Reconnaître les douleurs d`origine angineuse

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SOINS CRITIQUES
L’évaluation de l’angine de poitrine
Reconnaître les douleurs
d’origine angineuse
Par Guillaume Fontaine, inf., M.Sc., Ét. Ph.D., Kim Laflamme, inf., M.Sc., IPSC, Patrick Lavoie, inf., Ph.D.,
et Sonia Heppell, inf., M.Sc., IPSC
L
e dépistage des douleurs
angineuses, c’est-à-dire
des douleurs d’origine
cardiaque liées à un processus
ischémique, constitue un enjeu
clinique important. En effet,
l’ischémie cardiaque provoquée
par un déséquilibre entre l’apport
et la consommation d’oxygène du
myocarde doit être prise en charge
rapidement afin de minimiser les
lésions et la nécrose du muscle
cardiaque (Bonow et al., 2011).
Puisque les lésions et la nécrose
myocardiques peuvent menacer
la vie et être lourdes de
conséquences, notamment pour la
qualité de vie du patient, le rôle de
l’infirmière dans le dépistage des
douleurs angineuses est primordial
(Abid et al., 2015).
L’objectif de cet article est d’aider
les infirmières à reconnaître les
douleurs d’origine angineuse
à l’aide de données cliniques
56
© Buchachon / Dreamstime.com
Les douleurs thoraciques
constituent l’un des motifs
de consultation les plus
fréquents chez les adultes
se présentant aux services
d’urgence (ICIS, 2015).
Elles peuvent indiquer
un problème d’origine
cardiaque, pulmonaire,
gastro-intestinale ou
musculo-squelettique.
pertinentes. Ces données se classent
en trois catégories : les symptômes,
les facteurs de risque et les signes
cliniques.
Les symptômes
Les symptômes décrits par le patient
constituent la base de l’évaluation
d’une douleur angineuse (Abid et al.,
2015). En effet, pour la reconnaître,
le premier outil de l’infirmière consiste
à vérifier la présence de trois critères
propres à la douleur angineuse (voir
Tableau 1).
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Si la douleur décrite par le patient
ne correspond pas à la présentation
typique des symptômes de
l’angine, le risque d’un processus
ischémique sous-jacent est moins
probable (Gibbons et al., 2003). Il est
important de noter que ces critères
s’appliquent strictement à l’angine
de poitrine. En effet, une douleur
qui persiste au-delà de dix minutes
malgré le repos ou la prise de
nitroglycérine n’est pas une douleur
angineuse typique mais pourrait être
causée par un syndrome coronarien
aigu, ce qui constitue une urgence
(Bonow et al., 2011).
© Gwen Shockey / Science Photo Library
Pour son évaluation, l’infirmière peut
utiliser le PQRSTUI (Provoquée et
palliée, Qualité et quantité, Région
et irradiation, Signes et symptômes
associés, Temps et durée,
Understanding - compréhension
du patient, Impacts sur la vie
quotidienne). Ce questionnaire
permettra au patient de décrire
les caractéristiques de sa douleur
La douleur angineuse se situe
habituellement au niveau
rétrosternal. Elle peut irradier vers
le cou, la mâchoire, les membres
supérieurs et le dos, et parfois à
l’épigastre.
et aidera l’infirmière à repérer les
trois critères propres à la douleur
angineuse. Il fera ressortir également
d’autres éléments nécessaires à son
évaluation clinique.
Voici la description typique des trois
critères d’une douleur angineuse.
Cette information a été obtenue en
utilisant le PQRSTUI :
Une douleur angineuse est
généralement provoquée par un
effort, de fortes émotions ou un
repas (critère 1). Typiquement, elle
est soulagée par le repos ou la prise
de nitroglycérine (Bonow et al.,
2011). Elle se présente généralement
sous la forme d’un serrement, d’une
Tableau 1 Critères de classification des douleurs liées à l’angine de poitrine
CRITÈRE 1
CRITÈRE 2
CRITÈRE 3
Douleur à l’effort Douleur rétrosternale Soulagement par un repos
ou lors de fortes émotions constrictive
de 5 à 10 minutes ou avec
nitroglycérine
3 CRITÈRES SUR 3 = Douleur angineuse typique
2 CRITÈRES SUR 3 = Douleur angineuse atypique
1 CRITÈRE SUR 3 = Douleur thoracique non angineuse
Source : Adapté de Diamond et Forrester, 1979.
oppression, ou d’une sensation
d’étouffement ou de lourdeur
(critère 2). Pour certains patients,
la douleur est ressentie de manière
plus atypique et est décrite comme
une sensation d’engourdissement,
d’inconfort ou de brûlement. La
douleur angineuse peut varier
en intensité sur une échelle de 1
à 10. Elle se situe habituellement
au niveau rétrosternal et peut
irradier vers le cou, la mâchoire,
les membres supérieurs et le dos.
Parfois, la douleur peut être ressentie
à l’épigastre. Il est particulièrement
important de porter attention aux
symptômes tels que la dyspnée,
la faiblesse, la fatigue, la nausée
et les éructations qui peuvent être
des équivalents angineux chez les
personnes âgées, les femmes et
les diabétiques. Les équivalents
angineux sont des symptômes
atypiques qui peuvent aussi indiquer
un processus ischémique (Bonow
et al., 2011).
L’épisode typique d’une crise
d’angine dure de cinq à dix
minutes. Elle débute graduellement
avant d’atteindre son paroxysme
(critère 3). L’angine dite crescendo
témoigne d’une situation plus
urgente, elle est caractérisée par
une augmentation de la fréquence
des douleurs angineuses sur une
période de quelques semaines,
ces douleurs survenant au cours
d’activités de moindre intensité
(Laflamme, 2013).
Pour explorer la compréhension du
patient de sa douleur (understanding), l’infirmière peut lui demander :
« Selon vous, quelle est la cause de
cette douleur? » Enfin, l’impact de la
douleur angineuse sur les activités de
la vie quotidienne (AVQ) et domestique (AVD) est un indicateur de
gravité de la maladie cardiaque. La
classification fonctionnelle de l’angine
de poitrine de la Société canadienne
de cardiologie permet d’évaluer
l’impact de la douleur angineuse
(voir Tableau 2).
Le Tableau 3 compare les
caractéristiques de la douleur
angineuse typique avec certains
éléments qui peuvent indiquer qu’une
douleur est non angineuse.
Tableau 2 Classification fonctionnelle de l’angine de poitrine de la Société canadienne de cardiologie
CLASSE 1
Symptômes angineux pendant une activité physique intense
ou prolongée.
CLASSE 2
Symptômes angineux pendant une activité physique vigoureuse –
Limitation fonctionnelle légère.
Symptômes angineux pendant les AVQ/AVD – Limitation fonctionnelle CLASSE 3
modérée.
CLASSE
4
Incapacité d’exercer la moindre activité sans éprouver un malaise
angineux. L’angine peut se manifester au repos. – Limitation
fonctionnelle sévère.
Source : Adapté de Campeau, 2002.
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SOINS CRITIQUES RECONNAÎTRE LES DOULEURS D’ORIGINE ANGINEUSE
Tableau 3 Comparaison entre les caractéristiques d’une douleur angineuse
et celles d’une douleur thoracique non angineuse
PQRSTUI
Douleur angineuse
Provoqué
n
Pallié
n
Qualité
n
n
Provoquée par effort, émotions
fortes ou repas
Palliée par repos ou
nitroglycérine
Localisation très précise
n
Migratoire
Les signes cliniques
n
Inspiration limitée
n
n
Serrement, oppression, sensation d’étouffement, lourdeur
n
Provoquée par palpation,
mouvements, position, respiration
Palliée par l’ingestion d’un
liquide
Sensation de piqûre ou
de pincement
Atypique : engourdissement,
brûlement
Quantité
n
Région
n
Irradiation
n
Signes
n
Symptômes
n
Temps
n
5 à 10 minutes
Durée
n
Début graduel
n
n
cardiovasculaire (Bonow et al., 2011;
Manuel et al., 2014). Les patients
ayant des antécédents familiaux de
maladie cardiovasculaire précoce,
soit avant 55 ans pour les hommes
et avant 65 ans pour les femmes,
sont aussi plus à risque de présenter
une douleur angineuse secondaire
à la MCAS. Ainsi, plus le nombre de
facteurs de risque est élevé, plus le
risque de douleur angineuse est élevé
(D’agostino et al., 2008).
Douleur non angineuse
Varie en intensité sur une échelle de 1 à 10
Rétrosternale, épigastrique
Irradiation cou, mâchoire,
dos, bras
Intolérance à l’effort,
diaphorèse
L’examen physique permet
d’observer des signes cliniques
objectifs de la douleur angineuse.
Certains sont causés directement par
la douleur elle-même, par exemple
un faciès crispé ou le signe de Levine
qui consiste, pour le patient, à placer
son poing serré sur sa poitrine pour
décrire ses symptômes.
Parfois, dyspnée, faiblesse,
fatigue, nausée et éructations
n
n
Atteint son paroxysme en
quelques minutes
Understanding
n
Varie selon chaque patient
Impacts vie
quotidienne
n
AVQ ou AVD limitées
Très courte durée (quelques
secondes)
Soudaine, intense
Toutefois, une attention particulière
doit être portée aux signes d’instabilité
hémodynamique qui peuvent
témoigner d’une altération de la
fonction du myocarde, par exemple
des signes d’hypoperfusion, de
surcharge liquidienne ou d’altération
des signes vitaux (voir Tableau 4).
Sources : Informations tirées de : Bonow et al., 2011; Abid et al., 2015.
Les facteurs de risque
La connaissance des principaux
facteurs de risque cardiovasculaire
peut fournir à l’infirmière des pistes
relativement à l’origine de la
douleur thoracique ressentie par le
patient. La maladie coronarienne
athérosclérotique (MCAS) demeure le
principal facteur de risque (Bonow
et al., 2011) mais d’autres étiologies
sont possibles. Conséquemment,
il faut tenir compte des facteurs
de risque de l’athérosclérose
pour l’évaluation d’une douleur
d’apparence angineuse.
Après 40 ans, le risque de souffrir de
douleurs angineuses découlant de la
MCAS est de 49 % pour les hommes et
de 32 % pour les femmes (D’agostino
et al., 2008). Plusieurs habitudes de
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vie, par exemple le tabagisme, la
sédentarité et une alimentation
riche en lipides et en sodium, ainsi
que la présence de comorbidités
comme l’hypertension artérielle non
contrôlée, la dyslipidémie, le diabète
et l’obésité, sont considérées comme
les principaux facteurs de risque
Lorsqu’une douleur thoracique
est accompagnée de ces signes,
l’infirmière doit soupçonner la
présence d’un processus ischémique
cardiaque et aviser promptement le
personnel médical (Abid et al., 2015).
Le signe de Levine
© Aliced / Dreamstime.com
En effet, si on les compare aux
caractéristiques d’une douleur
angineuse typique, certains signes et
symptômes peuvent indiquer qu’une
douleur est non angineuse
(voir Tableau 3).
Le patient décrit ses symptômes en plaçant son
poing serré sur sa poitrine.
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Outre les informations liées aux
symptômes, aux facteurs de risque
et aux signes cliniques, l’infirmière
doit également considérer dans
son évaluation les résultats des
tests diagnostiques, par exemple
l’électrocardiogramme et les
biomarqueurs cardiaques. Même
si son évaluation ne permet
pas de conclure à une douleur
angineuse typique, les douleurs
thoraciques causées par d’autres
étiologies peuvent être tout aussi
inquiétantes. Dans le doute,
l’infirmière adressera le patient
à un médecin pour préciser ses
impressions cliniques.
Tableau 4 Signes d’une douleur angineuse visibles à l’examen clinique
Guillaume Fontaine est étudiant au doctorat à
la Faculté des sciences infirmières de l’Université
de Montréal. Il est assistant en recherche
clinique à l’Institut de Cardiologie de Montréal.
État général
n
n
Les auteurs
Faciès crispé
Signe de Levine
Signes d’hypoperfusion
n
n
Inspection
n
n
Kim Laflamme est infirmière praticienne
spécialisée en cardiologie à l’Institut de
Cardiologie de Montréal.
Diminution de l’état de conscience
Pâleur
Diaphorèse
Extrémités froides
Patrick Lavoie est stagiaire postdoctoral à la
William F. Connell School of Nursing au
Boston College.
Signes de surcharge liquidienne
n
n
n
n
Dyspnée au repos ou à la parole
Position tripode (assis, le patient est
penché vers l’avant et s’appuie sur ses
mains ou ses coudes)
Distension des veines jugulaires
Œdème des membres inférieurs
Signes vitaux
n
Palpation
n
n
Hypotension (tension artérielle systolique
<90 mmHg ou tension artérielle moyenne
<60 mmHg)
Bradycardie (pouls <60 battements/
minute)
Tachycardie (pouls >100 battements/
minute)
Signes de surcharge liquidienne
n
Auscultation
n
Auscultation cardiaque : bruits surajoutés
(B3-B4)
Auscultation pulmonaire : râles,
crépitants, absence de murmures
vésiculaires aux bases pulmonaires
Sources : Bonow et al., 2011; Laflamme, 2013.
Forte de son expérience, de ses connaissances et
de ses habiletés à recueillir les informations cliniques
pertinentes, l’infirmière possède l’ensemble des
éléments qui lui permettront d’exercer un jugement
clinique éclairé et d’élaborer un plan d’intervention
adapté et sécuritaire pour les patients éprouvant des
douleurs angineuses.
Sonia Heppell est infirmière praticienne
spécialisée en cardiologie à l’Institut de
Cardiologie de Montréal. Elle est responsable
de la formation clinique et professionnelle
à la Faculté des sciences infirmières de l’Université de Montréal.
Bibliographie
Abid, S., W. Shuaib, S. Ali, D.D. Evans, M.S. Khan, F. Edalat et al. « Chest pain assessment and imaging practices for nurse practitioners in the emergency department »,
Advanced Emergency Nursing Journal, vol. 37, n° 1, janv.-mars 2015, p. 12-22.
Bonow, R.O., D.L. Mann, D.P. Zipes et P. Lippy. Braunwald’s Heart Disease: A Textbook of
Cardiovascular Medicine (9e éd.), Philadelphie (PA), Elsevier, 2011, 2048 p.
Campeau, L. « The Canadian Cardiovascular Society grading of angina pectoris revisited
30 years later », Canadian Journal of Cardiology, vol. 18, n° 4, avril 2002, p. 371-379.
D’Agostino, R.B., R.S. Vasan, M.J. Pencina, P.A. Wolf, M. Cobain, J.M. Massaro et al.
« General cardiovascular risk profile for use in primary care: the Framingham heart
study », Circulation, vol. 117, n° 6, 12 févr. 2008, p. 743-753.
Diamond, G.A. et J.S. Forrester. « Analysis of probability as an aid in the clinical diagnosis
of coronary-artery disease », New England Journal of Medicine, vol. 300, n° 24,
14 juin 1979, p. 1350-1358.
Gibbons, R.J., J. Abrams, K. Chatterjee, J. Daley, P.C. Deedwania, J.S. Douglas et al.
« ACC/AHA 2002 guideline update for the management of patients with chronic stable
angina--summary article: a report of the American College of Cardiology/American
Heart Association Task Force on Practice Guidelines (Committee on the Management
of Patients With Chronic Stable Angina) », Circulation, vol. 107, n° 1, 7 janv. 2003,
p. 149-158.
Institut canadien d’information sur la santé (ICIS). « Visites aux services d’urgence en
2014-2015 : fiche d’information », Ottawa, ICIS, 15 oct. 2015, 2 p. [En ligne : https://secure.cihi.ca/estore/productFamily.htm? locale=en&pf=PFC2992&lang=en&media=0]
(Page consultée le 27 janvier 2016).
Laflamme, D. Précis de cardiologie, Paris, Frison-Roche, 2013, 392 p.
Manuel, D.G., M. Tuna, D. Hennessy, C. Bennett, A. Okhmatovskaia, P. Finès et al.
« Projections of preventable risks for cardiovascular disease in Canada to 2021: a
microsimulation modelling approach », Canadian Medical Association Journal, vol. 2,
n° 2, 7 oct. 2014, p. 94-101.
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