe génétiquement très marqué) concerne notamment des personnes ayant des rectocolites hémorragiques. Les rectocolites hémorragiques font le lit des cancers lorsqu’elles touchent l’ensemble du côlon et qu’elles existent depuis plus de 20 ans. Toute rectocolite hémorragique évoluant vers une pancolite (atteinte complète du côlon évoluant depuis plus de 20 ans) doit être attentivement surveillée par des coloscopies régulières. « Le fait d’avoir eu un cancer de l’estomac ou un polype à l’œsophage augmente-t-il le risque de développer un cancer du côlon ? » > Dr Rosine Guimbaud – Des liens existent mais ils sont liés aux facteurs de risques environnementaux. Par exemple, si l’on a développé une tumeur de l’œsophage par une surconsommation de tabac et d’alcool, on a effectivement plus de risque de développer un autre cancer. Mais en dehors de l’exposition à ces facteurs de risque, il n’y a pas d’association entre les différents cancers digestifs : le fait d’avoir eu un cancer de l’œsophage ou de l’estomac n’augmente pas la probabilité d’avoir un cancer du côlon, et réciproquement. Un point particulier concerne les groupes génétiquement à risque. Ils ont un risque élevé de développer une tumeur du côlon, mais également un risque plus élevé que la moyenne de développer des tumeurs du corps de l’utérus pour les femmes. Cela nécessite une surveillance particulière. En dehors de ce cas particulier, la découverte d’une tumeur digestive n’implique pas la recherche d’une autre tumeur extra-digestive. « La prise de médicaments à long terme qui aggravent les problèmes de transit est-elle corrélée à l’apparition de cancer du côlon ? » > Dr Rosine Guimbaud – Il n’y a aucune corrélation entre les troubles du transit (e.g. constipation chronique) et le risque de cancer du côlon, que ces troubles digestifs résultent d’une propension naturelle ou d’une prise médicamenteuse du type antidépresseur. « Une œsophagite chronique due à un reflux gastro-œsophagien (RGO) a-t-elle des risques de cancérisation, et si oui une protection par des anti-sécrétoires peut -elle suffire à le prévenir ? » > Dr Rosine Guimbaud – Une œsophagite chronique a des risques de cancérisation, mais sous différentes conditions toutefois. Si un Journées de la Fondation Recherche Médicale l Les cancers digestifs l www.frm.org 10 reflux entraîne une œsophagite chronique qui est suffisamment forte pour provoquer des ulcérations et d’importants remaniements d’inflammation, de cicatrisation, si ceci n’est pas contrôlé par le traitement médical, et s’il y a un phénomène de cicatrisation entraînant une colonisation de l’œsophage par de la muqueuse qui remonte de l’estomac, on se trouve devant un endobrachyoesophage. Un endobrachyoesophage étendu peut éventuellement dégénérer en cancer de l’œsophage (adénocarcinome de l’œsophage). > Pr Louis Buscail – Les médicaments dont on dispose et qui inhibent la sécrétion œsophagienne sont efficaces pour stopper cette sécrétion acide et guérir l’œsophagite. Le traitement de cette œsophagite est donc efficace et met à l’abri de complications ultérieures. Les médicaments ne font cependant pas régresser l’endobrachyoesophage (colonisation de la muqueuse gastrique au niveau de l’œsophage qui peut se produire car le reflux est ancien et qu’une partie de la muqueuse est remontée progressivement dans l’œsophage) mais peuvent en limiter l’extension, tout en nécessitant une surveillance. Si le reflux gastroœsophagien ne peut pas être traité par des médicaments, on peut avoir recours à la chirurgie. « Les nouvelles méthodes d’investigation via l’imagerie 3D permettent-elles d’éviter les coloscopies classiques ? » > Pr Louis Buscail – La coloscopie virtuelle est réalisée au moyen d’une imagerie scanner permettant de visualiser la lumière du côlon en réalisant des coupes scannographiques reconstruites en trois dimensions. Cet examen se fait sans anesthésie mais nécessite une préparation quasiment identique à celle de la coloscopie. Cette technique est encore en évaluation : même si l’examen donne une bonne résolution, certains polypes ne sont pas détectés ou sont confondus avec la présence de selles si la préparation n’est pas optimale. Par ailleurs, si des lésions sont détectées ou si le médecin a un doute, il faut, au final, réaliser une coloscopie. Cette technique, séduisante car moins invasive, s’est développée aux USA où la population se rend dans les centres de santé pour réaliser un « check-up ». En France, la politique est différente et il faut attendre l’évaluation de cette technique pour la généraliser et l’appliquer à un éventuel dépistage. « J’ai eu un polype cancéreux qui a été opéré, et deux contrôles par coloscopie ont été effectués 6 mois et un an après. La prochaine est prévue trois ans après l’opération. Y a-t-il des risques d’apparition de nouveaux polypes ? » > Dr Rosine Guimbaud – Toute personne ayant eu un polype risque potentiellement d’en développer un nouveau. Aussi, toute personne traitée par voie naturelle (endoscopie) ou par chirurgie doit être surveillée par des coloscopies. Le rythme des coloscopies met à l’abri d’un diagnostic trop tardif : la vitesse d’évolution et de formation d’un polype est connue. A partir du moment où on peut le voir, il lui faut environ 8 à 10 ans pour qu’il devienne une grosse tumeur. Un rythme de contrôle à trois ou à cinq ans permettra de diagnostiquer l’éventuelle apparition d’un nouveau polype, mais à un stade suffisamment précoce pour qu’il puisse être enlevé par voie endoscopique. « Quelle est la fréquence des coloscopies dans un but de prévention ? » > Dr Rosine Guimbaud – Les recommandations actuelles sont les suivantes. Si l’on a des symptômes, il faut pratiquer une coloscopie. Si l’on est dans le cadre d’un dépistage, tout dépend à quel groupe de risque l’on appartient. S’il s’agit d’un groupe à risque génétique fort, la première coloscopie intervient entre 20 et 25 ans, et les suivantes ont lieu tous les deux ans. S’il s’agit d’un groupe à risque intermédiaire, lorsqu’un parent (père, mère, frère, sœur ou enfant) de la personne a eu un cancer du côlon ou que la personne a eu un important polype, il faut commencer à faire une coloscopie de dépistage dès 50 ans et la répéter tous les 5 ans. Si le parent a développé un cancer à un âge plus jeune que celui de 50 ans, la première coloscopie a lieu 5 ans avant l’âge de survenue chez ce parent. En ce qui concerne les personnes à risque de base, il n’y a pas de recommandation de dépistage par coloscopie. Actuellement, on met en place des dépistages de masse à partir de 50 ans sur la détection de sang dans les selles par le test Hémoccult®. Les objectifs d’un dépistage de masse ne sont pas les mêmes que ceux d’un dépistage individuel. « Après une chirurgie et une chimiothérapie, comment peut-on surveiller efficacement un cancer du côlon ? » Journées de la Fondation Recherche Médicale l Les cancers digestifs l www.frm.org 11 > Pr Roland Bugat – Les experts se réunissent régulièrement pour établir des conférences de consensus, afin de faire le point sur l’état de la connaissance médicale et de pouvoir apporter à la population les meilleures données du moment. Un site Internet (www.anaes.fr, rubrique « Publications ») donne par exemple accès à une conférence de consensus dédiée à ce sujet : comment suivre un cancer du côlon de manière optimale du point de vue des intérêts de la personne soignée ? Les patients souhaitent être suivis, tout en voulant s’éloigner du souvenir que leur ont laissé le diagnostic et leur parcours thérapeutique. Le rapport au suivi est donc ambigu. De ce point de vue, les soignants au sens large doivent procéder avec tact, selon la doctrine du « ni trop, ni trop peu ». Un excès de suivi peut être anxiogène, et en termes de rendement médical, il n’est pas du tout assuré que cela soit très utile. Lorsqu’on traite un cancer dans un but curatif, le suivi reflète le souhait que rien ne se passe. Les examens dont nous disposons sont de plus en plus sophistiqués : imagerie 3D, scanner, IRM, PETScan. Des personnes m’ont demandé si le PETScan était opérationnel à Toulouse. La réponse est affirmative, mais est-il vraiment nécessaire de faire appel à cette technologie à chaque fois qu’un cancer est suivi ? C’est dans le climat de confiance d’une relation établie dans la durée que les bonnes indications se discutent avec les personnes soignées. « Quelles que soient la précision et l’habileté des chirurgiens, il est possible que quelques paquets de cellules restent à proximité de la zone enlevée. Lorsque le processus de cicatrisation intervient, en mettant notamment en œuvre la sécrétion de facteurs de croissance, ces paquets de cellule restants ne profitent -ils pas de cette situation ? » > Pr Roland Bugat – Cette question est au cœur de la réflexion menée sur les bonnes indications thérapeutiques et la bonne séquence de ces indications. Une chirurgie carcinologiquement efficace et qui vise un traitement curatif, ne laisse en toute hypothèse, pas d’agrégat cellulaire dans le lit opératoire. Parmi les spécialistes de la cancérologie et du traitement du cancer, l’anatomopathologiste, qui est celui qui – comme le Pr Delsol – examine la pièce opératoire (partie enlevée lors de l’opération) au microscope et est le juge arbitre impitoyable. Opérer est une chose essentielle, maîtriser une technique opératoire et les suites qui en découlent en est une deuxième. Le troisième élément, essentiel est l’analyse au microscope de la pièce opératoire. Lorsqu’une tumeur est à un stade locorégional suffisamment important pour mettre en difficulté la maîtrise technique des chirurgiens, des actions thérapeutiques visant à réduire le volume tumoral peuvent précéder l’acte opératoire. Ces actions peuvent ralentir la vitesse de prolifération anarchique des cellules cancéreuses tout en facilitant la dissection « en bloc » de la tumeur. > Pr Georges Delsol – Cela se produit malheureusement plus souvent que nous ne le souhaiterions. Par exemple, la pièce opératoire issue d’une opération du cancer du côlon est adressée au laboratoire d’anatomopathologie qui évalue l’extension de la tumeur. Il y a la tumeur primitive, d’où peuvent s’échapper des cellules malignes pour donner des métastases. Toutefois, ces cellules tumorales sont tout d’abord arrêtées par les ganglions lymphatiques, dans lesquels elles prolifèrent. Lors de l’examen de la pièce opératoire, l’anatomopathologiste s’attache à retrouver ces ganglions colonisés par les cellules tumorales. Son compte rendu précise donc la présence ou l’absence de ces métastases au sein des ganglions qui ont été enlevés. Selon le nombre de ganglions atteints, il y aura ou non une chimiothérapie complémentaire. « Les patients ayant subi une chirurgie suite à un cancer du côlon se plaignent de perturbations du fonctionnement intestinal : comment peut-on aider le côlon à reprendre ses fonctions naturelles ? » > Pr Roland Bugat – L’indicateur de progrès thérapeutique le plus significatif est « la survie globale ». Il ne s’agit pas de la guérison, mais de la durée de vie à partir du traitement, que le patient ait été guéri ou qu’il soit toujours porteur de la maladie. Au prorata de nos progrès thérapeutiques et des gains comptabilisés en termes de survie globale, la philosophie du Plan Cancer est de ne pas se satisfaire de cette quantité de vie supplémentaire. Nous devons en effet nous préoccuper de la qualité de ce « gain de vie » induit par les progrès thérapeutiques. Cette question est très importante et ne fait pas toujours suffisamment écho dans les équipes soignantes. D’une manière générale, les soignants tendent à minimiser les effets secondaires induits par les thérapeutiques. Comment faire pour améliorer la qualité de vie des patients ? La chirurgie pour un cancer du côlon (en dehors des cas de polypose familiale) Journées de la Fondation Recherche Médicale l Les cancers digestifs l www.frm.org 12 ne doit pas dépasser l’hémicolectomie (ablation de la moitié du côlon). Les conséquences fonctionnelles et les difficultés mécaniques induites par ce sacrifice anatomique sont faibles. Les conséquences sont toutes autres dans le cas du cancer du rectum. En effet, ses fonctions physiologiques sont importantes : il s’agit d’un réservoir dont la partie la plus distale est contrôlée par un sphincter, qui permet d’être « continent ». Plus une chirurgie conservatrice du rectum se fait à proximité de ce sphincter, plus les suites fonctionnelles peuvent être importantes. Des recommandations hygiénodiététiques doivent être données de façon à minimiser les conséquences liées à la réduction de la capacité du réservoir. Des techniques de rééducation de la fonction sphinctérienne existent (électrostimulation, etc.). Les soignants doivent impérativement être à l’écoute de l’ensemble de ces manifestations fonctionnelles, car la vraie définition de la guérison est à ce prix. La guérison n’est pas seulement un chiffre statistique, mais également une qualité de vie, dont les patients soignés sont les mieux placés pour témoigner. « Après avoir subi des radiations, certaines de mes fonctions ne fonctionnent plus : érection, incontinence…. On m’a dit que certains organes reprendraient leur fonction. » > Pr Roland Bugat – Votre témoignage est courageux. C’est une vision nouvelle de la manière de poser le débat entre soignants et soignés. Je suis très heureux, et mes collègues le sont probablement aussi, de participer à ce type d’échange grâce à l’initiative de la FRM. Certains leaders d’opinion dans le milieu médical considèrent encore que ces sujets sont tabous. Le prix à payer de certains parcours thérapeutiques induit des privations ou des déficits fonctionnels. Mieux vaut en avoir parlé avant l’intervention, que d’être conduit à en faire le constat tardif. Ce que le Plan Cancer appelle le « programme personnalisé de soins » doit faire l’objet d’un échange, mais pas dans une dimension contentieuse et assurantielle de la relation soignant-soigné. Nous ne devons pas forcément calquer nos comportements sur ceux des Nord-Américains. Peu de gens acceptent de monter dans un avion sans avoir d’explications sur leur destination. La démarche du projet thérapeutique en cancérologie est la même : la feuille de route doit être partagée. En ce qui concerne la reprise de fonction de vos organes, ceci entre dans la relation personnelle que vous avez avec vos soignants, aussi je vous invite à en parler avec les médecins qui vous suivent. « Vous parlez de prévention et de traitement, mais l’aspect psychologique est également important. La prise en charge psychologique à l’annonce d’un diagnostic se pratique de plus en plus, et la qualité de la relation entre le patient et le médecin est très importante. La prise en compte de tous ces éléments ne peut qu’améliorer les soins. » > Pr Roland Bugat – Globalement, cette demande est formulée par les patients, et a été suffisamment forte pour faire partie du Plan Cancer. Dans le cadre de ce Plan, le recrutement d’onco-psychologues dans les équipes soignantes est prévu. Cependant, un onco-psychologue ne pourra pas venir en aide à chaque patient, aussi faut -il réfléchir sur l’utilisation des ressources dans le dispositif collectif. « Je suis en rémission d’u n cancer de l’intestin et du foie. Un bon moral aide à mieux tolérer la chirurgie et les traitements. » > Pr Georges Delsol – En ce qui concerne la relation entre le psychisme et le cancer, deux études américaines ont montré que les femmes ayant été traitées pour un cancer du sein et persuadées qu’elles ont été guéries ont un bien meilleur pronostic que les femmes qui ont des difficultés à assumer le fait d’avoir eu un cancer et qui « dépriment ». Le moral est donc très important lorsque l’on a eu un cancer. « Le malade garde un bon moral parce qu’il est bien entouré. L’accompagnement psychologique est important pour la famille, pourtant il est rarement mis en œuvre. La famille s’interroge beaucoup, et doit en même temps laisser à la personne malade suffisamment de recul pour aborder l’éventualité de sa mort. » > Pr Louis Buscail – La famille est là pour entourer le patient. Outre l’annonce, l’information et le suivi du patient, la famille doit effectivement être informée et conseillée sur la manière dont elle doit répondre aux questions et aux problèmes des patients. Il n’est pas toujours facile de décrypter comment certains membres de la famille vont réagir. Un des rôles du personnel soignant est d’identifier rapidement quels membres de la famille vont pouvoir assurer au mieux ce suivi. « Le fait que les malades en sachent quasiment autant que les soignants vous stimule-t-il ou au Journées de la Fondation Recherche Médicale l Les cancers digestifs l www.frm.org 13 contraire vous encombre-t-il ? Dans le premier cas, cela vous aide-t-il à être optimiste pour traiter les malades ? » > Dr Rosine Guimbaud – Le fait que le niveau de connaissances générales ait augmenté nous aide et nous stimule. Il est vrai que l’accessibilité aux informations est aisée : il s’agit de bien en faire le tri. Les médecins ont une formation critique qui leur permet de faire ce tri, ce qui n’est pas toujours le cas des malades. « Je suis en traitement depuis un an contre un cancer du côlon avec métastases hépatiques et osseuses. Au-delà du personnel médical, qui s’investit beaucoup dans les centres, le personnel d’accueil et les brancardiers font un travail remarquable. Toutefois, la recherche de profit de certaines associations discrédite le travail de la recherche médicale et provoque une baisse des dons. » « La curiethérapie est-elle utilisée pour le traitement du cancer du côlon ou du rectum ? » > Pr Roland Bugat – Le vrai sujet de votre question est : quelle est la bonne indication pour une curiethérapie ? La maîtrise technique de cette thérapie, qui tire son nom de Pierre et Marie Curie, ne pose pas de problème. En quelques mots, l’idée a émergé d’une application médicale de la qualité radioactive de certaines substances (e.g. radium). Une aiguille contenant des substances radioactives est introduite dans une zone où se trouve une tumeur. Elle délivre de la radioactivité, qui par son effet biologique, détruit la tumeur. A la différence de la radiothérapie externe (cobalt, accélérateurs de particules), la source radioactive, au lieu d’être scellée dans une grosse machine, est introduite à l’intérieur d’une partie anatomique, soit dans la tumeur ellemême, soit dans une région anatomique qui se prête bien à une application de curiethérapie (par exemple le vagin pour un cancer du col de l’utérus). Le problème concerne essentiellement les indications. Pour qu’une curiethérapie soit efficace, l’enveloppe qui circonscrit la zone où la radioactivité est délivrée doit être supérieure à la limite périphérique de la tumeur. Si cela n’est pas le cas, on laisse une partie de la tumeur en dehors de la zone irradiée. La curiethérapie s’applique donc à des tumeurs accessibles et de petite taille. « La radiofréquence est de plus en plus pratiquée : qu’en pensez -vous ? » > Pr Louis Buscail – La radiofréquence est essentiellement utilisée pour traiter les tumeurs hépatiques. L’intérêt de ce traitement vient du fait qu’on peut l’utiliser soit sans chirurgie soit en parallèle à la chirurgie, ce qui permet un repérage précis de la tumeur. « Que pensez -vous de l’électrochimiothérapie ? » > Pr Louis Buscail – L’électrochimiothérapie consiste à déstabiliser la cellule tumorale afin de la rendre plus sensible à la chimiothérapie. Ces traitements ont été réalisés chez le cheval pour des lésions superficielles. Chez l’homme, il faut pouvoir déterminer la sensibilité des cellules tumorales à la chimiothérapie. Ce traitement fait cependant partie des pistes futures. « Quels sont les nouveaux processus de dépistage et de traitement du cancer du pancréas ? » > Pr Louis Buscail – Ce cancer est fréquemment dévastateur car diagnostiqué à un stade tardif et donc difficile à traiter. Le seul traitement actuel est la chirurgie, qui n’est malheureusement pas possible dans tous les cas. Pour mettre en place un dépistage quel qu’il soit, il faut identifier des facteurs de risques, et avoir des examens simples applicables à un dépistage de masse. Dans le cas du cancer du pancréas, il n’y a ni facteurs de risques, ni population à risque, ni moyens de dépistage de masse (marqueurs accessibles via prise de sang, etc.). L’imagerie permet toutefois de diagnostiquer et de prendre en charge les patients atteints d’un cancer du pancréas de manière plus précoce. Il existe une forme familiale du cancer du pancréas, dont le gène n’est pas identifié. On propose aux familles concernées d’être suivies par imagerie : c’est le seul cas où l’on propose un dépistage. Le seul moyen de dépister consiste à essayer d’identifier le cancer à un stade précoce. « J’ai entendu parler d’un traitement par injection de molécules, à l’essai, qui empêcherait les cellules cancéreuses de donner de mauvaises informations et donc de proliférer. » Journées de la Fondation Recherche Médicale l Les cancers digestifs l www.frm.org 14 > Pr Louis Buscail – Ceci doit rejoindre les traitements dont j’ai parlé et qui portent sur des cibles bien particulières des cellules cancéreuses (facteurs de croissance ou antigènes spécifiques de la cellule tumorale). Ces traitements empêchent effectivement la cellule tumorale de proliférer ou de migrer. Des essais cliniques sont en cours en France. > Pr Roland Bugat –Pour effleurer le débat des essais thérapeutiques et de l’inventaire des molécules en devenir (qui n’ont pas encore le statut de médicament, parce que leurs effets sont insuffisamment évalués), nous partageons le souci d’une égalité d’accès à l’innovation. Du point de vue de « l’usager » et du patient, la question est de savoir si le dispositif actuel donne accès, au moment où l’on en a besoin, à ce type de nouveautés supposées porteuses d’espoir. Il ne faut pas considérer comme une injustice le fait qu’un nouveau traitement soit utilisé outre-Atlantique mais pas en France. L’accès de chacun aux développements les plus actuels de la connaissance dans ses applications thérapeutiques est une réalité. En ce qui concerne l’utilisation de ces molécules et la nécessité d’évaluer leur efficacité et leurs effets secondaires, une loi nous impose d’encadrer leur prescription par des études dites contrôlées. C’est le domaine de la recherche clinique. Tous les médicaments en développement, les anticorps monoclonaux dirigés contre, l’epithelial growth factor (EGF), les anticorps ou les petites molécules ayant pour cible le mécanisme intime de la néoangiogénèse (capacité des cellules tumorales à fabriquer de nouveaux vaisseaux sanguins), qui seront de pratique quotidienne dans quelques années – si l’on a suffisamment d’argent pour les payer –, sont accessibles en France. Nous avons bien accès à l’innovation thérapeutique en France, mais nous l’organisons peut-être de manière plus performante. . Les Journées de la Fondation Recherche Médicale 2004 ont été organisées avec le précieux soutien de l'AG2R, l'Assistance Publique-Hôpitaux de Paris, la Matmut, Femme Actuelle, France 5, France Inter, Pleine Vie, Top Santé et La Vie. Journées de la Fondation Recherche Médicale l Les cancers digestifs l www.frm.org 15