CABINET Forum Med Suisse No 12 20 mars 2002 276 Evaluation et traitement préopératoires du risque pulmonaire A. Zollinger, T. Pasch Correspondance: PD Dr Andreas Zollinger Institut für Anästhesie und Reanimation Stadtspital Triemli Zürich Birmensdorferstrasse 497 CH-8063 Zürich [email protected] L’examen pré-opératoire du patient a pour but la détermination du risque péri-opératoire et la planification détaillée de la procédure anesthésique. C’est un moyen généralement reconnu de réduction de la morbidité et mortalité périopératoires. Les complications pulmonaires contribuent de manière décisive au risque périopératoire et sont fréquemment cause de prolongation du séjour hospitalier. Mais l’évaluation du risque pulmonaire se heurte à de nombreuses questions non résolues. En particulier, la place de l’examen pré-opératoire de routine de la fonction pulmonaire est controversée [1] et son utilité n’est pas démontrée. On a analysé d’innombrables facteurs pulmonaires chez un grand nombre de patients, dans le but d’établir des corrélations avec le risque péri-opératoire. Malheureusement il n’est encore pas possible de véritablement prédire systématiquement le risque spécifique pour les patients individuels. Trop de variables différentes s’influencent mutuellement. Les données provenant de recherches remontant à plusieurs années devraient en outre être interprétées avec prudence: le développement rapide des procédures et techniques en anesthésie, chirurgie et médecine intensive, y compris le monitorage, ne devrait pas rester sans effet sur la morbidité et la mortalité. Avant tout, les paramètres de fonction pulmonaire soit-disant «prohibitifs» toujours mis en avant depuis des décennies [2] pourraient eux-mêmes être aujourd’hui considérés comme pratiquement sans valeur compte tenu des résections pulmonaires exécutées de nos jours chez des patients atteints de carcinome pulmonaire ou d’emphysème pulmonaire terminal [3]. Les résultats de la chirurgie de réduction du volume pulmonaire [4, 5] est une illustration impressionnante des changements dans ce domaine. On peut sans aucun doute confirmer l’inadéquation de la transposition de ces valeurs limites prohibitives du domaine de la chirurgie thoracique à des interventions non thoraciques. Les risques pulmonaires et cardiaques sont de plus souvent quasi inséparables, notamment par le fait que les maladies coronariennes consécutives au tabac vont fréquemment de paire avec des maladies pulmonaires chroniques. La définition d’une marche à suivre pour les investigations préopératoires, la détermination d’un risque périopératoire global et l’indication à d’éventuels traitements pré-opératoires absolument néces- saires pour des patients individuels impliquent une très grande expérience clinique. Investigations pulmonaires L’évaluation clinique du patient constitue la partie la plus importante de l’évaluation préopératoire. Elle inclut l’anamnèse spécifique dont fait partie la gradation d’une éventuelle dyspnée à l’aide d’une échelle d’appréciation par le patient lui-même (score de dyspnée), ainsi que l’examen physique. Les examens d’imagerie médicale (radiographie du thorax et éventuellement tomographies computérisées) doivent être spécifiquement indiqués. La mesure de la fonction pulmonaire comprend au moins la détermination de la capacité vitale forcée (CVF) et du volume expiratoire forcé en 1 seconde (FEV1). Les autres volumes pulmonaires, le MMV, le flux expiratoire de pointe (PEF) et la capacité de diffusion du monoxyde de carbone doivent être déterminés de manière individuelle. Pour l’évaluation des réserves cardio-pulmonaires, on dispose de divers tests plus ou moins exigeants: escaliers, test de marche de 6 ou 8 minutes, tapis roulant ou bien la spiro-ergométrie sur vélo avec détermination de la consommation maximale d’oxygène. Ce dernier test permet une bonne différentiation entre cause cardiaque primaire ou pulmonaire d’une sévère limitation de la performance. L’analyse des gaz artériels fournit d’importantes indications sur les échanges gazeux chez un patient à l’air ambiant ou sous apport supplémentaire d’oxygène. Les examens de répartition de la perfusion pulmonaire, de la pression artérielle pulmonaire, de la résistance vasculaire pulmonaire et des gaz sanguins artériels pulmonaires ne sont indiqués que dans des cas exceptionnels. L’échocardiographie trans-thoracique non invasive constitue une alternative pour l’évaluation de l’hémodynamique pulmonaire et de la fonction cardiaque droite des patients à risque. La difficulté réside dans l’interprétation des paramètres mesurés, surtout en ce qui concerne leur valeur pour l’appréciation de l’opérabilité du patient individuel. Cependant, ces investigations peuvent indéniablement fournir des indications importantes sur des particularités et difficultés péri-opératoires spécifiques auxquelles on peut s’attendre, sur des mesures thérapeutiques qu’il serait possible d’entre CABINET prendre et peuvent éventuellement aussi influencer le mode et l’intensité du traitement péri-opératoire [6, 7]. Cependant, les valeurs mesurées ne peuvent pas être utilisées une à une de manière isolée pour prédire le risque péri-opératoire, respectivement l’«outcome». Surtout, chez un patient, il ne faut pas renoncer à une intervention chirurgicale sur la base de la seule détermination pré-opératoire de la fonction pulmonaire [1, 8]. Facteurs de risque pulmonaire L’identification et la pondération pré-opératoires des facteurs de risque pulmonaires isolés chez le patient individuel seraient très utiles. Les nombreux travaux de recherche consacrés à ces facteurs de risque portent malheureusement sur des collectifs de patients et des interventions très divers. De plus, les divers auteurs ont défini de manière différente «complication intra- et postopératoire». Etant donné que bon nombre de ces complications dépendent les unes des autres et ne sont individuellement guère équivalentes quant à leur signification, elles ne peuvent pas être simplement comparées entre elles dans une seule analyse [9]. Les méta-analyses de ces études ne sont pas non plus très pertinentes. Il n’est donc actuellement pas possible d’en tirer des conclusions nettes. Chirurgie thoracique On s’obstine encore aujourd’hui à citer et utiliser en clinique les paramètres de fonction pulmonaire dits «prohibitifs» qui ont vu le jour et ont été développés (en raison de données peu convaincantes) entre le début des années 50 [10] et les années 80 [2, 11, 12]. Ceci est d’autant plus étonnant que depuis des années, divers auteurs conseillent au contraire fortement d’oublier ces valeurs limites: «The previous concept of minimal predicted postoperative FEV1 of 0,8 L may no longer be applicable with new anesthetic and critical care techniques. We were unable to identify any specific preoperative pulmonary function test as a predictor of postoperative morbidity» [3]. En fait, les bons résultats de la chirurgie de réduction de volume pulmonaire – résection bilatérale non-anatomique du tissu pulmonaire fortement emphysémateux chez des patients emphysémateux présentant des valeurs préopératoires de FEV1 <0,8 L [4, 5] – contribuent à considérer maintenant ces paramètres de fonction pulmonaire prohibitifs de manière critique. La conception de l’opération et de l’anesthésie chez ces patients atteints d’un emphysème au stade terminal – à savoir abord bilatéral, le plus souvent thoracoscopique sous ventilation pulmonaire unilatérale et extubation immédiatement postopératoire [13] – semble Forum Med Suisse No 12 20 mars 2002 277 contredire toutes les idées reçues et règles appliquées jusqu’ici. Les résultats sont bien là pour montrer les progrès réalisés ces dernières années. Reste à espérer qu’ils puissent servir de base pour le développement d’autres paramètres plus différenciés et finalement plus pertinents pour l’appréciation du risque pulmonaire. Chirurgie non thoracique Au cours des quatre dernières années, on a publié de nombreuses études sur les facteurs de risque pulmonaires dans le cadre des interventions chirurgicales non thoraciques. Là aussi, on n’a pourtant pas réussi à identifier un ou plusieurs paramètres de mesure de la fonction pulmonaire pré-opératoire qui puissent être considérés comme des facteurs de risque indépendants pour les complications pulmonaires post-opératoires [8]. Ce sont bien plutôt les scores plus complexes rendant compte de l’état général du patient et des dysfonctions organiques multiples, avant tout aussi cardiaques – tels que la classification ASA, le «cardiac risk index» de Goldman, le «comorbidity index» de Charlson ou le score de Shapiro – qui paraissent constituer de bons prédicteurs pour les complications pulmonaires [8]. Lawrence et al. ont observé une combinaison de complications pulmonaires et cardiaques dans 33% de tous les cas [14]. Il est aussi apparu qu’avant tout le tabagisme, les expectorations et des signes cliniques ou radiologiques de bronchite chronique étaient bien corrélés avec des complications pulmonaires postopératoires [15, 18]. Cette façon d’identifier le risque au moyen de l’anamnèse et de l’examen clinique soigneux du patient ainsi que d’examens radiologiques selon une indication différenciée n’est pas onéreuse et évite de surcroît de stresser le patient avec des investigations plus techniques [19]. Information du patient Avant une opération et une anesthésie comportant un risque pulmonaire augmenté, il est important d’en informer le patient et de lui donner toutes les indications nécessaires au sujet des mesures péri-opératoires liées à la gestion de ce risque. Si cela correspond au désir du patient, on lui expliquera les indications et dangers spécialement liés aux mesures péri-opératoires telles que ponction ou cathétérisme artériel et veineux central, cathétérisme artériel pulmonaire, procédés d’antalgie épidurale, sous-pleurale, intercostale ou intraveineuse contrôlée par le patient, échographie trans-œsophagienne etc. On n’omettra pas non plus les informations sur le traitement post-opératoire en salle de réveil ou aux soins intensifs, y compris les mesures thérapeutiques respiratoires avec la possibilité et les conditions de la ventilation post-opératoire. CABINET Forum Med Suisse No 12 20 mars 2002 Traitement pré-opératoire Le traitement pré-opératoire des patients présentant un risque pulmonaire augmenté doit être indiqué et adapté individuellement. La prescription de médicaments administrés au long cours – tels que bronchodilatateurs, sécrétolytiques, corticoïdes topiques ou par voie systémique ainsi que les substances utilisées pour le traitement de l’insuffisance coronarienne – devrait être poursuivie sans changement jusqu’à l’opération. Cependant les AINS et avant tout l’acide acétylsalicylique ainsi que les dérivés coumariniques devraient être stoppés à temps avant l’opération, si par exemple on envisage une anesthésie régionale proche de la moelle épinière. Il faut être rigoureux dans l’établissement de l’indication à de nouveaux traitements supplémentaires avant une opération. Si un tel traitement devait entraîner un report de l’intervention chirurgicale, l’utilité potentielle pour le patient devrait en être clairement établie compte tenu notamment du degré d’urgence de l’opération, par exemple en cas de suspicion de lésion maligne. Ceci vaut également pour la recommandation d’abstinence pré-opératoire de tabac. Cette exigence semble pertinente et nécessaire avant quelques interventions – avant tout chirurgie de réduction de volume pulmonaire chez les patients atteints d’emphysème pulmonaire terminal sévère ou transplantation pulmonaire – car il est ainsi possible d’obtenir, outre une optimisation des conditions péri-opératoires, la démonstration de la part du patient d’une forte motivation pour cette intervention chirurgicale spécialisée 278 et le traitement ultérieur. On n’a jusqu’ici pas encore pu établir combien de temps avant l’opération il faut arrêter de fumer pour en retirer un bénéfice péri-opératoire. Une étude portant sur des patients de chirurgie coronaire a montré qu’on ne pouvait s’attendre à une diminution statistiquement significative des complications pulmonaires péri-opératoires que si l’arrêt de consommation du tabac avait précédé l’opération d’au moins 8 semaines [20]. Certains centres soumettent les patients à des programmes d’entraînement pré-opératoires particuliers sous la dénomination de réhabilitation pulmonaire pré-opératoire. L’utilité n’a ici aussi pas été vraiment démontrée et ce sont plutôt les patients inscrits sur une liste d’attente (p.ex. pour une transplantation pulmonaire) qui ont pu en profiter. La prémédication elle-même – avant le début de l’anesthésie – du patient présentant un risque pulmonaire accru doit être adaptée. Les benzodiazépines et les opiacés – administrés d’habitude dans le service de soins généraux – peuvent entraîner une péjoration fâcheuse de la respiration, surtout chez les patients présentant une maladie pulmonaire obstructive sévère. Mais pourtant, ce sont souvent précisément ces patients qui sont le plus anxieux et agités. En cas de doute, il faut privilégier l’administration intraveineuse de sédatifs et analgésiques directement par l’anesthésiste en salle d’opération plutôt que la prémédication préalable per os dans le service de soins généraux. Dans les cas critiques, l’administration pré-opératoire d’oxygène par voie nasale avant et pendant le transport à la salle d’opération est très importante. Références 1 Smetana G. Current concepts: Preoperative pulmonary evaluation. N Engl J Med 1999; 340:937–44. 2 Olsen G, Block A, Swenson E, Castle J, Wynne J. Pulmonary function evaluation of the lung resection candidate: a prospective study. Am Rev Respir Dis 1975;111:379–87. 3 Cerfolio R, Allen M, Trastek V, Deschamps C, Scanlon P, Pairolero P. Lung resection in patients with compromised pulmonary function. Ann Thorac Surg 1996;62:348–51. 4 Cooper J, Trulock E, Triantafillou A, Patterson GA, Pohl MS, Deloney PA et al. Bilateral pneumectomy (volume reduction) for chronic obstructive pulmonary disease. 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