Médecine & enfance L’adolescent entre pédiatrie et médecine d’adulte : une transition à soigner, le diabétique en exemple P. Jacquin, pédiatre, médecine de l’adolescent, hôpital Robert-Debré, Paris Le passage des adolescents du suivi pédiatrique à la diabétologie d’adultes constitue toujours une épreuve. Quitter un milieu de soins familier pour l’inconnu n’est jamais aisé, et ce d’autant moins que cela intervient à une période de la vie plutôt instable, gestion du diabète incluse [1]. A côté des facteurs individuels de réussite ou d’échec de ce passage, il existe des facteurs liés à l’organisation des différents acteurs de soins et aux disponibilités locales. On différencie le passage, qui ne représente que l’étape centrale du changement d’équipe, de la transition, processus long qui débute bien en amont du passage et se termine lorsque l’accrochage est jugé satisfaisant en service pour adultes. L’enjeu majeur de ce passage est médical, et au-delà, il engage la qualité de vie des patients. En effet, les conséquences en cas d’échec sont graves : complications aiguës plus fréquentes, en particulier acidocétoses, accélération de la survenue de complications dégénératives (néphropathie et rétinopathie), dépistées plus tardivement et moins bien traitées [2-4]. Soraya, vingt et un ans, étudiante en deuxième année en sciences économiques est diabétique depuis l’âge de quatre ans. Fait clinique exceptionnel, elle ne s’est jamais fait une injection d’insuline elle-même, toutes ont été faites jusqu’à ce jour par sa mère ou quelquefois par son père. Les différentes interventions de l’équipe pluridisciplinaire ont échoué à lui faire franchir ce cap (médecin, infirmière de soins, éducation thérapeutique, psychologue, autohypnose). Elle refuse avec la même obstination le passage en service d’adultes, prête à accepter tous les changements si elle ne quitte pas la pédiatrie où elle se sent bien. Elle propose qu’un médecin d’adultes vienne la suivre en pédiatrie. Yoan, dix-neuf ans, inactif à la maison, fumeur de cannabis régulier, a un diabète qu’il traite très insuffisamment. Il est en hyperglycémie chronique et a été hospitalisé pour acidocétose il y a un an. Il manque plus de la moitié des rendez-vous et réapparaît à la deuxième ou troisième relance, « puisque vous m’avez écrit ». Mais lorsqu’on réussit à le voir, il insiste beaucoup pour ne pas passer en diabétologie adulte et demande un délai supplémentaire. Maria, diabétique depuis l’âge de cinq ans, a toujours été suivie dans le même service. Toute l’équipe la connaît, « comme si on l’avait faite », ainsi que les graves difficultés qu’elle rencontre du côté de ses parents au plan psychologique et social. Elle accepte difficilement de quitter la pédiatrie pour un service de diabétologie adulte, qu’elle choisit ellemême car il a une bonne réputation et est situé près de son domicile. Un courrier est adressé dans ce nouveau service et le passage se fait sans contact direct entre les diabétologues. Elle va à son premier rendez-vous et le pédiatre en est informé par courrier. Puis plus de nouvelles. On découvre deux ans plus tard, à l’occasion d’un travail de recherche sur la transition, qu’elle n’a plus aucun suivi car le premier contact en service d’adultes ne lui a pas convenu. mai-juin 2016 page 151 Elle a été très soulagée d’être appelée par la pédiatre, qui a pu refaire le point avec elle et lui proposer un autre diabétologue avec qui elle est en lien régulier. La jeune fille a bien accroché avec ce médecin et a tenu à revenir nous le dire. Julien, dix-huit ans, vient d’avoir son bac. Il rentre en école d’art, il est diabétique depuis cinq ans et se débrouille plutôt bien même s’il ne fait pas beaucoup de glycémies. Ses HbA1c sont autour de 7,5 %. Pour lui, le passage ne pose pas de problème. Il demande simplement que ça se fasse après qu’il se sera installé dans son année universitaire, principal changement qu’il a à gérer actuellement. LE PASSAGE : QUITTER L’UNIVERS FAMILIER ET PROTECTEUR DE LA PÉDIATRIE Ces exemples permettent un premier constat, à savoir que les adolescents ou Médecine & enfance jeunes adultes (AJA) les plus fragiles semblent les moins bien armés pour changer d’équipe et préfèrent s’accrocher au suivi pédiatrique. Mais l’analyse des difficultés dont témoignent ces patients nous éclaire sur la problématique de la transition chez tous les patients. Plusieurs aspects objectifs et subjectifs de la prise en charge pédiatrique expliquent les difficultés de ce départ. DES BARRIÈRES SYMBOLIQUES Les années passées en pédiatrie ont vu des liens forts se constituer avec l’équipe, souvent sur un mode quasi familial : l’infirmière « grande sœur », le diabétologue en position parentale, et les autres patients, notamment les plus petits, en frères et sœurs. Ces liens comptent sans doute d’autant plus que ceux de la vraie famille sont fragiles, voire défaillants. Comment quitter et renoncer à cet environnement affectif chaleureux ? Mais surtout, la pédiatrie est associée à l’idée de protection des enfants et des adolescents, et ce quelle que soit la qualité de l’équilibre du diabète. Il s’agit d’une représentation générale de l’enfance et des soins, loin des turpitudes de l’âge adulte et de sa fin promise. Quand la maladie chronique touche un enfant, les parents, et bien souvent les soignants aussi, ont absolument besoin de croire que peut-être un jour il ou elle s’en sortira et échappera à la chronicité « à vie ». Certains sont tentés de donner de faux espoirs pour alléger la charge de l’annonce du diagnostic : « peut-être que dans dix ans, les progrès de la médecine… ». Le sentiment de protection magique fait dire à un patient « avoir [une HbA1c à] 12 % en pédiatrie, ça va, mais en adulte c’est mortel ! ». La pédiatrie, c’est aussi une temporalité lente, le temps de mûrir et de s’autonomiser progressivement tout en étant reconnu comme pas complètement indépendant. Le passage en diabétologie adulte est vécu comme une rupture dans ce processus maturatif, comme une injonction à devenir adulte « d’un coup » et à couper les différents cordons de l’enfance. Cet aspect « rite de passage » est stimulant quand on se sent prêt, mais au contraire angoissant si ce n’est pas le cas. LES COMPLICATIONS : UN ENJEU BIEN RÉEL De plus, particulièrement dans le cas du diabète, ces barrières symboliques et relationnelles sont doublées d’une barrière bien réelle, celle des complications dégénératives, vraie gravité de la maladie. La néphropathie et la rétinopathie diabétiques ne surviennent généralement qu’après dix ou quinze ans de diabète, c’est-à-dire essentiellement chez l’adulte [5] . C’est pourquoi elles sont souvent méconnues en pédiatrie, restant plus ou moins sous le boisseau depuis l’annonce du diagnostic, mais toujours présentes comme une menace lointaine. Les informations en la matière sont parcellaires, les enfants ou adolescents et leurs parents n’en ont qu’une vision obscure mais souvent extrême de cécité, dialyse et amputation. Tout le monde s’accorde pour ne pas en parler… Mieux vaut rester en pédiatrie que de plonger dans cet univers sinistre ! Une des anticipations les plus anxiogènes des adolescents sur ce qu’ils auront à vivre en diabétologie d’adulte est d’ailleurs de s’imaginer dans la salle d’attente avec des « vieux » et des patients atteints de complications visibles. LA PLACE DES PARENTS Les parents, et souvent aussi les soignants de pédiatrie, ont des attentes contradictoires vis-à-vis des adolescents. Tantôt ils ne voient pas que leur enfant a grandi et le considèrent encore comme un enfant alors qu’il est déjà presque un adulte, tantôt ils veulent le pousser à une autonomisation trop rapide ou trop précoce, au risque de le laisser dans une solitude dangereuse. Le plus souvent, ils sont ambivalents ; leur discours va généralement dans le sens de l’autonomisation de l’adolescent, mais ils la redoutent, craignant que cela ne soit synonyme de dégradation de l’équilibre glycémique. L’attachement des parents aux soignants de pédiatrie est également important et réclame pour eux aussi un travail de séparation. mai-juin 2016 page 152 Sur le plan pratique, l’implication des parents dans les soins et dans la gestion du matériel reste souvent importante au moment du passage, mais non dite. Il est souhaitable de nommer concrètement cette répartition des tâches de façon à la faire évoluer. LE MONDE INCONNU DE LA DIABÉTOLOGIE D’ADULTE Comme en pédiatrie, des obstacles réels se surajoutent aux inquiétudes personnelles. La première difficulté peut être d’avoir un rendez-vous : a-t-on le nom du médecin ou est-ce simplement à un service qu’on est adressé ? avec quels documents ? le courrier ou résumé d’observation est-il adressé directement au médecin ou remis au patient ? Si ces repères fondamentaux ne sont pas clairs, certains patients AJA n’arriveront jamais au bon endroit. D’autres questions se posent sur le contenu de cette première consultation : le médecin aura-t-il assez de temps ? va-t-il vouvoyer ou tutoyer ? verra-t-il les parents ? va-til juger sévèrement le patient mal équilibré, voire remettre en cause la prise en charge pédiatrique ? « saura-t-il comprendre mon cas particulier ? ». Ces premiers contacts avec l’équipe adulte sont déterminants pour la suite : insuffisamment rassurants et engageants, ils vont conduire nombre de patients à l’abandon du suivi spécialisé. C’est souvent ainsi qu’une errance médicale s’installe durant plusieurs années, entraînant une qualité de soins et de prévention des complications bien moindre. Notons que les files actives des services de diabétologie d’adulte sont beaucoup plus importantes que celles des patients arrivant de pédiatrie, ce qui explique la difficulté d’accorder à ces derniers un accueil particulier. POUR UNE TRANSITION RÉUSSIE L’analyse des difficultés évoquées permet Médecine & enfance d’avancer un certain nombre d’éléments de solution, le premier étant la nécessité que l’adolescent soit réellement l’acteur principal de la transition. Plutôt que de subir un changement plus ou moins brutalement imposé, le patient doit arriver à l’âge du passage en ayant acquis les capacités et le sentiment qu’il est prêt à franchir cette étape [6-8]. Cela suppose de penser la transition dans un cadre large et un temps long, bien audelà du seul changement d’équipe de soins, comme un cheminement de la dépendance infantile à l’autonomie du jeune adulte, capable de se débrouiller avec sa maladie. Le diabète est une maladie exemplaire parce que son traitement permet en théorie un contrôle quasi parfait, mais au prix de nombreuses contraintes quotidiennes, sources d’autant de difficultés d’observance. Lorsqu’arrive l’adolescence, on constate des décrochages plus ou moins importants dans la régularité des mesures de glycémie, voire des injections, et un comportement alimentaire et des horaires qui s’éloignent de plus en plus des prescriptions pour se rapprocher de la « norme » de cet âge [1]. Le suivi médical des adolescents se limite alors souvent à des questions d’observance et à la négociation d’objectifs à atteindre. Cette période devrait être au contraire l’occasion de construire une nouvelle alliance avec ce patient, qui expérimente et s’approprie sa maladie [9]. Notre rôle est d’accompagner cette maturation nécessaire à la conquête de l’autonomie et à la construction d’un projet de vie, dans lequel la maladie chronique doit avoir une place, mais pas toute la place. UNE PRÉPARATION GLOBALE ET PRÉCOCE Les recommandations en matière de transition insistent sur la nécessité de sa préparation, de sa progressivité et de sa structuration (dossier, check-list, etc.) [10-12] . Ce sont des repères très utiles pour tous, adolescents, parents et soignants (tableau I). Il existe des programmes étape par étape, spécifiques du diabète ou d’autres pathologies, qui Tableau I Objectifs de la préparation au passage 첸 Comprendre sa maladie et son traitement 첸 Savoir l’expliquer aux autres 첸 Connaître les éléments à surveiller, les obstacles, les ressources (personnes à joindre, coordonnées) 첸 Gérer son traitement seul (cf. tableau II) 첸 Contacter les soignants et prendre ses rendez-vous seul 첸 Voir les soignants seul 첸 Plaider en son nom propre (« self advocacy ») 첸 Exprimer ses attentes et ses questions seul 첸 Participer à la décision médicale partagée 첸 Aborder les questions de santé sexuelle 첸 Connaître les effets de l’alcool, du tabac et des drogues en général, et leurs interactions avec la maladie 첸 Droit à la confidentialité 첸 Ressources et appuis dans le domaine psychologique 첸 Ressources et appuis dans le domaine social 첸 Orientation scolaire et formation professionnelle, restriction dans les métiers 첸 Activités extrascolaires ou extraprofessionnelles comme les autres de son âge préparent dès le début de l’adolescence cette transition vers l’âge adulte [13-15]. La préparation au passage répond à un double objectif : 첸 permettre l’acquisition des connaissances et des compétences nécessaires à l’autogestion du diabète ; 첸 accompagner les processus développementaux de l’adolescence, la sexualisation, l’autonomisation vis-à-vis des parents, la socialisation. Cette évolution progressive suppose des changements dans les relations triangulaires entre soignants, patient et parents. Il est important que l’adolescent soit reçu au moins une partie du temps sans ses parents et qu’il ait la possibilité d’exprimer ses attentes et ses questions, sans peur d’être jugé. De même, les parents doivent pouvoir être écoutés séparément pour être soutenus dans leur part du travail d’autonomisation. Concernant le traitement du diabète, l’autonomie se construit par étapes et tâche par tâche. Elle ne doit pas être évaluée comme un tout, mais plutôt comme un ensemble de compétences différentes (tableau II). L’autonomie n’est mai-juin 2016 page 153 Tableau II Savoirs et compétences en diabète : « Qui fait quoi ? (patient, parents, infirmière ou autre aide extérieure) » (d’après [1]) 첸 Informer l’entourage 첸 Glycémies : horaires, les faire, les noter éventuellement, les interpréter 첸 Insulines : horaires, choix de la dose (ou du bolus) d’insuline rapide, réglage de la basale ou du débit de base, préparation du matériel, réalisation de l’injection ou pose du cathéter 첸 Conduite à tenir en cas d’hypoglycémie : sucre (où ?), glucagon 첸 Conduite à tenir en cas d’hyperglycémie, recherche d’acétone 첸 Gestions des stocks d’insuline et du matériel, dates de péremption, aller à la pharmacie, demande de renouvellement d’ordonnance 첸 Alimentation et menus à la maison et en dehors 첸 Adaptation du traitement pour le sport 첸 Prise et suivi des rendez-vous médicaux 첸 Suivis des résultats (HbA1c) et autres bilans [1] Anderson B.J., Auslander W.F., Jung K.C. et al. : « Assessing family sharing of diabetes responsibilities », J. Pediatr. Psychol., 1990 ; 15 : 477-92. pas synonyme de tout faire seul, mais plutôt d’être capable d’évaluer ce qu’on sait et ce qu’on fait, et de savoir quelles ressources mobiliser pour être aidé pour ce qu’on ne sait pas faire seul. Aider les patients à se projeter dans l’avenir suppose aussi de pouvoir parler précocement (dès dix-douze ans) des contraintes et limites de la maladie qu’ils auront à intégrer [10] : les professions interdites, les restrictions au permis de conduire, les conditions nécessaires pour une grossesse sans risque, et bien sûr les complications. Ces dernières font partie des risques, et en parler est nécessaire pour mieux comprendre les enjeux du traitement [16]. Il faut souligner qu’il ne s’agit pas de menaces de tout ou rien, mais d’altérations possibles (au niveau ophtalmologique, rénal, sensitif, etc.) que l’on surveille régulièrement et que l’on peut traiter à tous les stades évolutifs. L’apport de l’expérience des équipes d’adultes, habituées à traiter les patients avec des complications, est essentiel et Médecine & enfance doit être intégré et adapté dans les programmes d’éducation thérapeutique en pédiatrie. D’autres sujets qui préoccupent les adolescents doivent être systématiquement abordés au cours de cette phase de préparation, parce qu’ils concernent la santé en général et peuvent interagir avec le diabète : sexualité et contraception, hygiène de vie, conduites à risques, tabac, alcool, cannabis, etc. [17]. Tous les problèmes ne sont pas réglés parce qu’on les a abordés une fois, mais cette ouverture permet, d’une part, de répondre à certaines questions et, d’autre part, d’indiquer à l’adolescent qu’il peut en reparler avec ses soignants ultérieurement. ÂGE DU PASSAGE ET CHOIX DU DIABÉTOLOGUE Lorsque l’adolescent se sent prêt, le passage est organisé, généralement aux alentours de dix-huit ans, âge limite de la pédiatrie. Age officiel de la majorité et de la fin des études secondaires, c’est aussi le début d’une période d’instabilité qui va durer plusieurs années, dans lesquelles l’AJA va rentrer dans la vie professionnelle ou estudiantine, éventuellement changer de ville et donc de lieu de suivi, quitter ses parents, se mettre en couple, etc. Cela ne nous paraît pas une contre-indication au passage ; au contraire, il est logique que le passage en adulte s’inscrive dans cette période de choix déterminants pour soi et son avenir. Retarder le passage en attendant un hypothétique point d’équilibre stable comporte toujours une dimension régressive et déprimante d’impossibilité de franchir une étape. Ce n’est une bonne solution que dans certaines situations particulièrement lourdes (poly-pathologie ou comorbidité psychiatrique). Le choix du diabétologue d’adulte, libéral ou le plus souvent hospitalier, est fait sur des critères d’offre locale et de liens avec l’équipe pédiatrique. Il est de beaucoup préférable que cela soit un médecin précis, sénior de l’équipe adulte, et non une adresse à un service en général. Le jeune et ses parents doivent être associés à ce choix suffisamment tôt pour qu’ils aient le temps d’y adhérer ou de faire d’autres propositions. La transition est facilitée lorsque les patients « ont vu la tête » du nouveau référent, c’est-à-dire après qu’il leur a été présenté, soit lors d’une rencontre (par exemple en groupe en hôpital de jour), soit lors d’une consultation conjointe (plus difficile à organiser), soit encore virtuellement (photo, vidéo). Il est évident que lorsque la pédiatrie et le service pour adultes sont dans le même hôpital, ces questions sont beaucoup plus simples à régler que lorsqu’il s’agit de deux sites plus ou moins éloignés. Une autre façon de faciliter la transition peut être la proposition d’une rencontre avec un patient diabétique adulte pris en charge dans le service destinataire. Cette incarnation de la possibilité de vivre adulte avec la maladie aide les adolescents à se projeter vers l’avenir. Ce lien intergénérationnel peut être plus structuré et durable, et constituer un véritable parrainage. La transmission des informations entre services est une autre occasion de montrer au patient qu’il est désormais véritablement l’interlocuteur central. Le compte rendu médical de synthèse du suivi pédiatrique doit être remis au patient, avec les points essentiels du traitement et les éventuelles complications, mais aussi les problèmes associés. S’il existe des difficultés psychologiques importantes, par exemple troubles du comportement alimentaire ou dépression, il est souhaitable de les mentionner, avec l’accord du patient, ainsi que les prises en charge complémentaires en cours. EN SERVICE D’ADULTE L’accrochage avec l’équipe du service d’adulte va se jouer sur les premiers contacts. Il est nécessaire de présenter les différents membres de l’équipe soignante, son mode de fonctionnement et ses ressources : infirmières, médecins, diététicienne, psychologue, autres médecins, service social, numéro de téléphone en cas d’urgence, prise des rendez-vous… Le mieux est de pouvoir mai-juin 2016 page 154 proposer un référent qui facilitera et surveillera la mise en place du suivi en adulte. Cela nécessite des aménagements spécifiques dans les prises de rendez-vous, le fléchage des patients vers le médecin choisi, un temps de consultation supplémentaire [7, 8, 10, 11]. Sur le plan médical, la continuité initiale est la règle : on ne change pas le traitement instauré en pédiatrie dès les premières consultations. La présence des parents accompagnant leur fils ou leur fille à la première consultation n’est ni interdite ni obligatoire, mais la présentation du nouveau diabétologue aux parents a souvent un effet favorable de « passage de témoin ». Les patients AJA ne sont plus des enfants, ils sont libres et autonomes, mais pas pour tout ni seuls. Dans l’étude « Pass’âge » en cours [2], 80 % des adolescents qui « passent » aux alentours des dix-huit ans vivent encore chez leurs parents et comptent encore beaucoup sur ces derniers pour la gestion du matériel et des stocks d’insuline, pour les rendez-vous et de façon non exceptionnelle pour les injections. Cette « mixité de statut » doit être prise en compte par les services d’adulte : l’intervalle recommandé entre deux rendezvous pour les patients AJA est de trois mois, et ils ont besoin d’être rappelés s’ils ne viennent pas. De même que pour les adolescents en pédiatrie, le suivi des AJA pour le diabète doit être l’occasion d’aborder d’autres problématiques de santé fréquentes à cet âge : sexualité et contraception, difficultés psychologiques, addictions, etc. La référence aux pairs, pour se comparer, se comprendre et se soutenir, est particulière à cet âge. C’est pourquoi le recours à des séances de groupe de patients, que ce soit sur le diabète ou sur d’autres sujets, est facilitateur. Le partage d’expérience entre équipes pédiatriques et médecins d’adulte peut être ici très fructueux. SÉCURISER LA TRANSITION Il s’agit de ne pas perdre le patient en route. Sans organisation particulière, le nombre de perdus de vue après le passage en adulte était de 20 à 60 % [18] ! Médecine & enfance Le travail de préparation et l’organisation du passage permettent d’améliorer très nettement les chances de succès, mais il faut également porter une attention toute particulière aux premières années en diabétologie pour adulte. Le risque de décrochage secondaire est élevé, après une ou quelques consultations. Il est donc souhaitable de suivre de façon exhaustive le devenir des patients passés en adulte, par un fichier ad hoc pendant deux ans au minimum. L’ensemble des spécificités du suivi des AJA en diabétologie d’adulte réclame une organisation particulière et un investissement professionnel important. L’intérêt de regrouper les patients AJA entre eux, avec des moyens et un fonctionnement approprié, a conduit à l’établissement de « cliniques de la transition » pour les dix-huit à vingt-cinq ans, pour une ou plusieurs pathologies (dans les pays anglo-saxons essentiellement) [19]. D’autres expériences utilisent un service tiers pour faciliter la transition : unité de médecine de l’adolescent et du jeune adulte, dans laquelle les patients transitent avec une possibi- Références [1] TUBIANA-RUFI N., GUITARD-MUNNICH C. : « Diabète de l’adolescent », in GRIMALDI A. : Traité de diabétologie, Flammarion Médecine Sciences, 2009 ; p. 274-9. [2] TUBIANA-RUFI N., DU PASQUIER L., JACQUIN P. et al. : « Etude longitudinale de la transition de la pédiatrie à la médecine pour adultes chez les jeunes patients diabétiques en Ile-deFrance », Diabetes Metab., 2010 ; 36 suppl. 1 : A20. [3] BRYDEN K.S., PEVELER R.C., STEIN A. et al. : « Clinical and psychological course of diabetes from adolescence to young adulthood : a longitudinal cohort study », Diabetes Care, 2001 ; 24 : 1536-40. [4] HOLMES-WALKER D.J., LLEWELLYN A.C., FARRELL K. : « A transition care programme which improves diabetes control and reduces hospital admission rates in young adults with Type 1 diabetes aged 15-25 years », Diabet. Med. J. Br. Diabet. Assoc., 2007 ; 24 : 764-9. [5] JAMES S., GALLAGHER R., DUNBABIN J., PERRY L. : « Prevalence of vascular complications and factors predictive of their development in young adults with type 1 diabetes : systematic literature review », BMC Res. Notes, 2014 ; 7 : 593. [6] ANDERSON B.J., WOLPERT H.A. : « A developmental pers- lité de prise en charge mixte, alternant les spécialistes pédiatres et ceux d’adulte, jusqu’à ce que le patient soit prêt à passer dans le circuit adulte classique. CONCLUSION La problématique de la transition dans les maladies chroniques amène à repenser certains aspects de la pédiatrie et de l’éducation thérapeutique : anticipation insuffisante de l’avenir, tendance à la passivité des patients. Comme souvent, les adolescents, leurs exigences et leurs fragilités nous obligent à remettre en question nos pratiques. Nous devons mieux préparer l’avenir des patients suivis en pédiatrie, ce qui suppose d’être également mieux informés aussi sur les différents aspects de la vie adulte avec le diabète et de travailler plus en collaboration avec nos partenaires en diabétologie d’adulte. L’autonomie à construire par les AJA n’est pas le résultat d’une succession d’examens de compétences à franchir, c’est une autonomie dans la réflexion personnelle et la prise de décision, la pective on the challenges of diabetes education and care during the young adult period », Patient Educ. Couns., 2004 ; 53 : 34752. [7] MCDONAGH J.E. : « Growing up and moving on : transition from pediatric to adult care », Pediatr. Transplant., 2005 ; 9 : 36472. [8] ROSEN D.S., BLUM R.W., BRITTO M. et al. : « Transition to adult health care for adolescents and young adults with chronic conditions : position paper of the Society for Adolescent Medicine », J. Adolesc. Health, 2003 ; 33 : 309-11. [9] JACQUIN P., LEVINE M. : « Difficultés d’observance dans les maladies chroniques à l’adolescence : comprendre pour agir », Arch. Pédiatr., 2008 ; 15 : 89-94. [10] CAMERON F.J., AMIN R., DE BEAUFORT C. ET AL., INTERNATIONAL SOCIETY FOR PEDIATRIC AND ADOLESCENT DIABETES : « ISPAD Clinical Practice Consensus Guidelines 2014. Diabetes in adolescence », Pediatr. Diabetes, 2014 ; 15 suppl. 20 : 245-56. [11] PETERS A., LAFFEL L., THE ADA TRANSITIONS WORKING GROUP : « Diabetes care for emerging adults : recommendations for transition from pediatric to adult diabetes care systems. A position statement of the American Diabetes Association », Diabetes Care, 2011 ; 34 : 2477-85. mai-juin 2016 page 155 valorisation de ses expériences lui permettant d’échanger avec ses soignants. Cela suppose des changements importants dans les places de chacun, patients, soignants et parents. Une transition réussie, c’est un patient AJA qui a intégré sa maladie dans son projet de vie et qui a trouvé dans le service adulte la confiance et les ressources néces첸 saires à la gestion de son diabète. Nous remercions toute l’équipe du service d’endocrinologie et de diabétologie de l’hôpital Robert-Debré, ainsi que tous les membres du groupe collaboratif de l’étude « Pass’âge » sur la transition des diabétiques en Ile-de France. Diabétologie de l’enfant et de l’adolescent : hôpital Robert-Debré (Drs Tubiana-Rufi et Jacquin), hôpital Necker-Enfants Malades (Pr Robert, Dr Beltrand), Paris ; CHI Poissy-Saint-Germain (Dr Personnier) ; CH Pontoise (Dr Pantalone) ; CHIC Créteil (Dr Fourmaux) ; CH Argenteuil (Dr Colin-Gorsky) ; CH Gonesse (Drs Elias et Barakat). Diabétologie pour adultes : hôpital Cochin-HôtelDieu (Pr Timsit et Dr Sola), hôpital La Pitié (Dr Halbron), hôpital Lariboisière (Pr Gautier et Dr Bouché, Mme Genet), Paris ; hôpital Jean-Verdier, Bondy (Pr Cosson, Dr Banu) ; hôpital Henri-Mondor Créteil (Dr Droumaguet) ; CH Pontoise (Drs Campinos et Gonfroy) ; CH Gonesse (Drs Seret-Begue et Assayag) ; CH Argenteuil (Dr Chedin) ; CHI Poissy-Saint-Germain (Dr Carreira). Spécialiste en diabétologie libérale : Dr Letanoux. L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts en rapport avec la rédaction de cet article. [12] SURIS J.C., DOMINE F., AKRE C. : « La transition des soins pédiatriques aux soins adultes des adolescents souffrant d’affections chroniques », Rev. Méd. Suisse, 2008 ; 4 : 1441-4. [13] http://www.gottransition.org/resources. [14] http://www.sickkids.ca/Good2Go/For-Youth-and-Families/ Transition-tools/Index.html. [15] NAGRA A., MC GINNITY P.M., DAVIS N., SALMON A.P. : « Implementing transition : Ready Steady Go », Arch. Dis. Child. Educ. Pract. Ed., 2015 ; 100 : 313-20. [16] WYSOCKI T., LOCHRIE A., ANTAL H., BUCKLOH L.M. : « Youth and parent knowledge and communication about major complications of type 1 diabetes : associations with diabetes outcomes », Diabetes Care, 2011 ; 34 : 1701-5. [17] ALVIN P., DE TOURNEMIRE R., ANJOT M.N., VUILLEMIN L. : « Maladie chronique à l’adolescence : dix questions pertinentes », Arch. Pédiatr., 2003 ; 10 : 360-6. [18] PACAUD D., YALE J.F. : « Exploring a black hole : transition from paediatric to adult care services for youth with diabetes », Paediatr. Child Health, 2005 ; 10 : 31-4. [19] VAN WALLEGHEM N., MACDONALD C.A., DEAN H.J. : « Evaluation of a systems navigator model for transition from pediatric to adult care for young adults with type 1 diabetes », Diabetes Care, 2008 ; 31 : 1529-30.