COURS SUR LA PREMIÈRE RECHERCHE LOGIQUE DE HUSSERL Ausdruck und Bedeutung: Expression et signification Collection "Épistémologie et Philosophie des Sciences" dirigée par Angèle Kremer Marietti La collection" Épistémologie et Philosophie des sciences" réunit les ouvrages se donnant pour tâche de clarifier les concepts et les théories scientifiques,et offiant le travail de préciser la signification des termes scientifiques utilisés par les chercheurs dans le cadre des connaissances qui sont les leurs, et tels que 'force', 'vitesse', 'accélération', 'particule', 'onde', etc... Elle incorpore alors certains énoncés au bénéfice d'une critériologie capable de répondre, pour tout système scientifique, aux questions qui se posent dans leur contexte conceptuel-historique, de façon à déterminer ce qu'est théoriquement et pratiquement la recherche scientifique considérée: 1) quelles sont les procédures: les conditions théoriques et pratiques des théories invoquées, débouchant sur les résultats ; 2) quel est, pour le système considéré, le statut cognitif des principes, lois et théories, assurant la validité des concepts. Déjà parus Angèle KREMER-MARlETTI, Nietzsche: L 'homme et ses labyrinthes, 1999. Angèle KREMER-MARlETTI, L'anthropologie positiviste d'Auguste Comte, 1999. Angèle KREMER-MARlETTI, Le projet anthropologique d'Auguste Comte, 1999. Serge LATOUCHE, Fouad NORRA, Hassan ZAOUAL, Critique de la raison économique, 1999. Jean-Charles SACCHI, Sur le développement des théories scientifllJues, 1999. Yvette CONRY, L'Évolution créatrice d'Henri Bergson. Investigations critiques, 2000. Angèle KREMER-MARlETTI, La symbolicité, 2000. Angèle KREMER MARlETTI (dir.), Éthique et épistémologie autour du livre Impostures intellectuelles de Sokal et Bricmont, 200 I. AbdeIkader BACHTA, L'épistémologie scientifique des Lumières, 2001. Jean CAZENOBE, Technogenèse de la télévision, 2001. Michel BOURDEAU (dir.), Auguste Comte et l'idée de science de l'homme, 2002. Jan SEBESTIK, Antonia SOULEZ, Le Cercle de Vienne, 2002. Jan SEBESTIK, Antonia SOULEZ, Wittgenstein et la philosophie aujourd'hui 2002. Jean-Pierre HUGLO, Approche nominaliste de Saussure, 2002. AbdeIkader BACHTA, L'espace et le temps chez Newton et chez Kant, 2002. Jean-Gérard ROSSI, La philosophie analytique, 2002. Jacques MICHEL, La nécessité de Claude Bernard, 2002. Ignace HAAZ, Le concept du corps chez Ribot et Nietzsche, 2002. Angèle KREMER MARlETTI, La philosophie cognitive, 2002. Jean-Paul JOUARY, Réflexions philosophiques sur l'art paléolithique, 2002. Lucien-Sarnir OULAHBffi, Éthique et Épistémologie du nihilisme. 2002 Anna MANCINI, La sagesse de l'ancienne Égypte pour l'Internet, 2002. Lucien-Samir OULAHBIB, Le nihilismefrançais contemporain, 2003. Annie PETIT (dir.), Auguste Comte. Trajectoires du positivisme, 2003 ANGÈLE KREMER MARlETTI COURS SUR LA PREMIÈRE RECHERCHE LOGIQUE DE HUSSERL L'Harmattan 5-7, rue de l'École-Polytechnique 75005 Paris FRANCE L'Harmattan Hongrie Hargita u. 3 ] 026 Budapest HONGRIE L'Harmattan Jtalia Via Bava, 37 ] 0214 Torino ITALIE (Ç)L'Harmattan, 2003 ISBN: 2-7475-4624-1 1. La problématique husserlienne Dès l'époque de sa Philosophie de l'Arithmétique (1891), Edmund Husserl (1859-1938) ressentait une double exigence: d'une part, l'exigence de distinguer l'activité fondatrice du sujet constituant l'objectivité et les relations mathématiques ainsi que, d'autre part, l'exigence d'approcher l'objectivité mathématique ellemême et les relations mathématiques elles-mêmes. Ce qui indique bien que, même alors, l'objet mathématique en tant que tel ne se résolvait pas pour lui nécessairement dans l'activité psychologique du sujet. L'idée de base dont Husserl allait se détacher - et que, par ailleurs, de nombreux milieux philosophiques du moment semblaient implicitement reconnaître - était que la psychologie devait éclairer la logique: d'où, il est vrai, la place importante des recherches psychologiques dans le premier tome de l'ouvrage de 1891 dont il n'y eut pas de second tome. Cependant il n'en demeure pas moins qu'à cette époque Husserl manifeste pour les mathématiques un intérêt philosophique qui va bien au-delà des mathématiques elles-mêmes vers un certain type de connaissance présentant les caractères de la nécessité idéale, en même temps que vers la fondation et la justification d'un certain type de vérité. Dès lors, on peut déjà repérer un souci qui ira se conf11111antchez Husserl, visant à atteindre les identités idéales des objectivités catégoriales. Le souci de l'unité logique du contenu de pensée (ou encore celui de l'unité de la théorie) devait, à partir de 1894 après la critique de Fregel, mettre en difficulté la recherche d'une fondation psychologique du logique. Et c'est bien aussi ce que Husserl signale en 1900 dans la préface de la première édition des Recherches logiques (Logische Untersuchungen) : « Mais dès qu'on passait du déroulement psychologique de la pensée à l'unité logique du contenu de pensée (c'est-à-dire à l'unité de la théorie), nulle continuité ni clarté véritable ne paraissaient pouvoir se manifester» 2. La philosophie était sous l'effet de l'avancée des sciences positives qui étaient considérées comme épuisant la totalité de la réalité. Elle allait subir désormais une sorte de contrecoup, d'abord avec la publication de la Philosophie de l'arithmétique et 1 Dans son compte rendu de 1894 concernant le livre de Husserl sur la philosophie de l'arithmétique, Frege avait insisté sur ce qu'il considérait comme le «psychologisme» de Husserl qu'il avait donc critiqué. Voir «Rezension von E. Husserl, Philosophie der Arithmetik », Zeitschrift für Philosophie und phi/osophische Kritik, 103 [1894] : 313-332. 2 Recherches logiques, traduit de l'allemand par Hubert Elie, Arion L. Kelkel et René Scherer, Tome premier, 2è éd. entièrement refondue, Paris: PUF, 1969, p. IX. 6 surtout ensuite avec celle des Recherches logiques. L'objet propre de la philosophie semblait jusqu'alors inexistant. En effet, qu'elle ait été identifiée soit par les uns avec la psychologie expérimentale, soit par les autres avec une théorie de la connaissance ayant pour ambition de renouveler le criticisme kantien, la philosophie semblait devoir se résoudre en une simple réflexion sur la science. On était fmalement unanime à faire de la philosophie ni plus ni moins qu'une théorie de la connaissance et de la science. En effet, les « psychologistes », d'un côté, ambitionnaient d'atteindre, par la méthode, à une science de la nature, mais les « antispychologistes », de l'autre, voulaient faire, de ce qu'ils appelaient la « philosophie transcendantale », une discipline supérieure aux sciences de la nature. Le point de vue épistémologique dominait partout, et on peut dire qu'il en a été ainsi même pour Husserl dont l'effort original sera, avec ces deux publications, de problématiser au sein de la théorie de la science les idées même de théorie et de science. 7 1.1 Une critique analytique de la connaissance Dans le tome 1er du livre qui parut en allemand sous le titre Logische Untersuchungen, c'est-à-dire dans les « Prolégomènes à la logique pure » qu'il conçoit comme une « critique analytique de la connaissance », Husserl s'en prend autant aux antipsychologistes qu'aux psychologistes : aux premiers parce qu'ils ont pris la régulation de la connaissance pour l'essence des lois logiques, aux seconds parce qu'ils ont cru que les prescriptions logiques étaient psychologiquement fondées. Contre les antipsychologistes (Drobisch, Erdmann, Hamilton, Lotze, N atorp), Husserl, qui reconnaît avoir été influencé par Lotze tout comme Frege, avance qu'il existe une différence entre le contenu propre des propositions de la syllogistique traditionnelle et leur fonction ou leur application pratique: les «principes logiques» ne sont pas des normes mais servent simplement de normes. D'ailleurs, on peut remarquer l'intérêt de la position de Natorp qui s'opposa à l'assimilation des mathématiques à la logique, défendue par Frege et par Dedekind, alors que Natorp séparait nettement les mathématiques de la logique. Contre les psychologistes (Herbart, Lipps, John Stuart Mill, Spencer, Sigwart, Wundt), Husserl étudie le fond des préjugés qui les rallient, en commençant par leur préjugé de base: à savoir que le logique relève du fait 9 psychologique. Husserl leur oppose son principal argument selon lequel si une vérité générale peut être reconnue fonder une règle du jugement correct, alors se trouve garantie l'existence de règles du jugement non fondées dans la psychologie. Les psychologistes considéraient donc la mathématique pure comme une branche de la psychologie; Husserl souligne, au contraire, I'hétérogénéité des deux disciplines. Les propositions arithmétiques se fondent dans l'essence idéale du genre nombre. De même, les vécus (et c'est là un résultat qui est propre à Husserl) n'entrent pas en ligne de compte dans les parties purement logiques de la technologie de la connaissance scientifique: en fait, les concepts logiques n'ont aucune extension empirique. La différence établie par Husserl entre la théorie de l'évidence réelle, liée au vécu, et la théorie de l'évidence idéale, liée à des conditions normatives, écarte ainsi sans conteste la confusion à laquelle aboutissent les psychologistes : elle implique que le terme d' 'évidence' ne signifie pas seulement un sentiment fortuit se présentant avec certains jugements, mais pas davantage que le 'normal' se substitue au 'normatif. D'où, une première attaque de Husserl contre l'empirisme qui méconnaît dans la pensée le rapport entre ce qui est idéal et ce qui est réel, tout comme il méconnaît le rapport entre vérité et évidence. Pour Husserl, l'évidence n'est pas un caractère psychique qui s'appliquerait aux jugements vrais, ce n'est autre pour lui que le « vécu » de la vérité. D'où, également, 10 la défmition de la vérité que donne alors Husserl: « la vérité est une idée dont un cas particulier, dans le jugement évident, est un vécu actuel» 1. Le fond de la critique husserlienne du psychologisme se ramène à y voir un naturalisme, et donc à y reconnaître une ontologie cachée. Aussi est-ce sur la théorie de l'être que s'appuiera fondamentalement la critique de Husserl. Certes, on peut répondre en affmnant qu'existent des ontologies régionales sur le terrain où s'exercent les sciences de la nature. Ces ontologies ne recouvrent cependant pas toute l'ontologie: telle sera aussi la position de Jaspers2. De plus, le naturalisme ne présuppose l'existence du monde physique qu'à travers l'objectivité d'un phénomène psychique; dès lors, de ce point de vue, le phénomène psychique appartiendrait à la nature. À partir de ce genre de critique, il est également possible de justifier le recours historique et théorique de la démarche propre à Dilthey, cherchant contre le naturalisme à distinguer des sciences de la nature ce qu'il appelle les «sciences de l'esprit », en allemand Geisteswissenchaften - terme que l'on a traduit par 'sciences morales' -, entre autres raisons, par la différence que Dilthey établit entre' expliquer' 1 Recherches logiques, op. cit., T.I, p. 210. Cf Logische Untersuchungen, Tübingen, Max Niemeyer Verlag, Sechste Auflage, 1980, Erster Band, voir p. 190: «Wahrheit ist eine Idee, deren Einzelfall im evidenten Urteil aktuelles Erlebnis ist ». 2 Je renvoie à mon Jaspers et la scission de l'être (1967, 1974), réédité par L'Hannattan, 2002. Il (erklaren), mode d'intellection qui convient aux sciences de la nature, et 'comprendre' (verstehen), mode de saisie plus approprié aux sciences de l'esprit. - Et c'est d'ailleurs pourquoi Dilthey s'oppose à Comte - . Dilthey a été conduit à tenter de met~e au jour le principe d'une science nouvelle, reconnue d'ailleurs depuis par les spécialistes de l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, et qui est 1'« anthropologie historique », que j'avais nommée en 1971 : aussi est-ce à démontrer la validité de cette entreprise que j'ai alors porté mes efforts dans mon étude sur Diltheyl. Certes, différemment de Dilthey, Husserl a combattu le psychologisme comme étant naturaliste, en même temps que la théorie de l'être qu'il trouvait impliquée dans le naturalisme. En effet, de la thèse naturaliste découle l'inexistence de tout ce qui n'existe pas à la manière de la nature. Il y a donc un idéal naturaliste de l'existence auquel s'oppose directement Husserl. C'est pourquoi, depuis la Philosophie de l'arithmétique, et dès le premier volume des Recherches logiques, thèmes et intérêts se sont-ils élargis à partir du problème logico-mathématique sur lequel ils étaient centrés en 1891, pour se déployer désormais vers la signification logico-linguistique. La théorie de la connaissance, dont la juste préoccupation s'imposait déjà dans la Philosophie de l Wilhelm Dilthey et l'anthropologie historique (Seghers, 1971). 12 l'arithmétique, avait conduit Husserl d'un extrême à l'autre, c'est-à-dire du psychologisme ambiant dont il était parti jusqu'aux abords du logicisme. Cette démarche aura pour résultat décisif l'aboutissement des Prolégomènes qui ouvrent les Recherches logiques. Ainsi, parti de la volonté d'une élucidation philosophique de l'objet de la « mathématique pure », c'est-à-dire de l'essence général du mathématique en tant que tel, Husserl était passé à devoir considérer enfm l'essence même de la connaissance. «Ouvrage de rupture » (selon le Husserl de la préface à la deuxième édition), les Recherches logiques vont ambitionner de mettre en évidence l'indépendance de l'objectivité logique. Au début des «Prolégomènes à la logique pure », et fort d'une sentence de John Stuart Mill sur la divergence d'opinions concernant la défmition de la logique, Husserl, qui vient d'en faire l'expérience à partir des convictions de la logique régnante, est donc amené (et selon la logique particulière de la recherche inhérente à la démarche qu'il a adoptée) à des réflexions critiques sur l'essence de la logique en général et, en particulier, sur le problème qui s'impose maintenant à lui. Car son problème concerne un rapport à élucider, qui est celui qu'entretient la « subjectivité du connaître » avec ce qu'il faut appeler avec lui « l'objectivité du contenu de la connaissance » (préface de la première édition). La logique universellement reconnue jusque-là ne répondait pas à cette question nouvelle née de l'enquête husserlienne. 13 Toutefois, à une question insolite devra nécessairement répondre une position insolite qui visera à fonder la « logique pure et la théorie de la connaissance» (ibidem ). 14 1.2 Un certain positivisme... On pourrait tout d'abord et très justement se demander si tous les avertissements, qui sont issus de la préface de la première édition datant de 1900, gardent encore leur sens propre face aux remarques préliminaires de la préface de la seconde édition de 1913. Car, pour concilier l'entreprise des IdeenI publiées en 1913 avec le projet initial des Logische Untersuchungen de 1900 et 19012, il eût alors fallu, sans tarder, procéder à la refonte de l'ancien travail dans la perspective du nouveau. Certes, la seconde édition des Logische Untersuchungen, sur laquelle nous travaillons, a été corrigée par Husserl: la phénoménologie n'y est plus présentée comme une psychologie descriptive, ainsi que la défmiss ait l'Introduction du second volume de la première édition; notons que cette Introduction a été entièrement refondue dans la seconde édition. Cette Introduction était effectivement plus réductionniste quant à la nature et quant au rôle que Husserl assignait à la phénoménologie, celle-ci ayant en vue « la simple analyse descriptive des vécus dans leur donnée réelle, lIdeen zu einer reinen Phtinomenologie und phtinomenologischen Philosophie, Halle, Jahrbu ch, 1913. Traduction ftançaise: Idées directrices pour une phénoménologie et une philosophie phénoménologique pures, traduit de l'allemand par Paul Ricœur, Paris, Gallimard, 1950. 2 Tome I, 1900; Tome II, 1901. 15 mais en aucune manière leur analyse génétique selon leurs relations causales» (Recherches logiques, 2, 1ère partie, p. 265, Notes annexes 21,7). Notons que, comme Franz Brentano (1838-1917), Husserl refusait déjà, à ce moment-là, toute enquête génétique et causale, qui eût placé sa recherche à un niveau délibérément naturaliste; toutefois, son projet partait encore du niveau positiviste des «données réelles », tout en étant opposé au relativisme et au conventionnalisme des lois naturelles. L'éternel « commenceur » (selon le mot de Jean Wahl), qu'était Husserl, aurait dû (et il en avait bien conscience), à chaque nouvelle étape de son avancée, revenir en arrière pour refondre chaque fois totalement le précédent travail dans la perspective ouverte par le travail en cours. Car cette situation de «perspectiverétrospective »1 (selon ma désignation), Husserl ne l'a pas vécue une seule fois ni deux ni trois: ce fut, en fait, continuellement la sienne à chaque nouvelle étape de sa recherche; et cette particularité s'est maintenue jusqu'à la Krisis2. Aussi tous ceux qui ont à faire avec la philosophie de Husserl ont-ils pour eux l'obligation de convertir: « Husserl à Husserl », sans perdre de 1 J'ai donné un exemple de la possibilité d'une telle appréhensiondans l'ouvrage Les racines philosophiques de la science moderne (Bruxelles: Mardaga, 1987), spécialement dans la première partie intitulée: «L'origine épistémologique dans la dernière œuvre de Husserl: la Krisis ». 2 Die Krisis der europâischen Wissenschaften und die transzendentale Phiinomenologie (1954); La Crise des sciences européennes et la phénoménologie transcendantale, traduction de Gérard Granel, Paris, Gallimard, 1976; reprise dans la Collection "Tel", 1989. 16 vue la réalité incontournable des couches successives de sa recherche, car chaque fois l'historique de la démarche y est étroitement mêlé, pour ainsi dire, à l'ontique de l'objet visé, le point de vue propre de l'auteur à un moment de son enquête étant chaque fois pris dans l'élément existentiel de son questionnement. On pourrait, certes, s'interroger sur des tentatives qui ne sont qu'apparentes hésitations; mais, quand on connaît suffisamment la difficulté de la méthode phénoménologique de Husserl, on remarque que ces successives reprises correspondent aux exigences inhérentes à la méthode. 17 1.3 ...sous l'égide de Bolzano... Sous l'influence initiale de Bernhard Bolzano (1781-1848) et de sa Wissenschaftslehrel (1837), pour qui les propositions mathématiques doivent être étudiées comme des « choses en soi », Husserl va donc tenter de séparer les vérités logiques des processus psychologiques concomitants, et même, dans la Première Recherche, adopter tel quel le concept bolzanien d'En soi des propositions logiques. Le point de vue de Bolzano est celui de renouveler la logique pour la mettre à la base de la mathématique; c'est pourquoi il est opposé au psychologisme et demande que l'énoncé logique soit considéré comme une proposition en soi. Aussi Bolzano donne-t-il à la représentation « en soi » un statut différent de celui que donne Kant à la « chose en soi»: inhérente à notre entendement sans en être le produit, cette représentation n'est pas la conséquence mais l'origine de la connaissance, sa condition de possibilité. De plus, Bolzano a une conception du phénomène (Erscheinung) qui lui attribue le rôle de fonder la transition et l'articulation entre l'ordre des essences et l'ordre de l'existence; ce faisant, il donne déjà l'équivalent de certains concepts de la sémantique qui sera élaborée par Tarski (1901-1983). Son sol 1 Wissenschaftslehre (1837), 5 volumes, Prague, 1930-1948; Doctrine la science. 19 originaire, l'En soi, qui fonde donc la connaissance, est ce vers quoi le logicien doit revenir en suivant le mouvement à travers les signes qui toujours « phénoménalisent » l'En soi. Le concept d'En soi sera lié chez Husserl à la perspective d'une théorie de la connaissance, et il se résoudra dans la certitude absolue de cette vérité: « la vérité en soi constitue le corrélat nécessaire de l'être en soi » (Prolégomènes, Recherches logiques, T.I, 9.62, p. 252). Certes, Husserl critiquera le concept de «vérité en soi» dans la préface de la deuxième édition, et il y verra l'origine du mauvais traitement de la Première Recherche à l'endroit des significations occasionnelles. Néanmoins, le projet explicite de la phénoménologie de la connaissance, tel qu'il est énoncé dans l'Introduction du Tome second, exclut qu'elle puisse rien affmner de l'existence réelle, étant donné qu'elle est essentiellement «orientée vers les structures d'essence des vécus 'purs' et des éléments constitutifs de sens leur appartenant » (Recherches logiques, Tome II, Première partie, p. 23). Le troisième chapitre de la Première Recherche suit de très près Bolzano, puisque Husserl y écrit, relativement à l'en soi : « Tout ce qui est, est connaissable « en soi » et son être est relativement à son contenu un être déterminé, qui se documente en telles et telles « vérités en soi ». Ce qui 20