diabétologie Adolescents diabétiques : de la pédiatrie à la médecine d’adulte Rupture ou continuité ? La prise en charge des enfants atteints de maladie chronique comporte certaines étapes clés pour la qualité de vie et l’équilibre de la maladie : l’annonce du diagnostic, l’adolescence qui permet l’autonomisation du jeune, mais qui Dr Paul Jacquin Praticien hospitalier et pédiatre, Médecine de l’adolescent, Hôpital Robert‑Debré, Paris. comporte aussi d’inévitables risques et expériences (1, 2) et enfin le passage en adulte. Ce dernier temps de la pédiatrie intervient lorsque l’adolescence n’est pas terminée, dans une période de mutation féconde pour le jeune, mais instable : choix professionnel, études supérieures, engagement amoureux, autonomisation par rapport aux parents, départ du foyer familial et changement de ville, voire de pays. Ces changements dans la vie des adolescents/jeunes adultes peuvent être facteurs de perte de continuité dans le suivi médical. Enjeux et risques de la transition Plus qu’un simple passage d’une équipe médicale à une autre, il s’agit d’une transition, c’est-à-dire d’un processus qui s’étale sur des années, avant, pendant et après, jusqu’à un accrochage stabilisé en médecine d’adultes. Les risques de rupture dans les soins sont importants : abandon du suivi en pédiatrie avant l’organisation du passage, échec du passage “primaire” (n’arrive pas en adulte) ou “secondaire” (n’y retourne pas après une ou deux consultations). Les taux de perte de vue sont de 20 à 30 % lorsque la transition n’est pas organisée de façon très spécifique (3, 4). Ces ruptures peuvent durer des années, le patient se débrouillant avec des prescriptions de médecins généralistes sans surveillance spécialisée. Elles ont des conséquences graves : déséquilibre glycémique durable, apparition de complications dégénératives non dépistées et non traitées, augmentation du risque de complications aiguës, essentiellement hospitalisations pour acidocétose (3). Quitter la pédiatrie ? C’est quitter l’endroit où l’on a été soigné depuis des années, le plus souvent dès l’annonce du diagnostic, et perdre des relations fortes avec des personnes souvent comparées à une deuxième famille. La fonction protectrice de la pédiatrie est importante, les jeunes patients savent qu’on y tolère leurs chez l’adulte... La perte de ces liens et de cette protection génère de l’inquiétude et souvent des doutes sur les qualités et la compétence de la nouvelle équipe, la peur de ne pas y être compris, ou pas accepté « si on ne fait pas tout bien ». Passer en adulte, c’est aussi une injonction à devenir adulte, ce qui ne se fait jamais d’un coup, qui plus est avec une maladie. En effet, si « Les taux de perte de vue sont de 20 à 30 % lorsque la transition n’est pas organisée de façon très spécifique. » écarts et qu’on n’hésite pas à les rappeler lorsqu’ils oublient de venir. Dans le cas du diabète, la pédiatrie peut aussi représenter, pour beaucoup de patients, de familles et aussi de soignants, un univers protégé des complications – aussi redoutées que mal connues – qui n’arriveront que l’adolescence permet des détours plus ou moins transitoires avec l’acceptation de la permanence du diabète (déni, transgressions, etc.), le passage en adulte confronte à la nécessité de “faire avec” la maladie. De plus, la confrontation avec les patients adultes, des “vieux”, avec des Adolescence & Médecine • Juin 2014 • numéro 721 diabétologie complications visibles dans la salle d’attente ou en hospitalisation, est une difficile épreuve pour les jeunes, surtout s’ils n’y ont pas été préparés. De même, c’est parfois seulement en services d’adultes que les jeunes patients apprennent ou prennent conscience de certaines limites qu’impose le diabète, concernant en particulier la grossesse, le permis de conduire et les professions interdites. Préparer et organiser la transition Pour limiter les risques de rupture et les difficultés évoquées ci-dessus, de nombreuses équipes ont mis en place des procédures diverses : dossier de transition, checklist, consultation spécifique de transition, personnel dédié spécifique “transiteur”, etc. (5-7). L’efficacité de ces mesures tient à deux critères essentiels (8, 9) : la préparation et l’organisation de la transition, ce qui est repris dans les recommandations publiées (10, 11). Nous insisterons sur un certain nombre de points-clés : • La transition ne se résume pas au bref temps du passage d’un service à un autre : elle débute des années avant le passage et s’achève après deux ou trois années d’un bon accrochage en adulte. • Le passage en adulte est un des aspects de l’avenir : il doit donc être évoqué dès les premières années du suivi, comme une perspective de vie. • Anticiper l’avenir avec la maladie : quelles conséquences peut avoir le diabète sur la vie d’adulte, quels risques, quels appuis et solutions ? Il faut parler des complications dès l’annonce du diagnostic et au cours du suivi en pédiatrie, sans se cacher derrière des non-dits, qui recouvrent souvent des angoisses basées sur une sous-information (des adolescents, de leurs parents, et parfois aussi des soignants en pédiatrie) : souligner les bénéfices 22 du traitement régulier, mais aussi de toute amélioration de l’équilibre glycémique même dans des mauvaises passes, de l’intérêt de la surveillance régulière, des possibilités thérapeutiques à tous les stades de la maladie. La sexualité, la grossesse et la contraception doivent être abordées suffisamment tôt, tout comme les limites qu’impose le diabète sur certaines professions et sur le permis de conduire. Il s’agit d’une continuité de vie, évolutive et dynamique, et non d’une bascule brutale d’une enfance protégée à un univers adulte rempli de souffrances et de menaces. • La transition doit être préparée : il n’y a pas d’âge “légal” du passage, celui-ci doit intervenir à un moment où le jeune et ses parents s’y sentent prêts, dans une période de relative stabilité médicale, en s’articulant avec les étapes de la vie scolaire ou professionnelle. En France, c’est majoritairement autour des 18 ans : fin du lycée, changement de ville envisagé, etc. Être prêt signifie être suffisamment autonome sur les différents aspects de sa maladie et du traitement, ce qui concrètement ne s’évalue ni ne se décrète la veille du passage. • De plus, la préparation doit être basée sur un diagnostic global du patient et de sa famille, c’est-à-dire aussi sur les plans psychologiques et sociaux. Les troubles psychiques tels que la dépression ou les troubles du comportement alimentaire (souvent masqués) doivent être recherchés et, si besoin, pris en charge durant cette phase de préparation. La question de la rupture des droits sociaux concerne de plus en plus de jeunes adultes et doit être évitée. • Un document médical de transmission doit être rédigé avant le passage. Il doit être clair et synthétique, car il est autant destiné au diabétologue d’adultes qu’au patient lui-même. C’est un résumé des éléments essentiels de l’histoire du diabète, des traitements et d’éventuelles complications, qui est plus utile que l’intégralité du dossier. • Enfin, le patient doit être suffisamment informé sur la nouvelle équipe, voire la rencontrer, afin de pouvoir se représenter les changements que représente ce passage et de pouvoir les envisager positivement. La présentation de la nouvelle équipe soignante dépend des conditions géographiques (pédiatrie et service d’adultes sur le même site ou non). Elle peut se faire physiquement (visite de service ou rencontres organisées en amont du passage, consultation conjointe) ou par une plaquette de présentation du service. • La transition doit s’appuyer sur une indispensable collaboration entre les équipes pédiatriques et d’adultes. L’accrochage en diabétologie adulte sera très nettement facilité si le patient sent qu’il existe une connaissance et une confiance réciproque entre les partenaires. Certains patients, pour lesquels le passage paraît le plus risqué, bénéficieront d’un accompagnement physique transitoire dans la nouvelle équipe jusqu’à un accrochage réussi. • L’organisation du passage, la prise des rendez-vous, la surveillance de la présence aux consultations doivent être suivies conjointement par les équipes pédiatriques et d’adultes selon des modalités déterminées en commun. Ainsi on peut “rattraper” les patients qui ne seraient pas arrivés en adulte ou qui décrochent rapidement après un ou deux rendez-vous. • L’accueil des jeunes patients en adulte doit être optimisé. Il est important que les équipes d’adultes puissent proposer un accueil adapté aux besoins de ces patients qui nous disent clairement qu’ils ne veulent pas être pris pour des adultes, mais pas non plus pour des enfants : infirmière dédiée, Adolescence & Médecine • Juin 2014 • numéro 7 Adolescents diabétiques : de la pédiatrie à la médecine d’adulte choix privilégié de médecins seniors, regroupement des jeunes sur des temps d’éducation thérapeutique... La sexualité et la contraception, mais aussi les consommations (alcool, tabac et cannabis) doivent être des sujets facilement abordables en consultation. Une formation en médecine de l’adolescent pourrait être organisée en commun pour les équipes pédiatriques et d’adultes. Le monitorage des différents rendez-vous médicaux et paramédicaux doit être organisé et suivi, étant donné la fréquence des oublis et les changements à cet âge. • Le changement de traitement dès le début du suivi en adulte est déconseillé, perçu comme une disqualification de la prise en charge antérieure et compromettant l’établissement d'une relation de confiance patient-médecin. • Le médecin traitant (mais bien des jeunes n’en ont pas) doit être informé de l’ensemble de ce processus. Après le premier rendez-vous en adulte, le patient qui le souhaite doit pouvoir revenir informer l’équipe pédiatrique de ses impressions sur la nouvelle équipe, et chercher une autre solution en cas d’inadéquation. • Le rôle des parents : il est essentiel tout au long du processus d’anticipation et de préparation du passage. Les parents doivent être associés à l’évaluation qui précède la mise en route du projet de transition. Leur présence aux côtés de leur grand enfant, au moins une fois en adulte, permet de valider le choix qui est fait et aide au transfert de confiance d’une équipe à l’autre, gage de réussite du suivi en adulte. Conclusion Le passage en adulte est une étape importante dans la vie du patient diabétique, dont les conséquences sont importantes pour sa qualité de vie d’adulte. Si pour certains, ce cap est franchi facilement, il n’en va pas de même pour tous, avec des risques graves en cas d’échec. Pour faire en sorte que tous les patients le réussissent, il faut s’en donner les moyens : • du côté de la diabétologie pédiatrique par une anticipation et une préparation suffisantes, une évaluation large (médico-psychosociale) de la situation du jeune avant le passage, une organisation du passage structurée et un accompagnement adapté à chaque situation ; • du côté adulte, l’accueil et la prise en charge des adolescents jeunes adultes doivent s’adapter au degré d’autonomie et de maturité des nouveaux arrivants, avec un monitorage des consultations qui permet de s’assurer que l’accrochage est réussi. Ces aménagements de nos pratiques sont indispensables pour la qualité de vie de nos patients. Leur mise en place exige une collaboration et des échanges entre équipes de diabétologie d’adultes et pédiatriques tout à fait profitables. Mots-clés Diabète de type 1, Transition, Passage à l’âge adulte, Pédiatrie, Adolescence références 1. Alvin P. Maladie chronique à l’adolescence : dix questions pertinentes. 7. Cadario F, Prodam F, Bellone S et al. Transition process of patients with Arch Pediatr 2003 ; 10 : 360-366. type 1 diabetes (T1DM) from paediatric to the adult health care service: a 2. Jacquin P, Levine M. Difficultés d’observance dans les maladies hospital-based approach. Clin Endocrinol (Oxf) 2009 ; 71(3) : 346-50. chroniques à l’adolescence : comprendre pour agir. Arch Pediatr 2008 ; 8. De Beaufort C, Jarosz-Chobot P, Frank M. Transition from pediatric to 15(1) : 89-94. adult diabetes care: smooth or slippery? Pediatr Diabetes 2010 ; 11(1) : 3. Tuabiana-Rufi N, Du Pasquier L, Jacquin P et al. Transition de la 24-27. pédiatrie en service d’adultes des adolescents diabétiques de type1. 9. Suris JC, Domine F, Akre C. La transition des soins pédiatriques aux Congrès de l’Alfediam/SFD Lille 2010 (Communication orale) in Diabetes & soins adultes des adolescents souffrant d’affections chroniques. Rev Med Metabolism 2010. Suisse 2008 ; 4 (161) : 1441-4. 4. Anderson Bj, Wolpert Ha. A developmental perspective on the 10. Rosen DS, Blum RW, Britto M et al. Transition to adult health care for challenges of diabetes education and care during the young adult period. adolescents and young adults with chronic conditions: position paper Patient Education and Counseling 2004 ; 53 : 347-352. of the Society for Adolescent Medicine. J Adolesc Health 2003 ; 33(4) : 5. McDonagh JE. Growing up and moving on : Transition from pediatric to 309-11. adult care. Pediatr Transplantation 2005 ; 9 : 364-372. 11. Peters A, Laffel L, The Ada Transitions Working Group. Diabetes care 6. Van Walleghem N, Mcdonald CA, Dean HJ. The maestro project: a for emerging adults : recommendations for transition from pediatric patient navigator for the transition of care for youth with type 1 diabetes. to adult diabetes care systems. A position statement of the American Diabetes Spectrum 2011 ; 24 : 9-13. diabetes Association. 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