812-817 Tueller 069_f.qxp 9.10.2008 13:03 Uhr Seite 812 CURRICULUM Forum Med Suisse 2008;8(43):812–817 812 Hypertension pulmonaire chronique Claudia Tüller, Laurent P. Nicod Klinik und Poliklinik für Pneumologie, Bern Bases théoriques Quintessence 쎲 Les hypertensions pulmonaires sont un ensemble de maladies qui par divers mécanismes pathophysiologiques amènent à une augmentation des pressions dans les artères pulmonaires et une surcharge du cœur droit. 쎲 Une échocardiographie est l’examen de choix pour juger de la morphologie et de la fonction du ventricule droit et gauche ainsi que pour mesurer les pressions pulmonaires systoliques. 쎲 Les causes les plus fréquentes d’une hypertension pulmonaire sont liées à une insuffisance cardiaque gauche et aux maladies pulmonaires chroniques obstructives. Dans ces conditions, ce sont ces maladies qui doivent être traitées. 쎲 Pour les hypertensions artérielles pulmonaires (HAP), qui sont rares, il y a depuis quelques années des traitements médicamenteux coûteux. Un diagnostic précis doit être posé au moyen d’un cathétérisme cardiaque droit bien conduit, avant de poser l’indication à de telles thérapies. 쎲 Les maladies thromboemboliques chroniques sont une cause d’hypertension pulmonaire probablement sous-diagnostiquée. A côté des thromboendartérectomies, il y a aussi des traitements médicamenteux efficaces de ce type d’hypertension pulmonaire. 쎲 L’investigation et le traitement des patients avec une hypertension pulmonaire devraient être effectués par des centres pluridisciplinaires pour les hypertensions pulmonaires en étroite collaboration avec les praticiens. Summary Chronic pulmonary hypertension 쎲 Pulmonary hypertension comprises a group of diseases in which various pathophysiological mechanisms trigger a rise in the pressure of the pulmonary arteries and secondarily an overload in the right heart. 쎲 Echocardiography is the screening method of choice to evaluate right ventricular morphology and function and measure systolic pulmonary artery pressure. 쎲 In practice the commonest causes of pulmonary hypertension are left heart failure and chronic obstructive lung diseases. Therapy is primarily targeted at these underlying disorders. 쎲 To treat the rare pulmonary artery hypertension (PAH) very costly but effective drugs have become available in the last few years. Before initiating such treatments for PAH, careful diagnosis by way of right heart catheterisation and a search for causative factors is essential in order to differentiate between pre- and post-capillary pulmonary hypertension. 쎲 Chronic thromboembolic pulmonary hypertension is secondary to recurrent, often unrecognised pulmonary emboli and is probably under-diagnosed. Here the therapeutic arsenal consists not only of thromboendarterectomy but also of newly available specific drugs. 쎲 Investigations and treatment for patients with pulmonary hypertension should be in the hands of multidisciplinary PH centres in close cooperation with the patients’ physicians. La circulation pulmonaire est caractérisée par un haut débit et une faible résistance. Grâce au recrutement des capillaires pulmonaires et à une vasodilatation, la pression artérielle pulmonaire reste dans les normes même si le débit cardiaque augmente, jusqu’à un certain point. Les mécanismes entraînant une augmentation de pression dans la circulation pulmonaire sont présentés au tableau 1 p. Quelle que soit l’étiologie, l’augmentation chronique de la pression dans la circulation pulmonaire provoque une hypertrophie du ventricule droit. La perte de contractilité qui en résulte est compensée d’abord par une dilatation et donc par une augmentation de la précharge, ce qui maintient la fraction d’éjection. L’augmentation de la pression de remplissage et la diminution du débit cardiaque provoquent une insuffisance cardiaque droite cliniquement manifeste. La classification clinique de l’hypertension pulmonaire a été revue en 2003 lors du «Third World Symposium on Pulmonary Arterial Hypertension» (tab. 2 p) [1]. Elle s’est faite en fonction de la cause physiopathologique supposée de l’augmentation de la résistance pulmonaire. Sont le plus souvent diagnostiqués en pratique les patients ayant une hypertension pulmonaire secondaire soit à des pathologies du cœur gauche (groupe 2), soit à une pneumopathie ou à une hypoxémie chronique (groupe 3). Le groupe 2 est caractérisé par une augmentation de la pression dans l’oreillette gauche. L’augmentation de la résistance pulmonaire dans le groupe 3 est en premier lieu imputable à la vasoconstriction pulmonaire résultant de l’hypoxie alvéolaire, qui peut par la suite donner lieu à un remodeling des vaisseaux pulmonaires. Les hypertensions artérielles pulmonaires (PAH, groupe 1) sont rares dans la population générale. Physiopathologiquement, ces maladies sont caractérisées par un remodeling des artères pulmonaires. La muscularisation des artérioles précapillaires pulmonaires, la prolifération et l’hypertrophie des cellules musculaires lisses artériolaires, la prolifération des fibroblastes adventitiels, la formation d’une néointima plus épaisse et de lésions plexiformes donnent une sténose de la circulation pulmonaire pouvant aller jusqu’à l’occlusion. Une hypertension pulmonaire thromboembolique chronique (CTEPH, groupe 4) se manifeste Vous trouverez les questions à choix multiple concernant cet article à la page 809 ou sur internet sous www.smf-cme.ch. 812-817 Tueller 069_f.qxp 9.10.2008 13:03 Uhr Seite 813 CURRICULUM Tableau 1. Méchanismes d’une augmentation de la pression pulmonaire. Loi d’Ohm U = R x I 3 PAPmoyenne = PVR x HMV + LAP U = tension A (PAPmoyenne – LAP) R = résistance A PVR I = débit A HMV Augmentation de la PAPmoyenne par augmentation de la PVR hypertension artérielle pulmonaire, pathologie pulmonaire parenchymateuse, thromboembolie augmentation du HMV shunts, status hypercirculatoire augmentation de la LAP pathologies du cœur gauche Définition de l’hypertension pulmonaire PAPmoyenne au repos >25 mm Hg PAPmoyenne à l’effort >30 mm Hg PAPmoyenne LAP PVR HMV = = = = pression moyenne dans l’artère pulmonaire pression dans l’oreillette gauche résistance vasculaire pulmonaire débit cardiaque Tableau 2. Classification clinique des hypertensions pulmonaires selon [1] et leur prévalence relative dans la population [+ à +++]. 1. Hypertension artérielle pulmonaire (PAH) [+] Idiopathique Familiale Secondaire à – connectivites – shunts congénitaux – hypertension portale – infection à VIH – médicaments et toxiques – autres (pathologies thyroïdiennes, hémoglobinopathies, splénectomie …) Associée à atteinte veineuse/capillaire – pathologie veino-occlusive pulmonaire – hémangiomatose capillaire pulmonaire – hypertension pulmonaire du nouveau-né persistante 2. Hypertension pulmonaire avec pathologies du cœur gauche [+++] Pathologie auriculaire ou ventriculaire Valvulopathies 3. Hypertension pulmonaire associée à pneumopathies/hypoxémie [++] BPCO/COPD Pneumopathies interstitielles Syndrome des apnées du sommeil Hypoventilation alvéolaire En haute altitude Pathologies de développement 4. Hypertension pulmonaire associée à pathologies thrombotiques/emboliques chroniques (CTEPH) [+] Thromboembolie des artères pulmonaires proximales Thromboembolie des artères pulmonaires distales Embolies pulmonaires non thrombotiques (tumeur, parasites, corps étrangers) 5. Autres Sarcoïdose, histiocytose, lymphangioléiomyomatose, compression des artères pulmonaires Forum Med Suisse 2008;8(43):812–817 813 chez 1 à 4% des patients victimes d’embolies pulmonaires aiguës. Quelque 60% des patients CTEPH ont cependant une anamnèse vierge d’embolies pulmonaires. Physiopathologiquement, la revascularisation incomplète du lit vasculaire et peut-être aussi une thrombose in situ provoquent une diminution du diamètre des vaisseaux. La contrainte de pression et de volume des vaisseaux encore perfusés peut déclencher à leur niveau un processus provoquant en fin de compte, tout comme dans la PAH, une artériolopathie et une augmentation additionnelle de la pression pulmonaire. Le groupe 5 comporte des maladies extrêmement rares, pouvant entraîner dans des cas encore plus rares une hypertension pulmonaire par différents mécanismes. L’incidence de l’hypertension pulmonaire en Suisse peut être estimée sur la base des registres de la Société Suisse sur l’Hypertension pulmonaire (SGPH). Entre 1999 et 2004, 250 patients ayant une hypertension pulmonaire ont été recensés, et ceux ayant des problèmes de cœur gauche à l’origine de leur hypertension pulmonaire ont été exclus. Ceci donne une prévalence de l’hypertension pulmonaire de 25 par million d’habitants adultes. Du fait que les registres ne peuvent recenser tous les patients, il s’agit là d’une estimation conservatrice. Diagnostic La première étape du diagnostic d’une hypertension pulmonaire est d’y penser. La présentation clinique n’est généralement pas très spectaculaire au début. Les premiers symptômes sont la plupart du temps dyspnée d’effort, fatigabilité plus marquée et intolérance à l’effort. Avec la progression de la maladie peuvent venir s’y ajouter palpitations, douleurs thoraciques et œdèmes périphériques. Les signes d’hypertrophie du cœur droit sur l’ECG (P pulmonaire, bloc de branche droit partiel ou complet, axe vertical ou droit) ou cardiomégalie à prédominance droite et dilatation des artères pulmonaires sur la radiographie du thorax peuvent témoigner d’une hypertension pulmonaire. L’échocardiographie transthoracique est le plus important examen de dépistage en cas de suspicion d’hypertension pulmonaire. Elle permet d’évaluer la morphologie et la fonction du ventricule droit et de mesurer la pression systolique dans l’artère pulmonaire (PAPsys; norme <40 mm Hg, un peu plus élevée chez les patients très obèses ou âgés). L’échocardiographie peut aussi donner des éléments en faveur d’une étiologie possible de l’hypertension pulmonaire, dont valvulopathies mitrales, shunts intracardiaques ou insuffisance cardiaque gauche. Toute hypertension pulmonaire doit être confirmée par cathétérisme cardiaque droit, car l’échocardiographie peut donner des valeurs de pression artérielle pulmonaire faussement élevées 812-817 Tueller 069_f.qxp 9.10.2008 13:03 Uhr Seite 814 CURRICULUM Tableau 3. Investigations de l’hypertension pulmonaire. Examen Question Anamnèse Anorexigènes, cocaïne, amphétamines, chimiothérapeutiques Anamnèse familiale Connectivites, hépatopathies Infection à VIH, thromboses/embolies pulmonaires Status Deuxième bruit cardiaque accentué, œdèmes périphériques ECG P pulmonaire; bloc de branche droit partiel ou complet; axe vertical ou droit; peut être normal Radiographie du thorax Cardiomégalie à prédominance droite; artères pulmonaires dilatées; signes de pneumopathie obstructive ou restrictive; peut être normale Echocardiographie Morphologie et fonction du ventricule droit; mesure de la pression systolique dans l’artère pulmonaire; pathologies du cœur gauche, shunts intracardiaques comme étiologies de l’hypertension pulmonaire Fonction pulmonaire Troubles obstructif ou restrictif de la ventilation Diminution de la capacité de diffusion Gazométrie Hypoxémie; indication à l’oxygénothérapie à domicile; hypoventilation alvéolaire Cathétérisme cardiaque droit Existence et gravité de l’hypertension pulmonaire; composantes cardiaques gauches; test de vasoréactivité: répondeur ou non-répondeur Scintigraphie de ventilation/perfusion Signes de thromboembolie chronique TC thorax avec produit de contraste et HRCT Embolies pulmonaires centrales, segmentaires ou sous-segmentaires, emphysème, fibrose Laboratoire ANA (Scl 70, RNP, AC anti-centromère) Tests VIH, tests hépatiques Fonction thyroïdienne Echographie abdominale Hypertension portale Polygraphie respiratoire Syndrome des apnées du sommeil; oxygénothérapie nocturne Test de marche 6 minutes Importance de la baisse des performances; oxygénothérapie à l’effort (rarement faussement abaissées). Le cathétérisme cardiaque droit permet de mesurer directement la pression artérielle pulmonaire et le débit cardiaque, et du même coup de calculer la résistance vasculaire pulmonaire. Une étiologie postcapillaire (problèmes du cœur gauche) d’une hypertension pulmonaire peut également être exclue, et un test de vasoréactivité donne des arguments pour une éventuelle réponse aux antagonistes du calcium. Si l’hypertension pulmonaire est confirmée, il faut en rechercher les étiologies possibles (tab. 3 p). Traitement de l’hypertension pulmonaire Jusqu’à récemment, les options thérapeutiques de l’hypertension pulmonaire étaient très limitées. En plus de mesures d’ordre général, telles le fait d’éviter les situations surchargeant la circulation et les séjours à plus de 2000 m d’altitude, du traitement de base par oxygène, diurétiques et anticoagulation orale, sans oublier bien sûr le Forum Med Suisse 2008;8(43):812–817 814 traitement de la maladie de base, surtout en cas de BPCO et d’insuffisance cardiaque, on disposait encore des antagonistes du calcium dans des cas particuliers. Traitement de base: une anticoagulation orale avec un INR cible de 2,0–3,0 est indiquée chez les patients ayant une hypertension artérielle pulmonaire, une CTEPH ou un risque accru de thromboembolie (fibrillation auriculaire). Le but est de prévenir toute aggravation de l’hémodynamique pulmonaire par thrombose in situ du lit vasculaire sténosé ou les embolies pulmonaires. Mais les données à ce propos sont rares. Pour les patients ayant une hypertension pulmonaire secondaire à une pneumopathie ou à une autre maladie rare, il n’y a aucune étude à ce sujet, et il n’y a pas non plus de données sur l’inhibition de l’adhésivité plaquettaire comme alternative à l’anticoagulation orale. En cas de rétention liquidienne, ce sont les diurétiques qu’il faut administrer. Leur posologie doit être adaptée à la clinique et à la symptomatologie, et il faut surveiller l’équilibre électrolytique et la fonction rénale. Tout traitement diurétique intempestif doit être évité car il peut aggraver l’insuffisance cardiaque en abaissant la précharge ventriculaire droite. Tout comme pour les patients ayant une hypertension pulmonaire secondaire à une pneumopathie, une oxygénothérapie à domicile est recommandée dans les autres étiologies si la PaO2 est <60 mm Hg, même en l’absence de tout résultat à long terme. Le traitement doit être entrepris de manière à ce que la saturation d’oxygène au repos, à l’effort et pendant le sommeil soit >90%. Traitement de la maladie de base: chez les patients ayant une infection à VIH, le traitement antirétroviral (HAART) est supposé avoir une influence bénéfique sur la résistance vasculaire pulmonaire. Mais le HAART n’est pas suffisant comme seul traitement de l’hypertension pulmonaire associée à une infection à VIH. Dans l’hypertension pulmonaire secondaire à une insuffisance cardiaque gauche, le traitement conventionnel par inhibiteurs de l’ECA et diurétiques est toujours de première intention. Le traitement de la maladie de base est également très important dans la BPCO. Plus la FEV1 est basse, plus l’hypertension pulmonaire est fréquente (40% avec une FEV1 <1000 ml, 70% si FEV1 <600 ml). Elle n’est que peu marquée chez les patients BPCO, la pression moyenne dans l’artère pulmonaire étant de 20–35 mm Hg. Seuls quelque 5% des patients BPCO ont une hypertension pulmonaire marquée. Mais une augmentation de la pression artérielle pulmonaire de >20 mm Hg a une influence négative sur le pronostic de ces patients. Pour ralentir la baisse de la FEV1 il faut absolument qu’ils arrêtent de fumer. La correction de l’hyperinflation par bêtastimulants ou anticholinergiques en inhalation devrait avoir des répercussions favorables sur la fonction cardiaque. Pour les exacer- 812-817 Tueller 069_f.qxp 9.10.2008 13:03 Uhr Seite 815 CURRICULUM bations, qui s’accompagnent souvent d’une ascension marquée de la pression artérielle pulmonaire, le traitement doit comporter bronchodilatateurs, antibiotiques et stéroïdes. Les patients BPCO ayant des signes de surcharge cardiaque droite ou une polycythémie et une PaO2 <60 mm Hg se qualifient pour une oxygénothérapie à domicile. Chez les patients ayant une cirrhose/ hypertension portale, la transplantation hépatique est souvent la seule option thérapeutique. Une hypertension portopulmonaire, qui se manifeste chez 3–4% des candidats à une greffe de foie, est un facteur de risque non négligeable pour l’évolution postopératoire. En présence d’une hypertension pulmonaire modérée à grave non traitée, la transplantation hépatique est contreindiquée. Si la pression artérielle pulmonaire moyenne peut être abaissée à des valeurs proches de 35 mm Hg par un traitement spécifique, une transplantation est alors possible et normalisera l’hémodynamique dans la plupart des cas. Le traitement spécifique de l’hypertension pulmonaire par antagonistes du calcium coûte près de 2000 francs par an à dose maximale. Il est indiqué chez les patients ayant une hypertension artérielle pulmonaire idiopathique (IPAH) et un test de vasoréactivité positif (répondeurs) [2]. Ce sont environ 10–20% des patients IPAH. Tous les patients ne tolèrent pas les très hautes doses d’antagonistes du calcium nécessaires – jusqu’à 240 mg de nifédipine par jour – dont les effets indésirables sont notamment œdèmes jambiers ou hypotension. Un traitement par antagonistes du calcium n’est pas recommandé dans les autres formes d’hypertension pulmonaire ni chez les non-répondeurs au test de vasoréactivité. Nouveaux traitements médicamenteux Au milieu des années 1990 ont été publiées les premières grandes études sur le traitement spécifique de certaines formes d’hypertension pulmonaire par prostacycline ou analogues de la prostacycline. La prostacycline est produite dans l’endothélium vasculaire et a des effets vasodilatateurs et antiprolifératifs, elle inhibe en outre l’adhésivité plaquettaire. La substance la plus souvent utilisée en Suisse actuellement est l’iloprost, qui peut être inhalé [3]. Les formes administrables par voie intraveineuse (époprosténol) et sous-cutanée (tréprostinil) ne s’utilisent que dans de rares situations, surtout en cas d’aggravation sous traitement médicamenteux maximal. L’iloprost inhalé améliore la qualité de vie, la distance parcourue en 6 minutes, le stade NYHA de patients PAH et CTEPH. Le traitement se fait par nébuliseur à ultrasons spéciaux à raison de 6–9 fois par jour et coûte 58 000–116 000 francs par an. Avec cette forme d’administration et les alternatives actuellement à disposition, les prosta- Forum Med Suisse 2008;8(43):812–817 815 cyclines s’utilisent de plus en plus en seconde intention. Les premières études randomisées et contrôlées contre placebo avec le bosentan, antagoniste du récepteur de l’endothéline, ont été publiées en 2001/2002 [4]. L’endothéline-1 est produite essentiellement par les cellules endothéliales et agit sur les cellules musculaires lisses des vaisseaux via ses récepteurs A et B. Elle a un effet vasoconstricteur et prolifératif et est supposée jouer un rôle important dans la physiopathologie de plusieurs formes d’hypertension pulmonaire. Depuis les premières importantes études cliniques avec le bosentan, qui a démontré des améliorations de la distance parcourue en 6 minutes, du stade NYHA et de l’hémodynamique après 12 et 16 semaines, cette substance est régulièrement utilisée pour le traitement de patients ayant une hypertension pulmonaire (coûts de traitement 60 000 francs par an, situation janvier 2008). Mais il n’est admis pour le moment que chez les patients aux stades NYHA III et IV et ayant une hypertension artérielle pulmonaire. Les dernières études avec le bosentan montrent d’une part un bénéfice à long terme (6–12 mois) sur la distance parcourue en 6 minutes et le stade NYHA, et de l’autre son efficacité a pu être démontré sur d’autres formes d’hypertension pulmonaire. Le traitement par bosentan de la CTEPH est ainsi une alternative à la thrombendartérectomie pulmonaire, surtout si celle-ci est irréalisable en raison de la localisation des thrombi, grevée d’un haut risque ou refusée par le patient [5]. Avec ses bons résultats, la plupart des caisses maladie prennent en charge les coûts de ce traitement. Les résultats du bosentan dans l’hypertension pulmonaire secondaire à une insuffisance cardiaque gauche sont contradictoires, il faut attendre encore d’autres études à ce sujet. Le sildénafil, inhibiteur sélectif de la phosphodiestérase 5, est également une alternative au bosentan sous forme de comprimés dans le traitement de l’hypertension pulmonaire. Les inhibiteurs de la phosphodiestérase 5 diminuent le métabolisme du cGMP, ce qui prolonge l’activité du NO endogène, puissant vasodilatateur. Trois études randomisées et contrôlées chez des patients ayant une PAH idiopathique, une PAH secondaire à des connectivites et à des cardiopathies congénitales, publiées entre 2004 et 2006, ont pu démontrer l’efficacité du sildénafil sur la distance parcourue en 6 minutes, l’hémodynamique et le stade NYHA [6]. Depuis 2007, le sildénafil (Revatio®) est pris en charge par les caisses dans les indications ci-dessus avec dyspnée NYHA III (coûts 12 000 à 36 000 francs par an en fonction de la posologie). Tout comme pour le bosentan, des études montrent maintenant un effet positif du sildénafil sur la distance parcourue en 6 minutes et la résistance vasculaire pulmonaire chez des patients 812-817 Tueller 069_f.qxp 9.10.2008 13:03 Uhr Seite 816 CURRICULUM CTEPH [7]. Une étude récemment publiée a examiné l’effet du sildénafil chez des patients ayant une hypertension pulmonaire secondaire à une insuffisance cardiaque gauche. Après 12 semaines, elle a démontré une amélioration de l’hémodynamique, des performances physiques et de la qualité de vie. Mais les données sont insuffisantes pour utiliser de routine le sildénafil dans cette indication. Il est également possible de combiner les médicaments spécifiques ci-dessus, ce qui semble même judicieux en raison de leurs différents sites d’action. Une étude a examiné ces trois médicaments chez des patients PAH selon un algorithme fixe et a obtenu des survies à un, deux et trois ans de 93%, 83% et 80% [8]. Ceci représente une très nette amélioration par rapport aux groupes témoins historiques. Du fait de la rareté de cette maladie, des indications limitées d’un traitement spécifique et de ses coûts élevés, il ne doit être mis en route que dans des centres spécialisés dans l’hypertension pulmonaire. C’est particulièrement vrai pour les traitements combinant les médicaments cités plus haut. Les adresses de spécialistes en la matière sont données sur le site de la Société Suisse sur l’Hypertension pulmonaire (www.sgph.ch). Traitements chirurgicaux Une option thérapeutique de la CTEPH – en plus des traitements médicamenteux cités plus haut – est la thrombendartérectomie pulmonaire [9]. Cette intervention est possible si les thrombi organisés sont situés dans les artères pulmonaires proximales, les artères lobaires et les segments proximaux des artères segmentaires, et s’il n’y a pas d’oblitérations vasculaires marquées plus en périphérie. La résistance vasculaire pulmonaire ne doit être que modérément à moyennement augmentée et il ne doit pas y avoir de comorbidité notable. La mortalité de cette intervention est inférieure à 7% dans les centres disposant d’une grande expérience. En Suisse, cette intervention a jusqu’ici été effectuée à plusieurs reprises avec de bons résultats dans les services universitaires de Zurich, Bâle, Lausanne et Genève, parfois avec la collaboration du Prof. E. Mayer, de la Johannes Gutenberg Universitätsklinik de Mayence. La transplantation pulmonaire est une option chez les patients PAH souffrant d’une dyspnée permanente NYHA III ou IV malgré un traitement médicamenteux maximal. La limite d’âge est de 60–65 ans selon les centres; les contre-indications sont une insuffisance rénale significative, une infection à VIH, un cancer dans les deux années précédentes, une positivité HBsAG et une hépatite C active confirmée par l’histologie. Forum Med Suisse 2008;8(43):812–817 816 Perspectives Diagnostic/dépistage: il est maintenant déjà recommandé de rechercher régulièrement une PAH chez certaines personnes à risque. Une échocardiographie est préconisée chaque année chez les patients ayant une sclérodermie. Il faut également la faire avant transplantation hépatique ou en cas d’infection à VIH avec symptomatologie de dyspnée. Une consultation génétique dans un centre spécialisé est recommandée dans les formes familiales de PAH. Certains centres recherchent une hypertension pulmonaire à l’effort par échocardiographie d’effort chez les proches de patients PAH ou les patients atteints de sclérodermie. Mais nul ne sait exactement si cela permet d’identifier des patients qui développeront par la suite une hypertension pulmonaire au repos ou s’il ne s’agit que d’une variante physiologique. Une hypertension pulmonaire d’effort peut régulièrement être mise en évidence chez des sportifs de pointe par exemple. S’il s’avère que l’hypertension pulmonaire à l’effort est un stade précurseur d’une hypertension pulmonaire au repos, le fait de savoir si elle pourrait être prévenue par un traitement précoce par antagonistes du calcium serait une autre question intéressante. Traitements: les descriptions de cas ou études pilotes examinant l’efficacité des différentes substances dans la PHA in vivo ou in vitro sont nombreuses. Celle de la simvastatine, censée avoir un effet antiprolifératif et antithrombotique, des ISRS, des inhibiteurs de la tyrosine-kinase et de nombreuses autres. Le site de la Société Suisse sur l’Hypertension pulmonaire (www.sgph.ch) donne un très bon aperçu des nouveaux médicaments potentiels. Une option thérapeutique non médicamenteuse intéressante est la réadaptation des patients hypertension pulmonaire. Une étude a pu montrer qu’une réadaptation de ces patients en milieu hospitalier a le même effet sur la distance parcourue en 6 minutes et la qualité de vie que les traitements médicamenteux [10]. Personne ne peut encore dire si cet effet persiste à long terme, s’il y a une véritable amélioration hémodynamique ou s’il ne s’agit «que» d’un déconditionnement. Management: l’hypertension pulmonaire est une maladie rare dont les possibilités de traitement sont toujours plus complexes. Les traitements combinés précisément, ou les injections intraveineuses ou sous-cutanées continues, demandent une grande expérience. Le traitement de tels patients par des spécialistes dans des centres accrédités pour l’hypertension pulmonaire, en étroite collaboration avec leurs médecins traitants, sera à l’avenir indispensable pour conserver une qualité de traitement de haut niveau. 812-817 Tueller 069_f.qxp 9.10.2008 13:03 Uhr Seite 817 CURRICULUM Forum Med Suisse 2008;8(43):812–817 817 Références 1 2 3 4 Correspondance: Dr Claudia Tüller Clinique et policlinique de Pneumologie Hôpital de l’Ile CH-3010 Berne [email protected] 5 6 Simmoneau G, Galiè N, Rubin LJ, Langleben D, Seeger W, Domenighetti G, et al. Clinical Classification of Pulmonary Hypertension. J Am Coll Card. 2004;43:5S–12S. Rich S, Kaufmann E, Levy PS. The effect of high doses of calcium-channel blockers on survivalin primary pulmonary hypertension. N Engl J Med. 1992;327:76–81. Olschewski H, Simmoneau G, Galiè N, Higenbottam T, Naeije R, Rubin LJ et al. Inhaled Iloprost for severe pulmonary hypertension. N Engl J Med. 2002;347:322–9. Rubin LJ, Badesch DB, Barst RJ, Galiè N, Black CM, Keogh A et al. Bosentan therapy for pulmonary arterial hypertension. N Engl J Med. 2002;346:896–903. Hoeper MM, Kramm T,Wikens H. Bosentan therapy for inoperable chronic thromboembolic pulmonary hypertension. Chest. 2005;128:2363–7. Galiè N, Ghofrani HA,Torbicki A, Barst RJ, Rubin LJ, Badesch D, et al. Sildenafil citrate therapy for pulmonary arterial hypertension. N Engl J Med. 2005;353:2148–57. 7 Reichenberger F, Voswinckel R, Enke B, Rutsch M, El Fechtali E, Schmehl T, et al. Long-term treatment with sildenfil in chronic thromboembolic pulmonary hypertension. Eur Respir J. 2007;30:922–37. 8 Hoeper MM, Markevych I, Spiekerkoetter E, Welter T, Niedermeyer J. Goal-oriented treatment and combination therapy for pulmonary arterial hypertension. Eur Respir J. 2005;26: 858–63. 9 Hoeper MM, Mayer E, Simmoneau G, Rubin LJ. Chronic Thromboembolic Pulmonary Hypertension. Review. Circulation. 2006;113:2011–20. 10 Derliz M, Ehlken N, Kreuscher S, Ghofrani S, Hoeper MM, Halank M, et al. Exercise and Respiratory Training Improve Exercise Capacity and Quality of Life in Patients with Severe Chronic Pulmonary Hypertension. Circulation. 2006;114: 1482–9.