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MERLEAU PONTY
Merleau-Ponty(Maurice) 1908-1961
Maurice Merleau-Ponty, né à Rochefort-sur-Mer (Charente-Maritime), fut professeur au lycée de Saint-Quentin, puis à l’université de Lyon et, en 1949, à la Sorbonne. En 1952, il fut
élu et nommé au Collège de France, succédant à Lavelle dans la chaire occupée, jadis, par Bergson. Il disparaît brutalement à Paris à l’âge de cinquante-trois ans.
Le but de Merleau-Ponty est clair et clairement énoncé. Il s’agit de dépasser les termes du débat philosophique qui se présente comme une alternative entre l’idéalisme et le
matérialisme..
« Il y a deux vues classiques de la philosophie (…) » écrit Merleau-Ponty, c'est-à-dire deux solutions opposées à ce problème fondamental de la philosophie (qui est celui du rapport
de la conscience à la réalité) qui s’excluent l’une l’autre :
« D’un côté l’homme est une partie du monde et de l’autre il est conscience constituante de monde (…) »
- la première solution « consiste à traiter l’homme comme le résultat des influences physiques, physiologiques et sociologiques qui le détermineraient du dehors et feraient de lui
une chose entre les choses. »
Nous remarquons que Merleau-Ponty emploie le terme d’influences et non point le terme de conditions et qu’il met sur le même plan les influences physiques, physiologiques et
sociologiques, autrement dit le déterminisme de la nature, les influences physiologiques, autrement dit le déterminisme biologique, enfin les influences sociologiques, c'est-à-dire les
conditions sociales.
Autrement dit, il nous dresse le profil d’une philosophie dans laquelle l’homme est le produit (il dit : le résultat) d’une réalité matérielle qui se présente sous trois formes : les lois de
la nature, les processus biologiques et les conditions sociales.
- La seconde position philosophique consiste « à reconnaître dans l’homme, en tant qu’il est esprit, et construit la représentation des causes mêmes qui sont censées agir sur lui,
une liberté a-cosmique/
Dans cette expression « conscience constituante du monde », Merleau-Ponty ne fait pas référence à l’idéalisme subjectif de Berkeley, pour qui la réalité n’existe pas
indépendamment de nos représentations (esse est percipi) mais bien à l’idéalisme transcendantal de Kant, pour lequel les formes de la sensibilité que sont l’espace et le temps et les
catégories de l’entendement (de la pensée) constituent (structurent) la réalité telle qu’elle se présente à nous dans l’expérience.
Ainsi, Merleau-Ponty oppose entre eux :
- un matérialisme ( qu’il appelle réalisme) pour lequel l’homme est une partie du monde, produit d’une réalité matérielle qui se présente sous trois formes : les lois de la nature, les
processus biologiques et les conditions sociales.
- un idéalisme transcendantal qui résout le problème des rapports de la pensée à la réalité en nous montrant que nous n’avons jamais affaire à la réalité telle qu’elle est en soi mais à
une réalité toujours-déjà structurée par la sensibilité et l’entendement de l’homme.
Derrière cette lutte sur les deux fronts, le principal souci de Merleau-Ponty est de dénoncer ce qu’il appelle le « préjugé du monde objectif », c'est-à-dire le réalisme - la position
matérialiste - qui, affirmant l’existence de la réalité indépendamment de la conscience, prétend ( comme si l’homme était une partie de la nature) « expliquer » l’homme et tous les
phénomènes humains comme l’objet d’une connaissance objective. Ce réalisme est pour Merleau-Ponty l’expression de l’objectivisme chosiste et physicaliste de la pensée
scientifique naïve. Comme nous le lisons dans l’avant-propos à la Phénoménologie de la perception, il n’hésite pas à affirmer que la phénoménologie est d’abord « le désaveu de la
science ».
Dans ses premiers ouvrages marquants, qui furent ses deux thèses : La Structure du comportement (1942) et la Phénoménologie de la perception (1945), cette lutte contre le préjugé
du monde objectif ( qui est la base du matérialisme), Merleau-Ponty va la mener sur le terrain de la psychologie.
La Structure du comportement s’attaque à l’explication physiologique du comportement compris par le behaviorisme, sur la base de l’activité réflexe comme une réponse de
l’organisme aux stimulations du milieu ou par Pavlov, sur la base de l’étude des réflexes conditionnés, comme le produit de l’Activité Nerveuse Supérieure ( A.N.S.).
A l’origine de cette explication du comportement, on retrouve le préjugé objectif qui consiste -pour le rapport de l’homme au monde - à poser l’existence du monde comme une
nature : une réalité physique. En prenant comme base du comportement l’activité réflexe, on identifie les stimulations du milieu aux excitants qui sont des réalités physiques
auxquels l’organisme répond - terme à terme - par des réactions physiologiques : L’organisme et le milieu sont compris comme deux réalités distinctes, celles-là mêmes que les
sciences étudient séparément, comme leurs objets propres.
Le réflexe est ainsi conçu comme « l’opération d’agent physique ou chimique défini sur un récepteur également défini qui provoque par un trajet défini une réponse définie . » Or,
l’organisme ne joue pas un simple rôle de récepteur (comme un clavier ou téléphone automatique) par rapport à des stimuli extérieurs ; il contribue à les constituer : « la forme de
l’excitant est crée par l’organisme lui-même, par sa manière propre de s’offrir aux actions du dehors. » Ou encore : « le stimulus ne peut se définir en soi et indépendamment de
l’organisme ; ce n’est pas une réalité physique, mais physiologique ou biologique. » L’erreur consiste à prolonger à l’intérieur du système nerveux la discontinuité des terminaisons
sensorielles, si bien que le fonctionnement du système nerveux est représenté comme une mosaïque de processus autonomes qui interfèrent et se corrigent les les autres. »
Se fait, « le système nerveux est le lieu où s’élabore une image totale de l’organisme. »
Retenant les analyses de Goldstein dans La structure de l’organisme, Merleau-Ponty montre que « le milieu se découpe dans le monde selon la structure de l’organisme »
Le comportement est une forme, c'est-à-dire un mode d’être spécifique qui unit chaque être vivant à son milieu. La forme qui caractérise le comportement humain est à décrire comme
une manière de transcendance par quoi l’homme dépasse la simple coexistence au milieu vital pour élever ce milieu vital au niveau d’une réalité assumée et prise en charge. Dans le
même moment, cette assomption et cette prise en charge font de celui qui les exerce un sujet. Il serait donc peu adéquat de définir l’homme et son existence par la conscience en tant
que telle. En fait, la transcendance constitutive du comportement significatif propre à l’homme appelle « la notion d’une vie de la conscience qui déborde sa connaissance expresse
d’elle-même ».
La Phénoménologie de la perception entreprend l’étude et la critique des concepts classiques de la psychologie proprement dite (sensation, association, mémoire, jugement ). Pour
dénoncer l’impuissance de la philosophie à rendre compte de la perception, il faut redécouvrir la perception comme notre rapport originaire au monde : en termes heideggeriens, ce
rapport à l’être par quoi il y a pour nous un monde.
L’erreur de la psychologie prend sa source dans le préjugé qui est à l’origine de l’errance de la philosophie, qui consiste, pour comprendre le rapport de l’homme au monde, à
commencer par poser l’existence d’une réalité indépendante de la conscience. La sensation, qu’elle prend comme point de départ de la perception et comme élément de base de la
vie mentale, n’est que le transfert dans le sujet, à titre d’élément psychique, d’une réalité physiologique qui est l’impression sensorielle. A partir de cet élément, qui est une pure
abstraction, la psychologie se donne pour tâche de reconstituer le monde perçu qui se présente comme la diversité des choses distinctes les unes des autres dans l’espace, ayant
chacune la forme, le relief, l’identité : tout ce qui leur confère le statut d’objet.
Il n’est pour la psychologie que deux solutions alternatives : celle de l’empirisme, hérité de Hume, qui prétend expliquer la constitution de l’objet par l’association des images
fournies par les sens ; celle de l’intellectualisme, qui, s’inspirant de Descartes, prétend que la perception de la chose ne se peut comprendre que par l’inspection de l’esprit, qui
détient préalablement une idée de l’objet.
Nous pouvons essayer de comprendre la « troisième voie » que cherche à définir Merleau-Ponty.
Pour la philosophie classique, la représentation que nous avons des choses, c’est, dans la thèse de l’idéalisme, le résultat d’une activité de l’esprit, l’exercice d’un pouvoir qui est
celui de la pensée, ou bien, dans la thèse du matérialisme, la re-production, le reflet de la réalité matérielle.
La troisième voie consiste à montrer qu’il n’est pas nécessaire pour rendre compte de la possibilité de la représentation, d’invoquer un mystérieux pouvoir de l’esprit, parce que la
représentation trouve sa possibilité dans la présence de l’homme au monde..
Si l’on cherche à définir la conscience comme un caractère spécifique de l’homme, il faut dire que l’homme est, comme l’animal, présent au monde, mais qu’à la différence de
l’animal, il est capable de le re-présenter.
Selon Merleau-Ponty, ce qui constitue la conscience, c’est précisément le fait que la présence de l’homme au monde implique qu’il soit « capable » de se le re-présenter.. Par sa
présence au monde, l’homme re-présente ce à quoi il est présent.
Voici cette troisième voie exprimée par Merleau-Ponty:
« Il faut reconnaître à l’homme une manière d’être très particulière : l’être intentionnel ».
C’est bien évidemment ici la référence à la réflexion de Husserl. Cette manière particulière d’être qui caractérise l’homme est le fait que l’homme n’est pas d’abord, comme le voulait
le cogito cartésien, conscience de soi, mais toujours-déjà rapport à quelque chose. Ainsi la conscience n’est pas une entité, une réalité qui s’opposerait à la matière, comme Descartes
oppose « res cogitans » et « res extensa » en un dualisme insoluble ; c’est une manière d’être de l’homme par quoi il ne peut être lui-même qu’en étant en rapport avec autre chose ;
par quoi il ne peut avoir conscience de soi qu’en étant conscience de quelque chose.
Avec cette définition husserlienne de la conscience, le rapport de la conscience à la réalité extérieure à la conscience se trouve-t-il résolu ?
Non point. parce que ce quelque chose dont la conscience est conscience, cet objet que la conscience vise, car la conscience est visée de quelque chose ( in-tentionnalité : tendre
vers), est aussi bien ce triangle quand je fais des mathématiques ou ce moment de mon passé dont je me souviens, que cette table ou ce pommier en fleurs. Autrement dit cet objet de
la conscience est-il une réalité (matérielle) ou simplement un corrélatif de la conscience, un objet de pensée : le cogitatum d’un cogito ?
Dans les Idées (1912) et plus encore dans les Méditations cartésiennes (1929), la thèse de la constitution semble restaurer - en l’étendant à tout objet « de » conscience - un idéalisme
transcendantal : Si la conscience constitue non seulement le sens, mais toutes les structures qui constituent nos rapports à l’être, le monde risque de n’être rien d’autre que l’ensemble
des corrélats de conscience.
Le problème n’est point résolu du rapport de la conscience et du réel, de la pensée et de la matière : la menace de l’idéalisme est réelle.
Merleau-Ponty tente de récuser cette objection : il ne faudrait pas croire, précise-t-il, que la conscience, qui est visée d’un objet, crée cet objet : « On pourrait conclure du fait que la
conscience est visée d’un objet, que la conscience construit cet objet. »
Pourquoi, selon Merleau-Ponty peut-on et doit-on rejeter l’objection ?
« Si l’on considérait que c’est l’esprit qui est constitutif de cet objet que la conscience vise comme son corrélatif, on rendrait incompréhensibles nos attaches corporelles et
sociales. »
Que signifie cette dernière indication par laquelle Merleau-Ponty nous renvoie pour comprendre le rapport de la conscience et de la réalité à nos « attaches corporelles et
sociales » ?
Il s’agit de nous renvoyer à notre compréhension « pré-réflexive » de la condition humaine par laquelle nous nous appréhendons à la fois comme cet être qui appartient à une réalité
qu’il n’a pas choisi – ce que Sartre appelle la facticité – (qu’il s’agisse de notre corps ou de nos conditions sociales) et comme cet être qui est capable de nier cette réalité, de
dépasser ces conditions pour faire surgir d’autres possibles.
Autrement dit, c’est la compréhension de l’être de l’homme ou de la condition humaine qui nous donne la clé du problème insoluble de la philosophie réflexive.
la troisième voie consiste à répondre au problème fondamental de la philosophie en en dénonçant les termes qui ne pouvaient conduire qu’à une aporie. C’est ensuite la
compréhension de la condition humaine, à travers la description ( ou phénoménologie) des rapports concrets de l’homme au monde, qui nous dévoile, non point l’origine historique
( et la genèse) du problème, mais bien son fondement : c’est l’ambiguïté de la condition humaine qui rend compte du dilemme de la réflexion : l’homme est cet être duel qui ne peut
être libre qu’autant qu’il est déterminé, parce qu’il est fondamentalement le seul être qui puisse dépasser sa condition : L’existence humaine n’est rien d’autre que ce dépassement,
par lequel un homme a toujours - jusqu’à l’échéance de sa vie - à faire la preuve de son « humanité
En fin de compte, la solution au problème philosophique des rapports de la conscience à l’être tient tout entière dans la description (phénoménologique) de la condition humaine.
« Tout se passe comme si », c’est la locution qui permet de passer de la phénoménologie à l’ontologie…« Tout se passe comme si » j’étais déterminé par les choses qui m’entourent,
mais en tant qu’homme je suis capable de nier, de dépasser ces déterminations. Comme le développe le dernier chapitre de la Phénoménologie de la perception, c’est cette
transcendance qui constitue la liberté et définit la condition humaine.
Les différents rapports qui constituent nos rapports conscients avec le monde, et que l’on peut exprimer sous la forme prédicative (sujet, verbe, prédicat) sont précédés d’un rapport
primitif avec le réel que Husserl appelait le monde de la vie : Lebensweltet que Merleau-Ponty appelle dans ses derniers ouvrages l’être sauvage.
. La publication de Le Visible et l’Invisible (1963), dont la rédaction commencée en 1959 fut interrompue par la mort de l’auteur (1961), a permis de mesurer le chemin parcouru par
celui-ci depuis la phénoménologie de la perception.
Dans la Phénoménologie de la perception Merleau-Ponty avait explicité le sens de nos rapports avec le monde : en tant qu’être concret, dont la subjectivité est inséparable de la
corporéité, car le corps est bien ce par quoi, d’abord, nous sommes en rapport avec le monde et pour ainsi dire situés dans le monde.
Dans Le Visible et l’Invisible il va plus loin : il fallait rompre avec la philosophie de la conscience qui animait l’enquête psychologique de la Phénoménologie de la perception ; et
même il fallait rompre avec cette forme subtile de la philosophie de la conscience que l’auteur avait élaborée sous le titre du « cogito tacite » et avec l’appui des significations non
langagières. La rupture avec la psychologie du vécu n’est complète que si l’on cesse de partir de la distinction conscience-objet et si l’on adopte le préalable heideggérien de
l’implication du sujet dans l’être ;
Les notes obscures, en appendice à l’ouvrage posthume, sur l’être des lointains, sur l’être de latence, sur l’être sauvage, sur le langage de l’être annoncent une ontologie en lutte
avec le langage traditionnel et avec son propre langage ; en particulier le concept même de chair – ma chair est la chair du monde –, appliqué désormais au visible, au monde, à
l’histoire, vise à une inscription sensible du rapport avec l’être qui devient, pour la philosophie, l’innommable
Par la chair que je suis, ma rencontre avec ce qu’on nommait l’objet prend un caractère de réciprocité radicale dans l’unité et l’immanence transcendante de l’Être.
Toute la philosophie de Merleau-Ponty consiste à exprimer notre entrelacs, ce qu’il appelle notre chiasme, notre connivence ou notre co-existence au monde et à autrui. Par notre
incarnation, au sein même du corps propre, se confonde la corporéité et la subjectivité : C’est cette puissance, cette dimension, que Merleau-Ponty nomme la chair. Dans un de ses
derniers livre, le visible et l’invisible, il écrit « la chair n’est pas matière, n’est pas esprit, n’est pas substance. Il faudrait pour la désigner le vieux terme d’élément au sens où on
l’employait pour parler de l’eau, de l’air, de la terre et du feu, c'est-à-dire au sens d’une chose générale, à mi-chemin de l’individu spatio-temporel et de l’idée, sorte de principe
incarné qui importe un style d’être (une façon d’être au monde) partout où il s’en trouve une parcelle. »
Phénoménologie de la perception
Avant propos
Dès l’avant propos, Merleau-Ponty revendique l’héritage de Husserl, mais il pose immédiatement la question : qu’est-ce que la phénoménologie ?
Cela, pour nous conduire jusqu’à l’interprétation qu’il en donne et la voie qu’il va ouvrir à partir de cette réflexion de Husserl.
« La phénoménologie, écrit-il, c’est une philosophie transcendantale qui met en suspens, pour les comprendre ; les affirmations de l’attitude naturelle (c'est-à-dire l’affirmation de
l’existence du monde indépendamment de la conscience), mais c’est aussi une philosophie, pour laquelle le monde est toujours « déjà-là » avant la réflexion, comme une présence
inaliénable et dont tout l’effort est de retrouver ce contact naïf avec le monde pour lui donner enfin un statut philosophique. »
Et il exprime immédiatement ce qui constitue son interprétation de la phénoménologie : « il s’agit, écrit-il de revenir aux choses mêmes. Et revenir aux choses mêmes, c’est revenir à
ce monde avant la connaissance, dont la connaissance ‘‘parle’’ toujours et à l’égard duquel toute détermination scientifique est abstraite, singnitive, et dépendante. Comme la
géographie à l’égard du paysage, nous avons d’abord appris ce que c’est qu’un forêt, qu’une prairie, ou qu’une rivière. »
Et il nous explique immédiatement le sens de sa démarche dans la phénoménologie, lorsqu’il met en œuvre une phénoménologie de la perception : « La perception, écrit-il, n’est
pas une science du monde, ce n’est pas même un acte, une prise position délibérée, elle est le fond sur lequel tous les actes se détachent et elle est présupposée par eux. Le monde
n’est pas un objet dont je possède par devers moi la loi de constitution (voici une allusion à la philosophie transcendantale), le monde est le champ de toutes mes pensées, de toutes
mes perceptions explicites. »
Et dès cet avant propos, il nous révèle la portée de cette démarche, qui est sans aucun doute le désaveu de la science c'est-à-dire de toute explication objective des phénomènes
humains.
Il écrit de façon parfaitement claire : « cette première consigne que Husserl donnait à la phénoménologie : revenir aux choses mêmes, c’est d’abord le désaveu de la science. Et il
poursuit, je ne suis pas le résultat ou l’entrecroisement des multiples causalités qui déterminent mon corps ou mon psychisme, je ne puis pas me penser comme une partie du monde,
comme le simple objet de la biologie, de la psychologie et de la sociologie, ni fermer sur moi l’univers de la science. Tout ce que je sais du monde, même par science, je le sais à
partir d’une vue mienne ou d’une expérience du monde sans laquelle les symboles de la science ne voudraient rien dire. Tout l’univers de la science est construit sur le monde vécu,
si nous voulons penser la science elle me^me avec rigueur, en apprécier exactement le sens et la portée, il nous faut réveiller d’abord cette expérience du monde dont elle est
l’expression seconde. (…) Je suis non pas un ‘‘être vivant’’ ou même ‘‘un homme’’, ou même une ‘‘conscience’’ avec tous les caractères que la zoologies, l’anatomie sociale, ou la
psychologie reconnaissent à ces produits de la nature ou de l’histoire. Je suis la source absolue, mon existence ne vient pas de mes antécédents, de mon entourage physique et
social (…) Les vues scientifiques selon lesquelles je suis un moment du monde sont toujours naïves et hypocrites, parce qu’elles sous-entendent, sans la mentionner, cette autre vue,
celle de la conscience, par laquelle d’abord un monde se dispose autour de moi et commence à exister pour moi. »
Un tel exposé par Merleau-Ponty du sens de sa démarche « phénoménologique », suscite immédiatement une objection : l’accusation d’idéalisme, à laquelle il s’empresse de
répondre : « Ce mouvement de retour aux choses mêmes, est absolument distinct du retour idéaliste à la conscience . » La démarche mise en œuvre échappe à la fois, à « l’explication
scientifique » qui fait de l’homme un objet, et à l’analyse réflexive qui conçoit ou qui réduit l’homme à être le sujet de la connaissance. Que l’on se réfère, poursuit-il, au cogito
cartésien, ou au renversement copernicien de Kant, « l’analyse réflexive consiste à partir de notre expérience du monde, à remonter au sujet comme à une condition de possibilité
distincte de cette expérience, et elle fait voir la synthèse universelle, comme ce sans quoi il n’y aurait pas de monde. »
Et Merleau-Ponty alors, marque sa distance à l’égard de la phénoménologie husserlienne :
« Pendant longtemps , écrit-il, et jusque dans des textes récents, la réduction phénoménologique, est présentée comme le retour à une conscience transcendantale, devant laquelle le
monde se déploie dans une transparence absolue, animée de part en part, par une série d’aperceptions que le philosophe serait chargé de reconstituer à partir de leur résultat. Ce
serait l’appréhension d’une certaine ‘‘hylè’’ (matière) comme signifiant un phénomène de degré supérieur (la sinn-gebung), l’opération active de signification, qui définirait la
conscience, et le monde ne saurait rien d’autre que la signification-monde.
Dès lors, la réduction phénoménologique serait idéaliste. (…) un idéalisme transcendantal conséquent dépouille le monde de son opacité et de sa transcendance. »
Merleau-Ponty développe alors ce que doit être le nouveau cogito :
« le cogito doit me découvrir en situation, et à cette condition seulement que la subjectivité transcendantale pourra, comme le dit Husserl, être une intersubjectivité. Comme ego
méditant, je peux bien distinguer de moi le monde et les choses, puisque assurément je n’existe pas à la manière des choses. Je dois même écarter de moi mon corps entendu comme
une chose parmi les choses, comme une somme de processus physico-chimiques. Mais la cogitatio que je découvre ainsi, si elle est sans lieu dans le temps et l’espace objectif, n’est
pas sans place dans le monde phénoménologique. Le monde que je distinguais de moi comme somme de choses, ou de processus liés par des rapports de causalité, je le redécouvre en
moi, comme l’horizon permanent de toutes mes cogitationes, et comme une dimension par rapport à laquelle je ne cesse de me situer. Le véritable cogito ne définit pas l’existence du
sujet par la pensée qu’il a d’exister, il ne convertit pas la pensée du monde en certitude de la pensée du monde, et enfin, il ne remplace pas le monde même par la signification du
monde. Il reconnaît au contraire ma pensée même comme un fait inaliénable, et il élimine tout espèce d’idéalisme, en me découvrant comme être au monde. »
Dans ces conditions, il faut comprendre l’intentionnalité dans le sens où Husserl la définissait comme intentionnalité opérante (fungierende intentionalitat), celle qui fait l’unité
naturelle et antéprédicative du monde et de notre vie, qui paraît dans nos désirs, nos évaluations, notre paysage, plus clairement que dans la connaissance objective, et qui fournit
le texte dont nos connaissances cherchent à être la traduction en langage exact.
Le rapport au monde, tel qu’il se prononce infatigablement en nous, n’est rien qui puisse être rendu plus clair par une analyse : « la philosophie ne peut que le replacer sous notre
regard l’offrir à notre constatation. (…) Qu’il s’agisse d’une chose perçue, d’un événement historique, ou d’une doctrine, « comprendre », c’est ressaisir l’intention totale non
seulement ce qu’ils sont pour la représentation, les propriétés de la chose perçue, la poussière des faits historiques, les idées introduites par la doctrine, mais l’unique manière
d’exister qui s’exprime dans les propriétés du caillou, du verre ou du morceau de cire, dans tous les faits d’une révolution, dans toutes les pensées d’un philosophe. »
« Le monde phénoménologique c’est, non pas de l’être pur, mais le sens qui transparaît à l’intersection de mes expériences et de celles d’autrui, par l’engrenage des unes sur les
autres. Il est donc inséparable de la subjectivité et de l’intersubjectivité qui font leur unité par la reprise de mes expériences passées dans mes expériences présentes et de
l’expérience d’autrui dans la mienne.
Le philosophe essaie de penser le monde, autrui et soi-même et de concevoir leur rapport. La philosophie n’est pas dans ces conditions le reflet d’une vérité préalable, mais comme
l’art, la réalisation d’une vérité.
A la
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