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L’Encéphale (2012) Supplément 4, S179-S185
Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com
journal homepage: www.elsevier.com/locate/encep
États mixtes
Mixed states
Pierre-Michel Llorca*, Thomas Charpeaud, Ludovic Samalin
CHU Clermont-Ferrand, BP 69, Clermont-Ferrand cedex 01, France ; Clermont Université, Université d’Auvergne, France
MOTS CLÉS
Trouble bipolaire ;
État mixte ;
Nosographie ;
Traitement
KEYWORDS
Bipolar disorder
mixed state;
Nosography;
Treatment
Résumé La question des états mixtes occupe depuis la fin du XIXe siècle une place
importante dans la réflexion sur la nosographie psychiatrique. La définition actuelle de
la mixité selon le DSM-IV, en tant qu’épisode de décompensation thymique du trouble
bipolaire de type I, à côté des modes de décompensations dépressifs et maniaques, est
sans doute peu opératoire et trop restrictive en pratique clinique. L’hétérogénéité des
tableaux cliniques dans le trouble bipolaire, tend en effet, à définir la mixité dans le cadre
d’une approche dimensionnelle, probable évolution du prochain DSM-V. Ce passage de
« l’état mixte » à la « mixité » pourrait se révéler pertinent en pratique, tant les aspects
évolutifs, pronostiques, mais aussi thérapeutiques sont particuliers lors de tels épisodes.
© L’encéphale, Paris, 2012. Tous droits réservés.
Summary The issue of mixed states has an important place in the debate on psychiatric
nosography since the end of XIXth century. The current definition of mixed states according
to the DSM-IV, as a thymic episode of bipolar disorder type I, is probably somewhat too
restrictive in clinical practice. Due to the clinical heterogeneity of bipolar disorder, the
mixed states will define within a dimensional approach, likely in the next DSM-V. As the
evolution, the prognosis or the therapeutic strategies differ from what is applied in other
thymic episodes, this transition from «mixed state» to manic or depressive episodes “with
mixed features” may be relevant in practice.
© L’encéphale, Paris, 2012. All rights reserved.
Introduction
Le trouble bipolaire est caractérisé par la fluctuation anormale de l’humeur, oscillant entre des périodes d’exaltation
marquée (épisodes maniaques) et des périodes d’affaissement de l’humeur (épisodes dépressifs).
La description classique de la manie associe de façon
constante dans la littérature, différents symptômes
considérés comme « typiques » : l’élation de l’humeur, la
logorrhée, la tachypsychie, l’augmentation de l’activité et de
l’énergie (associée à une diminution du besoin de sommeil),
l’irritabilité, l’élévation de l’acuité perceptive, le vécu de
persécution, l’hypersexualité, et enfin, l’impulsivité.
*Auteur correspondant.
Adresse e-mail : [email protected]
© L’Encéphale, Paris, 2012. Tous droits réservés.
L’épisode dépressif regroupe humeur dépressive,
ralentissement psychomoteur, anhédonie, idées de mort et
de culpabilité, troubles du sommeil et de l’alimentation
(anorexie avec amaigrissement).
Ces différents symptômes sont souvent regroupés en trois
domaines principaux :
• humeur ;
• cognition et perception ;
• activité et comportement.
Dès 1864, Falret [1] soulève la problématique de la mixité
qui sera largement étudiée par la suite : « … En effet, la
manie, la mélancolie, la monomanie et la démence, que dans
la classification régnante on considère comme des formes
S180
P.-M. Llorca, et al
distinctes, ne représentent que des états symptomatiques
provisoires et ne réunissent aucune des conditions nécessaires pour constituer des espèces vraiment naturelles. Les
caractères qui leur servent de base sont si secondaires et
si peu nombreux que chaque jour on rencontre des aliénés
qui peuvent à volonté figurer dans l’une ou dans l’autre de
ces quatre catégories. Ces formes sont si peu naturelles
que l’on a été conduit à admettre, par exemple, des
manies mélancoliques et des mélancolies maniaques… Il
est impossible de prévoir ce que deviendront dans l’avenir un
maniaque ou un mélancolique que l’on observe à une période
donnée de leur affection. Enfin, la transformation de la
manie en mélancolie et vice versa, que plusieurs auteurs
avaient déjà constatée, d’une manière accidentelle, mais
dont la succession régulière nous a servi à constituer une
forme spéciale, sous le nom de folie circulaire, est venue
fournir un dernier argument contre l’admission de ces deux
états symptomatiques comme espèces véritables de maladies
mentales… ».
Dans ce court extrait, cet auteur souligne :
• la difficulté pour définir les symptômes spécifiques de
chaque état (voire même pour caractériser les états
maniaques et dépressifs),
• la réalité clinique dans laquelle symptômes maniaques et
symptômes mélancoliques sont associés,
• la succession, éventuellement rapide, d’états thymiques
différents chez un sujet donné.
C’est Kraepelin qui tout au long des différentes versions
de ses traités, va décrire de façon plus précise l’entité
clinique correspondant aux épisodes mixtes [2]. Il introduit
cette notion dans la cinquième édition de son traité, et la
raffine dans les sixième et septième, notamment en prenant
en compte les travaux de son élève Weygandt.
Pour lui, dans un premier temps, l’état mixte se caractérise comme la survenue concomitante durant une même
phase de la maladie, de symptômes de manie et de symptômes
dépressifs. L’état mixte est considéré comme une véritable
pierre angulaire de la maladie maniaco-dépressive : en effet,
le fait qu’un symptôme thymique puisse être « remplacé »
par un autre symptôme d’une tonalité opposée, témoigne du
lien entre ces signes cliniques apparemment irréconciliables
et fonde ainsi l’unité de cette maladie [3].
Après les travaux de Weygandt [4], Kraepelin décrira
6 types d’état mixte en fonction des combinaisons de symptômes observés dans les 3 domaines (humeur, cognition,
activité psychomotrice) (Tableau 1) [6]. On retrouve :
• manie anxieuse dépressive ;
• manie avec pauvreté du discours ;
•
•
•
•
manie inhibée ;
manie stuporeuse ;
dépression avec fuite des idées ;
dépression agitée.
Comme le souligne Benoit [7], cette description est plus
taxonomique que psychopathologique, ne permettant pas
une réelle réflexion sur la place des états mixtes dans la
maladie maniaco-dépressive.
Aspects cliniques
Après ces publications classiques, de nombreux auteurs
ont proposé des descriptions cliniques des états maniaques
« purs » et des états mixtes, souvent basées sur l’étude de
populations de sujets maniaques à partir de l’utilisation de
différentes approches méthodologiques et statistiques. Ces
deux états sont souvent définis l’un par rapport à l’autre ce
qui n’est pas sans témoigner de l’embarras des auteurs pour
délimiter ces entités.
Distinction manie pure, manie mixte
Pour certains auteurs, il s’agit d’états distincts, alors que
d’autres les considèrent comme appartenant à un continuum et pouvant être observés au cours de l’évolution de
la maladie bipolaire.
Pour Court [8], la manie mixte serait un état transitionnel
entre manie et dépression.
Dans une perspective diachronique, Carlson et
Goodwin [9] ont observé des patients au cours d’épisodes
non traités et ont défini différents stades évolutifs de la
manie. Les manifestations dysphoriques surviennent alors
au cours de la période « finale » de l’évolution de la manie
(Tableau 2).
Approches dimensionnelles
Certaines équipes ont, depuis de nombreuses années, utilisé
des techniques statistiques telles que les analyses factorielles
pour identifier les dimensions cliniques retrouvées chez les
patients bipolaires et notamment dans la manie.
Dès 1974, Beigel et Murphy [12] ont identifié deux dimensions distinctes dans le syndrome maniaque :
• la dimension « Euphorique » (qui regroupe les symptômes
dits « classiques ») ;
Tableau 1 Formes cliniques d’état mixtes en fonction des manifestations symptomatiques associées
(adapté de Azorin [5])
Humeur
Cognition
Psychomotricité
Manie anxieuse dépressive
D
M
M
Manie avec pauvreté du discours
M
D
M
Manie inhibée
M
M
D
Manie stuporeuse
M
D
D
Dépression avec fuite des idées
D
M
D
Dépression agitée
D
D
M
États mixtes
S181
mixte, ont permis de déterminer des clusters de patients qui
se distinguent à la fois par les critères cliniques mais aussi
par l’évolution de la maladie, l’existence de comorbidités
ou de critères socio-démographiques particuliers. On peut
faire l’hypothèse que les sujets ainsi regroupés souffrent de
sous-types distincts de manie. Ces travaux distinguent ainsi :
• la manie « classique » et la manie « psychotique » d’une
part, présentes dans toutes les analyses ;
• et d’autre part, la manie « dépressive » retrouvée dans
quatre de ces études [14,16,17,19], la manie dite « duale »
qui correspond à la présence comorbide d’un abus de
substance, retrouvée dans deux études [18,19], et enfin
la manie « irritable ou agressive » retrouvée également
dans seulement deux études [14,17].
En regard de ces travaux, la « manie dépressive » correspond à des sujets :
• ayant présenté un premier épisode à polarité dépressive
ou mixte ;
• avec un haut niveau d’anxiété et de dépression ;
• ayant un nombre élevé d’épisodes antérieurs et de tentatives de suicide ;
• et la dimension de « Paranoïa destructrice » (qui regroupe
les éléments psychotiques et d’agressivité).
Des études plus récentes [13-15] portant sur des populations plus importantes retrouvent un nombre de facteurs
plus élevé (Tableau 3). Ces différents facteurs démontrent le
caractère multidimensionnel du syndrome maniaque.
Ces résultats confirment la possible juxtaposition chez
les patients maniaques, de dimensions « typiques » avec des
dimensions dépressives, soulignant ainsi l’importance de
la notion de mixité et validant l’intuition clinique initiale
émise par Falret.
Analyse en cluster
L’analyse en cluster permet de regrouper, dans une population donnée, des patients présentant des caractéristiques
communes, qu’elles soient d’ordres cliniques, sociodémographiques ou autres.
Différents travaux [14,16-19] portant sur de larges
populations de patients présentant un épisode maniaque ou
Tableau 2 Approche dimensionnelle des états maniaques. Résultats d’analyses factorielles
Azorin et al [10]
n = 104
Cassidy et al [9]
n = 237
Swann et al [11]
n = 179
F1. Activation /instabilité
F1. Dysphorie
F1. Impulsivité
F2. Hostilité
F2. Accélération psychomotrice
F2. Pessimisme anxieux
F3. Déficit
(inclus apparence et troubles du jugement)
F3. Psychose
F3. Hyperactivité
(inclus humeur exaltée)
F4. Psychose
F4. Augmentation des fonctions hédoniques F4. Détresse apparente
F5. Exaltation
F5. Irritabilité/Agressivité
F6. Dépression
F5. Hostilité
F6. Délire/psychose
F7. Hypersexualité
Tableau 3 Les stades de la manie [9]
Stade I
Stade II
Stade III
Dysphorie croissante
Dépression
Hostilité ouverte
Colères
Dysphorie nette
Panique
Désespoir
Relâchement et incohérence
des associations
Idées délirantes bizarres
Hallucinations
Désorientation temporo-spatiale
Idées de référence
occasionnelles
Humeur
Labilité des affects
Prédominance de l’euphorie
Irritabilité si contrariété
Cognition
Expansivité, grandiosité
Confiance en soi accrue
Pansée cohérente mais parfois
tangentielle
Préoccupations sexuelles
et religieuses
Accélération des idées
Fuite des idées
Désorganisation cognitive
Idées délirantes
Comportement
Hyperactivité psychomotrice
Tachylogorrhée
Dépenses inconsidérées
Tabagisme
Abus téléphoniques
Accélération psychomotrice
intense et continue
Activité psychomotrice
Pression langagière
frénétique et souvent bizarre
Agressions
S182
•
•
•
•
•
présentant des épisodes sans intervalles libres ;
avec une altération importante du fonctionnement social ;
de sexe féminin ;
divorcées ou veuves ;
ayant reçu un diagnostic préalable d’anxiété, de dépression, ou de trouble de la personnalité.
Critères diagnostiques – Approche catégorielle
P.-M. Llorca, et al
Ces deux classifications ne s’accordent ni sur la durée (une
semaine contre deux semaines), ni sur la co-occurrence des
troubles, la CIM10 acceptant l’alternance rapide de l’humeur.
L’évolution du DSM semble dans sa 5e version s’orienter
vers la disparition de cette notion « d’état mixte ». On
parlera de « caractéristiques mixtes » d’un épisode thymique
(maniaque, hypomaniaque ou dépressif) lors de la présence
d’au moins trois symptômes de la tonalité opposée (issus
d’une liste proposée). L’alternance des symptômes n’est pas
prise en compte (http://www.dsm5.org).
McElroy et al. [20] ont défini des critères opérationnels de
« manie dysphorique », associant symptômes maniaques et
symptômes dépressifs. C’est le nombre de ces derniers qui
constitue un seuil diagnostique (Tableau 4).
Cette définition est cohérente avec celle de Cassidy et
al. [21] qui proposent de retenir la présence de deux symptômes parmi les six suivants pour pouvoir parler d’état mixte
chez un sujet présentant une symptomatologie maniaque :
• humeur dépressive ;
• anhédonie ;
• anxiété ;
• culpabilité ;
• suicidalité ;
• fatigue.
On peut citer également les définitions de Swann et
al. [22] ou celles de Perugi [23] qui varient en fonction du
type ou du nombre de symptômes dépressifs retenus.
Ces critères sont plus « larges » que la classification
du DSM dans sa quatrième version, pour laquelle, la cooccurrence d’un syndrome maniaque et d’un syndrome
dépressif « complet » pendant au moins une semaine, est
nécessaire pour établir le diagnostic d’état mixte (Tableau 5).
La Classification internationale des maladies, dans sa
10e version (CIM10), associe quand à elle deux syndromes
maniaque et dépressif pour définir les épisodes mixtes.
L’épisode mixte se définit donc comme « une période d’au
moins deux semaines, caractérisée par la présence de symptômes maniaques, hypomaniaques ou dépressifs, intriqués
ou alternant rapidement (habituellement en l’espace de
quelques heures) ».
Tableau 5 Critères diagnostiques de l’épisode mixte
selon le DSM-IV TR
A. Les critères sont réunis, à la fois, pour un épisode
maniaque et pour un épisode dépressif majeur
(à l’exception du critère de durée) et cela presque
tous les jours pendant au moins une semaine
B. La perturbation de l’humeur est suffisamment
sévère pour entraîner une altération marquée
du fonctionnement professionnel, des activités
sociales ou des relations interpersonnelles,
ou pour nécessiter l’hospitalisation afin de prévenir
des conséquences dommageables pour le sujet
ou pour autrui, ou il existe des caractéristiques
psychotiques
C. Les symptômes ne sont pas dus aux effets
physiologiques directs d’une substance
(par ex., substance donnant lieu à abus, médicament
ou autre traitement) ou d’une affection médicale
générale (par ex., hyperthyroïdie)
NB : Des épisodes d’allure mixte clairement
secondaires à un traitement antidépresseur somatique
(médicament, sismothérapie, photothérapie)
ne doivent pas être pris en compte pour le diagnostic
de trouble bipolaire I
Tableau 4 Critères opérationnels du diagnostic de manie dysphorique. D’après McElroy et al [20].
Critères opérationnels du diagnostic de manie dysphorique
A : Critères complets d’un syndrome maniaque ou hypomaniaque selon le DSM-III-R
B : Présence simultanée de symptômes dépressifs associés * :
1 – humeur dépressive
2 – diminution marquée de l’intérêt ou du plaisir présent dans presque toutes les activités
3 – gain de poids significatif ou augmentation de l’appétit
4 – hypersomnie
5 – ralentissement psychomoteur
6 – fatigue ou perte d’énergie
7 – sentiment d’indignité ou de culpabilité excessive
8 – sentiments de désespoir ou d’être sans aide
9 – pensées récurrentes de mort, idées suicidaires récurrentes, plans précis de suicide
C : spectre diagnostique de la manie dysphorique (MD)
MD avérée : si présence de 3 symptômes dépressifs
MD probable : si présence de 2 symptômes dépressifs
MD douteuse ou possible : si présence de 1 symptôme dépressif
* Sont éliminés les symptômes communs avec la manie (insomnie, agitation, trouble de la concentration)
États mixtes
Le rationnel de cette modification repose notamment
sur le fait qu’une proportion importante de sujets présentant un épisode maniaque ou dépressif, présente des
symptômes de tonalité thymique opposée, sans qu’on
puisse pour autant – compte tenu du caractère restrictif
des critères diagnostiques – porter le diagnostic d’épisode
mixte. Ainsi, Goldberg et al. [24] observaient dans une
population de 1 380 patients bipolaires présentant un
épisode dépressif majeur, seulement 1/3 d’épisode dépressif « pur » et 54 % de dépression avec 1 à 3 symptômes
maniaques.
Les sujets déprimés présentant jusqu’à 3 symptômes de
la lignée maniaque pourraient par ailleurs être considérés
comme présentant une vulnérabilité élevée à la bipolarité [10]. Cette approche suggère une nouvelle place de la
mixité, passant dans les classifications actuelles d’entité
syndromique « indépendante », à une dimension des épisodes thymiques, dans le futur DSM.5, ayant un impact à
la fois en termes de pronostic et d’évolution, mais aussi
d’approche thérapeutique. Le groupe de travail du DSM.5 a
ainsi fait la proposition d’introduire cette notion de « caractéristique mixte » pouvant être portée aussi bien chez un
sujet maniaque, qu’hypomaniaque ou déprimé. Il convient
toutefois d’attendre la publication de la version définitive
du DSM.5 prévue en mai 2013.
Épidémiologie
La prévalence des états mixtes est largement dépendante de
la définition employée. Dans diverses études prospectives, la
fréquence de survenue varie entre 19 et 66 %, si l’on utilise
les critères de la CIM 10 ou les critères de Cincinnati [25].
Il existe dans la plupart des études une prédominance
féminine. L’âge de début (premiers symptômes, premier
traitement ou première hospitalisation) ne semble pas
spécifique dans cette population.
Dans une étude menée dans un échantillon de
1 000 patients présentant un état maniaque, Hantouche
et al. [26] ont retrouvé un symptôme dépressif chez 204
sujets (18,7 %) et deux symptômes chez 331 (30,4 %). Les
symptômes les plus fréquents étaient la labilité émotionnelle, l’irritabilité puis l’humeur dépressive et la fatigue.
Les sujets présentant un épisode mixte étaient plus souvent
de sexe féminin, pour lesquels l’errance diagnostique avait
été significativement plus fréquente, avec notamment des
diagnostics initiaux de troubles de la personnalité ou de
comorbidité anxieuse.
Une cohorte de 771 patients souffrant d’état
maniaque [27] a permis d’isoler un échantillon important
de patients présentant un état mixte (34 %). Ce dernier
était caractérisé par une surreprésentation féminine, une
évolution récente marquée par de plus nombreux épisodes,
un nombre supérieur d’antécédents de tentatives de
suicide et de cycles rapides et une atteinte fonctionnelle
plus marquée (tant dans la vie quotidienne que sur le plan
professionnel).
Aspects évolutifs
De nombreuses études ont étudié la survenue et l’évolution
des états mixtes.
Tout d’abord, peu de données permettent d’établir un
pattern saisonnier, chez les patients présentant des états
S183
mixtes. Cassidy et Caroll [28] ont décrit un pic de survenue à
la fin de l’été, les manies pures survenant, pour ces auteurs,
plutôt au printemps. L’impact de la saisonnalité dans la
tonalité des décompensations thymiques, bien que faisant
l’objet de descriptions anciennes, reste une donnée mal
connue. À l’extrême, la théorie chronobiologique infradienne pourrait tendre vers une modélisation du risque de
mixité des épisodes dépressifs, qui serait d’autant plus grand
qu’ils surviendraient à distance de la fin de l’automne ou
de l’hiver. La pertinence de ce modèle en pratique clinique
courante reste bien entendu toute relative.
Sur le plan thérapeutique, il est assez communément
admis que les épisodes mixtes répondraient plus mal aux
sels de lithium, mais aussi de façon plus globale, aux
thérapeutiques mises en œuvre. Pourtant, les études
portant spécifiquement sur les options thérapeutiques des
épisodes mixtes, se confrontent à d’importantes difficultés
méthodologiques, notamment en termes de définition de
ces épisodes, ce qui pourrait finalement nuire à la mise en
évidence, avec un bon niveau de preuve, d’une efficacité
thérapeutique [29].
Comme retrouvés dans les analyses en cluster évoquées
précédemment, les sujets présentant des états mixtes semblent avoir une trajectoire dépressive prédominante, avec
des périodes de rémission plus courtes et moins nombreuses,
et également une moins bonne récupération [19,25,30].
À partir des résultats d’études prospectives, au cours de
la trajectoire d’un patient, le caractère mixte ou « pur » des
épisodes semble persister, contrairement aux descriptions de
Carlson et Goodwin [9] évoquées précédemment.
Comorbidités – Suicidalité
L’abus de substance est une comorbidité plus fréquente lors
de la survenue d’états mixtes. Une fois de plus les imprécisions méthodologiques rendent les résultats de la littérature
difficiles à interpréter. Cette comorbidité altère toutefois le
pronostic et la réponse au traitement [31].
La comorbidité anxieuse favoriserait la survenue d’épisodes mixtes dans le cours évolutif du trouble bipolaire [26].
Deux mécanismes pourraient expliquer cette association :
• la prescription plus fréquente d’antidépresseurs pour traiter le trouble anxieux, favoriserait les virages dysphoriques
de l’humeur ;
• il existerait une instabilité accrue de l’humeur du fait de
la comorbidité (effet spécifique du trouble anxieux).
La mortalité par suicide est 30 fois plus élevée dans
le trouble bipolaire que dans la population générale [32].
Chez les patients présentant un épisode mixte, la suicidalité
semble plus importante, bien que les données soient discutées en fonction de la méthodologie des différentes études.
Dans une étude réalisée chez des adolescentes, la présence
d’un état mixte multiplie par 4 le risque de geste suicidaire
par rapport à celle d’un état dépressif majeur [33]. Dans
une cohorte de patients maniaques ou mixtes, 54,5 % des
patients mixtes étaient suicidaires contre 2 % des patients
présentant une manie « pure » [34].
La non-résolution d’un état mixte serait associée à un
risque accru de répétition des gestes suicidaires [32].
Pour certains, la présence d’idées suicidaires au cours
d’un épisode maniaque oriente plus fortement vers le diagnostic d’état mixte avec une bonne valeur prédictive [35].
Ces patients doivent donc être considérés comme à haut
risque suicidaire.
S184
Prise en charge
La difficulté de définition des états mixtes, que nous venons
d’évoquer, explique le faible nombre d’essais cliniques
contrôlés, randomisés, spécifiques. Le plus souvent ces
patients sont regroupés avec les manies pures dans les essais
cliniques, ce qui ne permet pas d’aboutir à des recommandations du grade le plus élevé. Les recommandations de
pratique clinique sur la prise en charge du trouble bipolaire
sont d’ailleurs scindés en deux groupes pour le traitement
de l’état mixte : celles qui proposent des recommandations
spécifiques et celles qui ne le différencient pas du traitement
d’une manie classique.
Mahli et al. [30], soulignent cet aspect méthodologique et
le rôle dans les stratégies de premier rang des anticonvulsivants et des antipsychotiques de seconde génération (AP2G).
Le choix reste bien sûr conditionné par les caractéristiques
spécifiques du patient, le contexte clinique et les éventuels
facteurs environnementaux.
Les recommandations proposées sont donc assez
générales.
Comme le souligne l’Association française de psychiatrie biologique et neuropsychopharmacologie (AFPBN),
la première étape consiste à évaluer et éventuellement
interrompre les traitements en cours, augmentant le risque
d’hypomanie ou de cycle rapide. Ce sont les antidépresseurs
qui sont bien entendu mis sur la sellette dans ce cadre. De
même, en cas de rechute, il convient de contrôler l’observance et d’optimiser le traitement en cours [36].
Si les AP2G et les anticonvulsivants semblent avoir montré
un intérêt sur la symptomatologie maniaque comparable à
celle observée dans la manie pure [37-40] ; en pratique la
plupart des patients lors d’un épisode mixte sont traités par
une association [27]. Une revue de la littérature récente tend
d’ailleurs à démontrer une supériorité d’associations thérapeutiques telles que principalement AP2G et divalproate, par
rapport aux monothérapies classiques, lithium compris [29].
De façon globale, les traitements qui peuvent être
considérés, comme utilisables en première ligne sont les
AP2G [11,41-43], le lithium ou le divalproate [40].
L'emploi d'une bithérapie AP2G et divalproate peut être
considéré comme de grade I. L’emploi en monothérapie des
AP2G ou du divalproate peut être considéré comme de grade
II [44].
À côté de l’approche pharmacothérapique, les stratégies
de prévention du suicide, mais aussi toutes les stratégies
d’accompagnement ou psychothérapeutiques sont indispensables. Comme le précise l’AFPBN [36], « …durant une hospitalisation ou lors d’un accès maniaque, mixte ou dépressif
majeur d’intensité sévère, l’information du patient et de la
famille, et la thérapie de soutien sont les prises en charge
non médicamenteuses de première ligne… ».
Leurs buts sont notamment :
• d’informer sur la maladie et sa prise en charge ;
• d’augmenter l’alliance thérapeutique et l’observance
médicamenteuse ;
• de permettre au patient de développer des capacités
d’adaptation notamment vis-à-vis des facteurs de stress.
Conclusion
Les états mixtes sont très fréquents bien que largement
sous-identifiés. Ils posent un réel problème de caractérisation
clinique, mais aussi physiopathologique.
07_Llorca.indd S184
P.-M. Llorca, et al
Leurs caractéristiques, en particulier évolutives, justifient une attention toute particulière, mais il n’existe pas
de stratégie de prise en charge spécifique.
La modification probable de la nosographie, va certainement modifier leur abord et permettre, on peut l’espérer, une
amélioration de la compréhension de cette entité clinique.
Celle-ci étant actuellement définie de manière restrictive,
alors qu’une approche dimensionnelle de la mixité pourrait
probablement mieux rendre compte de la réalité clinique, et
de la diversité des modes de décompensations thymiques, y
compris pour des tonalités dominantes équivalentes.
Déclarations d’intérêts
P.-M. Llorca : Essais cliniques : en qualité d’investigateur
principal, coordonnateur ou expérimentateur principal
(Lundbeck, Roche, Lilly) ; Essais cliniques : en qualité de coinvestigateur, expérimentateur non principal, collaborateur à
l’étude (Lundbeck, Roche, Lilly) ; Interventions ponctuelles :
rapports d’expertise (Sanofi) ; Interventions ponctuelles :
activités de conseil (BMS, Lundbeck, Roche, Lilly, Sanofi) ;
Conférences : invitations en qualité d’intervenant (BMS,
Lundbeck, Roche, Lilly, Sanofi) ; Conférences : invitations en
qualité d’auditeur - frais de déplacement et d’hébergement
pris en charge par une entreprise (BMS, Lundbeck, Roche,
Lilly, Sanofi).
T. Charpeaud : Essais cliniques : en qualité de co-investigateur, expérimentateur non principal, collaborateur à
l’étude (Lundbeck, Roche, Lilly) ; Interventions ponctuelles :
activités de conseil (Lundbeck).
L. Samalin : Essais cliniques : en qualité de co-investigateur,
expérimentateur non principal, collaborateur à l’étude
(Lundbeck, Roche, Lilly) ; Interventions ponctuelles : activités de conseil (BMS) ; Conférences : invitations en qualité
d’auditeur - frais de déplacement et d’hébergement pris en
charge par une entreprise (BMS).
Références
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cliniques. Paris : Baillière et fils ed ; 1864.
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