ARTICLE IN PRESS EMC-Psychiatrie "" (2004) """-""" http://france.elsevier.com/direct/EMCPS/ Stratégies thérapeutiques des troubles de l’humeur Guidelines for the treatment of mood disorders P. Vandel (Praticien hospitalier) *, V. Rebière (Chef de clinique des Universités, assistant hospitalier), D. Sechter (Professeur des Universités, praticien hospitalier, chef de service) Service de psychiatrie et psychologie médicale, centre hospitalo-universitaire, 25030 Besançon cedex MOTS CLÉS Troubles de l’humeur ; Épisode dépressif ; Épisode maniaque ; Troubles bipolaires KEYWORDS Mood disorders; Depressive episode; Maniac episode; Bipolar disorders Résumé Les pathologies de l’humeur représentent un problème de santé publique majeur tant du point de vue de la souffrance du patient que du coût pour la société. Devant les multiples possibilités thérapeutiques, les questions que se posent les cliniciens sur la prise en charge de ces troubles de l’humeur sont identiques. Il est donc utile d’essayer d’homogénéiser les réponses et de définir des étapes de traitement, ceci malgré les incertitudes qui ne peuvent que persister devant la complexité de la maladie et des moyens thérapeutiques. Les données de la littérature sont nombreuses et les recommandations sur les modalités thérapeutiques souvent proches. Ce travail de synthèse repose sur les propositions de l’ANAES 2002 (Agence nationale d’accréditation et d’évaluation en santé), l’APA 2000 et 2002 (American Psychiatric Association), de la British Association for Psychopharmacology 2000, du groupe de travail canadien « CANMAT depression work group » 2001, de la WFSBP 2002 (Fédération Mondiale des Sociétés de Psychiatrie Biologique) et de publications individuelles récentes. © 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Abstract Mood disorders constitute a major problem of public health, both regarding the patient’s suffering and in terms of management cost. The multiplicity of treatments raises a similar interrogation of the clinicians on the selection of the appropriate therapeutic management. It appears useful, therefore, to homogenize the responses and to determine the different steps of the treatment, despite the uncertainties that necessarily persist due to the complexity of such disease and its therapeutic means. Numerous published data exist, and the therapeutic guidelines are often quite similar. The current synthesis is based on the recommendations of: the French agency ANAES (Agence Nationale d’Accréditation et d’Evaluation en Santé) 2002, the APA (American Psychiatric Association) 2000 and 2002, the Canadian workgroup on depression CANMAT 2001, the British Association for Psychopharmacology 2000, the WFSBP (World Federation of Societies of Biological Psychiatry) 2002, and on recent individual studies. © 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés. * Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (P. Vandel). 1762-5718/$ - see front matter © 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi: 10.1016/j.emcps.2004.10.001 EMCPS-35 ARTICLE IN PRESS 2 P. Vandel et al. Introduction Première étape Beaucoup de discussions concernent l’utilité des stratégies des traitements des troubles de l’humeur qui ne forment qu’un support pour les décisions thérapeutiques.1 Les recommandations proposées devraient être concrètement applicables en pratique quotidienne et non pas seulement séduisantes en théorie.2 Choix de stratégie initiale Si les moyens thérapeutiques connaissent une évolution récente, la mise en œuvre de ces moyens reste classique et déjà largement admise, comme la différence de l’abord médicamenteux des dépressions unipolaire ou bipolaire par exemple. Les thérapeutiques comportent plusieurs phases (Fig. 1) qui suivent l’évolution de la maladie et quel que soit le diagnostic, les questions que se posent les thérapeutes sont toujours les mêmes : que faire ? quand ? comment ? Une des principales difficultés pour le clinicien réside souvent dans la durée de traitement à observer avant chaque modification thérapeutique. La base de documentation est constituée par les travaux de l’ANAES 2002,3 l’APA 2000 et 2002,4,5 la British Association for Psychopharmacology 2000,6 le groupe de travail canadien « CANMAT depression work group » 2001,7–10 la WFSBP 2002 (Fédération mondiale des sociétés de psychiatrie biologique)11,12 et des publications individuelles récentes. Les modalités thérapeutiques initiales dépendent de nombreux facteurs qui ne sont pas liés à la distinction entre dépression endogène ou réactionnelle.11–14 Lors d’un épisode, quel qu’il soit, il faut confirmer le diagnostic, évaluer le risque suicidaire, les comorbidités, le handicap fonctionnel, le contexte familial (soutien présent ou non), l’observance thérapeutique potentielle.3,7–10 Ceci permet de choisir à l’intérieur d’un réseau de soins la stratégie initiale, le premier but étant d’assurer la sécurité du patient. Ainsi, le suivi en milieu hospitalier est préféré au suivi ambulatoire en cas de risque suicidaire élevé ou lorsque dans une forme sévère des symptômes psychotiques ou somatiques marqués sont présents, ou encore lorsque l’appui familial ou autre est insuffisant. En ambulatoire, le généraliste recommande une consultation psychiatrique si la relation thérapeutique est défectueuse, s’il existe une possible comorbidité psychiatrique, si la réponse thérapeutique est insatisfaisante après 8 à 12 semaines de traitement et si le patient le désire. En ce qui concerne la fréquence du suivi, une consultation hebdomadaire est recommandée durant les premières semaines de traitement.3,5 L’information du patient quant à sa maladie fait également partie des recommandations générales de l’ANAES et de l’APA. Figure 1 Dépression unipolaire : évolution et étapes thérapeutiques. ARTICLE IN PRESS Stratégies thérapeutiques des troubles de l’humeur Que faire et quelle molécule choisir en 1re intention ? Dans la dépression unipolaire (Fig. 2) Il existe un large consensus concernant le recours aux antidépresseurs ce qui n’exclut pas le recours 3 aux psychothérapies, photothérapie et privation de sommeil.3,4,6,11,12,15,16 • Dans les formes légères : le traitement antidépresseur est recommandé en première intention, mais pour l’ANAES la psychothérapie (de préférence cognitive) pourrait être essayée Figure 2 Arbre 1. Traitement de l’épisode dépressif caractérisé. ECT : électroconvulsivothérapie ; IMAO : inhibiteurs de la monoamine oxydase. ARTICLE IN PRESS 4 P. Vandel et al. seule (spécialement en cas de stress social, conflit intrapsychique, difficultés relationnelles, troubles de la personnalité et patient demandeur) ;3 • dans les formes modérées : on choisit en premier lieu le traitement antidépresseur ; • dans les formes sévères : un traitement antidépresseur est indispensable ; • dans les formes avec symptômes psychotiques : l’association d’antipsychotique est parfois nécessaire ainsi que le recours à l’électroconvulsivothérapie (ECT) qui est aussi envisageable si les conditions médicales l’imposent. Choix de l’antidépresseur Aucun critère biologique permettant de choisir un antidépresseur en fonction de son mécanisme d’action n’est actuellement validé. Tous sont efficaces. Il n’y aurait pas d’argument pour choisir un antidépresseur tricyclique (ADT) en 1re intention.17 Parmi les critères de choix de l’antidépresseur de première intention recommandés par l’ANAES et l’APA, deux d’entre eux sont pragmatiques : • bonne tolérance afin d’améliorer l’observance thérapeutique ; • absence d’effet toxique majeur afin d’éviter un risque vital lors d’une ingestion médicamenteuse volontaire. De plus, il faut tenir compte : • des contre-indications liées aux comorbidités ; • de la facilité de prise (la prise unique favorise une bonne observance) ; • des effets latéraux utiles pour le patient (sédatif, anxiolytique, stimulant, prise de poids ou non) ; • des préférences du patient,4 ce qui favorise l’observance et l’effet placebo. Les symptômes peuvent orienter vers tel ou tel antidépresseur (anxiété, insomnie, trouble obsessionnel compulsif [TOC], attaque de panique). Enfin, l’histoire familiale de réponse aux antidépresseurs peut être un guide. Si l’on s’en tient aux critères de tolérance et de non-toxicité, les nouvelles molécules semblent devoir être privilégiées (coût mis à part). Elles peuvent cependant avoir d’autres inconvénients (effets indésirables peu fréquents mais graves, interactions médicamenteuses). Dans les troubles bipolaires en phase dépressive ? Les régulateurs de l’humeur sont « la pierre angulaire » du traitement des troubles bipolaires, pour réduire les phases d’inversion d’humeur et éviter les récidives. Actuellement, des propriétés antidépressives sont reconnues, pour la lamotrigine,5 le divalproate de sodium et la carbamazépine, ainsi que pour les antipsychotiques atypiques.18,19 Le lithium (qui est sous-utilisé à ce jour) serait aussi efficace que les antidépresseurs tricycliques dans le traitement de cette phase dépressive5 et pour l’APA c’est le lithium le médicament de première intention. La monothérapie antidépressive n’est pas recommandée, voire relativement contre-indiquée, plus particulièrement dans la forme bipolaire I (risque de faciliter l’inversion d’humeur).5 L’association antidépresseur + régulateur de l’humeur est réservée aux épisodes dépressifs qui persistent malgré l’utilisation du régulateur de l’humeur ou aux dépressions très sévères.5 L’utilisation d’IRS (ou bupropion aux États-Unis) en 1re intention, puis de venlafaxine est alors conseillée. Les antidépresseurs tricycliques comporteraient un plus grand risque d’inversion d’humeur, les inhibiteurs de la monoamine oxydase (IMAO) non sélectifs, bien qu’efficaces, sont moins conseillés en raison de leurs effets indésirables (APA). En cas de symptômes psychotiques, l’association d’un antipsychotique est préconisée. L’association olanzapine/fluoxétine (Symbyax®) est aux États-Unis la première association reconnue (décembre 2003) pour le traitement de la phase dépressive de la maladie bipolaire (I plus particulièrement).19,20 Les ECT sont une alternative pour l’accès très sévère ou avec signes psychotiques ou encore au cours d’une grossesse. Dans cette dernière indication, les données bibliographiques restent pauvres et il resterait à préciser le risque d’effets indésirables pour le fœtus. (Par manque de recul, pas encore de consensus sur la SMT [stimulation magnétique transcrânienne]21,22). Dans les troubles bipolaires en phase maniaque ou mixte ou hypomane ? (Fig. 3) Les régulateurs de l’humeur sont « la pierre angulaire » du traitement des troubles bipolaires, pour réduire les phases d’inversion d’humeur et éviter les récidives. Après arrêt progressif de l’antidépresseur s’il est en cours, les conseils varient suivant la forme clinique. Dans les formes peu intenses, les experts privilégient une monothérapie par lithium,23 avant celle par divalproate de sodium ou lamotrigine. Un antipsychotique comme l’olanzapine rejoint lithium et divalproate de sodium dans le traitement de première intention de l’accès maniaque.5 Carbamazépine et oxcarbazépine sont une alternative. En cas de manie aiguë ou si des signes psychotiques sont présents, ou dans les formes dysphoriques ou mixtes, on choisit une association, lithium ARTICLE IN PRESS Stratégies thérapeutiques des troubles de l’humeur 5 Figure 3 Arbre 2. Traitement de l’épisode maniaque. ECT : électroconvulsivothérapie. ou divalproate de sodium + antipsychotique (atypique de préférence en raison de leur bonne tolérance).24,25 Dans les cas sévères ou avec agitation, anxiété, symptômes psychotiques, gros troubles du sommeil, l’association d’un traitement de courte durée par benzodiazépine peut être utile (APA). Les ECT sont indiqués en cas d’épisodes mixtes, de manie sévère, de résistance thérapeutique, ou si le patient le demande. L’APA préconise également cette thérapeutique en cas de grossesse (cf. supra) Une approche psychosociale peut être associée quelle que soit la forme clinique. Bien que les thérapeutiques biologiques soient un élément thé- ARTICLE IN PRESS 6 P. Vandel et al. rapeutique essentiel, l’intervention psychosociale joue un rôle en améliorant pour le patient la compréhension de la maladie, les conséquences psychosociales. De plus, elle peut être préventive en diminuant la vulnérabilité aux épisodes ultérieurs. Les approches les plus étudiées sont les thérapies interpersonnelles, familiales, cognitovocomportementales (APA). Dans les formes à cycle rapide ? (Fig. 4) On préconise de : • rechercher et traiter les comorbidités favorisant ces formes cliniques (hypothyroïdie, iatrogénie, abus d’alcool) ; • supprimer progressivement les antidépresseurs qui peuvent précipiter les accès (surtout les antidépresseurs tricycliques) ; Figure 4 Arbre 3. Traitement des troubles bipolaires à cycles rapides. ARTICLE IN PRESS Stratégies thérapeutiques des troubles de l’humeur 7 • prescrire en phase maniaque le divalproate de sodium en premier lieu,25 puis le lithium et la carbamazépine en remplacement ; • prescrire en phase dépressive lithium ou divalproate de sodium en premier lieu ou encore lamotrigine. que d’éliminer une ou des causes de mauvaise réponse. Délai d’attente avant de modifier la thérapeutique C’est dans ce domaine que les données de la littérature sont les plus variées. Schématiquement, en ce qui concerne la durée de la phase de traitement de l’épisode aigu de la dépression, un quart à un tiers des dépressions non répondeuses après 4 semaines de traitement de 1re intention répondent après 8 semaines sans changer la posologie.3,5,6,11–14,26 L’inefficacité du 1er essai d’antidépresseur ne doit pas être admise trop rapidement.16 La WFSBP précise qu’une réponse partielle en 4 à 6 semaines est souvent prédictive d’une bonne amélioration en 8 à 12 semaines. Après 8 semaines, une amélioration clinique est peu probable sans changement de traitement. Pour certains déprimés, l’amélioration peut cependant être plus tardive (12 semaines). Après un essai non satisfaisant d’un premier antidépresseur à bonne posologie pendant un temps correct (cf. supra), on ne peut encore parler de dépression résistante. Points forts 1re étape : patience • Dépression unipolaire et trouble dépressif bipolaire s’opposent quant au choix de la molécule de 1re intention : antidépresseur dans le premier cas et régulateur de l’humeur dans les formes bipolaires. La monothérapie antidépressive n’est pas recommandée, surtout dans les formes bipolaires I en raison du risque d’inversion d’humeur. • Dans la manie, état mixte et en cas de cycle rapide, c’est encore le régulateur de l’humeur qui sera choisi en première intention, un antipsychotique sera associé dans les manies sévères. • Durée de la 1re étape avant le changement de molécule : 4 à 8 semaines dans les formes dépressives, 10 à 14 jours dans les formes maniaques. Patience... Deuxième étape En cas d’échec thérapeutique lors de la première étape, il convient avant de changer la thérapeuti- Rechercher les causes de mauvaise réponse thérapeutique L’ANAES conseille de : • contrôler l’observance thérapeutique ; • réévaluer le diagnostic ; • rechercher une cause organique, iatrogène ou psychologique de non-réponse ; • rechercher une comorbidité axe I et II. L’APA insiste sur la recherche de troubles addictifs, facteurs de mauvaise réponse. La recherche d’une cause pharmacocinétique comporte les étapes suivantes : • rechercher si l’observance thérapeutique est bonne (dosage de l’antidépresseur si possible) ; • rechercher les causes de mauvaise observance (mauvaise tolérance, relation médecin/malade à améliorer) ; • si malgré une bonne observance et une adaptation posologique, la biodisponibilité de l’antidépresseur reste inadéquate, une cause pharmacogénétique (polymorphisme génétique du cytochrome P450 2D6) est à rechercher, ce qui en routine clinique n’en est qu’à ses débuts ; • rechercher l’existence ou la disparition d’une éventuelle interaction médicamenteuse lors de polythérapie.1 Que faire et quelle molécule en 2e intention ? Dans la dépression unipolaire Pour l’APA, après avoir essayé de trouver l’explication d’une réponse insatisfaisante à un traitement initial de 6 à 8 semaines, on peut enchaîner successivement différentes phases thérapeutiques, idéalement toutes les 4 à 8 semaines : • en cas de bonne observance mais de concentration plasmatique inadaptée, modifier la posologie (augmenter ou diminuer) ; • changer de molécule (choisir une autre famille d’antidépresseur ou un autre mécanisme d’action) ;3,4,6,16 • adjoindre ou intensifier une psychothérapie. Si plusieurs périodes de traitement inefficace ou insatisfaisant se succèdent, les démarches thérapeutiques à entreprendre seront celles des dépressions résistantes. Dans la dépression résistante3,4,6,11,12,16,19,27,28 Le terme de dépression résistante n’est à utiliser qu’après échec de l’essai de deux antidépresseurs de classes différentes prescrits à posologie dite ARTICLE IN PRESS 8 efficace, pendant une période de 6 à 8 (voire 12) semaines. Le terme de dépression résistante chronique est défini comme un épisode dépressif résistant pendant plus de 1 an à cinq interventions adaptées consécutives.28 Les démarches successives conseillées sont les suivantes : • vérifier la durée des traitements précédents, l’observance et adapter la posologie ;28 • changer d’antidépresseur en choisissant la famille ou le mécanisme non encore utilisé ; • initier une association d’antidépresseurs de mécanisme d’action complémentaire,11,12,19 si le changement de molécules ne suffit pas (étape non encore bien validée7–10,29). Récemment, l’utilisation de bupropion (non reconnu comme antidépresseur en France) seul ou en association à d’autres nouveaux antidépresseurs a été suggérée outre-Atlantique ;30 • potentialiser l’antidépresseur par une molécule autre qu’un antidépresseur. Ce sont par ordre de validation : C le lithium (bien validé), C les hormones thyroïdiennes (bien validé), C un antipsychotique (surtout si des symptômes psychotiques sont associés), C pindolol ou buspirone (non validés) ; • les IMAO sélectifs (moclobémide) et non sélectifs (iproniazide) ne devraient pas être oubliés. Ils trouvent leur indication dans le traitement des épisodes dépressifs sévères caractérisés. Mais (plus particulièrement pour les IMAO non sélectifs) l’importance des effets indésirables (hypertension paroxystique, hépatite) et le nombre d’interactions à risque (notamment avec les aliments contenant de la tyramine, le lithium, les autres antidépresseurs, etc.) limitent leur prescription ; • l’utilisation de nouvelles classes d’antidépresseurs1,31,32 en cours de développement est attendue (antagoniste de la substance P et du corticotropin releasing factor [CRF]) et d’autres alternatives thérapeutiques apparaissent : millepertuis, S-adénosyl-L-méthionine, acupuncture ; • l’ECT est l’alternative classique en cas de résistance aux antidépresseurs seuls ou associés, ou en présence d’éléments psychotiques, de catatonie et en cas de grossesse3,4,11,12,16,27,28 (pas encore de consensus sur la stimulation magnétique transcrânienne [SMT]21,22). Dans les troubles bipolaires en phase dépressive La prescription d’antidépresseur, après avoir éliminé les causes de non-réponse (dont l’hypothyroïdie), en association avec le régulateur de l’humeur P. Vandel et al. est à envisager, plus rapidement chez les patients bipolaires II qui sont moins sujets au virage maniaque, que chez les bipolaires I. La paroxétine serait l’antidépresseur qui comporterait le plus faible risque d’inversion d’humeur, contrairement aux antidépresseurs tricycliques qui auraient le plus fort risque. Mais d’autres antidépresseurs, voire des IMAO, peuvent être utiles.5 La lamotrigine (inconvénients : céphalée, nausée, rash cutané sévère, et interactions avec divalproate qui peut doubler la concentration plasmatique de lamotrigine et carbamazépine qui peut la diminuer fortement) peut être associée au thymorégulateur initial (APA). Outre-Atlantique, le bupropion, aussi efficace que les antidépresseurs tricycliques, comporterait un risque moindre d’inversion d’humeur et peut être associé au thymorégulateur. En présence d’éléments psychotiques un antipsychotique est souhaitable. Une psychothérapie en association aux psychotropes est fortement conseillée. Dans les troubles bipolaires en phase maniaque, mixte ou hypomane En cas de résistance au traitement de première intention, plusieurs alternatives sont possibles : • un changement de molécule de 1re intention, après 10 à 14 jours ;5 • une association de deux thymorégulateurs (lithium + divalproate de sodium) ;25 • instituer une association au psychotrope de 1re intention (thymorégulateur + antipsychotique) ;5,24 • prescrire des ECT en cas d’état mixte, de manie sévère ou résistante ou survenant au cours d’une grossesse. Il y a peu d’informations concernant les SMT dans ces indications.21,22,33 Dans les formes à cycle rapide Il est souvent nécessaire d’avoir recours à des associations médicamenteuses de thymorégulateur et d’antipsychotique ou d’antidépresseur, voire d’hormone thyroïdienne en seconde, voire troisième intention.24 Délai d’attente avant de modifier la thérapeutique de 2e intention Dépressions unipolaire et bipolaire : 4 à 6 semaines ou 8 en cas d’amélioration partielle. Manie : 10 à 14 jours semblent nécessaires pour évaluer chaque essai thérapeutique.5 ARTICLE IN PRESS Stratégies thérapeutiques des troubles de l’humeur 9 Dans les troubles affectifs bipolaires Points forts 2e étape : patience et systématisation Rechute, récidive • Éliminer les causes de mauvaise réponse, observance, comorbidités... • Changer la molécule de première intention. • Puis utiliser successivement des associations médicamenteuses (potentialisation). • La durée d’attente avant chaque changement reste identique à celle de la première étape. Le traitement d’entretien doit être optimisé en posologie, l’antipsychotique est réintroduit, une benzodiazépine peut être utile en prescription de courte durée. Des travaux récents36 démentent le fait que les antidépresseurs au long cours puissent faciliter l’inversion d’humeur. En revanche, un traitement antidépresseur de courte durée favoriserait la rechute. Troisième étape Que prescrire en cas de rechute ou de récidive et au cours des traitements de consolidation et de prévention ? Dans les dépressions unipolaires Rechute, récidive Rechute : retour des symptômes de l’épisode au cours d’une période de rémission avant diagnostic de guérison. La rechute fait partie de l’évolution d’un épisode. Récidive ou récurrence : survenue après guérison (c’est-à-dire après plus de 6 mois d’absence de symptômes) d’un nouvel épisode caractérisé. Après le traitement de la récidive, le but sera de prévenir les épisodes suivants, leur risque augmentant à chaque nouvelle récidive. En cas de rechute sous traitement antérieurement efficace, une augmentation de posologie de ce traitement est souvent suffisante.34 La WFSBP conseille d’adopter les démarches du traitement des dépressions résistantes. Si l’échec thérapeutique persiste, la WFSBP recommande alors de « repartir à zéro », c’est-à-dire de repartir avec une stratégie initiale.11,12 En cas de récidive, l’antidépresseur de choix est celui qui a permis l’amélioration lors de l’épisode dépressif précédent.4,35 À noter que la venlafaxine et la sertraline viennent d’obtenir en France l’indication « Prévention des récidives dépressives ». Traitement de consolidation et traitement de prévention L’APA conseille de poursuivre la prescription de l’antidépresseur qui a permis l’amélioration lors de la phase initiale, et ceci à la même posologie. Mais c’est aux nouvelles molécules que vont les préférences dans les traitements au long cours en raison de leur bonne tolérance. En cas d’amélioration sous ECT, des séances d’entretien sont programmées. La WFSBP suggère le recours au lithium. Traitement de consolidation Le traitement de l’accès est prolongé, sans modifications, pendant les 6 mois suivant la rémission (période de risque de rechute élevé). Si la réponse thérapeutique survient sous ECT, des sessions d’ECT d’entretien sont programmées (pas de recul suffisant pour la SMT21,33). Traitement de prévention Divalproate de sodium ou lithium ou les deux associés (ceci plus particulièrement dans les formes à cycles rapides) sont les plus recommandés (lamotrigine, carbamazépine et oxcarbazépine possibles). (À noter : le recours au lithium dans le traitement préventif des dépressions unipolaires n’est qu’une suggestion des sociétés scientifiques, il ne s’agit pas d’une des indications thérapeutiques du lithium.37) La réévaluation périodique du maintien de l’antipsychotique est nécessaire. Les antidépresseurs seront progressivement arrêtés 6 mois après rémission des symptômes dépressifs.25 Si la réponse thérapeutique survient sous ECT, des sessions d’entretien sont programmées. Une psychothérapie individuelle, de groupe ou de famille peut être utile. Durée des traitements au long cours En ce qui concerne la durée du traitement de consolidation, elle est classiquement pour l’ANAES de 6 mois à 1 an, à partir de la période de rémission complète. Mais elle peut être prolongée si persistent des symptômes résiduels (rémission partielle). Pour l’APA, dans les formes bipolaires, si la dépression est sévère ou avec symptômes psychotiques, le traitement peut être de 23 semaines, ou 20 si la dépression est modérée. Le lithium devrait être poursuivi au moins pendant 1 an après la rémission.15 ARTICLE IN PRESS 10 P. Vandel et al. La durée de la phase de prévention fixée par consensus est de 1 à... 10 ans,38 voire à vie chez les personnes âgées. Les facteurs à prendre en compte pour décider de la durée sont :3,13,14 • l’existence de symptômes résiduels ; • le nombre de récidives ; • la sévérité des épisodes dépressifs ; • l’existence de comorbidité psychiatrique ou médicale ; • l’avis du patient et les inconvénients du traitement. Si dans une dépression récurrente a existé un épisode dans les 5 dernières années avant la rechute actuelle, ou si la rémission a été difficile à obtenir, la WFSBP conseille un traitement de 3 ans. Si deux essais d’arrêt thérapeutique ont été accompagnés d’une rechute dans l’année suivante, cette durée sera de 5 à 10 ans ou plus. Points forts 3e étape : patience et prudence • Phase de consolidation après la rémission complète : le traitement efficace est maintenu pendant 6 mois au minimum. • Phase de prévention après la guérison : suivant l’importance du risque de récidive, le traitement sera de longue durée (en année) et pourra même être à vie. • Éduquer le patient quant à sa maladie. critiques s’accompagnent de souffrance et parfois d’invalidité (retentissement psychosocial et sur la qualité de vie) pendant une grande partie de la vie des patients (30 à 40 % de la vie). Elles seraient caractérisées par une hyperréactivité émotionnelle, une instabilité affective. Un nouveau concept de traitement curatif des formes subsyndromiques interépisodiques voit donc le jour, axé sur la chimiothérapie, mais aussi sur une psychoéducation avec apprentissage et gestion des facteurs déstabilisants comme le stress. Ce programme d’action sur la thymorégulation pourra peut-être même diminuer l’apparition des épisodes aigus. Références 1. Trivedi MH. Using treatment algorithms to bring patients to remission. J Clin Psychiatry 2003;64(suppl2):8–13. 2. Spadone C. Les arbres de décision de prise en charge des troubles dépressifs sont-ils pertinents? Nervure 2003; XVI(n spécial):41–7. 3. ANAES. Prise en charge d’un épisode dépressif en ambulatoire. Recommandation de l’ANAES. 2002. 4. Practice APA. Guidelines for the treatment of patients with major depressive disorder (revision). Am J Psychiatry 2000;157(suppl4):1–45. 5. Practice APA. Guidelines for the treatment of patients with bipolar disorder (revision). Am J Psychiatry 2002; 159(suppl4):1–50. 6. Anderson IM, Nutt DJ, Deakin JF. Evidence-based guidelines for treating depressive disorders with antidepressants: a revision of the 1993 British Association for Psychopharmacology guidelines. British Association for psychopharmacology guidelines. British Association for Psychopharmacology. J Psychopharmacol 2000;14:3–20. 7. CANMAT depression work group. Clinical guidelines for the treatment of depressive disorders. 2001. 8. Reesal RT, Lam RI. Principes of management. Can J Psychiatry 2001;46(suppl1):21S–28S. 9. Kennedy SH, Lam RW, Cohen NL, Ravindran AV. IV. Medications and other biological treatments. Can J Psychiatry 2001;46(suppl1):38S–58S. 10. Segal ZV, Kennedy SH, Cohen NL. V. Combining psychotherapy and pharmacotherapy. Can J Psychiatry 2001; 46(suppl1):59S–62S. 11. Bauer M, Whybrow PC, Angst J, Versiani M, Moller HJ. World federation of societies of biological psychiatry (WFSBP) task force on treatment guidelines for unipolar depressive disorders. Part 1: acute and continuation treatment of major depressive disorder. World J Biol Psychiatry 2002;3:5–43. 12. Bauer M, Whybrow PC, Angst J, Versiani M, Moller HJ. World federation of societies of biological psychiatry (WFSBP) task force on treatment guidelines for unipolar depressive disorders. Part 2: Maintenance treatment of major depressive disorder and treatment of chronic depressive disorders and subthreshold depressions. World J Biol Psychiatry 2002;3:69–86. Conclusion Bien qu’aucun arbre décisionnel ne remplace l’expérience du clinicien, la médecine étant encore un art et non une science exacte en raison de l’existence d’une grande variabilité interindividuelle, il représente un guide « rationalisé » lorsque tout semble confus. La recherche dans le domaine des troubles de l’humeur s’est longtemps polarisée sur le traitement des épisodes aigus et leur prévention, ceci avec succès. La demande du clinicien reste un raccourcissement du délai d’action, et une amélioration de la tolérance. La résistance thérapeutique pourra peut-être bénéficier d’une individualisation thérapeutique par la psycho-pharmaco-génomique caractérisant l’expression et un polymorphisme génique (détection de répondeur à une molécule, adaptation de la posologie en fonction des capacités métaboliques individuelles) et la création de molécules de mécanisme d’action différent, comme par exemple un impact sur la régulation des hormones du stress. Actuellement, la dimension intercritique subsyndromique est prise en compte. Ces périodes inter- ARTICLE IN PRESS Stratégies thérapeutiques des troubles de l’humeur 13. 14. 15. 16. 17. 18. 19. 20. 21. 22. 23. 24. Grunze H, Kasper S, Goodwin G, Bowden C, Baldwin D, Licht R, et al. World federation of societies of biological psychiatry (WFSBP) task force on treatment guidelines for bipolar disorders. Part I: treatment of bipolar depression. World J Biol Psychiatry 2002;3:115–24. Grunze H, Kasper S, Goodwin G, Bowden C, Baldwin D, Licht R, et al. World federation of societies of biological psychiatry (WFSBP) task force on treatment guidelines for bipolar disorders. Part II: treatment of mania. World J Biol Psychiatry 2003;4:5–13. Bschor T, Berghofer A, Strohle A, Kunz D, Adli M, MullerOerlinghausen B, et al. How long should the lithium augmentation strategy be maintained? A 1-year follow-up of a placebo-controlled study in unipolar refractory major depression. J Clin Psychopharmacol 2002;22:427–30. Rush AJ, Ryan ND. Current and emerging therapeutics for depression. In: Davis KL, Charney D, Coyle JT, Nemeroff C, editors. The fifth generation of progress. American College of Neuropsychopharmacology. 2002. p. 1081–97. Mendlewicz J, Lecrubier Y. Antidepressant selection: proceedings from a TCA/SSRI consensus conference. Acta Psychiatr Scand 2000;403(suppl):5–8. Thase ME, Bhargava M, Sachs GS. Treatment of bipolar depression: current status, continued challenges, and the STEP-BD approach. Psychiatr Clin North Am 2003;26:495– 518. Tohen M, Vieta E, Calabrese J, Ketter TA, Sachs G, Bowden C, et al. Efficacy of olanzapine and olanzapinefluoxetine combination in the treatment of bipolar I depression. Arch Gen Psychiatry 2003;60:1079–88. Corya SA, Andersen SW, Detke HC, Kelly LS, Van Campen LE, Sanger TM, et al. Long-term antidepressant efficacy and safety of olanzapine-fluoxetine combination: a 76-week open-label study. J Clin Psychiatry 2003;64: 1349–56. Galinowski A, Paillère-Martinot ML. La stimulation magnétique transcrânienne répétée : vers un outil thérapeutique en psychiatrie. Evol Psychiatr 2002;67:155–69. Grunhaus L, Schreiber S, Dolberg OT, Polak D, Dannon PN. A randomized controlled comparison of electroconvulsive therapy and repetitive transcranial magnetic stimulation in severe and resistant non psychotic major depression. Biol Psychiatry 2003;53:324–31. Keck PE, Husseini KM. Current and emerging treatments for acute mania and long-term prophylaxis for bipolar disorder. In: Davis KL, Charney D, Coyle JT, Nemeroff C, editors. The fifth generation of progress. American College of Neuropsychopharmacology. 2002. p. 1109–19. Mendlewicz J, Souery D, Rivelli SK. Short-term and longterm treatment for bipolar patients: beyond the guidelines. J Affect Disord 1999;55:79–85. 11 25. 26. 27. 28. 29. 30. 31. 32. 33. 34. 35. 36. 37. 38. Sachs GS, Thase ME, Otto MW, Bauer M, Miklowitz D, Wisniewski SR, et al. Rationale, design, and methods of the systematic treatment enhancement program for bipolar disorder (STEP-BD). Biol Psychiatry 2003;53:1028–42. Licht RW, Qvitzau S. Treatment strategies in patients with major depression not responding to first-line sertraline treatment. A randomised study of extended duration of treatment, dose increase or mianserin augmentation. Psychopharmacology 2002;161:143–51. Kornbluh R, Papakostas GI, Petersen T, Neault NB, Nierenberg AA, Rosenbaum JF, et al. A survey of prescribing preferences in the treatment of refractory depression: recent trends. Psychopharmacol Bull 2001;35:150–6. Souery D, Amsterdam J, de Montigny C, Lecrubier Y, Montmogery S, Lipp O, et al. Treatment resistant depression: methodological overview and operational criteria. Eur Neuropsychopharmacol 1999;9:83–91. Lam RW, Wan DD, Cohen NL, Kennedy SH. Combining antidepressants for treatment-resistant depression: a review. J Clin Psychiatry 2002;63:685–93. Fava M, Papakostas GI, Petersen T, Mahal Y, Quitkin F, Stewart J, et al. Switching to bupropion in fluoxetineresistant major depressive disorder. Ann Clin Psychiatry 2003;15:17–22. Holsboer F. Prospectus for antidepressant drug discovery. Biol Psychol 2001;57:47–65. Trivedi MH. Treatment-resistant depression: new therapies on the horizon. Ann Clin Psychiatry 2003;15:59–70. George MS, Nahas Z, Xiangbao L, Kozel A, Anderson B, Yamanaka K. Potential new brain stimulation therapies in bipolar illness: transcranial magnetic stimulation and vagus nerve stimulation. Clin Neurosci Res 2002;2:256–65. Schmidt ME, Fava M, Zhang S, Gonzales J, Raute NJ, Judge R. Treatment approaches to major depressive disorder relapse. Part 1: dose increase. Psychother Psychosom 2002;71:190–4. Fava M, Schmidt ME, Zhang S, Gonzales J, Raute NJ, Judge R. Treatment approaches to major depressive disorder relapse. Part 2: reinitiation of antidepressants treatment. Psychother Psychosom 2002;71:195–9. Altshuler L, Suppes T, Black D, Nolen WA, Keck Jr PE, Frye MA, et al. Impact of antidepressant discontinuation after acute bipolar depression remission on rates of depressive relapse at 1-year follow-up. Am J Psychiatry 2003;160:1252–62. Müller-Oerlinghausen B, Berghöfer A, Bauer M. Bipolar disorder. Lancet 2002;359:241–7. Vorspan F, Fossati P. Rémission, guérison, rechute et récidive des épisodes dépressifs majeurs : définition et conséquences pour la durée des traitements. Nervure 2003;XVI(n spécial):3–6.