Le lien entre la croissance, l'inégalité et la pauvreté en Afrique au Sud du Sahara : éléments d’appréciation tirés de données microéconomiques sur l’Ouganda1 Marios Obwona, John Okidi et Sarah Ssewanyana Economic Policy Research Centre Makerere University Campus, Kampala, Ouganda 1 Communication à présenter lors de l’atelier BAD/CARE sur Accelerating Africa’s Development Five Years into the Twenty-First Century prévu à Tunis, du 22 au 24 novembre 2006. 1 Table des matières Résumé analytique 3 1. Introduction 5 2. Le lien entre la croissance, l’inégalité et la pauvreté 6 3. Les courbes de la croissance, de la pauvreté et de l’inégalité en Ouganda 3.1 L’expérience de croissance de l’Ouganda 3.2 Les courbes de la pauvreté 3.3 Les courbes de l’inégalité 4. Explication du lien entre la croissance, l’inégalité et la pauvreté 10 11 14 15 20 5. Conclusion 24 6. Références bibliographiques 27 2 Le lien entre la croissance, l’inégalité et la pauvreté en Afrique au Sud du Sahara : éléments d’appréciation tirés de données microéconomiques sur l'Ouganda Marios Obwona, John A. Okidi et Sarah Ssewanyana Economic Policy Research Centre Makerere University Campus, Kampala, Ouganda Résumé analytique Une bonne partie de la littérature qui traite du lien entre la croissance économique et l'inégalité des revenus s'inspire de la théorie révolutionnaire de Kuznets (1955). En effet, dans son hypothèse du "U renversé", Kuznets soutient que la croissance économique (c’est-à-dire, l’augmentation du revenu moyen par habitant) peut, dès le départ, conduire à une augmentation, puis à une réduction de l’inégalité dans les revenus au sein d’un pays. Depuis lors, une multitude d’arguments ont été avancés en faveur ou contre cette hypothèse. En Ouganda, l’incidence des efforts de développement sur la pauvreté, la croissance et l’inégalité entre 1992 et 2003 a été marquée par trois périodes. Premièrement, la période de 1992 à 1997, caractérisée par de forts taux de croissance macroéconomiques annuels, qui ont culminé à plus de dix pour cent en 1994/95. Ces forts taux de croissance étaient accompagnés d’une réduction substantielle de la pauvreté et de la baisse de l’inégalité de revenus. Deuxièmement, la période de 1997 à 2000, marquée par le ralentissement de la croissance, avec une moyenne d’environ 5% par an. S’il est vrai que la croissance générée alors était suffisante pour maintenir la courbe descendante de la pauvreté, la distribution des fruits de la croissance était tellement asymétrique que l’inégalité de revenus a considérablement augmenté. Troisièmement, la période de 2000 à 2003, marquée non seulement par le ralentissement, mais aussi par la diminution progressive de la croissance. Le ralentissement continu de la croissance, associé à l’aggravation de l’inégalité dans la distribution des fruits de la croissance, a eu l’effet général d’inverser la tendance à la baisse de la pauvreté. Nous retenons donc que la croissance, accompagnée dans une certaine mesure de la redistribution de ses fruits, revêt une importance capitale pour la réduction de la pauvreté. L’Ouganda a enregistré des taux de croissance accélérés avec cependant une certaine augmentation de l’inégalité. De bonnes politiques sont certes nécessaires pour la relance d’une économie, mais elles ne suffisent pas pour consolider les acquis de la réduction de la pauvreté et des fruits de la croissance. Toutefois, lorsque la libéralisation du marché coïncide avec des facteurs externes favorables ayant un effet sur le secteur qui regroupe la majorité de la population, la réduction de la pauvreté devient inéluctable. En l’absence de ces chocs positifs, les effets négatifs de la libéralisation du marché dans un pays pauvre peuvent être 3 améliorés par de solides institutions de gouvernance économique et la mise en place de mécanismes de protection. Dans le cas contraire, les personnes qui, au départ, vivent dans des conditions de croissance précaires, peuvent s’exposer à une tendance négative s'écartant des chemins de la croissance à long terme, et conduisant à l'amplification de l’inégalité et à l'inversion des tendances à la réduction de la pauvreté. L’expérience de l’Ouganda montre qu'en dépit de l'existence de bons programmes et politiques, la traduction des politiques en résultats souhaités peut être minée par des faiblesses institutionnelles et entraîner un ralentissement de la croissance économique. Le présent document montre que lorsque ce phénomène est apparu en Ouganda, les inégalités sociales se sont aggravées et la pauvreté a commencé à prendre de l’ampleur. Les leçons intéressantes de l’expérience de croissance de l’Ouganda sont tirées de trois périodes : au cours de la première période, l’on a enregistré de forts taux de croissance découlant de taux élevés de croissance moyenne, et une réduction de l’inégalité de revenus ; la seconde a été marquée par des taux de croissance accélérés, de forts taux de croissance moyenne accompagnés de l’augmentation de l’inégalité ; et la troisième a été une période de profond ralentissement de la croissance moyenne, avec de fortes augmentations de l’inégalité qui ont conduit à des taux de croissance négatifs. 4 I. Introduction Au cours des années 1990, l’économie mondiale a connu une croissance qui a permis d’atteindre un taux d’augmentation du PIB de 2,5% par an. Néanmoins, un débat intense se poursuit sur les avantages que les populations des pays en développement ont pu tirer de cette croissance économique. La persistance de la pauvreté dans nombre de parties du globe constitue un défi majeur pour les dirigeants du monde. Beaucoup se sont saisis du problème de la pauvreté absolue, mais à ce jour aucune solution satisfaisante n’a été trouvée. La lenteur des progrès dans la réduction de la pauvreté mondiale a généré des interrogations quant à la possibilité d’atteindre le premier Objectif de développement du Millénaire, qui vise à réduire de moitié la proportion de la population vivant dans l’extrême pauvreté (moins d’un dollar par jour) et des personnes qui souffrent de la faim. En Afrique au Sud du Sahara, le PIB par habitant a été réduit de 14%, le pourcentage des personnes vivant avec moins d’un dollar par jour est passé de 41% en 1981 à 46% en 2001, et 140 millions de personnes en plus vivent dans la pauvreté extrême (Banque mondiale, 2004). Dans d’autres régions, les progrès enregistrés sont mitigés. Par exemple, au début des années 1990, les économies en transition de l’Europe et de l’Asie centrale ont connu une chute vertigineuse des revenus. Les taux de pauvreté ont augmenté à 6% à la fin de la décennie, avant d'entamer une courbe descendante (Banque mondiale, 2004). Selon les projections de la Banque mondiale, la baisse des taux de pauvreté la plus rapide sera enregistrée en Asie de l'Est et dans le Pacifique, hormis la Chine ; mais la réduction substantielle de la pauvreté en Chine prévaudra sur les chiffres mondiaux. L’expérience des pays qui ont réussi à réduire sensiblement la pauvreté met en lumière la nécessité d’une croissance économique forte et durable pour atteindre ce résultat. Toutefois, les études sur la pauvreté ont maintes fois abouti à la conclusion d’égale importance que la forte croissance à elle seule ne suffit pas. Par exemple, dans des régions telles que l'Amérique latine, où la distribution des revenus est moins équitable, l’incidence de la croissance sur la réduction de la pauvreté est plus faible. Selon certains observateurs, la croissance économique tend à accroître l’inégalité de revenus (et de biens) et l’importance élevée de l’inégalité garantit que la croissance économique profite aux riches plutôt qu'aux pauvres. Sur ce point, Forsyth (2000) affirme en substance que beaucoup d’éléments montrent que les schémas actuels de croissance (économique) et de mondialisation aggravent les disparités entre les revenus et freinent ainsi la réduction de la pauvreté. Si cette affirmation est correcte, le meilleur moyen de réduire la pauvreté serait de s’attaquer d’abord aux fortes inégalités de revenus que connaissent les pays en développement. Les initiatives de lutte contre la pauvreté prises jusqu’à présent par les grandes organisations internationales (Banque mondiale, USAID, DFID) ont été essentiellement concentrées sur la promotion de la croissance économique générale dans les pays en développement, plutôt que sur la prise en charge de l’inégalité substantielle de revenus et de biens dans ces pays. 5 En termes de réduction de la pauvreté, les modèles et les sources de la croissance, ainsi que la manière dont ses fruits sont distribués sont extrêmement importants (Banque mondiale, 2004). L’objectif principal du présent document est par conséquent d’examiner le lien entre la croissance, l’inégalité et la pauvreté dans le cas précis de l’Ouganda. La suite du document est structurée ainsi qu’il suit : la Section II situe le contexte de l’étude par une revue des récentes argumentations analytiques sur le lien entre la croissance économique, l’inégalité et la pauvreté ; la Section III présente les courbes de la croissance, de l’inégalité et de la pauvreté en Ouganda entre 1992 et 2003 ; la Section IV analyse le lien entre la croissance, l’inégalité et la pauvreté, alors que la section V conclue l’étude. II. Le lien entre la croissance, l’inégalité et la pauvreté Une bonne partie de la littérature qui traite du lien entre la croissance économique et l'inégalité des revenus s'inspire de la théorie révolutionnaire de Kuznets (1955). En effet, dans son hypothèse du "U renversé", Kuznets soutient que la croissance économique (c’est-à-dire l’augmentation du revenu moyen par habitant) peut, dès le départ, conduire à une augmentation, puis à une réduction de l’inégalité de revenus dans un pays. Depuis lors, une multitude d’arguments ont été avancés en faveur et contre cette hypothèse. D’une manière générale, les régressions transversales génèrent des relations ambiguës (Benabo, 1996), alors que c’est le contraire avec les modèles de données recueillies auprès d’un même groupe avec un effet précis (Forbes, 2000, Li et Zou, 1998). Par ailleurs, Barro (2000) soutient que cette relation devient négligeable lorsque les pays riches et les pays pauvres sont pris ensemble. En utilisant les données par pays, Datt et Ravallion (1992) et Kakwani (1993) affirment que la distribution des revenus est importante et que la pauvreté a des incidences sur la distribution et sur la croissance. Ali et Thorbecke (2000) ont analysé des données multipays en Afrique et conclu que la pauvreté dépend beaucoup plus de la distribution des revenus que de la croissance. Ravallion (1997) a également conclu que la pauvreté peut augmenter en dépit des perspectives de croissance si l’inégalité est suffisamment élevée. En utilisant un ensemble de données chronologiques transsversales, Deininger et Squire (1996) n’ont pas pu confirmer l’hypothèse de la courbe de Kuznets du U renversé, mais plutôt l’existence d’un lien étroit entre l’inégalité initiale de revenus et les courbes subséquentes de croissance. En somme, il existe deux théories contradictoires sur la relation entre l’inégalité de revenus et de richesses, et la croissance. L’approche classique bien illustrée par Kaldor (1956) soutient que la forte propension marginale à épargner observée beaucoup plus chez les riches que chez les pauvres indique que l’inégalité initiale de revenus génère plus tard une épargne plus forte, une accumulation du capital et la croissance. D’autres arguments en faveur de l’incidence de l’inégalité comme catalyseur de la croissance reposent sur l’existence du principe d'indivisibilité des investissements et sur les effets incitatifs. Les nouvelles théories d’économie politique qui établissent une relation entre les fortes inégalités et la baisse de la croissance fonctionnent sur la base de canaux présentés dans la Figure 1, empruntée à Thorbecke et Charumilind (2002). 6 Il s’agit des canaux ci-après : 1. L’effet de l’inégalité de revenus sur la promotion des activités (non productives) de maximisation de la rente qui réduisent la sécurité des droits de propriété ; 2. L'expansion de l'instabilité politique et sociale conduisant à une grande incertitude et à des investissements faibles ; 3. Les politiques de redistribution encouragées par l’inégalité de revenus qui imposent des contre-incitations pour dissuader les riches à investir et au contraire les encourager à accumuler les ressources ; 4. Des marchés du crédit mal organisés qui conduisent à de faibles investissements de la part des pauvres, notamment en termes de capital humain ; et 5. Le fait que les personnes à revenus moyens aient une part relativement réduite – ce qui suppose des inégalités plus importantes – conduit à de forts taux de reproduction, qui en retour, ont un effet négatif important sur la croissance. 7 Figure 1 : Il existe probablement d’autres voies par lesquelles l’inégalité affecte la croissance. De profondes disparités de revenus et de richesses peuvent avoir une influence sur l’éducation, la santé et le crime, respectivement par des facteurs tels que l’insuffisance des investissements sur le capital humain et la malnutrition qui entraînent chez les travailleurs une baisse de la productivité, le stress et l’anxiété. Ces manifestations peuvent à leur tour conduire à une croissance plus faible à long terme. Le rejet de l’hypothèse de Kuznets (1955) - qui considère que le lien entre la croissance et l’inégalité (avec l’augmentation du revenu par habitant) a la forme d’un U renversé - par un certain nombre d’études empiriques, a donné une impulsion à la nouvelle littérature sur 8 l’économie politique qui soutient que la grande inégalité initiale compromet la croissance économique (Thorbecke and Charumilind, 2002). Bien qu’ils rejettent l’immutabilité de la courbe de Kuznets, les défenseurs de cette approche soutiennent que les schémas de la croissance qui induisent plus d’inégalité dans la distribution des revenus, vont engendrer une croissance plus faible. En dépit du fait que les données par pays sont limitées et ne pourraient pas se prêter à des généralisations dans d’autres contextes, une étude récente sur la dynamique de l’inégalité et de la croissance dans les zones rurales de la Chine basée sur une évolution de la croissance dans des villages, a montré, au moyen de statistiques claires, que l’inégalité réduit la croissance (Benjamin, Brandt and Giles, 2004). Les auteurs affirment que le mécanisme par lequel l’inégalité exerce ses effets négatifs consiste à dévier l’activité économique du village du secteur non agricole qui génère une forte croissance, pour la tourner vers l’agriculture, entravant ainsi la transformation structurelle en faveur des activités non agricoles. A la lumière de la littérature qui traite de l’effet de l’inégalité sur les incitations, les conflits sociaux, les coûts de transaction et les droits de propriété, le lien éventuel entre la croissance et la pauvreté a été examiné dans les récentes études UNU-WIDER (Cornia, 2000 et Addison et Cornia, 2001). Selon ces études : (i) il existe une relation de forme concave entre l’inégalité et la croissance. La croissance peut être faible lorsque l’inégalité est négligeable, du fait des effets incitatifs, et lorsque l’inégalité est importante, du fait des effets dépressifs sur les investissements privés causés par les conflits sociaux ; (ii) dans cette relation de forme concave entre la croissance et l’inégalité, il existe un écart « croissance – inégalité rationnelle invariante » («growth – invariant efficient inequality » range)(Addison and Cornia, 2001). Compte tenu de ce type de lien entre la croissance et l’inégalité, ces études montrent que tout pays qui cherche à maximiser la réduction de la pauvreté doit choisir le niveau le plus faible d’inégalité au sein du vaste écart croissance – inégalité rationnelle invariante. L’inégalité étant censée influer sur les chemins de la croissance dans le temps, elle a également une incidence sur la pauvreté. UNU-WIDER conclut par conséquent que l’amplification de l’inégalité a été préjudiciable à la réalisation de l’objectif de réduction de la pauvreté (Cornia, 2004). Ce qui se justifie par le fait que de fortes augmentations de l’inégalité nuisent à la croissance ; et que la pauvreté, quel que soit le taux de croissance du PIB, baisse moins rapidement dans une situation de distribution inégale que dans une situation de distribution plus équitable. Ainsi, avec le cadre d’analyse utilisé pour examiner le lien entre la croissance, l’inégalité et la pauvreté, l’étude de UNU-WIDER montre clairement que l’inégalité sensible a tendance à réduire la croissance. L’incidence stratégique évidente qui découle de cette conclusion est que la réduction de la pauvreté dépend non seulement des changements positifs dans l’accroissement du PIB moyen par habitant, mais aussi des mêmes changements dans la réduction de l’inégalité des revenus. Les résultats de l’étude UNU-WIDER semblent s’opposer au courant de pensée dominant qui résulte de nombre d'études de la Banque mondiale, telles que celles de Deininger et Squire (1996) ; Li, Squire et Zou (1998) ; Dollar et Kraay (2001a, 2001b). Selon un point de vue classique, il n’existe pas de lien évident entre l’inégalité et la croissance, et la croissance n’est pas conditionnée par la distribution. 9 En somme, ces théories et faits semblent montrer que l'effet général de l’inégalité sur la croissance ne peut pas être déterminé a priori (Aghion, et al. 1999). Les théories existantes considèrent implicitement ou explicitement que l’inégalité affecte la croissance au travers de son incidence sur la formation du capital matériel et du capital humain. III. Les courbes de la croissance, de la pauvreté et de l’inégalité en Ouganda En Ouganda, l’incidence des efforts de développement sur la pauvreté, la croissance et l’inégalité entre 1992 et 2003 a été marquée par trois périodes. Premièrement, la période de 1992 à 1997, qui a connu de forts taux de croissance macroéconomiques annuels ayant culminé à plus de dix pour cent en 1994/95. Ces forts taux de croissance étaient accompagnés d’une réduction substantielle de la pauvreté et de la baisse de l’inégalité de revenus. Deuxièmement, la période de 1997 à 2000, marquée par le ralentissement de la croissance, à une moyenne d’environ 5% par an. S’il est vrai que la croissance générée pendant cette période était suffisante pour maintenir la courbe descendante de la pauvreté, la distribution des fruits de la croissance était tellement asymétrique que l’inégalité de revenus a considérablement augmenté. Troisièmement, la période de 2000 à 2003, marquée non seulement par le ralentissement, mais aussi par la diminution de la croissance. Le ralentissement continu de la croissance, associé à l’amplification de l’inégalité dans la distribution des fruits de la croissance, a eu l’effet général d’inverser la tendance à la baisse de la pauvreté. Les fondements de ces résultats sont examinés dans la présente section par le truchement de réponses aux questions suivantes : quelles étaient les sources de croissance au cours de la période initiale des réformes en Ouganda ? Quelles sont précisément les contributions de la levée de la suspension qui pesait sur les facteurs de productivité ? Qu’en est-il du rôle des facteurs de croissance non traditionnels tels que la libéralisation des échanges et la stabilité macroéconomique ? Pourquoi la croissance a t-elle connu un ralentissement entre la fin des années 1990 et le début des années 2000 ? Quels sont facteurs institutionnels et économiques qui expliquent l’échec de la forte croissance initiale à poser les fondements de la croissance durable et de la réduction de la pauvreté pour l’avenir ? En particulier, quelle a été la réaction des ménages à la politique de libéralisation et à la stratégie de croissance impulsée par le secteur privé ? Dans ce contexte, qu’est-il advenu des produits de rente (café et coton), qui constituaient traditionnellement les sources de revenus des ménages ? En répondant à ces questions et à la lumière des courbes descendantes de la pauvreté enregistrées au début des années 2000, la présente section analyse comment ont été jetées et réparties les bases de la croissance durable et de la réduction de la pauvreté dans les années 1990. Avant les années 1990, l’Ouganda a connu l’expérience douloureuse des troubles politiques, sociaux et économiques, dont la conséquence a été la régression dramatique de l’économie du fait de la destruction, de la désépargne, de la fuite des capitaux et des cerveaux, ainsi que de la réduction de la productivité à cause des dysfonctionnements et des diversions dans les dépenses publiques (Collier et Reinikka, 2001). La baisse du PIB de 40% entre 1971 et 1986, a, selon Collier et Reinikka (2001), conduit au déclin de l’économie de l’ordre de 1% par an. 10 Le taux d’inflation annuel est passé à trois chiffres, le gouvernement finançant les déficits budgétaires par la dette intérieure. Figure 1 : Le maintien du taux d’inflation à un chiffre a été l’objectif macroéconomique principal des décideurs en Ouganda Taux d'inflation annuel affiché 45 40 annual headline pourcentage 35 30 25 20 15 10 5 0 -5 92 93 94 95 96 97 98 99 00 01 02 03 04 19 19 19 19 19 19 19 19 20 20 20 20 20 / / / / / / / / / / / / / 91 92 93 94 95 96 97 98 99 00 01 02 03 19 19 19 19 19 19 19 19 19 20 20 20 20 Source: Bank of Uganda Le retour à un calme relatif au cours de la seconde moitié des années 1980 et l’engagement explicite à amorcer des réformes ont ouvert la voie à la relance économique qui est devenue effective au début des années 1990. A ce moment, l’Ouganda était caractérisé par des politiques inadéquates et des institutions de gouvernance économique faibles. Le gouvernement a alors lancé une politique de croissance économique impulsée par le secteur privé et les exportations, tout en limitant le rôle de l’Etat à l’instauration de la stabilité macroéconomique et à la mise en place des cadres juridique et institutionnel qui soutiendraient une économie de marché libéralisée. L’histoire de la relance économique de l’Ouganda, par l’engagement en faveur de politiques économiques saines et des initiatives nationales de réduction de la pauvreté, fournit des leçons utiles pour les économies en transition qui sortent d’une situation de conflit généralisée, et pour le passage d’un système économique contrôlé à un environnement marqué par la libéralisation et la stabilité politique. De même, l’expérience de l’Ouganda, à travers le défi de maintenir une réduction de la pauvreté basée sur la relance économique et la croissance au cours des périodes subséquentes, constitue des leçons tout aussi importantes pour d’autres pays. 3.1 L’expérience de croissance de l’Ouganda La littérature sur la croissance présente l’accumulation des facteurs et la productivité, la géographie, l’environnement externe, les politiques économiques et les institutions comme les principaux catalyseurs de la croissance économique. Pendant la période de l’analyse, l’Ouganda n’aurait pas pu changer sa géographie. En outre, le pays étant une petite économie ouverte, il n’aurait pas pu influencer profondément l'environnement externe - il aurait pu uniquement saisir les opportunités offertes sur la scène internationale. Cependant, le pays 11 aurait pu entreprendre des actions sur la productivité et l’accumulation de ses facteurs de production endogènes. Parallèlement, il aurait pu changer ses politiques économiques et mettre en place des institutions pour la mise en oeuvre durable de politiques saines. Le pays sortant d’un conflit généralisé, la relance de l'accumulation des facteurs et de la productivité était certainement essentielle pour la croissance et la réduction de la pauvreté au début des années 1990. Notamment, la forte croissance enregistrée entre 1992 et 1997 était le résultat de la reconstruction et de la relance générale après conflit dans la plupart des régions du pays (Bevan, et al., 2003). Les bonnes performances de la croissance étaient le produit du retour à un calme relatif et des incitations qui ont induit la mobilisation du capital physique et humain pour le sortir de l’oisiveté et le réinvestir dans les activités de production en exploitant les opportunités du marché en vue de la croissance et de la réduction de la pauvreté. Comme le montre le tableau 4, les efforts de relance économique ont porté des fruits en termes de croissance générale. Mais, la durabilité de cette croissance s’est avérée précaire, compte tenu du fait que les taux de croissance très élevés étaient concentrés dans de petits secteurs tels que les industries minière, de fabrication et de construction. S’il est vrai que les services communautaires (éducation, santé et services publics généraux) ont également enregistré de forts taux d’augmentation, cette amélioration s’est surtout manifestée par l’accroissement des dépenses publiques dans les domaines susceptibles de générer des gains au fil du temps. Toutefois, depuis les années 1990, la croissance était généralisée parce que accélérée par les opportunités du marché international en termes de cours du café, le principal produit d’exportation qui employait plus de treize millions d'Ougandais dans les secteurs de la production, du stockage, de la transformation et de la commercialisation. Le café constitue l’exemple typique où l’Ouganda a pleinement exploité les opportunités mondiales. Tableau 4 : Les périodes au cours desquelles les plus fort taux de croissance ont été enregistrés correspondent à celles marquées par de forts taux de croissance dans le secteur agricole, où travaille la majorité de la population. Tableau 4 : Taux de croissance sectoriels Groupe industriel 1992/93 1993/94 1994/95 1996/97 1997/98 1998/99 1999/00 2000/01 2001/02 2002/03 Agriculture de rente 10,1 4,7 8,4 39 2,2 6,6 5,2 4,5 5,7 3,,9 Culture de rente 0,3 10,5 8,0 22,6 13,9 -2,8 9,3 7,0 -4,9 7,4 4,6 17,3 5,3 11,7 4,4 -0,2 3,0 7,5 5,9 8,2 5,7 3,7 Elevage 3,5 2,8 -4,9 12,2 5,5 4,0 4,1 3,3 3,8 4,4 3,9 Pêche 4,1 -3,5 8,8 2,5 4,5 5,0 0,9 -0,1 4,0 3,5 3,2 10,4 3,7 9,1 35,7 50,2 27,7 14,5 6,3 10,1 11,0 1,2 Industrie manufacturière 1,9 15,4 11,6 29,5 14,2 4,4 14,1 3,6 8,9 4,3 4,5 Electricité & eau 5,7 7,3 11,4 10,5 10,1 7,0 6,0 8,7 8,2 5,4 4,6 11,2 13,5 28,1 14,4 7,7 8,0 10,9 7,3 1,3 13,4 11,6 4,6 Cultures vivrières Ind. minière & carrière Construction Commerce 7,9 1995/96 6,0 8,1 22,0 10,9 2,3 6,3 10,5 1,8 6,5 6,2 14,9 19,5 18,9 9,4 9,1 4,4 7,3 5,3 7,1 18,1 7,5 Transport/Communication 7,3 10,0 13,4 10,6 10,8 9,6 7,0 7,3 9,6 12,4 16,8 Services communautaires 7,4 6,0 7,0 6,0 6,,3 5,8 4,5 8,6 2,4 7,0 2,7 Total PIB 8,0 5,4 10,0 8,3 4,8 4,4 7,4 5,8 5,0 6,4 4,7 Hôtels & restaurants Source : Uganda Bureau of Statistics 12 Après avoir atteint le sommet en 1994/95, la croissance a chuté au niveau le plus bas en 1997/98, et elle est remontée timidement en dessous de l’objectif de 7% pour atteindre l’ambitieux objectif national d’un taux revenu - pauvreté proportionnelle de moins de 10% en 2017. En plus de la détérioration des termes extérieurs de l’échange, traduite spécialement par la flambée des cours du pétrole et la chute vertigineuse des prix du café après le boom du milieu des années 1990, le ralentissement de la croissance a mis en lumière la réalité logique que la partie facile de la croissance post-conflit s'était achevée en 1998/99. La croissance de l’Ouganda au cours des années 1990 était accompagnée d’une certaine transformation structurelle, notamment entre 1992 et 1997 (figure 2). Même si l’agriculture avait cédé la place aux services en tant que premier contributeur au PIB, la part de l’industrie avait stagné à environ 19%, bien en dessous de la barre de 35% des économies ayant réussi la transition de pays à faible revenu à pays à revenu intermédiaire (Bevan et, al, 2003). Par conséquent, la réalisation de la vision du pays d’accéder au rang d’Etat moderne et industrialisé (tel qu’exprimée dans le manifeste du parti au pouvoir), doit nécessairement passer par une transformation structurelle à un niveau plus élevé que celui de la figure 2. Figure 2 : Baisse de la transformation structurelle, la part de l’industrie stagnant bien en dessous de la barre de 35% permettant la transition de pays à revenu faible à pays à revenu intermédiaire. Figure 2 : Changement structurel du PIB Agriculture 1992/93 1997/98 Industrie 2001/02 2002/03 Services 0 10 20 30 40 50 60 Part du PIB Source : Uganda Bureau of Statistics L'évolution récente de la croissance de l’Ouganda laisse apparaître des défis majeurs dans la transition économique et semble appeler une vague nouvelle de réformes en vue de poser les jalons d’une croissance économique à plus long terme. Ces défis majeurs s’illustrent par le fait qu’après 1999, la transformation structurelle s’est pratiquement bloquée, les taux d’investissement ont plafonné bien en dessous des projections de 27% requis pour atteindre 13 l’objectif de réduction de la pauvreté nationale que le pays s’était fixé, le ratio exportationsPIB est tombé à environ 12%, le revenu national, en tant que part du PIB, a stagné bien en dessous de la moyenne de l’Afrique au Sud du Sahara qui est de 18%, et l’épargne intérieure est restée extrêmement faible. 3.2 Les courbes de la pauvreté La restauration de la stabilité macroéconomique au début des années 1990 a permis de placer la pauvreté au centre des préoccupations politiques, à travers la mise en œuvre des plans de développement sectoriels dans le cadre de développement global du pays connu sous le titre de Plan d’action pour l’éradication de la pauvreté (PEAP). Une analyse des dépenses de consommation effectuée à partir des données d’une enquête nationale auprès des ménages a montré que les stratégies de relance et d’orientation des années 1990 ont entraîné une réduction sensible de la pauvreté (Appleton et al., 1999; Appleton et Ssewanyana, 2003). Le ratio revenu - pauvreté proportionnelle a chuté de 56% en 1992 à 34% en 2000, puis est remonté à 38% en 2003 (Tableau 1).2 Toutefois, la pauvreté en Ouganda demeure un phénomène rural et elle est plus prononcée chez les cultivateurs. La contribution disproportionnée des zones rurales à la pauvreté nationale est demeurée constante, à environ 96%. Les disparités régionales, notamment entre le Nord et le reste du pays, ont persisté, le Nord étant la seule région où les dépenses de consommation ont baissé entre 1997 et 2000. S’il est vrai qu'entre 2000 et 2003, la pauvreté proportionnelle est demeurée la même dans le Nord alors qu’elle a augmenté dans le reste du pays, cette région a gardé la plus forte incidence de la pauvreté, à un taux de 64% au moins. Tableau 1 : La réduction de la pauvreté dans les années 1990 était certes généralisée, mais l’incidence, la profondeur et la gravité de la pauvreté étaient plus importantes chez les populations rurales et agricoles du Nord. 2 Des données localisées ont montré qu’entre 1992 et 2000, une proportion importante d’Ougandais (20%) a connu une pauvreté chronique, 30% sont sortis de la pauvreté, alors que 10% environ y sont tombés (Lawson, et al. 2003). 14 Tableau 1 : Pauvreté proportionnelle et écart de pauvreté 1992/93 Pauvreté proportionnelle 1997 1999/00 2002/03 1992/93 Ecart de pauvreté 1997 1999/00 2002/03 1992/93 Ecart de pauvreté arrondi 1997 1999/00 2002/03 National 55,7 45,0 33,8 37,7 20,3 14,0 10,0 11,3 9,9 6,0 4,3 4,8 Rural Urbain 59,7 27,8 49,2 16,7 37,4 9,6 41,7 12,2 22,0 8,3 15,4 4,3 11,2 2,1 12,6 3,0 10,8 3,5 6,7 1,7 4,8 0,7 5,4 1,1 Central 45,6 27,9 19,7 22,3 15,3 7,6 4,4 5,5 7,0 3,0 1,5 1,9 Est 58,8 54,3 35,0 46,0 22,0 18,3 9,3 14,1 10,9 8,2 3,6 6,0 Nord 72,2 60,9 63,6 63,3 28,6 21,4 24,6 23,4 14,6 10,0 12,3 11,6 Ouest 53,1 42,8 26,2 31,4 18,7 11,0 6,1 7,9 9,0 4,0 2,1 2,9 Agriculture de rente 63,6 53,0 39,1 50,4 23,7 16,9 11,3 15,5 11,7 7,4 4,7 6,7 Secteur non agricole 52,4 37,0 41,9 33,6 20,7 11,5 14,4 9,8 10,6 4,9 6,6 4,1 Ind. minière/construction 36,5 25,3 25,7 23,0 11,2 5,3 8,9 4,6 4,5 1,8 4,3 1,5 Ind.manufacturière 44,4 36,4 23,3 28,4 15,8 8,0 5,2 8,0 7,5 2,8 1,7 3,0 Commerce 26,5 20,5 12,7 17,4 7,6 5,8 2,6 4,3 3,2 2,3 0,9 1,6 Transport/comm.. 34,5 28,0 13,8 18,3 12,4 7,6 2,6 3,7 5,9 2,8 0,7 1,0 Services publics Autres services 36,8 29,5 22,0 30,8 15,4 16,4 12,6 24,1 10,5 9,9 6,1 9,0 3,9 5,3 3,4 6,4 4,5 4,4 2,3 3,7 1,5 2,6 1,4 2,6 Sans activité 65,6 51,6 42,4 38,9 25,0 17,5 16,8 14,7 12,1 7,4 9,1 7,5 Source : Les auteurs, à partir des données de l’enquête nationale auprès des ménages en Ouganda En appliquant la méthode de décomposition sectorielle de Ravallion et Huppi (1991), nous estimons que plus de 98% des changements enregistrés en matière de pauvreté dans les années 1990 étaient le fait des modifications de la proportion des pauvres au sein des sousgroupes de la population identifiés au Tableau 1. La majorité de la population ougandaise étant engagée dans l’agriculture, le secteur a contribué de 80% environ à la réduction de la pauvreté entre 1997 et 2000 ; cette contribution était en grande partie la conséquence à moyen terme du boom du café du milieu des années 1990. Par contre, lorsque la pauvreté a augmenté entre 2000 et 2003, la principale cause évoquée était la détérioration des conditions de vie dans le secteur agricole. 3.3 Les courbes de l’inégalité Au cours de chacune des trois sous-périodes présentées au Tableau 1, l’accroissement du revenu moyen a induit la réduction de la pauvreté de manière constante. Pour l’ensemble de la période soumise à l’analyse, les dépenses de consommation moyennes par adulte ont augmenté de 3,8% par an. Compte tenu de l’importance de la croissance dans tous les centiles (Figure 1), indépendamment du choix d'un seuil de pauvreté absolue plausible, un déclin de la pauvreté était inéluctable. Néanmoins, l’incidence de la croissance était inégale vers le sommet, en ce sens que seule la population riche, qui représentait 10% du total, a tiré profit d’une croissance supérieure à la moyenne. Cette inégalité de la distribution des fruits de la croissance a entraîné l’augmentation du coefficient de Gini sur l'inégalité de 0,36 en 1992 à 0,43 en 2003. En utilisant l’approche de Ravallion-Chen (2003), nous avons trouvé que même si ce changement dans la distribution défavorisait les pauvres, son impact sur la pauvreté était évident, en raison du taux de croissance de 2,7%. 15 Avant 2000, la croissance était forte dans les centiles en termes absolus 1997-2000 1992-1997 11 Accroissement des dépenses par habitant (%) 1992-2003 9 7 2000-2003 5 3 1 0 10 20 30 40 50 60 70 80 90 -1 -3 Centiles de population Source : Auteurs, à partir des données recueillies lors de l’enquête En examinant la période de 1992 à 1997, au moment où la pauvreté proportionnelle a baissé de 10,7 points de pourcentage, nous estimons que 96% environ de la réduction étaient attribuables à la croissance et le reste à la redistribution (Tableau 2). Comme le montre les courbes d’incidence de la croissance de la Figure 1, la période de 1992 à 1997 était également la seule où la croissance du bien-être était disproportionnellement en faveur de l’extrémité inférieure de la distribution, d’où le renforcement de l’impact de la redistribution sur la réduction de la pauvreté, tel qu'illustré par le Tableau 2. Indépendamment du groupe géographique ou sectoriel, sans croissance, l’Ouganda n’aurait jamais enregistré un fort taux de réduction de la pauvreté ; mais les inégalités sans cesse croissantes ont sérieusement émoussé l’incidence de la croissance sur la pauvreté. 16 Tableau 2 : Décomposition du changement en termes de pauvreté du fait de la croissance et de l’inégalité 1992-1997 National Rural Urbain Central Est Nord Ouest Croissance -10,3 -10,9 -5,6 -13,7 -6,7 -9,1 -10,5 1997-2000 2000-2003 1992-2003 Inégalité Croissance Inégalité Croissance Inégalité -0,4 -16,3 5,0 -1,4 5,3 0.4 -13,3 1,5 -0,4 4,7 -5,5 -14,7 7,6 -1,3 3,8 -4,0 2,2 -2,2 0,1 Croissance -26,3 -23,1 -22,8 Inégalité 8,3 5,1 7,2 -14,1 -21,8 2,6 -20,9 5,8 2,5 0,2 4,3 -2,6 8,7 -1,4 -0,1 5,1 2,3 1,1 5,3 -31,1 -18,7 -8,6 -27,9 7,7 5,9 -0,2 6,2 Agriculture de rente -10,5 -0,2 -17,3 Secteur non agricole -10,6 -4,8 -1,4 Ind. minière/construction -0,7 -10,5 -1,3 Ind. manufacturière -8,2 0,2 -22,3 Commerce -3,6 -2,4 -12,9 Transport/comm... -7,2 0,7 -15,3 Services publics -1,.2 -2,6 -15,2 Autres services -0,5 1,8 -20,2 Sans travail -16,1 2,1 -12,1 Source : les auteurs, à partir des données de l’enquête nationale 3,3 6,2 1,7 9,2 5,1 1,1 8,6 5,7 2,9 9,2 -10,6 -2,3 8,4 8,2 0,6 -5,5 0,9 -2,1 2,2 2,3 -0,5 -3,3 -3,4 4,0 2,7 6,8 -1,4 -18,1 -23,2 -5,5 -18,1 -10,2 -21,4 -32,0 -21,7 -34,1 4,8 4,4 -8,1 2,2 1,2 5,2 7,8 16,3 7,5 Parmi les trois grandes périodes de croissance définies plus haut, c’est de 1997 à 2000 que l’on a enregistré le plus fort taux de croissance des dépenses de consommation moyennes. La courbe ascendante de l’incidence de la croissance était disproportionnellement en faveur des riches. Par conséquent, le coefficient de Gini est passé de 0,35 à 0,40. Même si le taux de croissance de la période était la moitié de celui de tout le revenu moyen, l’effet de la période de croissance sur la pauvreté était important, en raison de la baisse de l’indice de pauvreté proportionnelle de dix points de pourcentage.3 Le taux élevé de la croissance a contribué à la forte réduction de la pauvreté, qui a profondément atténué l’effet de l’inégalité galopante dans les zones rurales et urbaines, et dans les différentes régions et secteurs économiques. Au cours de la période de 2000 à 2003, l’accroissement des dépenses de consommation moyennes de 0,7% était le fait du quintile supérieur, qui représentait la seule couche de la population ayant bénéficié d’une amélioration de la qualité de vie. Tel que le montre le Tableau 3, le taux de croissance était négatif au cours de cette période. Par conséquent, le coefficient de Gini est passé de 0,40 à 0,43 et la pauvreté proportionnelle a augmenté de 34 à 38 pour cent. Les résultats présentés dans cette sous-section indiquent que pour un schéma de distribution donné, il existe un taux minimum en deçà duquel le taux de croissance devient négatif et la pauvreté commence à augmenter. 3 Il faut noter que la croissance a été accélérée entre 1997 et 2000. Même si le taux de croissance représentait la moitié du taux mondial moyen de cette période, il était cependant supérieur à celui de la période 1992-1997, lorsqu’il dépassait le taux de croissance moyen dans le monde. 17 Tableau 3 : Taux de croissance accéléré enregistré entre 1997 et 2000 au prix de l’augmentation de l’inégalité, étant donné que les taux étaient inférieurs à l’ensemble des taux de croissance moyens. Tableau 3 : Croissance des dépenses moyennes Croissance des dépenses moyennes 1992 - 2003 National Rural Urbain 1992 - 1997 National Rural Urbain 1997 - 2000 National Rural Urbain 2000-2003 National Rural Urbain Taux de croissance 3,77 3,09 5,25 2,66 2,57 3,45 3,02 3,03 2,50 3,94 3,83 5,07 8,24 6,19 14,38 4,87 4,75 7,58 0,67 0,19 1,21 -1,67 -1,64 -4,16 Source : Les auteurs, à partir des données de l’enquête Si l’Ouganda a réussi à maintenir le taux de croissance macroéconomique à plus de 5% par an depuis 1992, et un taux de croissance très positif des dépenses de consommation des ménages au cours de la même période, la distribution des fruits de la croissance est cependant devenue plus inégale. L’écart dans la distribution des avantages peut être le résultat du phénomène qui veut que les pauvres deviennent relativement plus pauvres et les riches relativement plus riches, ou de la combinaison des deux. Le Tableau 5 montre que quel que soit l’indicateur d’inégalité, la distribution des avantages était à son meilleur niveau en 1997, lorsque le coefficient de Gini se situait à 0,35. Après 1997, les écarts se sont aggravés, tel que le montre l'augmentation du coefficient de Gini à 0,43 en 2000/2003. Les indices d’entropie généralisés ( GE ( ) soit 0,1,2 ) présentés sur le tableau 5 indiquent que l’augmentation des inégalités est en grande partie imputable aux écarts grandissants au niveau supérieur de l’échelle de distribution des avantages. Plus la valeur α est grande, plus l’indice de l’inégalité est sensible aux écarts en termes d’avantages observés au niveau supérieur de la distribution. En conséquence, les projections de variations remarquables de l’indice d’entropie généralisé (2) impliquent que les différences croissantes au niveau supérieur de la distribution des avantages en Ouganda, notamment dans les zones urbaines, ont été à l'origine de l'aggravation de l’inégalité générale. 18 Tableau 5 : Dépenses moyennes réelles par mois, par adulte, équivalents et inégalités Pourcentage du changement Période de l’enquête 1992/93 1997 1999/00 2002/03 1992-1997 1997-2000 2000-2003 National Dépenses p.a.e. Coefficient de Gini GE(0) GE(1) GE(2) 24.262 0,36 0,22 0,25 0,42 28.155 0,35 0,20 0,22 0,32 35.706 0,40 0,26 0,32 0,62 36.433 0,43 0,31 0,41 1,59 16 -5 -11 -13 -24 27 14 32 46 95 2 8 17 29 157 Rural Dépenses p.a.e. Coefficient de Gini GE(0) GE(1) GE(2) 21.420 0,33 0,18 0,19 0,27 24.873 0,31 0,16 0,17 0,24 29.782 0,33 0,19 0,20 0,39 29,952 0,36 0,22 0,25 0,41 16 -5 -10 -8 -9 20 7 17 14 60 1 9 17 28 5 Urbain Dépenses p.a.e. Coefficient de Gini GE(0) GE(1) GE(2) 44.335 0,40 0,27 0,29 0,46 50.158 0,35 0,20 0,20 0,26 75.051 0,43 0,30 0,30 0,51 77.812 0,48 0,41 0,53 2,05 13 -12 -24 -30 -43 50 23 49 45 95 4 12 34 79 304 Source : Les auteurs, à partir des données de l’enquête nationale De même, le Tableau 6 met en exergue les facteurs contribuant aux variations de l’inégalité. Les différences régionales représentent 65% de l'augmentation du coefficient de Gini de 0,364 à 0,395 entre 1992/1993 et 1999/00. Les disparités entre les zones urbaines et rurales représentent 64%, le secteur d’activité du chef de famille 43%, l’éducation 41% et la taille du ménage 21%. Ces résultats ne sont guère surprenants, en raison des variations de l’inégalité de ces facteurs au cours des deux périodes. En revanche, les changements intervenant dans le secteur d’activité du chef de famille étaient constants, d’où le signe négatif. Il est vrai que les services communautaires ne représentaient que 16% des augmentations de l’inégalité entre 1992/93-1999/00, 1999/00 et 2002/03, ils ont cependant enregistré la contribution la plus forte, soit 62%. Au cours de la même période, l’éducation représentait 46%, suivie du secteur d’activité du chef de famille, 40% ; la situation géographique du ménage n'a pas influé sur l'augmentation de l’inégalité. En somme, les trois facteurs les plus importants qui expliquent les variations de l’inégalité entre 1992/93 et 1999/00 sont : la situation géographique, le secteur d’activité du chef de famille et l’éducation. Entre 1999/00 et 2002/03, ces facteurs étaient plutôt : les services communautaires, l’éducation et le type d’activité. 19 Tableau 6 : Contribution des facteurs aux variations de l’inégalité entre 1992-2002/03 Contribution globale relative Contribution au changement du coefficient de Gini 1992/93 1999/00 2002/03 1992 - 1999 1999 - 2003 Genre 0,001 0,000 0,001 -0,015 0,022 Age 0,003 -0,002 -0,005 -0,065 -0,034 Education 0,080 0,106 0,133 0,414 0,463 Taille du ménage 0,115 0,123 0,124 0,214 0,139 Secteur 0,018 0,050 0,052 0,426 0,071 Activité 0,028 -0,011 0,020 -0,470 0,401 Urbain 0,014 0,063 0,033 0,639 -0,334 Région Caractéristiques de la communauté 0,025 0,074 0,050 0,645 -0,248 0,042 0,051 0,094 0,156 0,617 Résiduel 0,678 0,546 0,498 -0,992 -0,091 Source : Les auteurs, à partir des données de l’enquête nationale V. Explication du lien entre la croissance, l’inégalité et la pauvreté en Ouganda Pour comprendre les incidences de la pauvreté et de l’inégalité en Ouganda, nous avons au préalable considéré que c’est la croissance (et non la redistribution) qui stimule le processus de réduction de la pauvreté. Aussi, les facteurs déterminants de la croissance au cours des années 1990 doivent expliquer le succès de la lutte contre la pauvreté en Ouganda. En particulier, la stabilité politique, l’engagement des donateurs et l’environnement du marché extérieur ont joué un rôle décisif dans l’accès généralisé aux fruits de la croissance. Cependant, comme le montre les résultats présentés ci-dessus, ces conditions favorables n’étaient pas suffisantes pour maintenir la courbe descendante de la pauvreté. La faiblesse des institutions et l’insuffisance de l’engagement budgétaire en vue d’appuyer directement l’assise économique de la majorité des Ougandais, ont réduit l’effet de la croissance globale moyenne sur les revenus des pauvres ; d’où l’amplification de l’inégalité de revenus. Les ménages ont énormément tiré profit des réformes du début des années 1990, qui ont corrigé les déséquilibres macroéconomiques et éliminé les distorsions et les insuffisances de l'économie par la libéralisation. L’incidence la plus importante des réformes a été observée dans le secteur du café, à la suite de la suppression de la taxe sur les exportations de ce produit et de la libéralisation de sa commercialisation en 1991/92. Ces réformes ont spécifiquement conduit à une augmentation spectaculaire de la contribution des prix du café à la production aux prix à la frontière, de 30% à plus de 80% (Collier and Reinikka, 2001). Les réformes de la filière, associées aux cours mondiaux élevés au milieu des années 1990 et à la disponibilité croissante des variétés à haut rendement, ont entraîné une croissance remarquable des revenus pour un grand nombre d’Ougandais travaillant dans la production, la transformation et la commercialisation du café. 20 Le flux massif de l’aide étrangère (à une moyenne de 12% du PIB) qui a financé le développement du secteur social et des infrastructures a accru les opportunités d’augmentation des revenus et renforcé la capacité du gouvernement à fournir des services traditionnels de croissance en faveur des pauvres. En outre, la paix relative, le respect des droits de propriété, la libéralisation du marché, la privatisation, les mesures d’incitations pour une croissance stimulée par le secteur privé, ainsi que les opportunités économiques qu’offrait l’Ouganda pour des investissements fortement rentables au sein d'une région politiquement instable, ont attiré des investissements étrangers directs et favorisé le transfert de fonds par des Ougandais de la diaspora. Tous ces facteurs ont renforcé l’accumulation du capital matériel et humain et encouragé le transfert des technologies qui a abouti à une croissance économique généralisée. Cependant, les gains de la relance économique, de l’élimination des dysfonctionnements et de l’amélioration des performances économiques se sont épuisés en 1999. Comme le montre cidessus la stagnation de l’économie, un autre défi s’est posé : celui de maintenir la forte croissance atteinte lors de la relance économique. La croissance ayant été déterminante pour la réduction de la pauvreté dans les années 1990, son ralentissement vers la fin du siècle dernier a, en revanche, affecté négativement cette courbe descendante. Même si la croissance est restée positive jusqu'à la période de 2000 à 2003, la montée continue de l’inégalité depuis 1997 a pratiquement annulé l’effet de la croissance sur la pauvreté. Dans le cas où la période analysée n’aurait enregistré aucune croissance, la pauvreté aurait augmenté d’environ 8 points de pourcentage. L’inversion de la courbe de la pauvreté après 1999 peut également s'expliquer par certains schémas sectoriels de la courbe de croissance. Le Tableau 4 montre que les secteurs ayant enregistré les plus forts taux de croissance moyenne sont ceux où exerçaient de petites proportions de la population pour leurs moyens de subsistance. Il s’agit, d’une manière générale, des secteurs industriels et des services, qui constituaient également les principales destinations des investissements étrangers directs et de l’aide publique au développement. Compte tenu du fait que ces secteurs emploient des personnes ayant certains niveaux de capital humain, la plupart des Ougandais n’auraient pas pu participer à leur croissance, dans la mesure où au début de la période de croissance, un ménage moyen était dirigé par une personne n'ayant que quatre ans d'études. Comme mentionné plus haut, le Tableau 4 montre que les périodes de forte croissance générale ont coïncidé avec les fortes croissances du rendement agricole, l’agriculture étant le secteur qui emploie la majorité de la population active. Mais dans l’ensemble, la croissance du rendement du secteur agricole est restée en dessous de la moyenne. La part de l’agriculture dans le budget national est aussi demeurée constamment en dessous de 4%.4 L’insuffisance du financement direct du secteur agricole a entravé la mise en œuvre du Plan de modernisation de l’agriculture (PMA), cadre institutionnel novateur de traitement des problèmes d’offre et de demande que connaît le secteur. L’une des principales difficultés de production du secteur est le déclin du rendement agricole, du fait de la réduction de la fertilité du sol, de la sousutilisation des technologies qui améliorent la productivité et des pratiques inadéquates 4 Les décideurs soutiennent généralement que la part des dépenses publiques directes pour l’agriculture est certes généralement négligeable, mais cette insuffisance est compensée par les dépenses dans les domaine d’appui à l’agriculture – les domaines traditionnels des dépenses en faveur des pauvres tels que l’éducation, la santé, l’eau et l’assainissemant, les routes et la connectivité. 21 d’exploitation des terres (Nkonya et al., 2003; Pender et al. 2004; Obwona et Ssewanyana, 2004). Fondamentalement, la production des denrées vivrières n’aurait pas pu suivre le rythme d'accroissement de la population entre 1999 et 20035, quand on sait que la consommation des denrées produites par les ménages (dans une société de subsistance essentiellement) a baissé d’environ 20% par habitant (Appleton et Ssewanyana, 2003) Sur le plan des cultures de rente, le prix du principal produit d’exportation, le café, a subi une baisse vertigineuse après le boom du milieu des années 90 (voir figure 3). Cette situation indique qu’en l’absence de diversification, les bonnes politiques seules ne suffisent pas à parer la vulnérabilité des familles essentiellement agricoles aux chocs externes. Figure 3: Cours mondiaux du café Cours mondiaux du café $ EU/kg 3 2 1 0 95 /96 /97 /98 /99 /00 /01 /02 /03 /04 / 94 995 996 997 998 999 000 001 002 003 9 1 1 1 1 1 1 2 2 2 2 Années Les mauvaises performances de la filière café au cours de la deuxième moitié des années 1990 ont contraint le gouvernement à promouvoir d’autres produits tels que le poisson, les fleurs et la vanille en vue de l’exportation. Bien que les filières du poisson et des fleurs aient enregistré de bons résultats et compensé les pertes en devises dues à la baisse des cours du café, leurs effets directs sur la pauvreté sont restés limités, dans la mesure où ces nouvelles filières d'exportation n’emploient qu’une infime proportion de la population. Dans le cas de la vanille, les cours mondiaux ont connu une baisse sensible dans les années 2000, en conséquence, les agriculteurs ont commencé à négliger ce produit après y avoir investi considérablement. D’une manière générale, les mauvaises performances du secteur agricole entre 1999 et 2003 transparaissent dans les termes de l’échange internes entre ce secteur d’un côté, l’industrie et 5 Les statistiques nationales montrent que la population ougandaise est passée de 22,2 millions en 1999/2000 à 25 millions en 2002/2003. Le taux d’accroissement démographique annuel de l’Ouganda, qui est de 3.4%, figure parmi les plus élevés du monde. 22 les services de l’autre, qui se sont détériorés de 20% au détriment de l’agriculture, ce qui a sévèrement affecté le pouvoir d’achat de la majorité des Ougandais. Ces écarts de performance ont entraîné un déplacement du centre d’intérêt intersectoriel, notamment au détriment des cultures, les familles déclarant à 52% contre 68% auparavant que ce secteur constituait leur principale source de revenus entre 1999 et 2003. Ce changement a été facilité par les améliorations des infrastructures et de la circulation de l’information sur le marché, particulièrement grâce au réseau de téléphone portable. La plupart des déplacements d’un secteur à l’autre se sont opérés sous forme d’emplois indépendants en faveur du commerce et de l'industrie manufacturière qui, au regard du Tableau 1, ne semblent pas avoir offert aux arrivants la possibilité de sortir de la pauvreté. Le passage des tâches agricoles aux emplois indépendants non agricoles reflète non seulement la faiblesse des revenus tirés de l’agriculture, mais aussi l’échec du secteur des emplois salariés à absorber la main-d’œuvre provenant de l’agriculture (Appleton et Ssewanyana, 2003). Quel que soit le volume de la main-d’œuvre absorbée par le secteur des emplois salariés, il aura contribué à la baisse des niveaux de salaire, étant donné que les salaires réels du secteur privé ont baissé d'un cinquième environ entre 1999 et 2003. Par contre, les emplois publics, qui ont enregistré une baisse dans les années 1990, ont connu une augmentation des salaires d’environ un cinquième, contribuant ainsi à la baisse de la pauvreté proportionnelle de 15 à 13% entre 1999 et 2003. La plupart des pauvres n’étant pas des employés de l'administration, mais évoluant plutôt dans le secteur de l’auto-emploi et le privé, la baisse et les variations des salaires susmentionnées ont dû contribuer à l’amplification de l’inégalité et à la chute vers la pauvreté observées entre 1999 et 2003. Il ne fait pas de doute que la réduction de la pauvreté dans les années 1990 n’a pas entraîné de progrès remarquables dans la création des emplois. Ce constat est corroboré par le fait que le secteur à croissance rapide de cette période en matière d’emploi était le secteur des emplois indépendants non agricoles, les emplois publics (le plus grand secteur des emplois salariés) s’étant amenuisés au fil du temps (Banque mondiale, 2005). La faible création des emplois induite par la croissance et la réduction de la pauvreté en Ouganda s’explique également par le fait que même si 45% des ménages possèdent des entreprises non agricoles, seuls 15% de ces entreprises engagent du personnel, puisque la main-d’œuvre familiale est largement suffisante pour la taille de leurs activités (Deininger et Okidi, 2003). Les autres facteurs importants qui ont compromis la durabilité de la réduction de la pauvreté sont les effets accumulés de l’insécurité au Nord de l’Ouganda et l’inaccessibilité au financement par le crédit. Sur le plan régional, l’incidence disproportionnée de la pauvreté au Nord de l’Ouganda est en grande partie imputable à la longue guerre civile de 19 ans, dont les coûts ont été estimés à 3% du PIB. Pour ce qui est du crédit, en dépit de la mise en place du cadre réglementaire pour la création des institutions financières, les coûts du crédit sont restés très élevés, environ 30% par an, ce qui a sapé les efforts d’entreprenariat des ménages en vue de diversifier les sources de revenus. C’est là le principal problème de l’Ouganda où il n'existe aucun mécanisme de minimisation des risques en vue d'éliminer les effets dévastateurs des chocs tels que la chute vertigineuse des cours du café dans les années 1990 ou la chute drastique des cours de la vanille au début des années 2000. 23 V. Conclusion Nous avons montré que la croissance, accompagnée d’une certaine redistribution des fruits, est primordiale pour la réduction de la pauvreté. Mais la conclusion de fond est qu’une croissance disproportionnellement en faveur des pauvres serait l’idéal, mais elle n’est pas automatiquement associée à des taux plus élevés de croissance. L’Ouganda a enregistré des taux de croissance accélérés avec cependant une certaine augmentation de l’inégalité. Nous avons par ailleurs relevé que de bonnes politiques sont certes nécessaires pour la relance d’une économie, mais elles ne sont pas suffisantes pour la consolidation des acquis de la réduction de la pauvreté et des fruits de la croissance issus de la relance. Toutefois, lorsque la libéralisation du marché coïncide avec des facteurs externes favorables qui ont une incidence sur le secteur qui regroupe la majorité de la population, la réduction de la pauvreté devient inéluctable. En l’absence de ces chocs positifs, les effets négatifs de la libéralisation du marché dans un pays pauvre peuvent être améliorés par de solides institutions de gouvernance et la mise en place de mécanismes de protection. Dans le cas contraire, les personnes qui, au départ, vivaient dans des conditions de croissance précaires, peuvent de plus en plus être écartées des chemins de la croissance durable, ce qui amplifierait l’inégalité et l'inversion des tendances à la réduction de la pauvreté. Les leçons intéressantes à tirer de l’expérience de croissance de l’Ouganda se retrouvent dans trois périodes : au cours de la première période, l’on a enregistré de forts taux de croissance découlant de forts taux de croissance moyenne, et la réduction de l’inégalité des revenus ; la seconde a été marquée par des taux de croissance accélérés, de forts taux de croissance moyenne accompagnés de l’augmentation de l’inégalité ; et la troisième a été une période de profond ralentissement de la croissance moyenne, avec de fortes augmentations de l’inégalité qui ont conduit à des taux de croissance négatifs. Il ressort de ce qui précède que dans un environnement macroéconomique stable, la croissance accélérée peut être le fait de nombre de facteurs : (i) l’investissement constant et patient sur les hommes et les infrastructures matérielles ; (ii) le renforcement des institutions en vue d’améliorer l’efficacité et la productivités des dépenses publiques ; (iii) l’application de politiques qui assurent des liens efficaces avec les marchés internationaux pour les denrées produites par les pauvres ; (iv) l’accroissement de l’accès aux facteurs de production clés tels que le crédit ; et (v) l’investissement dans la protection des pauvres contre les effets négatifs de la libéralisation du marché. L’expérience de l’Ouganda montre qu'en dépit de l'existence de bons programmes et politiques, la traduction des politiques en résultats peut être sapée par les incohérences des politiques économiques pratiques et les faiblesses institutionnelles qui entraînent un ralentissement de l’économie. Le présent document montre que lorsque ce phénomène est apparu en Ouganda, l’inégalité en termes d’avantages s’est aggravée et la pauvreté a commencé à augmenter. Cette situation était soutenue par l’affaiblissement de la transformation structurelle pour les raisons suivantes : non application du plan de modernisation agricole ; faiblesse des institutions et effets négatifs de la libéralisation de l’accès aux facteurs de production – notamment le crédit ; insuffisance du suivi et de l’évaluation des interventions du secteur public ; corruption et inadéquation des investissements du secteur privé dans les domaines clés où l’Etat s’était désengagé. 24 Tout au long de la décennie 1990 jusqu’aux années 2000, la contribution de la productivité totale des facteurs (TFP) à la croissance a été extrêmement basse. Avec une accumulation du capital représentant environ 85% de la croissance réelle du PIB de l’Ouganda (Pattillo et al., 2005), le pays n'est pas capable de pérenniser les périodes de croissance, dans la mesure où c’est la productivité qui est essentielle et non le stock de capital (Easterly et Levine, 2001). Pour augmenter la productivité, il faudra des institutions et des politiques qui influent sur les incitations visant à générer et à disséminer des innovations dans le pays (Howitt, 2004). Pour ce qui est précisément de l'agriculture, le plan de modernisation exige une volonté politique, un renforcement institutionnel et une augmentation substantielle du financement en vue de tracer de nouvelles voies de promotion de la productivité et de commercialisation de la production. La preuve palpable des faiblesses du plan de modernisation agricole est que non seulement les obstacles qu'il prévoyait d’éliminer en 2001 existent toujours, mais d’autres ont vu le jour : accès à la terre, droits de propriété, instabilité des marchés extérieur et intérieur (Oxford Policy Management, 2005). A cet égard, la levée des contraintes de l’offre dans le secteur agricole devrait constituer le point de départ de l’action visant à libérer la maind’œuvre de ce secteur pour d’autres appelés à s'élargir selon le modèle de transformation structurelle qu’ont connu certains pays à revenu intermédiaire. Pour ce qui est du développement du capital humain, l’accès des pauvres à l’éducation secondaire devrait être encouragé à travers le partenariat public-privé sous forme de programmes d’assistance financière, tels que des bourses d’études. A court terme, il faudrait instituer un financement public direct en faveur des communautés et des ménages défavorisés. Bien que cette initiative soit difficile à mettre en oeuvre en raison des problèmes de choix, il convient de faire l’effort de développer des capacités institutionnelles à cet effet ; à défaut de cela, les pauvres ne pourront pas briser le cercle vicieux de transmission du sousdéveloppement du capital humain de générations en générations. Les soins de santé constituent l’autre élément important du capital humain. Le partenariat public-privé constitue une question transversale majeure dans le processus de croissance en Ouganda, or il pâtit d’un manque d'orientation institutionnelle générale. Nous estimons que lorsque le secteur privé est faible et que l’intervention de l’Etat s’avère nécessaire pour insuffler une dynamique à la réaction du secteur privé face aux opportunités mondiales, il faut créer un environnement stratégique pour l'économie en général, en vue d’encourager un partenariat élargi et concurrentiel entre le privé et le public, au lieu de mener des interventions limitées aux entreprises. L’environnement qui a été instauré et qui a permis d’encourager la réaction mobilisatrice et concurrentielle de l’Ouganda face aux cours mondiaux attrayants du café est un exemple des résultats que l’on peut obtenir avec des interventions sectorielles. Par contre, l’intervention orientée spécifiquement vers certaines entreprises adoptée par l'Ouganda pour exploiter les opportunités de l'AGOA est une illustration de la modicité des avantages que peut produire ce genre d’intervention. Une forte participation aurait pu être encouragée à travers des incitations structurelles novatrices pour établir des effets d’entraînement en amont au sein de l’industrie textile de l’Ouganda. 25 En général, des actions organisées visant à surmonter les obstacles à la participation aux opportunités de croissance doivent être élaborées pour permettre le passage facile vers des programmes stratégiques à plus long terme. A cet égard, il est nécessaire d’avoir des institutions d’exécution fortes, transparentes et coordonnées. Lorsque les capacités d’un organisme spécifique, traditionnellement responsable d’un programme stratégique donné, sont faibles, le meilleur recours est de les renforcer au lieu de passer les responsabilités d’une structure à l’autre. 26 Références bibliographiques Addison, T and G. A. Cornia (2001) Income distribution policies for faster poverty reduction. UNU-WIDER Discussion Paper No. 2001/93. Helsinki: UNU-WIDER. Aghion, P., E. Caroli, C. 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World Bank (2004) World Development Indicators, Washington, DC. 29 Figure 1: Canaux par lesquels l’inégalité influe sur la croissance INEGALITE INITIALE ELEVEE DANS LES REVENUS 1 2 3 4 Activités de haute Tensions sociales Electeur Présence maximisation de et instabilité moyen d’imperfections la rente politique pauvre au sein du marché des capitaux Droits de propriété Incertitude moins garantis accrue 5 Part de revenus plus réduite pour la classe moyenne Demande de Réduction Effet positif redistribution des opportunités marqué sur plus élevée d’investissement, la fécondité particulièrement dans le dvt humain Faiblesse Augmentation accrue des des impôts investissements Effet négatif sur la croissance Augmentation des distorsions CROISSANCE ECONOMIQUE PLUS FAIBLE Sources : (1) Benhabib and Rustichini (1991) ; Keefer and Knach (2000) (2) Alesina and Peroti (1994) (3) Alesina and Rodrik (1994); Bertola (1993); Persson and Tabellini (1991) (4) Banergee and Newman (1993); Aghion and Bolton (1997) (5) Perotti (1996) 30